Crever de chaud

Cet été, nous avons eu l’impression de « crever de chaud ». Malheureusement, il s’agissait de bien plus qu’une image. Comme le prouve la statistique, les gens meurent plus que d’habitude en temps de canicule. Alors, en attendant, on leur dit de boire beaucoup et de ne pas s’agiter, mais on ne sait quand même pas qui sont ceux qui meurent ni pourquoi. On ne voit pas très bien quelles expériences sur des personnes pourraient nous éclairer.

Or voici qu’un article récent (Jörgensen et coll. 2022 ; explication dans : Clusella-Trullas, 2022) apporte des éclaircissements fondamentaux.

L’étude ne porte pas sur l’homme ni sur la souris, mais sur les animaux ectothermes, c’est-à-dire ceux qui ne peuvent pas se chauffer par eux-mêmes et dont la température est toujours proche de celle de leur milieu. Ce sont, par exemple, les insectes, les poissons, et la jolie petite grenouille dont l’image figure en tête de cet article. Les auteurs étudient la façon dont le métabolisme vital, par exemple celui de la croissance, de l’homéostasie (conservation du milieu intérieur) ou du vieillissement, varie avec la température. Compilant la littérature, et en y ajoutant leurs propres sources, ils constatent que, d’une manière générale, un réchauffement de 1°C accélère le métabolisme d’environ 17%. La chose remarquable est que ce chiffre reste valable dans toutes les espèces et dans toutes les plages de température correspondant au fonctionnement normal de ces animaux. S’amusant (à mon sens de manière osée), avec la formule d’Arrhénius (1898) – un oncle lointain de Greta Thunberg – les auteurs attribuent à chacune de leurs déterminations une énergie d’activation, ce qui permet à tous les chimistes de se sentir à la maison, mais surtout de comparer quantitativement tous leurs résultats. 1351 déterminations sur 314 espèces les conduisent aux valeurs moyennes rapportées dans la 2e colonne du tableau ci-dessous. Dans la marche de la vie, la nature augmente le tempo d’environ 17% par °C (pour une l’énergie d’activation moyenne de 0,48 eV.) Les auteurs insistent sur la cohérence interne de toutes ces données.

Conditions normales (314 espèces ) Canicule (112 espèces)
Changement pour 1°C 17% 100%
Énergie d’activation 0.48 eV 6,13 eV

Mais le but de la présente recherche n’est pas d’étudier le métabolisme normal de ces animaux. Les auteurs veulent le comparer à ce qui se passe en état de stress thermique, c’est-à-dire quand la température dépasse celle à laquelle les animaux vivent confortablement. Ils veulent comprendre comment la canicule tue, étant bien entendu que cette température est différente pour chaque espèce ; la canicule de la fourmi n’est pas la même que celle du poisson.

Ainsi, ce que les auteurs veulent caractériser, ce n’est pas la façon dont la température influence les processus de la bonne vie, mais comment elle induit les défaillances cardiaques ou la mort. Ici encore les résultats sont remarquablement cohérents entre eux, mais, comme le montre la 3e colonne du tableau, ils sont très différents de ceux relevés précédemment. Mesurée sur 112 espèces en situation de canicule, une augmentation de température de 1°C double le taux d’accident physiologique létal (pour une énergie d’activation moyenne 12 fois plus grande que celle des processus de la bonne santé métabolique.)

L’extrême sensibilité thermique du risque d’insuffisance cardiaque, ou autre dysfonctionnement létal, que révèle cette étude peut, peut-être, être comprise dans une logique évolutionniste : quand les limites de la bonne vie sont dépassées, il est avantageux d’arrêter tout de suite.

J’y vois surtout une conséquence terrible. En général, on parle de la crise du climat et de la biodiversité comme s’ils s’agissaient de deux crises plus ou moins indépendantes. Le présent article prouve combien cette vue est erronée ; la perte de la biodiversité – du moins chez les animaux ectothermes – est aussi la conséquence directe de l’échauffement climatique. Ainsi, pour sauver les espèces, il ne suffira pas de leur donner de belles et vastes réserves naturelles, il faut que notre société cesse de consommer les combustibles fossiles, point barre.

