L’Etat de Genève en mère maquerelle ?

Quelle ne fut pas ma surprise ce jour là… Au détour d'une conversation amicale, un ami lâche une bombe: "tu savais que le Canton de Genève habrite un bordel ?". Sans blague ? C'est ce genre de révélations qui, malgré une certaine habitude, me fait toujours l'effet d'une immense surprise. Tant, mieux, me disais-je, constatant avec satisfaction que ma capacité d'indignation et de surprise reste à peu prêt indemnne, malgré les horreurs quotidiennes, petites et grandes (c'est mon métier).

Intrigué, je lui demande plus de détails. Il s'avère qu'une amie à lui, étudiante, habite dans un appartement vers les Acacias. L'immeuble abrite plusieurs étudiant(e)s et…un salon de massage…Mais le plus drôle, m'indique t'il, c'est que cet immeuble appartient à l'Etat de Genève. Gardant cette information en tête de retour au bureau, je consulte le Registre Foncier en ligne de notre belle administration cantonale en indiquant l'adresse confidentiellement fournie par mon ami. Et Bingo !!! Effectivement, il apparaît que le lot entier appartient à l'Etat de Genève.

J'effectue ensuite quelques petites recherches internet, quelques coups de fil, et je tombe sur la confirmation que ledit salon de massage est bien à l'adresse indiquée. Et voilà…

Bon, rien de pénalement répréhensible là dedans. Il semble que le salon soit dûement enregistré et que les demoiselles qui y travaillent le soient aussi (pour un salon qui affiche ses atours sur les affiches de la Ville, j'ai (à raison ou à tort, l'avenir le dira) plutôt tendance à faire confiance en nos institutions. Mais quand même…je ne suis pas (et de loin) chantre de la répression tous azimutes et je n'ai jamais été et ne serais jamais un de ces ardents défenseurs de la moralité pudibonde. Il me revient toutefois à l'esprit une recherche qui avait été effectuée il y a environ 10 ans par MM Froidevaux et Sardi intitulée "Le monde de la nuit". Dans cette étude, les auteurs posaient notamment la question (restée sans réponse depuis) des tarifs de location des lieux pratiqués par des propriétaires et/ou des régies. Pour exactement le même bien, les tarifs pratiqués présentaient des différentiels abyssaux. Serait-ce pour des raisons bassement vénales que le Canton octroyerait cet espace qui permettrait de proposer aux étudiant(e)s des loyers plus abordables ? une simple question de compensation ?

En outre, il paraît opportun de rappeler dans ce contexte le psychodrame annuel des autorités à chaque rentrée universitaire pour loger ces pauvres étudiants sans le sous dans un Canton qui manque cruellement et historiquement de logements (certains dirons de distractions aussi…ce n'est pas faux). Le Canton de Genève aurait-il eu l'idée perverse de simplifier le paiement des loyer par les étudiantes en manque de revenus en conciliant lieu de travail et lieu d'habitation ?

Des remarques plus ou moins placées, intéressantes ou éventuellement graveleuses, la question qui se pose dans le cas présent est double: qu'est ce qu'un salon de massage vient faire dans une maison d'étudiants, et quel chemin tortueux ou idiot l'administration cantonale a t'elle suivi pour attribuer ce bien locatif à une personne qui visiblement possède ou gère déjà deux autres salons de massage en ville ?

Cela n'enlèvera certes pas le déplaisir des locataires féminines qui a toute heure, se rendant ou quittant en leur domicile se voient demander à combien s'élèverait le montant d'une pipe par des bipèdes mâles encombrant le hall d'entrée de l'immeuble. Cela ne leur enlèvera pas également les nuisances sonores que certains pourraient trouver drôles (dans le sens graveleux) quelques minutes, mais franchement dérangeantes pendant des heures (preuve que le secteur est moins touché par la crise que d'autres).

La question de fond qui transparait de tout cela est à nouveau la gestion cahin-caha du parc immobilier genevois. Quand on connaît les difficultés à se loger dans le canton, la morale de cette histoire est que pour avoir un logement, il vaut mieux savoir se prostituer. A quand les cours spécialisés ?

Nicolas Giannakopoulos

Nicolas Giannakopoulos est un des spécialistes reconnu internationalement dans le domaine des organisations et autres structures criminelles. Au travers des recherches qu’il mène depuis 1991, il a apporté le soin de concilier recherche et pratique, développant ainsi des compétences scientifiques dont l’utilité pratique est quasi immédiate.