Où donc est passé le peuple ?

(Avec en fin de papier: petit test rapide pour identifier un « populiste)


Au commencement, le peuple créa les droits et les devoirs.
La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit des peuples se mouvait au-dessus des eaux.
Le peuple dit : Que les lumières soient ! Et les lumières furent.
Le peuple vit que les lumières étaient bonnes.
Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le premier jour.

Le peuple dit : qu’il y ait une étendue entre les pouvoirs, et qu’elle sépare les pouvoirs d’avec les pouvoirs. Et le peuple fit le pouvoir exécutif, et il sépara le pouvoir législatif du pouvoir judiciaire. Le peuple vit que cela était bon.
Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le second jour.

Le peuple dit : qu’il y ait des luminaires dans l’étendue du ciel, pour éclairer la terre. Le peuple fit la science pour présider au jour, et les médias pour présider à la nuit, et pour séparer les lumières d’avec les ténèbres.
Le peuple vit tout ce qu’il avait fait et voici, cela était très bon. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le troisième jour.

Le peuple acheva au quatrième jour son œuvre, qu’il avait faite : et il se reposa au quatrième jour de toute son œuvre, qu’il avait faite.


C’est ainsi que chacun put à sa juste mesure exercer le pouvoir qui lui était accordé, que le législatif posait les règles, que l’exécutif les mettait en œuvre, que le judiciaire tranchait lorsque les règles n’étaient point tenues, et que la science et les médias éclairaient le tout de leurs lumières. Chaque homme et chaque femme du peuple accédait à l’une ou l’autre fonction selon des règles connues, et en fonction du pouvoir qui seyait à ses envies et ses compétences.

Or parmi le peuple, il arriva que certains n’eussent pas les compétences à la mesure de leurs envies et de leurs ambitions. A défaut de compétences, ils tentèrent de s’élever en s’appuyant sur des groupes moins forts, ou minoritaires, espérant en faire des échelons plus faciles que ceux de leurs propres qualités. Ils usèrent ainsi avec succès des femmes, des étrangers, des pauvres, ou simplement des « autres ». Ils maniaient avec habileté de la peur et de la frustration. Ils firent de ces minorités des menaces pour le « peuple », et des politiques au pouvoir des ennemis du « peuple ». Beaucoup réussirent à petite échelle. Peu à grande échelle, mais ces quelques réussites mondiales ont marqué durablement l’histoire d’une pierre noire. On les qualifie aujourd’hui, bien à tort, de « populistes ».

Depuis, les succès réguliers dans les législatifs de ces avides de pouvoirs se sont heurtés régulièrement aux autres pouvoirs, lorsque ce n’était pas à leurs propres incompétences dans l’exécutif. Plutôt que de s’en prendre uniquement aux minorités pour arriver à leurs fins, ils ont donc commencé à saper les autres pouvoirs, avec systématique, au grand jour, et sans vergogne, avec 4 messages très simples :


Quatre messages sont martelés tous les jours, partout :

1. Les politiques (exécutif et législatif) sont incompétents et à la botte de leurs lobbies ; ils n’écoutent pas « le peuple ».

Rien de neuf sur ce point-là. Ce message est simple à faire passer, vu qu’il est relayé en boucle par l’ensemble des partis politiques. Et vu que chaque parti sape les autres, on assiste à une situation de pat, avec une perte de crédibilité pour l’ensemble du pouvoir législatif et exécutif. Cela fonctionne bien pour les partis populistes, tant qu’ils ne sont pas considérés comme étant au pouvoir.

Ainsi, à force de s’être auto-détruite, la politique française a laissé la porte ouverte à des mouvements de fond non organisés comme par exemple les « gilets jaunes » ce week-end dernier, répétant en boucle le message numéro 1, anti élites politiques.

2. Les juges sont partiaux et défendent des droits et des lois avant l’intérêt du « peuple ».

Les populistes ont une dent contre les juges, car ce sont eux qui tranchent en cas de plainte pour appel à la haine, racisme, homophobie (même si en Suisse elle n’est pas encore reconnue légalement), ce qui rend plus difficile l’accès au pouvoir en s’en prenant aux minorités. L’initiative populaire suisse « le droit suisse au lieu de juges étrangers » de l’UDC en est la dernière illustration, elle qui essaie de supprimer directement ces garde-fous.

De plus en plus souvent, on assiste à des attaques frontales contre le pouvoir judiciaire, dont Trump et Mélenchon ne sont que la pointe visible de l’iceberg. A noter que ces coups de butoir sont particulièrement nocifs, provenant de représentants directs des pouvoirs exécutifs ou législatifs.

