Quand la culpabilité est maternelle

Depuis près de 30 ans, les mères suisses sont toujours plus actives professionnellement, passant de 60% en 1990 à près de 80% en 2023.

Cette progression témoigne d’une évolution de la société qui abandonne progressivement les modèles familiaux traditionnels au profit des modèle familiaux semi-traditionnels.

Si les jeunes femmes souhaitent se réaliser professionnellement, ce sont encore elles qui sont socialement et moralement assignées à la famille et aux tâches éducatives.

Cette pression culturelle peut faire apparaître de la culpabilité, un sentiment souvent retrouvé dans les discours maternels.

Chez nous la solution n’a pas été que mon mari va faire plus, mais plutôt : il nous faut plus d’aide …. Silence …. J’ai eu du mal à l’accepter au début…. J’ai eu comme beaucoup de mamans, le côté « on ne fait pas des enfants pour que ça soit une nounou qui s’en occupe » …. Ça m’a fait culpabiliser …. » Kristina.         « Quand on a décidé de faire des enfants, je me souviens lui avoir dit : je veux être là pour mes enfants, je ne veux pas être une mère qui a une bonne position mais qui n’est pas présente au quotidien… Ça sera clairement un échec, le jour où on ne verra plus nos enfants que le week-end. » Éléonore.

Le destin des mères serait-il influencé par une confusion mêlant responsabilité maternelle et culpabilité ?

L’exaltation actuelle des responsabilités parentales est telle, que les obligations qui en découlent constituent un vaste champ de l’existence de l’enfant, incluant sa sécurité physique, son épanouissement psychique, sa réussite scolaire et sociale.

Lien maternel et sentiment de responsabilité sont implicitement imbriqués et cela parfois même avant la naissance. Les injonctions sont nombreuses et elles jettent leur dévolu sur la grossesse, l’accouchement, l’allaitement, les soins à l’enfant, pour se poursuivre également lorsque les mères sont amenées à reprendre le travail.

Les normes sont ultra présentes que cela soit du point de vue du développement biologique ou des comportements de maternage. La maternité totale ou totalmotherhood, comme l’a repris Rinaldi, astreint les mères à être tenues les principales responsables du bien-être de leurs enfants.

« Tomber enceinte c’est s’engager par défaut dans un code moral universel » qui s’appuie de plus en plus sur des arguments scientifiques. Le mélange de recommandations morales et médicales, justifiées scientifiquement, augmentent ainsi la responsabilité individuelle des actes et par conséquent la culpabilité. Après la surmédicalisation des naissances, on assiste parfois à un surinvestissement maternel qui peut nourrir un puits sans fond de perfectionnisme et d’anxiété.

 

D’où vient cette charge morale inhérente à la condition de mère et qui leur attribue la responsabilité originelle de protéger leur enfant ?

Dérivé du mot culpa et désignant la faute, la culpabilité est un sentiment provoqué par la transgression d’une norme morale.

Les théories qui ont abordé la culpabilité maternelle s’appuient sur des études de cas cliniques ainsi que sur des théories du développement.

Pour les psychanalystes, la culpabilité trouverait son origine dans des sentiments ambivalents animés à la fois par l’amour de l’enfant et par la souffrance d’être mère.

Les mères vivraient des pulsions les faisant osciller entre un fantasme de toute puissance pour l’enfant et un besoin de se séparer de lui. Les théories postulent que la séparation mère-enfant représenterait une coupure symbolique, permettant à la fois à l’enfant de se construire et à la mère de réinvestir le champ féminin.

L’ambivalence est toutefois décrite comme une sorte de « réussite à atteindre », qui permettrait à l’enfant de se structurer ainsi que se socialiser par sa capacité de « sollicitude ». C’est pourquoi le psychanalyste Winnicott a parlé de « la mère suffisamment bonne », la « juste mais pas trop ».

Du côté des sciences sociales, la culpabilité peut être vue comme un régulateur des normes sociétales.

Ainsi, l’obligation du don de soi, qui apparaît avec les liens de parenté et particulièrement avec la maternité, permettrait de cimenter l’équilibre des communautés. En renforçant les relations interpersonnelles, la culpabilité maintiendrait les modèles familiaux culturellement construits. La culpabilité en serait donc un sentiment médiateur interpersonnel et culturel qui influencerait l’équilibre de nos sociétés.

Toutefois les mères semblent subir cette culpabilité alors même qu’elles sont encouragées à s’émanciper professionnellement. Les voilà assignées à une double charge d’assujettissement social et d’émancipation !

 

Faites carrière, mais rappelez-vous que vous êtes aussi les principales responsables du devenir de vos enfants !

Leurs aspirations de carrière seraient-elles rattrapées par l’expression morales des modèles traditionnels ? La culpabilité veille à ce que les femmes continuent de s’occuper de leurs familles ! Ce sont en effet les premières à exécuter le travail invisible non rémunéré, celui qu’on nomme le travail de care.

La culpabilité des mères exprime les contradictions d’une société qui devrait davantage valoriser celles qui portent les familles et favoriser le partage des tâches familiales. Car si les femmes ne s’occupent pas des enfants, qui le fera ?

