Quel temps va-t-il faire ?

Vers l’équateur, parce que c’est là que le soleil apporte le plus d’énergie, que la végétation est dense et que l’humidité est abondante. L’air, ainsi chauffé, se refroidit en montant, déverse son eau sous forme de pluie et continue, au Nord ou au Sud, en un fort courant de haute altitude qui redescend dans les zones subtropicales sud ou nord. De là, il revient vers l’équateur sous forme des vents alizés. Les courants du Nord et du Sud se retrouvent finalement à la zone de convergence intertropicale (ZCIT) et le cycle recommence. Il porte le nom du météorologue qui l’a décrit pour la première fois : c’est la circulation de Hadley. C’est ainsi que la zone tropicale lui doit sa végétation exubérante où vit une grande partie de l’humanité et qu’elle est limitée au Nord et au Sud par les zones de hautes pressions subtropicales où se concentrent les principaux déserts de la planète (illustration ci-dessus). Se pose alors la question : comment la circulation de Hadley va-t-elle évoluer avec le changement climatique anthropique qu’induit l’usage généralisé des combustibles fossiles ? La plupart des modèles prédisent pour la fin du siècle une forte diminution dans la partie nord et un renforcement au Sud. Le GIEC considère ces conclusions avec prudence. Il estime que ces prévisions manquent de solidité. En fait, les observations que l’on peut déjà faire vont bien dans le sens du renforcement de la circulation au sud de l’équateur, mais l’affaiblissement au Nord n’est pas clairement observé jusqu’ici.

Un récent article par Rai Chemke de l’Institut Weizmann en Israël et Janni Yuval du MIT à Cambridge US (Nature 18 mai 2023) reprend l’ensemble des analyses et y apporte un peu de clarté.

Personnellement, j’en tire deux conclusions.  La première est que, même pour les meilleurs spécialistes, il est bien difficile d’analyser les grandes tendances des mouvements atmosphériques, bien plus encore d’en prévoir l’évolution dans les décades à venir. Les auteurs analysent en détail les données disponibles et les confrontent avec les différents modèles informatiques destinés à les simuler.  Si je comprends bien, durant ces dernières décennies, les alizés sont devenus moins réguliers, ce qui induit plus de variation de la température au sol et une plus grande difficulté à en déduire l’effet sur les courants atmosphériques. Bref, sous les tropiques, comme chez nous, le temps est devenu plus capricieux.  Fort de ces constatations, les auteurs reprennent l’ensemble des données et des modèles et concluent que la circulation de Hadley va considérablement diminuer d’ici à la fin du siècle et que cet effet est directement lié à l’échauffement climatique anthropique. Il s’agit d’un travail de spécialiste que je suis bien incapable de juger, mais le résultat semble quantitativement fort, unificateur et robuste. Visiblement, il a passé le test de la vérification par les pairs.

La deuxième remarque qui me vient à l’esprit en étudiant cet article concerne les conséquences des résultats présentés. Selon mes vues naïves, j’imagine qu’une nette diminution de la circulation de Hadley va calmer la zone de convergence intertropicale (ZCIT). Conséquemment, sous les tropiques, il y aura moins de courant ascendant et moins de pluie. En contrepartie, la haute pression subtropicale faiblira ; le Sahel va peut-être reverdir. Hélas, ce ne sont pas les conclusions que tirent les auteurs. En fait, ils auraient beaucoup à dire, mais ils restent prudents. En lisant leur courte conclusion, il me revient le souvenir (approximatif) de la célèbre phrase concluant l’article de 1952 par lequel Watson et Crick révélaient la structure de l’ADN ; ses conséquences n’ont pas fini de nous bousculer : « Il n’a pas échappé aux auteurs que le modèle proposé pourrait avoir des conséquences en biologie. » Chemke et Yuval ne sont guère plus bavards; ils concluent  ainsi : « Étant donné l’importance de la circulation dans les basses latitudes, la récente diminution du courant suggère qu’il aura de larges conséquences sur le climat des régions tropicales et subtropicale. »

« Larges conséquences », de quoi s’agit-il ? La préservation du plus riche biotope de la planète et la survie de quelques milliards d’êtres humains.  Rien que ça !

Référence :

Chemke, R., Yuval, J. Human-induced weakening of the Northern Hemisphere tropical circulation. Nature 617, 529–532 (2023). https://doi.org/10.1038/s41586-023-05903-1

La crise de la vie coûte cher et son prix augmente

La crise du climat, chez nous, tout le monde la connaît et, mis à part quelques ahuris qui, bizarrement, trouvent quand même la voie des médias, chacun se rend compte qu’il y a là un vrai problème. Par contre, la crise de la vie et de la biodiversité semble beaucoup moins troublante. Pourtant, du climat en folie ou de la biodiversité qui s’effondre, quel est le pire ? Un article tout récent (Turbelin, 2023), que je n’aurais certainement pas remarqué s’il ne m’avait été envoyé par un ami attentif (merci à lui), essaie de répondre à cette question en évaluant les coûts de chacune des deux formes de dégâts. Ils sont si différents que l’exercice est difficile. Pourtant, le résultat me semble convaincant. Il est sûrement important.

(suite…)

Lire la suite

Trou noir

Dans la Rome antique, Caton ajoutait à toutes sauces sa conviction qu’il fallait détruire Carthage. Cela devait être un peu barbant à la longue. Quant à moi, dès que j’ouvre le bec, j’ajoute : « il est vital et urgent de sauver la vie et le climat ».
Voilà, c’est fait, je l’ai redit.

