Il faut sauver le dossier européen

Rien ne va plus au sein du Conseil fédéral. Le Nouvelliste nous apprenait vendredi qu’une majorité parmi les sept Conseillers fédéraux songerait à tout simplement cesser les discussions en cours depuis 2014 sur l’accord-cadre entre la Suisse et l’Union européenne. Parallèlement, un sondage de l’institut gfs.bern révélait quelques jours plutôt qu’une majorité de citoyens suisses soutiendrait cet accord institutionnel, avec près de deux Suisses sur trois pour un tel accord. Une dégradation de nos relations avec l’UE voire une résiliation complète de l’ensemble des accords déjà en vigueur serait une catastrophe pour notre pays. Le Gouvernement fédéral serait-il devenu sourd face à la volonté du peuple suisse de poursuivre les négociations?

Le Président de la Confédération Guy Parmelin était à Bruxelles le 23 avril dernier pour une rencontre officielle avec la Présidente de la puissante Commission européenne Ursula von der Leyen. Après quelques mois de négociations techniques, cette rencontre politique aurait du mettre un point final aux discussions. Guy Parmelin avait deux heures pour convaincre et clarifier les points encore ouverts. Hélas, après déjà une heure d’entretien, les deux présidents sont arrivés à la conclusion que chaque camp restait sur ses positions initiales. Tout ça pour ça, serait-on tenté de dire. “Avec la Présidente de la Commission européenne, nous avons constaté que les divergences qui subsistent entre nos positions sont importantes” a dit le Président helvète devant les journalistes présents à l’ambassade de Suisse en Belgique. Ce voyage a été une perte de temps et n’a servi à rien pour faire avancer ce dossier complexe, il faut oser le dire. Un coup de téléphone de 10 minutes aurait suffit à mon avis. Les relations entre la Suisse et l’Union européenne sont vitales pour notre pays. Plusieurs domaines sont directement ou indirectement concernés : les banques, les transports, la culture, la recherche, les relations avec les pays tiers (hors Suisse et UE), la défense ou encore la coopération policière. J’appuie la signature de cet accord entre Berne et Bruxelles au plus vite pour les raisons suivantes : primo la Suisse compte parmi ses trois principaux partenaires commerciaux l’UE mais aussi les Etats-Unis et la Chine. 52% des exportations suisses vont vers l’UE et 70% des importations proviennent de l’UE. Enfin, 315’000 frontaliers français, allemands, italiens et autrichiens viennent chaque jour travailler en Suisse, notamment dans les hôpitaux, sur les chantiers, dans nos centres de recherche scientifique ou encore dans nos cafés-restaurants et hôtels. Renoncer à tout cela signifierait la mort lente de notre économie, ou certainement une perte de confiance de la part d’investisseurs étrangers.

Les sept sages doivent absolument prendre connaissance de ce sondage. La Suisse et certains de ses Cantons sont tournés vers l’exportation et ont évidemment besoin de stabilité dans les relations Suisse – UE. Les relations avec les Etats-Unis et la Chine risquent de se compliquer dans les mois à venir pour des raisons différentes. Certes, la Suisse ne fait pas partie de l’Union européenne mais dans son histoire et dans sa culture, elle est très proche des cultures française, allemande, italienne ou encore autrichienne. Le Conseil fédéral a le choix de signer cet accord et de normaliser ses relations commerciales ou de rejeter l’accord et de se mordre les doigts dans les années à venir. C’est à prendre ou à laisser!

PS : Tout comprendre sur l’accord-cadre… https://www.rts.ch/info/suisse/10262336-laccordcadre-pour-les-nuls-trois-fois-deux-minutes-pour-tout-comprendre.html

“Get Brexit done”

S’il fallait retenir un seul évènement des fêtes de fin d’année passées, ce serait sans aucun doute l’accord sur le Brexit entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Les négociateurs des deux camps ont réussi à se mettre d’accord sur les dernières modalités encore ouvertes. Cet accord conclu la veille de Noël permet d’entériner définitivement le Brexit. Autrement dit, le divorce entre Bruxelles et Londres est scellé. Tant du côté du 10 Downing Street (résidence officielle et lieu de travail du Premier ministre britannique) que du côté de Berlaymont et Europa (respectivement les bâtiments de la Commission européenne et du Conseil européen), on s’est réjoui de cet accord in extremis. Une situation sans accord aurait eu des conséquences dangereuses sur l’économie européenne et britannique, déjà ébranlées par la pandémie du coronavirus. Mais au fait, quel est le contenu de l’accord? Qu’est-ce qui va changer pour les résidents britanniques établis dans l’UE et pour les Européens au Royaume-Uni?

