Le temps des réfugiés

Enregistrement audio des auditions d’asile, le SEM considère la chose

Mettre en place l’enregistrement audio systématique des auditions d’asile est inéluctable et le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) le sait. Son directeur, Mario Gattiker, vient de répondre à une lettre signée par 66 professeurs de droit, avocats, juristes, directrices et directeurs des principales associations d’aide juridique aux requérants d’asile. Cette lettre demande l’enregistrement audio des auditions d’asile, de meilleurs formations pour les interprètes et d’autres mesures permettant d’améliorer la qualité des auditions d’asile. 

 

Consensus autour de l’enregistrement audio des auditions d’asile

 

Il existe aujourd’hui un large consensus parmi les spécialistes de l’asile en Suisse. Il faut instaurer un système de surveillance et de vérification des traductions durant les auditions et il faut, selon les spécialistes de l’interprétariat communautaire, renforcer les compétences des interprètes recrutés pour les auditions d’asile. De nombreux avocats, des juristes et des professeurs d’universités le demandent afin de garantir une procédure d’asile de qualité et ainsi les droits fondamentaux des personnes concernées. 

 

D’ailleurs, le SEM a avoué avoir dû licencié des interprètes lorsqu’il y avait des soupçons de partialité. Mais c’est souvent trop tard. En pratique, ni les auditeurs, ni les représentants juridiques, ni les requérants d’asile ne sont capables de constater les omissions délibérées ou les erreurs involontaires des interprètes à moins de maîtriser à la fois la langue d’origine de la personne auditionnée et la langue dans laquelle l’audition est menée. 

 

Le SEM y réfléchit encore alors que la moitié de l’Europe y est déjà

 

Aucune disposition dans la Loi sur l’asile (article 29 LAsi – RS 142.31) ou dans l’Ordonnance 1 sur l’asile relative à la procédure (article 19 OA1 – RS142.311) ne s’oppose à l’enregistrement audio des auditions d’asile. Une modification de pratique est donc possible au moyen d’une directive mais Mario Gattiker n’est pas de cet avis. Voici sa réponse: 

 

Dans le cadre de la mise en oeuvre de la nouvelle loi sur l’asile, le SEM examine attentivement les différents moyens, notamment techniques, d’optimiser les processus. Nos premières évaluations ont révélé que l’enregistrement des auditions impliquerait de régler de nombreux points techniques et organisationnels en partie complexes. A cet égard, la formulation d’une directive ne saurait être suffisante au vu des différents aspects juridiques dont il faut tenir compte. Le SEM se doit de considérer l’ensemble de ces éléments avant d’envisager une telle introduction.” 

 

Voilà où on en est. Au stade de la considération des éléments avant d’envisager l’introduction de l’enregistrement audio des auditions d’asile. En attendant de nombreux pays européens ont déjà instauré ce système. C’est le cas de l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Finlande, la France, la Grèce, Malte, la Pologne et la Suède alors que l’Italie, Chypre et la Hollande sont en voie de suivre leurs voisins. 

 

Il y a deux ans, l’Allemagne a dû gérer un grand scandale de corruption au sein de son Bureau fédéral de l’immigration (BAMF) impliquant quelques fonctionnaires et plusieurs interprètes corrompus. Ces derniers ont manipulé l’issue de 25 000 décisions d’asile en défaveur notamment de requérants musulmans convertis au christianisme. En tout 1 200 interprètes ont été licenciés entre février et avril 2018. 

 

Traîner les pieds c’est ralentir la procédure d’asile

 

Dans sa réponse, Monsieur Mario Gattiker se dit convaincu que la Suisse a l’un des meilleurs système en Europe “grâce aux tests mis en place dans le cadre du recrutement et au système d’assurance-qualité des interprètes” mais les bavures récentes le contredisent malheureusement. Alors, en attendant l’instauration inéluctable de ce système, j’encourage les représentants juridiques à demander simplement l’interruption immédiate de l’audition lorsque leurs mandants soupçonnent l’interprète d’être partial, incompétent ou même anormalement intimidant.

 

Cela risque bien de ralentir la procédure d’asile mais c’est pour la sécurité de la Suisse et pour être sûr que notre procédure permette de protéger les bonnes personnes, pas l’ami du cousin membre du même parti politique que l’interprète ici présent.

 

Lire aussi: 

Asile: les superpouvoirs des interprètes, Le temps des réfugiés (Le Temps), 16 mai 2019

Le sort de la famille Ahmed présenté sur Forum (RTS), Le temps des réfugiés (Le Temps), 13 juin 2019

Plusieurs États européens procèdent déjà à l’enregistrement audio des auditions d’asile. Pourquoi pas la Suisse?, Le temps des réfugiés (Le Temps), 4 octobre 2019

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