 

Références:

Ammon-Chansel, L. (2021). https://www.bloomcoblog.com/post/travail-et-agencement-des-rôles-familiaux-une-enquête-qualitative-sur-la-transition-à-la-parentalité

Baumeister R. F., Stillwell A. M., Heatherton T. F. (1994). “Guilt : An Interpersonal Approach”, Psychological Bulletin, 115, 2, pp. 243-267.

Benhaïm, M. (2002). La culpabilité maternelle. La lettre de l’enfance et de l’adolescence, n°47, (49-56).

Rinaldi, R. (2019). Chapitre 4. #mamanlouve: Médias, standards éducatifs et anxiété parentale. Dans : , R. Rinaldi, Éloge des mères imparfaites (pp. 203-258). Auxerre: Éditions Sciences Humaines.

 

 

 

La paternité au travail au cœur des contradictions

 

En Suisse, il semble que la conciliation de la paternité et du travail ne soit pas encore cause acquise même lorsqu’elle est annoncée publiquement par les entreprises. Les jeunes pères qui souhaitent s’affranchir des modèles traditionnels vivent des contradictions lorsqu’ils tentent de concrétiser les promesses d’un accès à une meilleure répartition des tâches familiales.

Voici un témoignage comme point de départ d’une réflexion sur la réalité vécue par de nombreux pères. Il est issu de l’enquête que j’ai menée en 2021 sur un échantillon de parents occupant des postes de cadres à Genève (Ammon, 2021).

 

Charles est père d’un enfant de 3 ans. Ce spécialiste en investissement, qui vient de rejoindre la banque qui l’emploie, doit faire ses preuves. Au fond de lui, il aimerait travailler à 80% pour passer davantage de temps avec son fils mais cela n’est ni possible ni compatible avec sa vie professionnelle. Aucune flexibilité ne lui est accordée au quotidien, le poste ne s’y prête pas alors que son entreprise affiche publiquement qu’elle soutient l’équilibre vie privée-vie professionnelle.

« Ça fait bien de dire qu’on peut accompagner les enfants à l’école le matin. Mais bon, j’ai l’impression que c’est plus pour les femmes que pour les hommes. Je pense que lorsque j’aurai mon évaluation, j’aurai du mal à placer que le matin j’arrive à 9h-9h30 parce que je dois accompagner mon enfant à la crèche. Moi je suis dans un rôle assez senior alors …voilà̀… on arrive plus tôt au boulot alors que les juniors, les assistants … ils arrivent un peu plus tard. Mon responsable est célibataire… ni femme ni enfant…bon alors on prend un peu avec des pincettes ce qu’on lui annonce parce que…parfois on ne se sent pas sur la même longueur d’onde.
Je me dis tous les jours que je suis en train de passer à coté́ d’une partie de la vie de mon fils, que j’aimerais passer plus de temps avec lui. »

 

Le décalage entre un idéal la réalité

Si les entreprises affichent publiquement leur soutien à la parentalité, la réalité quotidienne des collaborateurs est parfois éloignée de cet idéal. Pour comprendre les mécanismes de ce décalage, on peut analyser la culture d’entreprise au travers des théories de Jean-Daniel Reynaud, professeur en sociologie du travail, qui s’est intéressé à la régulation des systèmes de règles au sein des organisations (Reynaud, 1988).

 

Des règles qui répondent à des enjeux différents

Pour Reynaud, deux types de règles sont présentes dans les organisations et elles répondent à des enjeux différents.

Les premières, annoncées comme « officielles », sont formulées par la direction puis descendent vers la base. Promouvoir la parentalité est une règle explicite, communiquée par la banque dans notre exemple. Cette stratégie, fondée sur une « logique de coût et d’efficacité » répond à des enjeux de compétitivité de l’entreprise et elle s’adapte à des contraintes externes qui conditionnent son ranking. Ainsi, communiquer la possibilité d’articuler famille et travail, permet de recruter des talents, de diminuer le turn-over, de jouir de ressources humaines efficientes et finalement de garantir la survie de l’organisation.

Les secondes règles sont informelles et elles sont produites par les collaborateurs eux-mêmes. Dissociées des logiques économiques, elles répondent davantage à une « logique de sentiments » et à des besoins sociaux. Elles ne sont pas affichées officiellement mais elles sont présentes dans le langage, exprimant des notions rattachées au sens commun. On suppose que cela ne se fait pas j’ai l’impression que c’est plus pour les femmes que pour les hommes – et dans notre exemple, elles colportent un message contraire à celui annoncé officiellement par la banque quand elle annonce faciliter la vie des parents. Toutefois ces règles répondent à leur propre logique de régulation autonome en guidant des dynamiques de travail et de collaboration. Elles établissent un ordre social qui résulte de la voix commune d’un groupe et qui assure le fonctionnement quotidien de l’organisation. Par exemple, l’idée que les séniors arrivent avant les juniors participe à réguler des rapports managériaux qui sont garants d’efficacité pour les équipes. Elles traduisent ainsi des enjeux de domination au service de la rentabilité.

Pour les rapports de genre, on pourrait supposer que l’accès à la flexibilité, s’il n’est réservé qu’aux femmes, est un moyen de domination traditionnel qui prive les femmes de certaines fonctions managériales puisqu’on leur réserve les horaires qui ne sont pas compatibles avec certaines positions.

