Une reprise en trompe-l’œil

L’arrêt des mesures limitant l’accès aux lieux culturels a de quoi réjouir les actrices et acteurs culturels, il n’est pas agréable de devoir ainsi contrôler le public à l’entrée des salles. Ce retour à la normale, aussi souhaitable qu’il ait été, ne résout de loin pas tous les problèmes engendrés par les deux arrêts que le secteur a connus.

 

Or, ce retour s’accompagne de l’abandon d’un certain nombre de mesures économiques qui avaient été prises1. Et cet abandon semble bien prématuré. Une récente étude menée par la Corodis (commission romande d’aide à la diffusion de spectacles) révèle que le salaire médian des intermittents (engagés par CDD) est tombé à moins de 3’000.- par mois en 2020. C’est dire la précarité qui est la leur et la dépendance au chômage pour survivre. Celui-ci offre d’ailleurs quelques aménagements, mais qui reposent sur le doublement des premiers mois d’un contrat dans le calcul des engagements nécessaires à renouveler un délai-cadre.

Si le droit aux indemnités a été partiellement préservé durant les arrêts, la perturbation générale engendrée à des effets bien au-delà des seules périodes d’arrêt. Il se pourrait donc bien que, dans les mois à venir, on assiste à des situations de non-réouverture de délais-cadre, faute d’avoir pu travailler un nombre suffisant de mois.

L’abandon des indemnisations des “entreprises culturelles” et des personnes pose aussi un problème, attendu que l’élargissement de l’accès aux lieux culturels ne résout de loin pas tous les problèmes à lui seul. En effet, une différence marquante avec la restauration, pour prendre un secteur qui a été soumis aux mêmes arrêts et restrictions que la culture, est que cette dernière fonctionne “au calendrier”. Les théâtres, salles de concert, galeries et autres centres culturels ont en effet des saisons, des programmes et ceux-ci se donnent au public à des dates déterminées. De facto, il ne suffit pas de réouvrir ou de lever les limitations d’accès pour que tous le monde puisse se remettre au travail.

On me répondra qu’il reste tout de même deux mesures: les projets de transformation et l’aide d’urgence de Suisseculture sociale. C’est effectivement le cas jusqu’à la fin de l’année, mais cela reste bien limité.

Les projets de transformation ne sont pas un plan de relance, mais bien un soutien à la transformation des pratiques ou des lieux. De ce que l’on sait des décisions, les projets infrastructurels ont pris le dessus sur les projets artistiques et donc la transformation ne saurait répondre à la question brûlante de l’emploi.

Reste Suisseculture sociale, qui permet d’assurer une aide d’urgence. Si son montant relève du minimum vital, il s’agit d’une aide dite “sous conditions de ressources”. Autrement dit, à l’instar de l’aide sociale, il sera tenu compte de l’épargne comme du revenu du conjoint pour décider de son éventuelle attribution. Par ailleurs, cette aide concerne les personnes et non les structures (orchestres, compagnies, boîtes de production, lieux culturels, etc), qui se retrouvent, elles, sans aucun filet.

A défaut d’un plan de relance national, qui semblerait une suite logique des mesures prises lors des arrêts et restrictions, on peut bien sûr imaginer que le fédéralisme amène les Cantons à prendre le relais. Ils pourraient le faire en proposant soit des indemnisations cantonales soit des plans de relance propres. Mais l’on sait que tous les Cantons n’ont non seulement pas les mêmes capacités financières, mais – surtout – pas les mêmes volontés politiques. Ainsi, à Neuchâtel, il a fallu lutter pour obtenir un fonds d’indemnisation forfaitaire que le Valais ou Genève ont mis en place sans regimber2.

Il apparaît donc clairement, l’euphorie du retour à la normale passée, qu’il y a encore une longue route à parcourir avant que le secteur culturel puisse revenir à un semblant de stabilité. Toutefois, des pistes existent et sont sur les tables de discussion, du soutien à la recherche à la question d’un statut social des travailleurs de la culture. Reste à espérer que la sortie de pandémie qui se dessine ne conduise pas les pouvoirs publics à abandonner les réflexions entamées. Car la menace d’un désert culturel est hélas loin d’être derrière nous.

Photographie de Fabien Wulff-Georges, reproduite avec son aimble autorisation

Matthieu Béguelin

Saltimbanque protéiforme, tour à tour comédien, metteur en scène, podcasteur ou auteur, Matthieu Béguelin se consacre au théâtre sur les planches et le bitume comme sur les ondes. Cinévore et phile, il défend la liberté artistique comme condition première de la liberté d’expression.