Les fonds douteux et l’hôtellerie de luxe en Suisse

On entends de plus en plus de reportages concernant tel ou tel projet d'investissement dans les Alpes, tel ou tel investisseur défrayant régulièrement la chronique sur des projets plus ou moins hors normes ou pharaoniques, avec la ribambelle de questions sans réponses des journalistes quand à la provenance ce ces fonds. Le rapport de la FEDPOL 2012 sorti il y a quelques jours n'est peut être pas étranger à ce regain d'intérêt journalistique pour des affaires qui, par leur dimensions et leurs structures quelque peu inhabituelles, interpellera forcément le citoyen.

En préambule toutefois, loin de moi l'idée de fustiger des investissements dans notre pays, et en particulier dans nos régions alpines qui sont certainement plus exposées que d'autres au sous-développement, au manque d'infrastructure, d'emploi et qui se dépeuplent de leurs jeunes forces en quêtes d'opportunités et de possibilités qu'ils ne trouvent plus chez eux. Les investissements alpins sont des bénédictions pour autant qu'elles respectent les cadres environnementaux, culturels et légaux, soit ce que la Suisse à de mieux à offrir en plus de ses splendides paysages alpestres et cette sérénité des alpages.

Force est de constater que les exemples, même à mon petit niveau, s'accumulent et posent des questions concernant les sources de financement, au delà de l'image, naturellement caricaturale, de l'investisseur amoureux du paysage et grand bienfaiteur de régions entières, apportant une manne significative dan des projets hôteliers qu'ils soient de luxe ou non.

Je me rappelle il y a une année, un magistrat italien de Reggio Calabria pointant du doigt certaines fiduciaires tessinoises qui investissaient dans les régions du haut valais. Je me souviens également ces quelques notables du fond de vallée qui s'interrogeaient sur le manque de curiosité des autorités et des médias sur la situation de l'hôtellerie de montagne dont plus des deux tiers serait en faillite virtuelle (sic !!!). Je me souviens de ces investissements réalisés par des dentistes pour créer des bâtiments énormes pour des lieux périphériques. Et je me dis encore aujourd'hui: comment se fait-il qu'un magistrat, du fond de sa Calabre sous-développée m'indique à moi les endroits en Suisse où il conviendrait de pointer son nez (à mes risques et périls). C'est le monde à l'envers et un sacré coup à la conscience professionnelle il faut bien le dire. Et en plus vérifications à l'appui, des fleurons de l'hôtellerie de montagne, en tout cas dans 3 cas identifiés dans le Haut Valais, semblent confirmer cette analyse du magistrat calabrais. Des lieux hors de tout doute et de tout soupçon. Des lieux où chacune et chacun d'entre nous aura passé au moins une fois dans sa vie ou y passe encore.

Moins "mafieux" mais pas forcément moins douteux, les projets se multiplient: à Aminona, Loèche les Bains, Champéry, Andermatt, Villars-Sur-Ollon, la Gruyère. Hotels de luxe, bains thermaux, le tout à la fois combinés avec des projets immobiliers à la vente après une initiative Weber qui fait encore frissonner le Valais. Et tous ceux que je ne connais pas….. Tous ces lieux magiques qui marquent, ont marqués et marqueront encore des générations de Romands créés ou proposés sans que l'on se demande minutieusement d'où proviennent ces fonds. La question ne serait pas intéressante s'il ne s'agissait pas d'infrastructures et de bâti parfois colossaux. Que se passerait-il donc si de telles installations venaient à être saisies, faute de fonds, décisions de justices, voire même ventes forcées ? Nous n'avons pas en Suisse de dispositions légales concernant la réutilisation des biens saisis. Qui prendra le risque, au nom de la loi et parfois de la loi étrangère, de laisser de telles balafres dans le paysage, des ruines industrielles au milieu d'un paysage enchanteur ? Qui viendra justifier de ces biens fondés et reprendre à son compte des installations surdimensionnées ou dont l'utilisation n'a de sens que dans un réseau bien particulier de ceux qui les ont imaginés. Vas t'on être encore otage du "too big to fail" jusqu'à ce qu'un plus gros et plus fort ne nous impose sa marche à suivre, ayant défiguré notre paysage, mis des gens au chômage à la pelle et massacré des économies déjà fragiles ?

Un peu plus de suivi, de questions, de curiosité serait bienvenu. De défiance parfois. En écrivant cela, je me sens tout à coup très valaisan. C'est sans doute ce qui sauvera encore ces régions de montagne: la conscience d'appartenir à une communauté qui tire sa richesse et sa force de son caractère bien trempé.

Nicolas Giannakopoulos

Nicolas Giannakopoulos est un des spécialistes reconnu internationalement dans le domaine des organisations et autres structures criminelles. Au travers des recherches qu’il mène depuis 1991, il a apporté le soin de concilier recherche et pratique, développant ainsi des compétences scientifiques dont l’utilité pratique est quasi immédiate.