 

Des normes autoritaires

Ces règles autonomes traduisent également des valeurs culturelles selon lesquelles ce sont les hommes qui assurent le rôle de breadwinner et qu’ils n’ont pas le droit à la flexibilité puisqu’ils sont assignés à la sphère professionnelle, contrairement aux femmes qui sont d’emblée assignées aux tâches éducatives. C’est l’influence des statuts maîtres sexués qui dicte cette division genrée du travail comme l’attestent 80 % des couples parentaux suisses qui sont organisés selon un modèle traditionnel (Krüger et Levy, 2001, OFS, 2017). Ainsi l’organisation peut être vue comme un système ouvert qui intègre les normes de son environnement sociétal (Scott, Davis, 2007).

Il est intéressant de noter que bien que les régulations autonomes ne soient pas des régulations obligatoires et de contrôle, les collaborateurs ne se sentent pas toujours libres de les rejeter. L’instauration d’un climat régulé par des normes établies par les collaborateurs eux-mêmes est tout aussi autoritaire que des règles officielles. S’écarter de ces normes sociales peut exposer à des risques pour l’organisation du travail, la promotion de carrière ou le salaire.

 

Les pères sont ils libres de choisir leur organisation?

Par conséquent, on perçoit bien dans notre exemple, les contradictions dans lesquelles les pères peuvent se retrouver. Séduits par une communication positive sur la conciliation du travail et de la famille, ils sont également animés par leurs rôles parentaux, réveillés par les injonctions faites aux « nouveaux pères ». Mais alors, sont-ils vraiment libres de leur organisation familiale ? En réalité, non. Ils intègrent, souvent malgré eux, les normes de l’organisation pour laquelle ils travaillent, ce qui n’est pas un choix libre s’ils veulent maintenir leur place, trouver un équilibre social et réaliser leurs objectifs de carrière.

L’exemple de ce jeune père reflète la complexité de la culture d’entreprise : un système dans lequel se côtoient différents types de règles pour répondre à des enjeux qui sont parfois contradictoires. Bien que les organisations soient un lieu de valeurs communes, elles sont également un lieu de contestation ou de conflits multiples. Le tout représentant un système imparfait, qui s’équilibre sur des réalités finalement assez éloignées de l’image idéalisée de la paternité au travail.

 

 

Ammon-Chansel, L. (2021). https://www.bloomcoblog.com/post/travail-et-agencement-des-rôles-familiaux-une-enquête-qualitative-sur-la-transition-à-la-parentalité

Krüger, H., Levy, R., (2001). Linking life courses, work, and the family: Theorizing a not so visible nexus between women and men. Canadian Journal of Sociology / Cahiers Canadiens De Sociologie, 26(2), 145. doi:10.2307/3341676

Office fédéral de la statistique. (2017). Les familles en Suisse.

Reynaud, J-D. (1988). Régulation de contrôle et régulation. Revue française de sociologie, Vol. 29, No. 1 : pp. 5-18.

Scott, W-R., Davis, G-F. (2007). Organizations and Organizing. Rational, Natural, and Open System Perspectives. 9th Edition, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, 35-39.

Connaissez-vous la “dégestation”?

Si les mots que nous utilisons sont essentiels car ils conditionnent nos pensées, l’absence de mot est tout aussi importante car elle rend invisible ce qui n’est pas nommé.

Ingrid Bayot, sage-femme et autrice du « Quatrième trimestre de la grossesse » apporte un nouveau mot bien utile au champ lexical de la naissance: la dégestation définit désormais l’état qui suit l’accouchement.

« Post-partum », « période puerpérale » ou « suites de couches » n’abordaient jusqu’ici que la période qui suit la naissance. La dégestation vient enrichir notre vocabulaire et suggère une notion encore trop souvent méconnue : l’état intermédiaire éprouvé par les femmes entre la grossesse et le retour à un état non gravidique.

Le “chantier biologique” du 4ème trimestre de grossesse

Le « chantier biologique » est conséquent car la grossesse touche tous les systèmes organiques et l’organisation psychique des mères. Le corps entier s’est préparé à accueillir l’enfant, à lui donner naissance et il doit ensuite déconstruire cette transformation. Il s’en suit une période de transition qui dure au minimum 3 mois appelée aussi le « 4ème trimestre de grossesse ».

Fabriquer du lait pour pouvoir nourrir

Après la naissance, les femmes sont soumises à un enchaînement d’évènements qui les assaillent : se remettre de la fatigue et des douleurs de l’accouchement, gérer le bouleversement hormonal et établir un lien avec leur enfant. Pour l’allaitement, Ingrid Bayot précise qu’il s’agit de deux phénomènes : la lactation qui consiste à fabriquer du lait et l’allaitement qui consiste à nourrir l’enfant. Elle insinue, dans cette définition, la fatigue générée par le processus biologique de lactogénèse. Cette dernière est souvent absente des représentations liées aux mères qui allaitent ainsi que des besoins de repos qui en découlent.

Ingrid Bayot nous rappelle également que ce processus de restauration du corps ne ramène pas au même état qu’avant la naissance mais chemine vers un nouvel équilibre. Ce dernier inclut le conjoint car les ajustements à la parentalité sont un enchevêtrement de changements qui touchent toute la famille et qui aboutissent à une nouvelle configuration familiale.

La maternité est un passage

Rien ne sera plus comme avant car la maternité est un passage de la vie qui constitue un moment de transition identitaire pour les parents, le couple et la famille. Cette transition, à la fois biologique et sociale, méritait un nom, car en ne nommant pas la dégestation on ne permettait pas aux femmes ni à leurs proches de prendre conscience des besoins et de les exprimer.

