Différend fiscal: un diktat américain?

La Suisse n'aime pas être bousculée. Ses vénérables institutions encore moins. Surfant sur la vague du "tout transparent", notre Conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf revient des Etats-Unis avec ce fameux accord de réglement global qui ne dit rien ce qu'il implique. La classe politique Suisse se déchire face à ce "diktat inadmissible", au "besoin de protéger les employés de banques" et à "l'acceptation implicite de voir certaines banques êtres mises en faillites, parmi elles, des banques cantonales". Un des éléments de cet accord de "réglement global" serait de payer une amende correspondant à un pourcentage des fonds sous gestion des banques suisses, sans pour autant que l'on sache ni le fameux pourcentage, ni le nom des banques visées, ni même si cela mettrait effectivement fin aux poursuites judiciaires américaines. Le 5 juin dernier, le Conseil National refuse l'entrée en matière sur la mesure urgente qui n'est évidemment pas soumise aux droits populaires. Le "plea bargain" entre Etats à du plomb dans l'aile.

Disons-le tout net, les autorités américaines ont raison de se comporter de la sorte. Du point de vue de la justice d'abord, ils font appliquer leur droit en dénoncant des fraudeurs fiscaux, un crime outre-Atlantique, et tous ceux qui les ont aidé de manière active. Du point de vue de la realpolitik ensuite, puisque les Etats-Unis ont la maîtrise des moyens de paiement, la puissance économique, financière et les relais techniques, poltiques et économiques sont bien huilés et au garde à vous. Les Etats-Unis défendent leurs intérêts. Ailleurs, ils balancent des bombes et des drones.

D'un autre côté, les banques suisses et étrangères établies en Suisse ont joué, elles ont perdu. Pendant des décennies, notre secteur financier a fait de l'hébergement d'argent soustrait à des "régimes fiscaux intolérables" un modèle économique. On pourra argumenter encore longtemps sur la folie de certains d'avoir pensé qu'un tel modèle pourrait perdurer éternellement. On pourra se scandaliser sur la mauvaise gestion de cette crise sectorielle par ses principaux acteurs. On pourra pousser des cris d'orfraies citoyens pour critiquer le gouvernement fédéral voire certaines gouvernements cantonaux et son rôle joué dans ce jeu d'échec, d'un côté parce qu'il est trop actif, de l'autre parce qu'il ne l'est pas assez. On s'écharpe aujourd'hui sur les conséquences inconnues d'un tel accord et sur la manière dont il est présenté.

Il y a une chose pourtant qui est détestable: la population Suisse risque de payer la note des crimes commis par quelques-uns. C'est inacceptable. D'autres éléments du débat font sourir par leur naïveté ou leur mauvaise fois, par leur incompréhension manifeste ou par leur argumentation sophiste. On pourra s'élever de manière plus ou moins virulente contre la manière dont les Etats-Unis traitent "la Suisse", ses institutions et ses procédures, ses pratiques et son droit démocratique. On aura raison. Mais utiliser cette manière brutale comme excuse pour "passer sous le tapis" les crimes (selon l'appellation américaine) commis par certaines banques suisses est pour le moins ridicule, voire dangereux. Certes les populations pachtounes se plaignent des attaques de drones, des innocents que ces dernières tuent, mais cela ne fait pas oublier ce que les Etats-Unis ont subis ces dix dernières années de guerre. C'est un peu la même chose, le petit, le faible, hurlant son bon droit et ses coutumes piétinées par le puissant en oubliant que les mécanismes dont il est partiellement responsable les a menés à cette tragique situation.

La Suisse ne va certainement pas se prendre des attaques de drones américains dans la figure. Mais si il y a une chose à faire, c'est laisser les établissements fautifs régler leurs problèmes. Depuis quand la banque est-elle une institution étatique? Depuis quand une entreprise ne peut-elle faire faillite si elle a commis des actes qui se trouvent être découverts et poursuivis sans pitiés par une partie adverse. Je ne suis pas forcément "garantiste" à tout prix mais il est temps que ceux qui ont fautés paient pour leurs fautes. Et si des banques suisses font faillite, et bien tant pis. Ni le Gouvernement, ni le Parlement, ni aucun organisme étatique qui ne soit pas partie au problème ne devrait être impliqué. Nous avons des institutions, nous avons un droit, nous avons des valeurs et ces dernières sont importantes à défendre. Si cela nous en coûte, et bien c'est à cette aune que nous en mesurons notre attachement. Si elles se bradent au premier coup de canon, c'est qu'elles ne valent pas grand chose.

On rétorquera que cette stratégie portera sans aucun doute à une forte augmentation du chômage dans le secteur bancaire. A cela je réponds: si la FINMA et les différentes institutions de contrôle font correctement leur travail, elles permettrons la création d'autres banques qui embaucheront ces employés qualifiés désormais disponibles, au lieu de laisser le secteur bancaire et financier se concentrer en quelques "too big to fail". D'autre part, si des employés "forcés" par leurs hiérarchies de commettre ces actions poursuivies aux Etats Unis doivent être protégés, et bien qu'ils déposent plainte contre leurs ex-employeurs, qu'ils se portent partie civile, ou alors qu'ils renoncent à passer leurs vacances à New York.

En laissant les fautifs subir de plein fouet le retour du bâton du guignol, la Suisse renouvelle son attachement à l'Etat de droit, sans pour autant subir ce "diktat" politiquement manigancé qui sent l'arbitraire et la loi de la jungle à plein nez. Cela signifie aussi que la Suisse n'est pas prête à renoncer à ses valeurs fondamentales, dont l'Etat de droit fait partie. En cela, nous nous respecterons nous-mêmes et nous gagnerons le respect de nos détracteurs. N'oublions pas que le droit sert à une chose: mettre le fort comme le faible sur un plan égal et faire avancer la justice.

Nicolas Giannakopoulos

Nicolas Giannakopoulos est un des spécialistes reconnu internationalement dans le domaine des organisations et autres structures criminelles. Au travers des recherches qu’il mène depuis 1991, il a apporté le soin de concilier recherche et pratique, développant ainsi des compétences scientifiques dont l’utilité pratique est quasi immédiate.