 

Un phénomène mystérieux qui devient un peu compréhensible est pour moi l’objet d’une vraie satisfaction. Un récent article (Ref. 2) m’a joliment donné ce plaisir que je vais essayer de partager. Il s’agit de trous noirs (TNs). (suite…)

Lire la suite

Bizarrerie énergétique

Au 19 :30 du 13 décembre, la RTS annonçait : « La fusion nucléaire réussie pour la première fois aux États-Unis », https://www.rts.ch/info/sciences-tech/technologies/13620530-la-fusion-nucleaire-reussie-pour-la-premiere-fois-aux-etatsunis.html. Revenez à cette émission, ses explications et ses interviews parce que la nouvelle, tournant en boucle dans tous les médias du monde, vaut le détour. Il est dit que le processus par lequel le soleil produit son énergie a été réalisé pour la première fois sur terre dans une machine nommée NIF.  Les mots semblent trop faibles pour exprimer la grandeur de l’accomplissement.  On croit comprendre qu’il s’agit d’une percée décisive, promesse d’électricité durable, propre et sans limite.

Le résultat annoncé est en effet remarquable, mais la réalité que cache cette agitation est bien différente. Plusieurs articles nous l’expliquent, par exemple : Mecklin, J., The Energy Department’s fusion breakthrough: It’s not really about generating electricity. The Bulletin of the Atomic Scientists. 16.12 2022.

(suite…)

Lire la suite

Crever de chaud

Cet été, nous avons eu l’impression de « crever de chaud ». Malheureusement, il s’agissait de bien plus qu’une image. Comme le prouve la statistique, les gens meurent plus que d’habitude en temps de canicule. Alors, en attendant, on leur dit de boire beaucoup et de ne pas s’agiter, mais on ne sait quand même pas qui sont ceux qui meurent ni pourquoi. On ne voit pas très bien quelles expériences sur des personnes pourraient nous éclairer.

Or voici qu’un article récent (Jörgensen et coll. 2022 ; explication dans : Clusella-Trullas, 2022) apporte des éclaircissements fondamentaux.

(suite…)

Lire la suite

Les mutations synonymes ne le sont guère

Peut-on parler de science au moment où la canicule sévit, que la guerre est juste à côté, qu’il est question que notre économie s’effondre et que, bien sûr, il n’est plus temps de penser au climat en folie, au vivant qui meurt et aux jeunes qui croient encore que l’on peut faire quelque chose ? Eh bien, le titre de ce blog offre la réponse : comprendre parce que c’est important. Alors quand on ne comprend plus grand-chose au monde humain, il est d’autant plus important d’observer la nature et d’apprendre d’elle. Je m’y efforce et, de temps en temps, je partage sur ce blogue une observation qui a enrichi ma connaissance.

(suite…)

Lire la suite

Climat. Pourquoi n’agissons-nous pas ? La réponse de Sébastien Bohler.

Une question ne cesse de me tarauder : comment se fait-il que la plupart de nos concitoyens sachent que nous courons à la catastrophe, mais semblent s’en ficher éperdument ? Deux bouquins du neurobiologiste français Sébastien Bohler proposent un important élément de réponse. “Le bug humain” (1) est petit, mais dense. C’est un best-seller depuis deux ans déjà. Le deuxième a pour titre “Où est le sens” (2). Il reprend le thème du premier en ajoutant une couche d’éléments nouveaux. Sur le même sujet, je conseille encore la synthèse de Sousan Jourdan et Jacques Mirenowicz publiée dans La Revue durable (3).

De quoi s’agit-il ?

D’abord un élément de prudence. Bohler tente de nous faire comprendre comment le fonctionnement du cerveau façonne la société. Or, le cerveau est une chose compliquée, la société aussi. Son explication tient-elle la route ? L’ai-je bien comprise ? N’en jugez pas à mon commentaire, lisez plutôt ces livres. Personnellement, je les ai trouvés importants.

(suite…)

Lire la suite

Prix Nobel de physiologie ou de médecine

On m’a souvent demandé : « Votre cryo-microscopie électronique, pratiquement, ça sert à quoi ? » Le plus souvent, je répondais: « Un peu de patience, vous verrez bientôt !»

Et on a vu ; avec le Covid-19 par exemple. En février 2020, la cryo-microscopie électronique a révélé la structure de la molécule attaquante (le spicule du virus) à peine quelques semaines après que les Chinois aient communiqué l’identité génétique du virus. Depuis lors, à chaque nouveau variant, la cryo-microscopie est en première ligne pour dire s’il faut s’en inquiéter sérieusement ou pas trop.

On aurait aussi pu le voir le 6 octobre de cette année lors de l’annonce du prix Nobel de physiologie si la presse romande avait fait remarquer que c’est par la cryo-microscopie électronique qu’Ardem Patapoutian et Davis Julius ont pu révéler comment fonctionne la sensibilité au goût et au toucher. Pour l’apprendre il fallait aller un peu plus loin. Ici, par exemple : https://www.nature.com/articles/d41586-019-03955-w

Eh oui, la cryo-microscopie électronique, ça peut servir. Par exemple pour obtenir un prix Nobel. Oserais-je parier qu’il y en aura d’autres ? Un peu de patience, vous verrez bientôt.