Cette conclusion n’est pas nouvelle. L’article de Jörgensen et coll. en renforce l’urgence.

Jørgensen, L.B., Ørsted, M., Malte, H. et coll. Extreme escalation of heat failure rates in ectotherms with global warming. Nature 611, 93–98 (2022). https://doi.org/10.1038/s41586-022-05334-4

Clusella-Trullas, S. The point of no return for species facing heatwaves. Nature, 611, 39-40 (2022). https://doi.org/10.1038/d41586-022-03365-5.

Jacques Dubochet

Jacques Dubochet, professeur honoraire à l'UNIL. Il a développé, dans les années 80, les fondements de la cryo-microscopie électronique qui lui ont valu un prix Nobel de chimie en 2017. Citoyen actif, il est préoccupé par l’impact de la science sur la société. Il croit que c'est la jeunesse qui surmontera la crise du climat et de la vie.

11 réponses à “Crever de chaud

  1. Notre société … ?
    Notre société doit devenir indépendante énergétiquement, et ça se met en place, avec des projet du renouvelable, et avec l’énergie atomique, la neutralité sera atteinte en Europe, c’est certain.
    Mais concernant le climat, cela se passe ailleurs. Le reste du monde est indifférent aux lamentations occidentales. les plus grand pollueurs ou en devenir (Chine, Inde, …) , n’ont pas l’intention de suivre le mantra occidentale. Seule la pollution excessive dans les villes les font bouger.

    L’Europe doit se passer des énergies fossiles aussi vite que possible, mais que ce soit immédiats ou dans 20 ans, ça ne changera rien pour le climat, ça nous permettra juste d’avoir bonne conscience. Pour autant, que ça ne nous empêche de donner l’exemple, mais si notre économie s’écroule, ce sera un contre-exemple pour le reste de la planète.

    Bref, au vu de l’indifférence de la majorité de la planète, l’important est de garder une économie solide pour investir dans la recherche. Et, l’adaptation sera notre avenir, pas un changement brusque qui casse l’économie.

    1. L’énergie atomique n’est pas une solution sur le long terme. Les projets récents ne sont pas fiable (regardez les mises en service problématiques en France des “dernières” générations déjà âgées de plus de 30 ans…)
      Et ne parlons même pas des déchets, piscines de refroidissement et du taux misérable de rendement d’une centrale nucléaire (moins de 30%), rendant tout ce béton bien peu intéressant sur le long terme en bilan énergétique.

      Quand à vos hypothétique investissement dans la recherche, le capitalisme a tué le poussin dans l’oeuf voilà de nombreuses années. Plus aucune entreprise ne fait de la recherche fondamentale. La grande majorité des laboratoires privés ayant porté les années 60, 70, 80 se cantonnent à l’informatique ou pire, n’existent tout simplement plus pour des raisons de coûts ! Les grands affabulateurs parlant d’investissement dans la recherche et de croire en l’économie et l’industrie pour s’auto-réguler et inventer pour sauver la planette ne font que vous vendre un confortable tissus de mensonges. La recherche est presque intégralement portée par les université de nos jours. Et certains partis de droite veulent d’ailleurs réduire les sommes versées à celles-ci.

      Regardez ou nous en sommes pour les plastiques. L’Allemagne vient d’annoncer une taxe colossale aux fabricants d’emballages jetables. En France, ils sont interdits depuis quelques temps. En Suisse? “Nous laissons l’industrie faire” et voilà, il n’y a jamais eu autant de déchets dans la nature chez nous. Prenez une embarcation et voguez sur le Léman une fois. Vous aurez de quoi remplir votre coque de détritus en proximité des rivages Suisses à chaque sortie. Cette passivité va rendre la Suisse de plus en plus dysfonctionnelle.

  2. Le passage par la case adaptation me semble incontournable, car la réorientation de notre système économique, effectivement en cours à divers niveaux, va prendre du temps. L’horizon 2030 (dans 8 ans !) je ne pense pas que cela soit possible. Quant à 2050 (dans 28 ans) pas impossible et 2100 (dans 78 ans) certainement possible. Mais à quelle niveau de température ? Personnellement je n’oublie pas que l’équilibre thermique entre terres émergées et les océans va aussi influencer la température ambiante résultante sur notre planète.