Un accord en 1246 pages

Le texte de l’accord sur le Brexit entre Londres et Bruxelles se décortique en 1246 pages. Il permet de fixer le cadre des relations économiques et commerciales au 1er janvier 2021. Je ne pourrai pas m’arrêter sur chaque point négocié mais dans les grandes lignes, cet accord fixe des règles dans les domaines suivants : les biens, la concurrence, les différends, la pêche, les transports ou encore la coopération judiciaire. Le texte complet, pour les motivés, peut être téléchargé ici. Les droits des 4,2 millions de citoyens européens établis au Royaume-Uni et qui ont fait une demande de statut de résidence l’automne passé seront protégés. Les Européens qui souhaiteraient s’établir au Royaume-Uni après le 1er janvier 2021 seront soumis à des conditions plus drastiques. L’âge, la maîtrise de l’anglais, le niveau d’études et les finances seront pris en compte pour obtenir un visa, valable 5 ans.

Quant aux Britanniques déjà domiciliés en Europe continentale avant 2020, ils conserveront leurs droits. Et pour les Britanniques qui voudraient s’établir sous le soleil espagnol ou croate, ils seront soumis aux mêmes contraintes (capital financier, exigences linguistiques, assurance santé, etc.) que les ressortissants de pays tiers.

Le trio gagnant du Brexit

L’Union européenne, le Royaume-Uni et la Suisse mais indirectement concernée peuvent se réjouir de l’accord trouvé et signé au sujet du Brexit. S’il n’y avait pas eu d’accord, les échanges économiques entre Londres et l’UE se seraient passés selon les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). C’est-à-dire avec des droits de douane, des quotas et une plus grande bureaucratie aux frontières. Un scénario d’horreur qui voulait être évité des deux côtés de la Manche. D’ailleurs, on a tous vu ces embouteillages montrant des camions voulant se rendre soit sur le continent soit au Royaume-Uni. Il aura fallu quatre ans et demi pour parvenir au bout des difficiles négociations, entamées dès 2016 par l’ancienne Première ministre britannique Theresa May. Le “no deal” a été évité et le duo Ursula von der Leyen et Charles Michel comme Boris Johnson sont tous les trois gagnants au final. Personne n’a perdu la face, même pendant les heures les plus dures des négociations. Une future relation actée et même signée de la main de Sa Majesté La Reine.

PS : quid de la future relation entre la Suisse et le Royaume-Uni? La Suisse s’était évidemment préparée autant que possible à la sortie britannique du club européen. Elle a signé plusieurs accords bilatéraux en ce qui concerne les transports, les assurances, le commerce ou encore la migration. Notre future relation est assurée, ouf! Le Président de la Confédération cette année Guy Parmelin a même salué la signature du traité commercial entre le Royaume-Uni et l’UE. La seule chose que l’ont peut regretter est l’absence de tout contact au sommet de l’Etat entre la Suisse et le Royaume-Uni. Depuis 2016, pas une seule rencontre officielle à Berne ou à Londres entre, côté suisse Johann Schneider-Ammann (2016) / Doris Leuthard (2017) / Alain Berset (2018) / Ueli Maurer (2019) ou Simonetta Sommaruga (2020), et côté britannique Theresa May (2016-2019) ou Boris Johnson. Seuls deux faits à retenir : une rencontre bilatérale entre Doris Leuthard et Theresa May à New York en marge de la 72e Assemblée générale de l’ONU. Et un entretien bilatéral entre Alain Berset et Theresa May à Davos en marge du WEF.

Guy Parmelin rencontrera-t-il cette année le Premier ministre britannique Boris Johnson? Photo : Peter Klaunzer | Keystone-ATS

Europe de l’Est vs Europe de l’Ouest : doivent-elles forcément partager les mêmes valeurs?

Le vote du budget annuel européen est bloqué à cause de certains pays membres de l’Union européenne : la Hongrie de Viktor Orbán, la Pologne de Mateusz Morawiecki et la Slovénie de Janez Janša. Les trois Premiers ministres refusent le plan de relance économique qui est censé profiter directement aux entreprises européennes et indirectement à l’économie suisse. Ce blocage peut-il creuser davantage les divisions Est-Ouest?

“Nous l’avons fait. L’Europe est solide. L’Europe est robuste et surtout l’Europe est rassemblée”, disait en juillet dernier Charles Michel, le Président du Conseil européen. Cet ambitieux plan de relance européen ne verra peut-être pas le jour à cause de la Hongrie, de la Pologne et de la Slovénie. Ces trois pays de l’Europe de l’Est refusent pour le moment d’approuver le plan proposé par Bruxelles à cause d’une clause : celle-ci stipule que pour toucher les aides financières, les pays membres doivent respecter l’Etat de droit. Ces dernières années, la Commission européenne tout comme le Conseil européen ont rappelé à l’ordre Budapest et Varsovie car ils les accusent de saboter l’indépendance de la justice et de porter atteinte à la liberté de la presse, à coup de réformes pas vraiment démocratiques. Deux valeurs pourtant essentielles aux yeux de l’Union européenne.

La Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le Président du Conseil européen Charles Michel, contents du plan de relance accepté, après 4 jours de tractations, par les 27 Etats-membres, Bruxelles, juillet 2020. Photo : KEYSTONE/EPA/STEPHANIE LECOCQ

Hier europhiles, aujourd’hui europhobes

La Hongrie, la Pologne et la Slovénie ont rejoint l’UE au printemps 2004. Au moment de leur adhésion, les trois Etats ont signé une charte quant au respect des valeurs fondamentales, à savoir le respect de l’indépendance de la justice et de l’existence de médias d’opposition. Entre 2004 et aujourd’hui, on est passé de gouvernements europhiles à gouvernements europhobes. Europhiles quand il s’agit de recevoir de l’argent des pays riches d’Europe occidentale mais europhobes quand on leur demande d’aider l’Italie ou la Grèce en acceptant d’accueillir des migrants. Bien que Budapest, Varsovie et Ljubljana soient contre les valeurs libérales défendues ici en Occident, ces trois Etats restent européens par leur culture et leur mode de vie. Ils ont leur place au sein de la communauté européenne. Mais être membre d’un club signifie avant tout accepter et appliquer des règles communes.

Le 1er mai 2004, l’Union européenne voyait l’arrivée “chez elle” de dix nouveaux pays : Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Tchéquie, Slovaquie et Slovénie. Un véritable défi tant les mentalités Est-Ouest sont différentes sur de nombreux sujets. Photo : picture-alliance/dpa

La question des personnes trans en Suisse

“Il y a une seule image de l’Europe qui est réussie, c’est la Suisse” dixit Jean d’Ormesson face à l’ex-star du 19h30 Darius Rochebin. Les Cantons suisses ou les Etats-membres de l’UE, entre eux, peuvent avoir des positions différentes sur le mariage pour tous ou les droits des LGBT. Exemple en Suisse. Dans certaines régions comme en Valais, à Fribourg ou en Suisse centrale, ces Cantons sont peut-être moins enclins à accepter les personnes trans. Alors qu’ailleurs ceux-ci peuvent se fondre dans la masse sans trop de problèmes. A titre personnel, sur la question transsexuelle, je sais que mon avis est différent de la majorité. L’importance est que sur les questions relatives au domaine public (indépendance de la justice ou liberté de la presse), tous les Cantons / Etats-membres doivent les respecter sans condition. Et pour celles du domaine privé, les sensibilités peuvent varier mais elles doivent être entendues. Ce n’est pas parce que le Portugal ou l’Autriche acceptent largement le mariage entre deux personnes de même sexe que l’Union européenne doit imposer de même à la Roumanie ou à la Hongrie.

Un plan de relance qui profitera surtout aux pays de l’Est

Jacques Rupnik, politologue et spécialiste de l’Europe de l’Est, rappelait jeudi dernier dans l’émission 28 minutes d’Arte : “Qui a demandé de rentrer dans l’Union européenne? C’est les pays d’Europe centrale. C’est pas l’Union européenne qui est parti à la conquête”. Bruxelles veut se doter d’un plan de relance de 750 milliards d’euros pour soulager son économie de la crise du COVID-19. La Suisse tirera aussi bénéfice, de manière plus indirecte, de ce plan de relance puisque l’UE est dans le top 3 de nos principaux partenaires commerciaux, aux côtés des Etats-Unis et de la Chine. La Pologne bloque le plan de relance alors qu’elle est le pays qui va recevoir le plus d’argent de ces 750 milliards d’euros. Tout comme la Hongrie qui est aussi bénéficiaire de ces fonds de solidarité. Je vois deux options à l’avenir pour éviter de paralyser économiquement un continent : bannir le principe d’unanimité pour prendre des décisions. 14 voix sur 27 devrait être la règle pour qu’une proposition ou loi puisse être acceptée. Lier les aides financières au respect de la démocratie et de l’Etat de droit me parait faire sens. Autrement dit, tu ne veux pas respecter, tu ne recevras rien! Si Ursula von der Leyen et Charles Michel ne haussent pas le ton face à la Hongrie, à la Pologne et à la Slovénie, le risque à l’avenir est d’avoir encore plus de divisions à l’intérieur de l’Union européenne entre ceux qui défendent une Europe libérale et les autres qui mettent en avant l’Europe illibérale.