Naguère, Brassens chantait les cons. Je chante aujourd'hui les emmerdeurs sans lesquels, le ronron d'autosatisfaction des politiciens, banquiers, patrons de pharma ou de multi, serait assourdissant.
Les emmerdeurs ? Il y a les doux, comme Noël Constant, dont l'engagement en faveur des démunis et sans-abri à Genève est remarquable. Il y a les empêcheurs de tourner en rond, genre Jacques Neirynck, toujours à fustiger quelque chose et à provoquer la réflexion. Il y a les tenaces, à la Jean Ziegler, qui consacrent leur vie aux causes qu'ils défendent. En font aussi partie, les lanceurs d'alerte, tels Yasmine Motarjemi, prêts à tout perdre pour que la vérité éclate (dans son cas sur les graves manquements de Nestlé).
Il y a aussi des emmerdeurs (bien rares hélas) dans la presse. Je pense notamment au Canard Enchaîné et à La Tuile. La quoi ? La Tuile, c'est LE journal satirique du Jura et bête noire de la droite bien-pensante (notamment PDC et UDC) et du clergé depuis 45 ans et 529 numéros. Son fondateur, Pierre-André Marchand, 73 années au compteur est un exemple du genre ! Instituteur, chroniqueur, auteur, compositeur, interprète, il a fondé La Tuile en 1971 et rares sont les numéros dans lesquels il ne dénonce pas un scandale, des abus sexuels et de pouvoir ou un cas de corruption dans ce canton du Jura qu'il adore.
Les procès ? Il ne les compte plus. Tout récemment, des écrits contre Isabelle Chevalley, conseillère nationale (VD) du groupe Vert'libéral, lui ont valu d'être reconnu coupable d'injures. Verdict: 3.000 francs d'amende auxquels s'ajoutent 3.000 francs de plus suite à la révocation d'un sursis. Car le Marchand n'en était pas à son coup d'essai. Souvent grossier, parfois vulgaire, le bonhomme n'y va pas de main morte ! A propos de Mme Chevalley, "promoteur des éoliennes dans le Jura, au service des Services industriels genevois", il écrit: «arrogante comme un camélidé, Bédouinette Chamelley, arriviste effrénée, est prête à écrabouiller tout le monde et son père, surtout les écolos sincères, uniquement par ambition personnelle». Et ce n'est pas là l'extrait le plus violent de ses diatribes…
Pierre-André Marchand se justifie. «Je défends les petites gens, dont on veut acheter l’âme et les terres pour installer des éoliennes et se faire du fric sur leur dos. Un journal satirique, c’est aussi un journal de résistance. Et ils ne me fermeront pas la gueule avant les yeux.»
Suite à cette condamnation, il écrit dans La Tuile d'octobre: "En 2013, Guy Bedos avait traité la ministre Nadine Morano de conne. Elle fut déboutée de sa plainte, la Cour estimant que Guy Bedos était resté dans la loi du genre humoristique". Il poursuit: "…le rédacteur de La Tuile n'aurait jamais imaginé que Mme Chevalley fût une conne. Donc, La Tuile n'a pas traité Isabelle Chevalley de conne. Et bien, malgré le fait que La Tuile ne s'est pas permis de comparer Mme Chevalley à une conne, son rédacteur a été condamné plus lourdement que s'il l'avait traité de conne".
Les emmerdeurs ont souvent des emmerdes. C'est un (juste) retour de manivelle, comme le savent bien les Ziegler, Kerviel, Snowden et autres. Marchand m'écrit: "Les gouvernants qui manipulent la justice s'acharnent sur La Tuile. Je prends des amendes monumentales même quand j'ai raison ! Ainsi, en mars 2014, je révélais que la vétérinaire cantonale, protégée par notre Gouvernement de minables, était une malade mentale. Mais il aura fallu attendre octobre 2016 pour que l'affaire sorte enfin dans le Journal du Jura et dans Le Matin !"
Tirée à 2500 exemplaires, La Tuile compte quelque 1500 abonnés. Avec toutes ces amendes, risque-t-il la banqueroute? «Non, me répond-il, mes lecteurs sont généreux et versent suffisamment pour couvrir les coûts de mes procès. Même un curé m’envoie de l’argent en cachette. C’est vrai que mon public n’est pas très large. Je m’aliène au moins 85% de la population, puisque les imbéciles ne lisent pas La Tuile.»
Neirynck:, 85 ans; Ziegler: 84 ans; Constant: 77 ans; Marchand: 73 ans. Je termine donc avec un appel: recherchons d'urgence jeunes emmerdeurs !