  3. L’hiver aussi tue – et sans doute beaucoup plus, quand on voit que les zones très froides sont naturellement moins densément peuplées depuis toujours.
    L’hiver sans chauffage et dans la misère économique pour les humains nous rappellera des maladies oubliées.
    D’autant plus qu’on nous parle de possible rupture d’approvisionnement de certains antibiotiques.
    D’où la nécessité de revenir aux fondamentaux – qu’est ce qui est essentiel à la vie?
    Qu’est-ce que la pollution? Où sont les priorités de l’Etat face aux grosses difficultés économiques qui nous pendent au nez.

  4. D’une part, vous défendez l’urgence climatique (réelle). D’autre part, vous serez sollicité par les zadistes pour bloquer chacun des projets…

    https://www.blick.ch/fr/news/suisse/des-choix-controverses-voici-les-projets-hydroelectriques-secrets-de-la-confederation-id18083642.html

    Que leur répondrez-vous ?
    Que vous êtes de leur côté, et vous opposerez aux projets pour nous sauver ?

    Ou serez-vous du côté de nos autorités et leurs 15 projets urgents ?

  5. Notre corps existe grâce aux aliments, à l’oxygène et à l’eau ingérées, comme un animal ou un végétal.

    Nous « existons » aussi parce que nous avons conscience que notre corps interagit avec ce et ceux qui nous entourent. Nous cherchons à stabiliser notre existence en stabilisant l’extérieur de nous-mêmes.

    L’arbre, la grenouille ou le galet du Rhône ignorent cela dans leur bienheureuse innocence. Peut-être, peut-être pas car une particule d’eau pourrait être sensible à beaucoup de choses.

    Avec le Toumo, il serait possible de contrôler notre capacité de résistance ou modifier notre métabolisme. L’homme a peut-être bien plus de ressources à l’intérieur de lui-même qu’il ne le pense.

    Le galet du Rhône et la planète survivront mais sauver l’espèce humaine est une autre affaire !

  6. Une fois de plus, on lit que la Chine et l’Inde polluent plus que nous. C’est évidemment logique, parceque leur population est immensément plus importante que la nôtre. Il faut mesurer les émissions par habitant et non par pays. Et en plus il ne faut pas oublier qu’une part significative des émissions de ces pays est dûe à une production industrielle exportée dont nous sommes les consommateurs. En remettant ces chiffres à plat, et en tenant compte des émissions historiques cumulées qui sont naturellement bien plus élevées chez nous que chez eux, on n’a plus qu’à se taire, payer pour réparer les dommages climatiques subis dans d’autres parties du monde, et arrêter le plus vite possible d’émettre des gaz à effet de serre.

  7. Bonjour Monsieur,

    Je profite de ce très instructif travail de recherche que vous nous livrez, pour poser une question ( plus globale, j’en conviens) au scientifique reconnu que vous êtes. ( Je profite de chaque circonstance où je croise un chercheur pour poser cette question ).

    Pensez-vous qu’ aujourd’hui, période de lobbys et d’affrontements d’idées très marqués, le monde scientifique dispose des moyens suffisants et d’interlocuteurs impartiaux ( gouvernements, ministères, donateurs…) pour mener leur travail dans les meilleures conditions pour obtenir des résultats ( ou au moins des orientations ) ?

    Vous remerciant,

  8. Bravo Suzanne, en dehors de nos tergiversations sur la manière de gérer la crise climatique, il nous reste peut-être un peu de bon sens pour changer notre manière de consommer. C’est à chacun d’analyser là où on peut réduire notre impacte et si tout le monde arrive à cet état de conscience, peut-être y arriverons nous. Malheureusement pour la plupart des habitants de la planète, la préoccupation première est de lutter pour leur survie. Difficile pour moi de juger comment on peut y arriver.

  9. Peut- être que je dois mettre mon chat dans le frigo ce prochain été. cela me crève le coeur de le voir souffrir de la chaleur.

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