Il est essentiel de comprendre ce phénomène car il autorise un temps de latence alors que la pression sociale submerge rapidement les femmes après une courte trêve post-partum. Si la dégestation est un processus biologique, il ne peut s’extraire de l’injonction des normes sociales qui occupent des thèmes antinomiques à cette période. Ingrid Bayot décrit la productivité et la séduction en tête des prescriptions idéalisées alors que certaines femmes peuvent se sentir épuisées, seules et incomprises

Rappelons que la dépression périnatale est prévalente, qu’elle est trop souvent cachée par les femmes pour se conformer à un idéal.

Enrichir son vocabulaire c’est s’ouvrir à de nouvelles perceptions et pouvoir les transmettre aux personnes qui nous entourent. Ajoutons sans tarder la dégestation à notre langage et participons à une société respectueuse de la naissance des mères !

Bayot.I. (2022). Le quatrième trimestre de la grossesse. Érès. 1001BB.

Laissons les pères s’engager !

 

Depuis plusieurs années, on assiste à des changements sociétaux concernant la place des pères au sein des familles.

De nombreux jeunes hommes sont investis dans leurs rôles paternels et souhaitent participer activement aux tâches familiales.

 

Encourager l’engagement des pères

Certains chercheurs se sont intéressés au concept d’ engagement paternel et à ses limites pour plusieurs raisons scientifiques et sociétales :

Tout d’abord, les pères participent au bon développement social, cognitif et intellectuel de leurs enfants et ces connaissances sont désormais reconnues comme scientifiquement valides.

Ensuite, l’organisation de notre société moderne encourage les femmes à rester actives professionnellement lorsqu’elles deviennent mère. La question d’un partage plus équitable des tâches familiales se pose pour trouver un équilibre. Cela est garant de la santé physique et psychique des femmes et également du bien-être conjugal.

Enfin, l’investissement des hommes dans la sphère familiale, s’il est un choix personnel, est associé à une plus grande satisfaction des liens interpersonnels et affectifs familiaux.

Dans une société où la proportion de divorces est importante, les ajustements sont nécessaires et facilités par la qualité des relations entre un père et ses enfants, à condition qu’il maintienne ses engagements.

Il est évident que les pères sont indispensables à l’équilibre familial et le sujet semble presque absurde tellement il fait sens !

Il est toutefois essentiel de promouvoir le rôle paternel et d’améliorer les connaissances sur les facteurs qui peuvent encourager ou freiner l’implication des pères.

Qu’est-ce que l’engagement paternel ?

Le concept est mal circonscrit et l’engagement paternel revêt plusieurs définitions.

Parle-t-on du temps passé avec l’enfant, de la nature des activités et des soins partagés avec lui ? Ou encore de la sensibilité à l’enfant ou de la responsabilité envers lui ?

Le groupe de recherche canadien Prospère a formulé une définition selon laquelle « L’engagement paternel est la participation et la préoccupation continue du père biologique ou substitut envers le développement physique, psychologique et social de son enfant. »

Cette définition met l’accent sur le rôle continu du père et ses multiples dimensions : pourvoyeur, responsable, caregiver, interactif, affectueux et citoyen.

Cette conception est proche des réalités égalitaires actuelles et elle place le père au centre de la famille sans le réduire au rôle de pourvoyeur économique ou breadwinner des modèles traditionnels.

Des facilitateurs et des freins à cet engagement 

L’engagement paternel s’inscrit dans une perspective écologique qui réunit des facteurs sociétaux, familiaux et individuels.

Le premier facteur est l’environnement sociétal qui conditionne les pères par les règles et les normes qu’il impose. Les politiques familiales, les médias et les institutions influencent les représentations et créent des contraintes qui maintiennent les modèles traditionnels en assignant les mères aux tâches éducatives et affectives.

Les milieux professionnels qui accordent de la flexibilité aux hommes, par leurs horaires de travail ou l’accès au temps partiel, sont de véritables facilitateurs qui encouragent les comportements paternels. Ils sont malheureusement encore trop peu nombreux.

Le second facteur est le milieu familial. Les caractéristiques des mères, des enfants, la relation conjugale et co-parentale interviennent dans le processus d’implication des pères.

La proximité entre une mère et son bébé est très forte lors des premières semaines, d’autant plus si l’enfant est allaité. La femme joue ainsi le rôle de gardienne ou gatekeeper qui est souvent animé par une forme d’ambivalence ou de résistance à l’égard d’une implication plus active des pères. Si une mère ne permet pas au deuxième parent de s’impliquer, la mise à l’écart qui en résulte peut conduire à un désinvestissement progressif et occuper une place conflictuelle dans le couple. Les femmes impliqueraient davantage les hommes si elles ont eu une relation privilégiée avec leur propre père.

Enfin les caractéristiques individuelles des hommes constituent le troisième facteur déterminant de leur engagement paternel. Elles sont liées à leurs expériences, à des valeurs et des croyances familiales qui s’incarnent souvent inconsciemment dans les comportements.

Elles dépendent aussi de leurs sensations de compétence parentale et de leur niveau de confiance et de valorisation. Tout n’est heureusement pas déterminé et devenir père s’apprend aussi !

