Il y a vingt ans, la Suisse entrait à l’ONU

 

Il y a vingt ans, le 11 septembre 2002, la Suisse rejoignait l’ONU suite au succès d’une initiative populaire en faveur de l’adhésion approuvée par le peuple et les cantons le 3 mars 2002. Il est intéressant de constater qu’après la votation largement perdue de 1986, l’adhésion ne s’est pas réalisée sur une proposition du Conseil fédéral qui craignait un nouvel échec devant le peuple. Décidément, tout débat sur les institutions européennes ou internationales semble figer notre exécutif, hier comme aujourd’hui. À tort semblerait-t-il.

À cette époque, je travaillais au siège du Haut Commissariat des Nations unies à Genève. J’avais demandé au Haut Commissaire de participer à la campagne en témoignant sur notre travail humanitaire. Je tenais à rappeler notre engagement sur le terrain. Je le devais aux collègues qui ont payé de leur vie l’accomplissement de leur mission. Les fonctionnaires des Nations unies ne sont pas forcément tous des ronds de cuir, leur postérieur vissé à leur chaise. Certains oui, mais pas tous!

Au cours de la campagne référendaire, j’eus donc l’occasion de me confronter aux opposants. Ils craignaient surtout, nous disaient-ils, la perte de notre neutralité qui provoquerait une vague d’attentats en Suisse. En ce temps-là, le monde émergeait du 11 septembre avant de plonger dans une guerre en Irak voulue unilatéralement par le président Bush qui a causé tant de tort au multilatéralisme.

Au soir du verdict populaire, j’exprimais ma double satisfaction à un journaliste du Washington Post qui m’interrogeait: en tant que citoyen Suisse parce que les intérêts de mon pays seront mieux défendus à l’intérieur de l’ONU et en tant que fonctionnaire international parce que le savoir-faire diplomatique helvétique apportera une valeur ajoutée à l’ONU.

Vingt années plus tard que reste-t-il de cette double expectative?

 

L’adhésion n’a pas provoqué d’attentats en Suisse, contrairement aux prévisions catastrophistes des opposants.

 

L’adhésion n’a pas provoqué d’attentats en Suisse, contrairement aux prévisions catastrophistes des opposants. Elle n’a pas eu non plus de conséquences négatives sur notre politique étrangère, mais l’a-t-elle renforcée? Sans aucun doute. À ce jour, l’ONU demeure l’unique organisation universelle. Elle offre donc un forum essentiel où la Suisse peut défendre de plain-pied ses intérêts et priorités en politique extérieure, ce que son statut d’observateur ne lui permettait pas de faire.

L’ONU s’est-elle bonifiée depuis l’adhésion suisse? Sur ce point une saine modestie et un certain réalisme s’imposent…

 

Le manque de pertinence onusien dans la prévention et la résolution du conflit en Ukraine a été flagrant.

 

J’espère me tromper, mais au Conseil de sécurité, la Suisse ne pourra fondamentalement pas changer grand’chose sur des conflits impliquant les membres permanents d’un organe paralysé par leur droit de véto. Il s’agit d’une tare originelle. Toute tentative de reforme a été et sera vouée à l’échec. Récemment encore, le manque de pertinence onusien dans la prévention et la résolution du conflit en Ukraine a été flagrant.

Par contre, l’ONU peut jouer un rôle important dans la mise en oeuvre d’accords bilatéraux entre parties à un conflit sur des thèmes précis à caractère humanitaire, comme l’ouverture de corridors d’évacuation pour la population civile. Dans le cadre du conflit ukrainien, elle met en oeuvre l’accord signé par la Russie et l’Ukraine sur les exportations céréalières conclu sous l’égide de la Turquie. Dans de telles situations, le savoir-faire helvétique avec sa tradition humanitaire, son sens du compromis et de la recherche du consensus, pourra se révéler très utile.

 

Une présence suisse à l’ONU ne peut que renforcer le multilatéralisme

 

Vingt ans après son adhésion, l’entrée de la Suisse à l’ONU n’aura donc pas fondamentalement bouleversé sa politique extérieure, ni modifié radicalement le fonctionnement de cette immense bureaucratie. Néanmoins, dans un monde miné par l’insécurité, les conflits, les déplacements forcés de populations ou le dérèglement climatique, il est plus vital que jamais pour notre pays de bénéficier d’un forum universel pour y défendre ses intérêts, aujourd’hui encore plus qu’il y a vingt ans. Une présence suisse à l’ONU ne peut que renforcer le multilatéralisme à un moment où il est remis en question de toute part. Sans expectatives irréalistes.

 

 

 

 

 

 

Jean-Noël Wetterwald

Jean-Noël Wetterwald a travaillé 34 années pour le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés. Il a servi au Vietnam, au Cambodge, à Hong Kong, au Chili, au Guatemala, en Colombie, en Bosnie et plus récemment en Ukraine. Il a publié trois livres: d'exils, d'espoirs et d'aventures en 2014,le Nouveau roi de Naples en 2017 et tout récemment : témoin d'une déchéance. Contributions occasionnelles à la page d'opinions du «Temps». Il est aussi débriefeur à Canal 9.

4 réponses à “Il y a vingt ans, la Suisse entrait à l’ONU

  1. J’en fais encore des cauchemars.

    Ces 20 dernières années, nos élites ont enterré et anéanti le dur labeur de générations qui se dont succédé pendant + 700 ans !

    Nous ne sommes plus en Suisse, mais dans un état vassal d’un empire autoritaire (UE).

  2. Merci Jean-Noël, intéressant comme toujours. C’est peut-être postérieure à ton blog, mais Guterres s’est pleinement impliqué dans le conflit ukrainien en condamnant sans équivoque l’annexation par la Russie de quatre oblasts ukrainiens. Une condamnation encore plus forte que ne l’était celle de Kofi Annan à propos de la guerre des USA en Iraq. Dans les deux cas il s’agissait de violations de la Charte de l’ONU. Pourrais- tu stp nous faire un tableau comparatif de ces deux violations et des deux réactions des deux Secrétaires-Généraux de l’ONU.

    1. Cher Stephan,
      Mon point sur le manque de pertinence ne se réfère pas au rôle de l’un ou l’autre Secrétaire général, mais à la paralysie structurelle du conseil de sécurité lorsqu’un un de ses membre permanent est partie au conflit. Dans le cas de l’Ukraine, je doute que l’un ou l’autre Secrétaire Général eut pu influencer d’une façon ou d’une autre le cours de la guerre en Ukraine.

      1. Merci. Bien compris. Avec des “mais”:
        – la paralysie du conseil de sécurité est quasi-absolu lorsqu’ un de ses membres permanents est partie au conflit, mais le droit de veto ne s’applique pas lorsque le conseil de sécurité fait appel à l’assemblée générale pour s’exprimer, ce qui s’est produit concernant l’invasion russe de l’Ukraine.
        – il y a aussi une paralysie relative du conseil permanent lorsqu’un protégé d’un membre permanent est partie à un conflit, exemple Israël protégé des USA.
        – les prises de position du secrétaire-général peuvent conforter des parties favorables ou hostiles à une action d’un des membres permanents, je pense aux propos de Kofi Annan au sujet de l’invasion de l’Iraq par les USA, propos qui ont renforcé l’ Allemagne et la France dans leur oposition à cette invasion. De même les propos de Guterres affaiblissent la Russie en Ukraine, il y a impact indirect sur le cours de la guerre dans le long terme, non ?
        Tu as en gros évidemment raison mais j’essaie de nuancer, ai-je tort ? Merci

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