L’épineuse question de la gratuité des frais de justice en cas de légitime défense

Le dimanche 26 septembre 2021, l’initiative «Le vittime di agressioni non devono pagare i costi della legitima difesa» (Les victimes d’agression ne doivent pas payer les coûts de leur légitime défense) a été approuvée au Tessin par 52,4% des voix.

Cette initiative prévoit que le canton du Tessin rembourse à toute personne résidant sur son territoire qui a été acquittée pour des infractions commises en état de légitime défense, l’intégralité des frais de procédure, débours et dépenses pour sa défense devant les autorités de poursuite pénale, la justice pénale et le Tribunal fédéral.

Qu’est-ce que la légitime défense?

Selon de droit pénal quiconque, de manière contraire au droit, est attaqué ou menacé d’une attaque imminente a le droit de repousser l’attaque par des moyens proportionnés aux circonstances (art. 15 CP). C’est ce que l’on appelle la légitime défense. Pour que la défense soit considérée comme « légitime », encore faut-il que celle-ci soit proportionnée. La personne qui agit en situation de légitime défense agit de manière licite. Elle ne sera dès lors pas condamnée. Si cette personne agit de manière disproportionnée, elle commet un excès de légitime défense et sera en principe punissable, même si sa peine sera atténuée.

L’initiative tessinoise vise à assurer le remboursement de l’intégralité des frais de défense, et en particulier d’avocat de choix, pour les personnes accusées d’avoir commis un acte répréhensible dont il sera finalement reconnu qu’il a été commis en état de légitime défense.

Inégalité de traitement

Le texte de l’initiative crée une inégalité de traitement entre les personnes acquittées parce qu’elles ont agi en état de légitime défense, et les personnes acquittées pour d’autres motifs – par exemple tout simplement parce qu’elles n’ont pas fait ce dont on les accuse. Ces personnes-là se verront, à teneur du code de procédure pénale fédéral – en vigueur, faut-il le rappeler, dans tous les cantons suisses- , indemnisées conformément à ce que prévoit l’art. 429 CPP.  Cette disposition prévoit que si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s’il bénéficie d’une ordonnance de classement, il a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par « l’exercice raisonnable de ses droits de procédure ». En d’autres termes, cette personne recevra en principe également une indemnisation pour ses frais de défense, mais le montant de celle-ci sera dans les faits réévalué par le juge, et souvent le montant alloué ne couvrira (parfois de loin) pas l’intégralité des frais effectifs.

A suivre

On a hâte de voir comment cette initiative sera traduite dans la loi. Il s’agira notamment pour le législateur tessinois de traduire l’initiative par un texte qui ne soit pas contraire au droit fédéral (mais est-ce possible ?), et de définir précisément le cercle des personnes visées (parle-t-on de toute légitime défense contre toute attaque, telle qu’elle soit : contre le patrimoine, l’intégrité physique, sexuelle ?).

Et surtout, la population tessinoise verra-t-elle cette future nouvelle loi comme un encouragement à une forme de justice privée ? Encouragement qui pourrait avoir pour conséquence une escalade de la violence dont les premières victimes pourraient bien ne pas êtres les cambrioleurs apparemment visés ? Il faut espérer que non.

J’ai eu le grand plaisir de m’exprimer sur cette question sur les ondes de la RTS dans l’émission Forum.

Miriam Mazou

Mazou-avocats.ch

Miriam Mazou

Miriam Mazou est avocate à Lausanne et fondatrice de l'Etude Mazou Avocats SA. Elle est membre de la Fédération Suisse des Avocats (FSA), de la Société suisse de droit pénal (SSDP), de l'Ordre des Avocats Vaudois (OAV) et a été membre du Conseil de l'Ordre des Avocats Vaudois. Avocate spécialiste FSA en droit pénal, elle est l'auteure de nombreuses publications et donne régulièrement des conférences dans ce domaine, plus particulièrement en matière de criminalité économique. Elle est également Chargée de cours à l’Université de Lausanne.

3 réponses à “L’épineuse question de la gratuité des frais de justice en cas de légitime défense

  1. Dans un monde idéal les notaires devraient être des employés des cantons et leurs honoraires devraient tomber dans les caisses de l’Etat, qui à son tour financeraient les opprimés de la justice de tout genre et de limiter les honoraires des avocats aux tarifs de ceux commis d’office, mais le monde n’est pas parfait et les avocats ont la main longue dans la mise en place des lois.

    1. En quoi étatiser les artisans du droit serait un monde “parfait” ? Les millions de morts du communaunisme ne vous ont pas servi d’exemple ?

      Et si les avocats/notaires étaient des fonctionnaires d’Etat, à quoi serviraient-ils ? A veiller à l’appliquer des mots d’ordre de l’État ??

      1. La réponse à votre première ligne du commentaire: A appliquer la loi, tout simplement. Les artisans, OH LA LA à mourir de rire ! des profiteurs plutôt qui d’emblée favorisent celui qui a les poches les plus profondes. Le droit est piétiné mille fois par jours quand des justiciables arrêtent de se battre faute de moyens financiers.

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