Où en est-on aujourd’hui ?

On assiste aujourd’hui à une plus grande participation des pères à la vie familiale. On note une légère augmentation du temps partiel chez les hommes en Suisse et certains milieux professionnels accordent de la flexibilité aux hommes.  Les freins sont encore malheureusement trop nombreux et ils maintiennent les couples dans des modèles traditionnels qui freinent parfois l’engagement paternel.

Les obstacles identifiés sont les stigmatisations, le manque de reconnaissance du rôle de père sur le lieu de travail, les pressions financières et professionnelles et les politiques famille-travail.

Si on est convaincu par le concept d’engagement paternel et ses bénéfices, ne laissons pas les pères s’engager seuls mais participons activement à cette évolution à tous les niveaux de la société.

 

 

Turcotte, G., Dubeau, D., Bolté, C. et Paquette, D. Pourquoi certains pères sont-ils plus engagés que d’autres auprès de leurs enfants ? Une revue des déterminants de l’engagement paternel, Revue canadienne de psychoéducation, 30, 1, 39-65. (2001).

Tremblay, D G, Lazzari Dodeler, Les pères et la prise du congé parental ou de paternité. PUQ. (2015).

Allaiter où je veux ?… Allaiter si je veux !

 

Du 17 au 24 septembre aura lieu la Semaine mondiale de l’allaitement en Suisse et dans 120 pays, comme chaque année depuis 1991.

Cet événement, relayé par l’association Promotion allaitement maternel suisse est l’occasion de célébrer la vaillance des mères qui allaitent en rappelant les bienfaits de cet acte pour la santé maternelle et infantile.

A cette occasion, différents stands, ateliers et conférences sont organisés pour informer et sensibiliser la population au besoin de soutenir les femmes durant cette période.

Car l’allaitement n’est pas qu’une histoire de mères mais concerne également le couple, la famille, les collègues et toute la société.

 

Ne pas laisser les femmes porter seules le poids de l’allaitement

Si allaiter son enfant est un moment intime qui encourage la fusion mère-bébé, il ne signifie pas que les femmes doivent porter seules le poids de cet acte.

Dès les premières semaines et tout au long de l’allaitement, elles ont besoin d’aide!

 

L’aide du conjoint

L’aide du conjoint, pour commencer, qui peut offrir un soutien logistique et empathique.

Apporter une collation au moment de la tétée pour soutenir la glycémie, positionner un coussin pour soulager les tensions dorsales, offrir de bercer l’enfant et de le changer. Ces exemples sont détaillés dans la brochure de Promotion Allaitement Maternel Suisse à l’attention des pères (accessible en ligne sur ce lien).

 

Le soutien de la famille

Le soutien de la famille est également essentiel, car il peut décharger la logistique et contenir les émotions s’il est dénué de jugements.

Les décalages de génération et la pluralité des idéologies soulignent parfois des différences qui peuvent aboutir à des désaccords. D’un côté la Mère Nature et de l’autre celle qui a besoin d’un espace d’autonomie pour sortir de l’aliénation de l’allaitement. Parfois les deux sentiments sont mêlés et l’ambivalence décontenance.

Rappelons que du point du vue de l’enfant, l’allaitement répond aux besoins nutritifs mais également aux besoins émotionnels et affectifs. Aucun nouveau-né et nourrisson, mis au sein pour se calmer, n’est à ce jour devenu déséquilibré ou capricieux!

 

Un environnement professionnel bienveillant

L’environnement professionnel, lors du retour au travail, est un moment clé pour la poursuite de l’allaitement.

Le sujet est sensible car il combine des enjeux privés et logistiques: annoncer à son manager qu’on poursuit l’allaitement c’est apporter une partie intime de soi-même au travail avec les contraintes organisationnelles qu’on connaît. Les femmes cumulent souvent la culpabilité de l’absence du congé maternité avec celle de l’organisation de l’allaitement au travail.

Les lois suisses protègent les femmes travailleuses allaitantes. Elles sont une reconnaissance officielle de l’importance de cet acte d’un point de vue de la santé publique et visent à protéger la vulnérabilité des mères à ce moment de leur vie.

L’encouragement des collègues et du manager, s’il est bienveillant et respectueux de l’intimité, est un facteur de réussite évident et permettrait de maintenir des taux d’allaitement élevés.

 

Une société respectueuse

Enfin, soutenir les mères allaitantes c’est aussi participer à une société qui les respecte et leur accorde de la bienveillance lorsqu’elles nourrissent leur enfant dans un lieu public. C’est également préserver leur intimité si elles le souhaitent et leur proposer de l’aide si nécessaire.

 

“J’ai faim, je mange” pour banaliser l’allaitement dans les lieux publics

C’est précisément dans cette mouvance que le projet  “J’ai faim, je mange” est apparu.

Lancé en France en 2021, suite à l’agression d’une mère qui nourrissait son enfant publiquement, ce mouvement a pour but de banaliser l’allaitement dans des lieux publics.

Les familles vaudoises en faveur de ce projet ont déjà participé à une campagne photographique le 10 septembre dernier et c’est au tour de Genève de se mobiliser le 17 septembre prochain avec un rendez-vous prévu à 16h30 au Jardin Anglais.

“Allaiter où je veux” : La cause est primordiale et régulièrement censurée.