La campagne ultra politisée de l’élection du juge Kavanaugh à la cour suprême des États-Unis est une autre pierre à l’édifice de ce message numéro 2, paradoxalement taillée par les deux camps.

3. Les médias sont des manipulateurs aveuglés par le politiquement correct, ou une mission politique qui leur est propre ; ils mentent et cachent la vérité au « peuple ».

L’image des médias et des journalistes peu scrupuleux et manipulateurs a la dent dure. En couvrant de manière journalistiquement adéquate les événements et les processus politiques, ils sont des obstacles aux campagnes populistes simplistes ; ils montrent un monde complexe où tous les problèmes ne peuvent pas être le fait de responsables uniques, idéalement étrangers, pauvres ou homosexuels. Ils mettent les disfonctionnements en lumière.

Ce qui doit alerter aujourd’hui, c’est que ce message est repris par des politiques de tous bords, dès le moment où ils sont attaqués ; les médias réagissent alors encore trop souvent maladroitement à ces attaques (invoquer uniquement la légitimité de la fonction de 4ème pouvoir sans ouvrir un vrai dialogue ne suffit pas à établir la confiance ; au contraire, il renforce le message numéro 3).

Pour prévenir ces attaques, les médias utilisent de manière répétée le droit à la parole pour tous et le débat contradictoire, relayant ainsi de manière totalement non proportionnelle les messages 1, 2 et 4.

4. Les scientifiques défendent leurs financements plutôt que la vérité, en trompant le « peuple »

Les scientifiques n’ont jamais été de grands communicateurs, mais depuis la mise en place du système des publications et des peer reviews internationales, les découvertes admises par la communauté scientifiques jouissaient d’une reconnaissance effective.

Plus que la communauté scientifique dans son ensemble, ce sont des théories scientifiques reconnues qui sont aujourd’hui attaquées frontalement. Ainsi, par exemple, la théorie biologique de l’évolution, ou encore la climatologie, sont aujourd’hui ouvertement remises en question; les acteurs qui profèrent ce genre d’attaque le font sans aucun fondement scientifique et sont relayés très facilement par les médias sociaux ; et, plus préoccupant, presque aussi facilement par les médias professionnels. L’UDC suisse est particulièrement performante dans ce domaine, si l’on pense aux prises de parole surréalistes des dernières années au sein du parlement fédéral, ou des piques constantes des Roger Köppel, Claudio Zanetti et autres climato-sceptiques fiers de l’être.


Le populiste dit : que l’on éteigne les luminaires dans l’étendue du ciel. Le populiste décrédibilisa la science pour présider au jour, et détruisit les médias qu’il ne contrôlait pas pour présider à la nuit, et pour mêler les lumières avec les ténèbres.
Le populiste vit tout ce qu’il avait fait et voici, cela était très bon pour lui.
Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le cinquième jour.

Le populiste dit : qu’il n’y ait plus d’étendue entre les pouvoirs, et que les pouvoirs se mêlent avec les pouvoirs. Et le populiste prit le pouvoir exécutif, et il supprima le pouvoir législatif et soumit le pouvoir judiciaire. Le populiste vit que cela était bon pour lui.
Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le sixième jour.

Finalement, le populiste supprima les droits et les devoirs.
La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit des peuples se perdait au-dessous des eaux.
Le populiste dit : Que les lumières s’éteignent ! Et il souffla les lumières.
Le populiste vit que l’obscurité était bonne pour lui.
Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le dernier jour.

Le populiste vit tout ce qu’il avait fait et pour la première fois se posa une question, qui fut aussi sa dernière : mais où donc, est passé le peuple ?

 


Petit test rapide pour identifier un « populiste » :

Lesquels de ces messages sont-ils relayés par la personne, le groupe, le parti qui vous intéresse ?

  1. Les politiques (exécutif et législatif) sont incompétents et à la botte de leurs lobbies ; ils n’écoutent pas « le peuple ».
  2. Les juges sont partiaux et défendent des droits et des lois avant l’intérêt du « peuple ».
  3. Les médias sont des manipulateurs aveuglés par le politiquement correct, ou une mission politique qui leur est propre ; ils mentent et cachent la vérité au « peuple ».
  4. Les scientifiques défendent leurs financements plutôt que la vérité, en trompant le « peuple ».

Si un ou plus de ces messages sont répétés régulièrement, c’est que vous avez affaire à un populiste, ou une personne en passe de le devenir.

Peut-être que cette personne est incompétente, n’écoute pas, défend ses intérêts en premier, manipule ou est aveuglée par une mission qui lui est propre, ment et trompe le peuple.