Le Tribunal fédéral rappelle l’importance d’une justice indépendante

Dans un arrêt du 9 septembre 2022 (TF 1B_420/2022) rendu public le 16 septembre, les juges de Mon-Repos estiment que la désignation d’une personne comme juge suppléant-e au sein du Tribunal dans lequel celle-ci exerce une activité principale de greffier-ère, constitue une violation de l’art. 30 al. 1 Cst. et de l’art. 6 ch. 1 CEDH.

Cet arrêt tranche une question juridique jusqu’ici laissée ouverte (arrêt 6B_434/2020 du 14 septembre 2021 consid. 2.3).

Il a été rendu sur recours de l’ancien directeur d’une société anonyme prévenu notamment  d’abus de confiance, gestion déloyale, faux dans les titres, escroquerie, gestion fautive,  faillite frauduleuse et infraction aux dispositions pénales de la loi sur les marchés financiers. Ce dernier avait été placé en détention préventive par décision du Tribunal des mesures de contrainte du district de Zurich du 25 juin 2022 sur la base de forts soupçons d’abus de confiance et en raison d’un risque de collusion.

Or le Tribunal des mesures de contrainte zurichois n’avait pas statué dans la composition initialement prévue et annoncée. En raison de l’absence de deux juges, il avait modifié sa composition. Ainsi, deux juges suppléants avaient siégé en lieu et place de deux juges ordinaires. Or, ces suppléants étaient par ailleurs greffiers au sein de ce Tribunal.

Par décision du 26 juillet 2022, la Cour suprême de Zurich avait rejeté le recours de l’intéressé qui se plaignait notamment de la composition de la Cour. Le Tribunal fédéral admet le recours de ce dernier.

Être jugé par un juge indépendant est un droit fondamental

Le Tribunal fédéral rappelle que l’indépendance du juge est ancrée dans la Constitution fédérale comme droit fondamental (art. 30 al. 1 Cst.). Selon l’art. 30, al. 1, Cst. et l’art. 6, ch. 1, CEDH, toute personne dont la cause doit être jugée dans le cadre d’une procédure judiciaire a droit à ce que sa cause soit portée devant un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial. Il s’agit de garantir qu’aucune circonstance extérieure au procès n’influe indûment sur la décision du tribunal en faveur ou au détriment d’une partie. Il s’agit de permettre ainsi le prononcé d’un jugement juste.

L’indépendance du juge signifie tout d’abord l’indépendance par rapport aux influences externes, notamment celles des autres pouvoirs de l’Etat, ou des parties. Les art. 30 al. 1 Cst. et 6 ch. 1 CEDH sont violés non seulement lorsque l’indépendance du juge est effectivement atteinte dans un cas concret, mais également, et déjà lorsqu’il y a une apparence d’une telle atteinte à son indépendance. Il ne s’agit pas seulement d’éviter des conflits de loyauté effectifs, mais aussi de préserver la confiance nécessaire des justiciables dans l’indépendance judiciaire des tribunaux. Pour cette raison l’apparence extérieure d’un tribunal doit également donner l’impression de l’indépendance.

Les hiérarchies internes formelles et informelles peuvent constituer une menace

L’indépendance interne du membre du tribunal, dont fait notamment partie l’autonomie au sein du tribunal collégial revêt une importance déterminante. L’élément central de l’indépendance judiciaire est la liberté des membres du tribunal, ce qui signifie que les hiérarchies formelles au sein d’un tribunal sont inadmissibles. Les juges d’une formation de jugement doivent toujours pouvoir se rencontrer en tant qu’égaux. Il est essentiel que les juges exerçant des fonctions dirigeantes restent sur un pied d’égalité avec les autres membres du tribunal, c’est-à-dire que tous les membres du tribunal soient absolument égaux en droits et en devoirs.

Les hiérarchies formelles au sein d’un tribunal de même que les influences qui peuvent résulter de hiérarchies dites informelles sont susceptibles de mettre en danger l’indépendance interne des juges.

Dans le cas d’espèce, les juges suppléants n’étaient certes pas formellement soumis à des instructions dans l’exercice de leur fonction judiciaire. Toutefois, ils se trouvaient dans un rapport de subordination formel vis-à-vis du juge dans le cadre de leur activité principale de greffier exercée en parallèle.

Le Tribunal fédéral retient donc que la hiérarchie formelle existant simultanément en dehors de la formation de jugement entre les membres de la formation de jugement de première instance crée à tout le moins l’apparence d’une hiérarchie informelle au sein de la formation de jugement, susceptible de porter atteinte à l’indépendance judiciaire interne des personnes désignées comme juges suppléants. Il admet ainsi une violation du droit du recourant à un tribunal indépendant selon l’art. 30 al. 1 Cst. et l’art. 6 ch. 1 CEDH.

Justice must not only be done, but must also be seen to be done…

Miriam Mazou

Miriam Mazou est avocate à Lausanne et fondatrice de l'Etude Mazou Avocats SA. Elle est membre de la Fédération Suisse des Avocats (FSA), de la Société suisse de droit pénal (SSDP), de l'Ordre des Avocats Vaudois (OAV) et a été membre du Conseil de l'Ordre des Avocats Vaudois. Avocate spécialiste FSA en droit pénal, elle est l'auteure de nombreuses publications et donne régulièrement des conférences dans ce domaine, plus particulièrement en matière de criminalité économique. Elle est également Chargée de cours à l’Université de Lausanne.