Aussi, la mobilisation est un moyen de lutte contre ces privations de liberté et la communication passe principalement par les réseaux sociaux.

Précédemment, d’autres mouvements avaient vu le jour comme Brelfie (qui contracte breastfeeding et selfie) ou encore #Freethenipple. Ces groupes proposaient une action similaire mobilisée cette fois contre la “dépublication” de photos d’allaitement par Facebook.

Les groupes numériques d’allaitement sont un formidable moyen d’expression pour préserver la liberté, et par conséquent la qualité de vie, des femmes qui allaitent. Ils sont aussi un véritable réseau de soutien qui compense certainement le manque de considération familial et sociétal vis-à-vis de l’allaitement.

Toutefois, ils peuvent représenter une pression qui se crée au travers des discussions, témoignages et photos idéalisées qui instaurent une forme de performance de l’allaitement, tant dans sa qualité que dans sa durée. Cette pression peut générer des sentiment négatifs chez des femmes qui ne se sentent pas à la hauteur et assimilent leurs capacités d’allaiter à leurs compétences maternelles.

Est-ce que ne pas allaiter exclusivement pendant 6 mois, comme le recommande l’Organisation mondiale de la santé, fait des femmes de “mauvaises mères”? Certainement pas!

Rappelons d’ailleurs que ces recommandations sont globales et qu’elles visent à diminuer la mortalité infantile dans des pays où les conditions sanitaires sont bien éloignées de chez nous.

Respecter le choix des femmes qui ne souhaitent pas allaiter est une cause toute aussi respectable et un sujet qui est trop peu souvent abordé. Pourquoi ne pas soutenir également ces femmes, qui naviguent entre les biais inconscients des professionnels de la santé, les discours moralisateurs et les théories qui lient allaitement et attachement?

 

“Allaiter si je veux?”

Il n’est pas certain que ce choix soit si facile dans notre société où flotte le spectre idéalisé de la mère nourricière.

Toutes les femme méritent qu’on respecte leurs choix et il est important de veiller aux maintien de leurs droits; qu’ils concernent le droit d’allaiter dans l’espace public ou celui de renoncer à l’allaitement sans subir une culpabilisation permanente.

Alors en ce mois de septembre 2022, célébrons le courage des mères qui allaitent, soutenons leurs droits et veillons à ce que leurs libertés ne soient pas entravées. Mais n’oublions pas les mères qui ne peuvent pas allaiter ou rejettent ce choix consciemment pour des raisons tout aussi valables.

La co-parentalité au cœur de la famille

 

Si la transition à la parentalité consiste en une évolution identitaire individuelle forte, elle est avant tout une affaire de couple.

Cette aventure conjugale est complexe car de la relation de couple doit naître le sentiment de famille. De plus, elle exerce une influence centrale sur le lien entre les parents, ainsi que sur le développement socio-affectif de l’enfant.

 

Qu’est-ce que la co-parentalité ?

On définit la co-parentalité comme le soutien que le père et la mère s’accordent mutuellement dans leur rôle de parent. Cette collaboration parentale est un processus qui se met en place progressivement à partir de la naissance car le couple se découvre sous un jour nouveau.

La première étape est la détermination des rôles parentaux. Cet agencement poursuit l’organisation définie antérieurement à la grossesse et s’adapte, pour atteindre un nouvel équilibre jugé réciproquement satisfaisant.

Malgré l’existence de convictions égalitaires, l’influence des normes sociales est forte et elle oriente les rôles selon les statuts maitres sexués[1]. Ce concept postule que la norme sociétale tendrait à assimiler les hommes au travail et les femmes à la famille, aboutissant à une division sexuelle du travail domestique.

Cette phase s’accomplit quand on assiste au dédoublement de la relation de couple qui permet de conjuguer une relation amoureuse et parentale.

 

Co-parentage cohésif ou hostile

Lorsque le co-parentage est cohésif, les deux parents s’accordent dans les actes ainsi qu’émotionnellement et parviennent à résoudre les divergences sans agressivité.

En revanche, si la transition se passe mal, trois configurations peuvent exister : l’hostilité entre les parents qui se disputent ouvertement, le retrait d’un des deux parents de la vie familiale ou encore l’instauration d’un climat tendu, superficiellement aimable avec peu d’affection de part et d’autre.

Dans le cas où les relations conjugales ne sont pas harmonieuses, l’enfant peut être pris malgré lui dans le conflit parental et il cherche à amortir les disputes et les tensions.

Cette ambiance interfère avec son développement, pouvant provoquer chez lui de l’agressivité ou de l’anxiété, particulièrement lors des expériences de socialisation.

 

Quels sont les facteurs qui conditionnent la mise en place d’une relation co-parentale ?

Le premier est la qualité de la relation conjugale qui est déjà mise en place avant la naissance de l’enfant. On peut supposer qu’une relation insatisfaisante risque de perdurer.

Le deuxième facteur est l’engagement paternel. Il s’agit de la relation entre le père et son enfant qui découle de l’envie de participer à son éducation et de prendre part à ses responsabilités. Ce facteur peut être fragilisé par des normes culturelles ou par l’absence de soutien de la mère. En Suisse, le modèle traditionnel est prédominant et il assigne les hommes au travail à temps plein, créant parfois une pression qui ne permet pas aux pères de participer quotidiennement aux soins des enfants. Le récent congé paternité est une excellente avancée qui est encore trop courte pour avoir un impact sur cet engagement.

