Si les mots que nous utilisons sont essentiels car ils conditionnent nos pensées, l’absence de mot est tout aussi importante car elle rend invisible ce qui n’est pas nommé.
Ingrid Bayot, sage-femme et autrice du « Quatrième trimestre de la grossesse » apporte un nouveau mot bien utile au champ lexical de la naissance: la dégestation définit désormais l’état qui suit l’accouchement.
« Post-partum », « période puerpérale » ou « suites de couches » n’abordaient jusqu’ici que la période qui suit la naissance. La dégestation vient enrichir notre vocabulaire et suggère une notion encore trop souvent méconnue : l’état intermédiaire éprouvé par les femmes entre la grossesse et le retour à un état non gravidique.
Le “chantier biologique” du 4ème trimestre de grossesse
Le « chantier biologique » est conséquent car la grossesse touche tous les systèmes organiques et l’organisation psychique des mères. Le corps entier s’est préparé à accueillir l’enfant, à lui donner naissance et il doit ensuite déconstruire cette transformation. Il s’en suit une période de transition qui dure au minimum 3 mois appelée aussi le « 4ème trimestre de grossesse ».
Fabriquer du lait pour pouvoir nourrir
Après la naissance, les femmes sont soumises à un enchaînement d’évènements qui les assaillent : se remettre de la fatigue et des douleurs de l’accouchement, gérer le bouleversement hormonal et établir un lien avec leur enfant. Pour l’allaitement, Ingrid Bayot précise qu’il s’agit de deux phénomènes : la lactation qui consiste à fabriquer du lait et l’allaitement qui consiste à nourrir l’enfant. Elle insinue, dans cette définition, la fatigue générée par le processus biologique de lactogénèse. Cette dernière est souvent absente des représentations liées aux mères qui allaitent ainsi que des besoins de repos qui en découlent.
Ingrid Bayot nous rappelle également que ce processus de restauration du corps ne ramène pas au même état qu’avant la naissance mais chemine vers un nouvel équilibre. Ce dernier inclut le conjoint car les ajustements à la parentalité sont un enchevêtrement de changements qui touchent toute la famille et qui aboutissent à une nouvelle configuration familiale.
La maternité est un passage
Rien ne sera plus comme avant car la maternité est un passage de la vie qui constitue un moment de transition identitaire pour les parents, le couple et la famille. Cette transition, à la fois biologique et sociale, méritait un nom, car en ne nommant pas la dégestation on ne permettait pas aux femmes ni à leurs proches de prendre conscience des besoins et de les exprimer.
Il est essentiel de comprendre ce phénomène car il autorise un temps de latence alors que la pression sociale submerge rapidement les femmes après une courte trêve post-partum. Si la dégestation est un processus biologique, il ne peut s’extraire de l’injonction des normes sociales qui occupent des thèmes antinomiques à cette période. Ingrid Bayot décrit la productivité et la séduction en tête des prescriptions idéalisées alors que certaines femmes peuvent se sentir épuisées, seules et incomprises
Rappelons que la dépression périnatale est prévalente, qu’elle est trop souvent cachée par les femmes pour se conformer à un idéal.
Enrichir son vocabulaire c’est s’ouvrir à de nouvelles perceptions et pouvoir les transmettre aux personnes qui nous entourent. Ajoutons sans tarder la dégestation à notre langage et participons à une société respectueuse de la naissance des mères !
Bayot.I. (2022). Le quatrième trimestre de la grossesse. Érès. 1001BB.