7 réponses à “Le Tribunal fédéral rappelle l’importance d’une justice indépendante

  1. Il va y avoir une ribanbelle de mises au concours ces prochains mois, avec un délitement de la qualité des juges suppléants.

    S’ils doivent ni être avocat exerçant dans le canton ni greffier, va falloir puiser dans les retraités et les chômeurs…

    1. Merci pour votre commentaire. L’arrêt du Tribunal fédéral ne va pas si loin puisqu’il concerne des greffiers exerçant leur activité principale en cette qualité au sein du même Tribunal auprès duquel ils ont été appelés à siéger comme juges suppléants.

      1. Hypothèse:
        – Le Tribunal cantonal vaudois recherche un juge suppléant.

        Qui peut postuler ?
        – les avocats exerçant dans le canton ? non (Justice must not only be done, but must also be seen to be done…).
        – les greffiers du TC ? non.
        – les greffiers des tribunaux d’arrondissement ? non (lien de subordination).
        – les greffiers de la justice de paix ? …

        Il restera certes les greffiers du TF.
        Mais ceux-ci devront alors se récuser dans les affaires vaudoises, qui est le principal canton (en raison de sa population) pourvoyeur de recours…

        Au final, vous aurez les professeurs d’uni (déjà surmenés ou déconnectés des réalités judiciaires), les retraités, les chômeurs, les jeunes diplômés sans expérience et les juristes d’entreprise en burn-out …

        A la limite, vu le peu de juges suppléants, Vaud trouvera encore des candidats.
        Mais le Jura ? Neuchâtel ? le Valais ? Fribourg ?
        Et les petits cantons alémaniques de Suisse centrale ?
        Et le Tessin ?

        Cet arrêt signifie la fin à moyen terme du système des juges suppléants.
        Le parlement fédéral examine d’ailleurs la fin du système des juges suppléants au TF (trop d’erreurs de casting ces dernières années; trop de peu de suppléants actuels sont capables de rédiger un arrêt).

  2. Le jugement du TF est un peu ironique, puisque les juges fédéraux doivent leurs élections aux partis politiques, donc elles/ils sont des subordonnés, qui doivent suivre les grandes lignes de leurs bienfaiteurs pour perdurer, en versant une partie de leurs salaires aux partis. La justice n’existe pas. Les tribunaux essayent correctement, parfois maladroitement, d’appliquer la loi.

    1. C’est l’inverse.

      Un juge élu peut ne plus verser sa contribution.
      Et les partis de gauche en dépendent de manière existentielle.

      Prenez le cas du futur président du TF.
      Il a dit qu’il ne payait plus.
      Son parti a voulu l’exclure.
      Tous les autres partis ont voté pour lui et il sera couronné 1er juge de Suisse le 1er janvier.

      C’est donc une fausse représentation de croire que les juges sont “subordonnés” à leur parti.

      En revanche, pour être élu, mieux vaut effectivement être membre d’un parti.

      On le verra mercredi prochain.

      – Un Tessinois élu à la place d’un juge romand au Tribunal pénal fédéral, parce que son parti n’a pas trouvé de Romands.

      – Une Tessinoise PS élue au TF, alors qu’elle n’a aucune expérience dans le domaine du droit civil;

      – Une Soleureuse PLR élue au TFA alors qu’elle n’a aucune expérience en assurances sociales;

      – Un Zurichois Vert élu au TF alors qu’il a une expérience de quelques mois en droit pénal.

      Et après, on s’étonne que le TF demande toujours plus de juges… Si le parlement commençait à élire les juges sur leurs mérites, le TF pourrait fonctionner à 25 juges (plutôt que bientôt 40)…

      1. Merci pour votre commentaire. Vous écrivez: “c’est l’inverse” et puis vous me donner mille fois raison en évoquant des cas palpables qui montrent l’état réel et déplorable de la sélection des juges de notre justice suprême. Avec 6500 arrêts en moyenne par an, comment voulez-vous réduire le nombre des juges à 25?

        1. Je dis qu’il faut être politisé pour être élu, mais qu’une fois élu, vous êtes débarrassé de “votre parti”. Ce n’est à mon avis pas contradictoire.

          Et c’est la raison pour laquelle les Verts p. ex. demandent une avance de plusieurs dizaines de milliers de francs pour être soutenu lors de l’élection (garantie). Soutenant donc que les bourgeois qui peuvent se permettre de faire cette avance, en totale contradiction avec les valeurs de leur parti…

          Un juge du TF ne rédige rien; 6500 / 25 = 260 projets d’arrêt à déléguer à un greffier; et le greffier résumera l’arrêt à généralement 10 à 15 pages. Au final, le juge doit donc simplement vérifier la syntaxe de son greffier car il ne comprend rien à la matière et a des diplômes et capacités nettement inférieurs à son greffier… vive la politique 🤭

          A 25, le juge du TF travaillerait donc environ 3x moins qu’un juge cantonal (environ 800 dossiers par an) et 5 x moins qu’un juge d’arrondissement (environ 1500 dossiers par an)… et gagnera, lui, 320’000 fr/an + une rente à vie.

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