Le troisième facteur fait référence au comportement des mères qui peuvent contrarier les actions d’engagement paternel. Ces attitudes maternelles sont souvent ambivalentes et parfois inconscientes et elles se manifestent par l’ordonnance de règles éducatives ou de soins prodigués à l’enfant. Lorsqu’elles demeurent insatisfaites, elles peuvent éloigner le père de l’enfant en le décourageant.

Le quatrième facteur concerne les représentations sociales des parents à propos de la répartition des tâches domestiques ou éducatives. Elles sont issues des expériences familiales et sociales des individus ainsi que de leurs convictions égalitaires ou traditionnelles.

Enfin le cinquième facteur relève de la personnalité des deux parents. L’anxiété d’un parent peut créer un frein à un co-parentage cohésif qui ne permet pas de trouver de consensus et qui mène parfois à l’évitement ou à la critique mutuelle.

La mise en place d’une co-parentalité est un des principaux challenges des couples lorsqu’ils deviennent parents et il est soumis à des enjeux plurifactoriels.

Ce processus est essentiel car il conditionne le développement harmonieux de la famille, la santé psychique des parents et par conséquent le développement socio affectif de l’enfant.

Afin qu’il puisse s’installer de façon pérenne, il est nécessaire de soutenir les couples durant la période périnatale, d’inclure les pères dans les prises en charge des professionnels de la santé et d’accorder de la flexibilité aux hommes comme aux femmes dans les milieux professionnels.

 

 

D’après l’article de Nicolas FAVEZ, « La transition à la parentalité et les réaménagements de la relation de couple », Dialogue, 2013/1 (n° 199), p. 73-83.

[1] Gauthier JA, Valarino I. L’activation du statut maître sexué lors de la transition à la parentalité. Dans: Le Goff JM, Levy M. Devenir parents, devenir inégaux.  Genève: Seismo. 2016. p.48-75.

 

Aujourd’hui, 5 mai, a lieu la journée internationale des sages-femmes !

 

Cet évènement, né il y a 32 ans lors d’un congrès de la Confédération Internationale des sages-femmes[1], célèbre la solidarité entre les sages-femmes et permet d’aborder des sujets en lien avec la santé reproductive ou les préoccupations des professionnels.

 

La section genevoise de la Fédération suisse des sages-femmes célèbre le 5 mai

La section genevoise de la Fédération suisse des sages-femmes organise ce soir la projection d’un film, en partenariat avec l’Arcade des sages-femmes et Cinélux.

« Sages-femmes, Venir au monde », réalisé par suissesse Leila Kühni, sera projeté dans le cinéma indépendant genevois à 19h.

La richesse de ce film vient de la mise en lumière du travail des sages-femmes dans deux environnements différents : naissance à l’hôpital ou à la maison.

En Suisse, nous avons la chance de pouvoir proposer ces deux alternatives qui répondent à des besoins spécifiques des femmes : sécurité hospitalière ou accompagnement naturel, intime et personnalisé extrahospitalier.

 

L’approche sage-femme

La naissance d’un enfant est un moment précieux et la période périnatale est fragile pour la santé physique et psychique des couples. En réponse à cela, les sages-femmes construisent avec les parents, un accompagnement subtil pour les aider à réaliser leurs projets de naissance tout en garantissant leur sécurité.

Elles peuvent ainsi travailler en autonomie ou en collaboration avec des médecins gynécologues. La qualité des liens est essentielle et les soins relationnels sont prédominants dans cette approche de la santé.

Cette année, la section cantonale souhaite également rendre hommage aux sages-femmes ukrainiennes qui agissent le mieux possible auprès des femmes et de leurs bébés et qui représentent un magnifique exemple de courage.

On se sent privilégié quand on travaille en Suisse, loin de ces zones de conflit, avec de bonnes conditions de travail et une place assurée au sein du système de santé.

 

Les enjeux d’une société qui bouge

Toutefois, il faut continuer à se demander comment permettre à la profession d’évoluer dans une société qui bouge et qui va plus vite.

Les enjeux sont nombreux : améliorer la coordination des soins avec des séjours hospitaliers qui tendent à raccourcir, préserver la confidentialité des données qui se numérisent, proposer davantage de prévention pour les patients et ne pas négliger la qualité de vie des soignants hospitaliers ainsi que des indépendants.

Les sages-femmes occupent une place essentielle dans la société et je suis très heureuse de souhaiter à toutes mes collègues une excellente journée internationale des sages-femmes !

 

[1] International Confederation of Midwifes – Association faîtière internationale qui regroupe 140 associations de sages-femmes et qui fête ses 100 ans cette année

Peut-on vraiment se préparer à devenir parent ?

 

Beaucoup de nouveaux parents témoignent, à postériori, du manque d’informations et de l’inadéquation de la préparation à la naissance.

« Personne ne nous avait prévenus » expliquent-ils en faisant référence au post-partum, période complexe, difficile et très éloignée des représentations idéalisées de la maternité.

 

Il est vrai que la préparation à la naissance se focalise principalement sur la préparation à l’accouchement et propose des informations pour gérer les douleurs, préparer le corps et prendre soin du bébé.

Ces sessions sont-elles suffisantes ou nourrissent-elles l’illusion de s’être préparé à devenir parent ?  D’ailleurs peut-on vraiment s’y préparer ?

 

La parentalité, un “passage” qui mène vers une évolution identitaire

Aborder la parentalité pour la première fois signifie faire face à des changements majeurs comme des transformations individuelles et physiques, qui touchent principalement les femmes. Ce sont également des transformations de l’environnement familial comme les rythmes imposés par l’enfant, les nouvelles personnes dont on s’entoure, la répartition des rôles et des devoirs qui découlent des fonctions parentales.

Si cette expérience est très souvent positive, elle peut être parfois accompagnée d’une ambivalence liée à l’apparition d’enjeux inédits : le poids des nouvelles responsabilités, la perte d’une forme de liberté individuelle et l’ajustement à des normes sociétales ou personnelles.

Le « passage » que représente la naissance[1], initie les parents à un vrai challenge d’adaptation.

Trouver un nouvel équilibre ne se limite pas à l’acquisition de nouvelles compétences pour prendre soins de l’enfant mais inclue également la satisfaction de besoins individuels et conjugaux.

Comment s’épanouir dans un corps fatigué par la naissance, dans un foyer cadencé par les étapes de développement du bébé et au sein d’un couple qui se découvre parent ?

Chaque individu peut traverser des bouleversements influencés par son expérience personnelle, ses représentations de la parentalité et le comportement de son enfant. L’absence salutaire de maladie de suffit pas à rendre cette expérience facile et même quand « tout va bien », les parents peuvent ressentir une période de flottement durant laquelle ils ne se sentent pas complètement heureux.

En réponse à ces remaniements, chaque parent fera émerger des ressources qui contribueront à une évolution identitaire. Toutefois, le couple se transforme parfois en décalage alors qu’une organisation réciproque co-parentale est un socle qui doit se construire pour garantir l’harmonie familiale.

Ainsi, au sein de ce tumulte post-natal, la simplicité, le partage et la joie d’être parent affrontent parfois le chaos, le sentiment de solitude et la déception.

 

Comment préparer les parents à vivre de tels défis et leur permettre d’anticiper tous ces changements de vie ?

Des internautes qui mettent fin aux tabous

Un phénomène récent est apparu sur les réseaux sociaux en réponse à ces difficultés.

Facebook, Instagram et autres réseaux se font l’écho de commentaires qui dénoncent les désagréments du post-partum, loin des images idéalisées de la vie de famille. Cicatrices douloureuses, saignements, baby-blues, pression de l’allaitement ; ces posts mettent en garde contre les semaines difficiles qui suivent la naissance et dénoncent le manque d’informations données en amont. Les opinions dialoguent et abordent les frustrations des femmes, le manque de soutien, la solitude maternelle, les conséquences corporelles de la naissance, la dépression du post-partum, les problèmes conjugaux et même le regret d’être devenu parent.

Il est fascinant de pouvoir aborder tous ces sujets aussi librement et ces échanges soulagent ceux qui sont touchés par des moments difficiles. Il ne fait aucun doute que ce canal de communication comble un vide que les professionnels en périnatalité n’ont, à ce jour, pas réussi à remplir.

Toutefois, l’utilisation de ces nouveaux modèles d’information me questionne car s’ils jouent le rôle d’exutoire rassurant, ils maintiennent les individus dans une forme d’évaluation. De plus, les réseaux sociaux véhiculent des informations non pondérées, parfois anxiogènes avec un intérêt certain pour l’audimat.

 

Comment s’informer correctement lorsqu’on devient parent ? Peut-on faire confiance aux professionnels ou doit-on mener une quête pour percer l’omerta dont certains parlent ?

A une époque où l’information circule librement et sans modération, les parents sont-ils apaisés, préparés ou maintenus dans un besoin dévorant de contrôle ?

Proposer une nouvelle approche

Au lieu de submerger les parents d’informations, pourrait-on concevoir une nouvelle approche qui leur permette de prendre conscience, ensemble, de leurs représentations de la parentalité ? Les aider à explorer ce qu’ils ressentent et comment l’exprimer. Les soutenir pour qu’ils s’accordent de la bienveillance. Les encourager à cesser de se conformer à des images et accepter la probable imperfection de leur expérience. Leur conseiller de s’entourer d’un réseau bienveillant avant la naissance et leur apprendre à demander de l’aide face à leurs nouvelles limites.

Devenir parent, ça pourrait être aussi cela ! La prise d’un nouveau départ, la naissance d’un nouveau soi, proche de ses ressentis et loin des pensées normées culpabilisantes qui enserrent les esprits.

La découverte d’une nouvelle forme de relation interpersonnelle où l’on lâche sa « to do list » pour être pleinement présent pour l’autre.

L’adhésion à une vie où l’efficacité de l’action ne dépend pas de la volonté, où les tâches familiales se réitèrent et dans laquelle « être » est plus importante que « faire ».

Devenir parent est un processus complexe qui peut être accompagné par des professionnels de la périnatalité. La prévention des risques devrait inclure le couple depuis la période prénatale. Sages-femmes, psychologues, gynécologues et travailleurs sociaux doivent continuer à collaborer pour faire de la préparation à la naissance une préparation à la parentalité.

 

 

[1] Marie-Françoise Collière. Soigner…le premier art de la vie. Masson. 2001.