Cette année, non seulement deux historien.nes participent au programme de résidence, mais les deux étudient des ordres religieux du début de l’époque moderne. Tandis que Stefano Rodrigo Torres – en témoigne sa contribution au blog du 19 octobre – a investigué la Mission jésuite extra-européenne et son historiographie, je me suis penchée sur l’ordre bénédictin, un sujet de niche de l’histoire des religions, qui a longtemps été négligé dans les recherches du début de l’époque moderne. Car même si les études sur le catholicisme de cette époque s’accordent à attribuer une grande valeur sociale aux ordres religieux masculins, comme forme de vie spécifiquement catholique, pour leur rôle d’intermédiaires entre les représentants de l’église catholique universelle et les sociétés locales, reste qu’il manque des études avec un accès historique culturel et social dans un contexte européen. Mais tel n’est pas le cas des communautés religieuses féminines ! C’est bien grâce à des études en région italienne que la recherche sur les us et coutumes de la vie monacale, sur les débats quant au maintien de l’observance aux Règles et au cloître, ainsi que sur les relations familiales des religieuses, que nous avons pu récolter de précieuses informations sur les fonctions que jouaient ces communautés au début de l’époque moderne.
Les milieux d’un prince-abbé
Mon projet se propose d’examiner le clergé de l’Ordre des Bénédictins dans la Confédération catholique du XVIIèsiècle. Je me suis plus précisément intéressée aux milieux de vie d’un abbé bénédictin vers la fin du XVIIè siècle. Dans ce contexte, j’étudie la manière dont Celestino Sfondrati (1644–1696) a su naviguer et faire sa place, entre famille d’origine, vie quotidienne du monastère, fonctions laïques gouvernementales et ambition universelle de l’Eglise catholique au début de l’époque moderne. Ainsi, il est parfaitement possible de présenter d’un côté les relations de la Confédération catholique avec la région du Nord de l’Italie et avec la Curie romaine, et de l’autre les pratiques symboliques de communication d’auto-positionnement dans la société catholique de cette époque. A un niveau plus large, on voit clairement apparaître les fonctions exercées par les ordres religieux masculins dans l’Europe du début de l’époque moderne.
Le personnage même de Celestino Sfondrati est remarquable, lui-même étant issu d’une famille de la noblesse lombarde qui a donné un pape en la personne de Grégoire XIV à la fin du XVIè siècle. Son activité comme abbé était d’entrée de jeu marquée par des liens très étroits avec la région italienne, en particulier avec le Milan espagnol et la Curie romaine. Tandis que, d’un côté, Celestino Sfondrati se profilait comme un abbé réformateur, défenseur de l’Eglise universelle de Rome et néanmoins virulent critique du népotisme papal, de l’autre ses influentes relations familiales pesèrent de tout leur poids dans sa fonction d’abbé et dans sa carrière, lui valant de devenir cardinal. A la fois comme un phénomène exceptionnel et comme un cas normal, la présente étude analyse les milieux de vie d’un prince-abbé saint-gallois entre des horizons normatifs concurrentiels. Il n’est pas faux de penser que, si Celestino Sfondrati a fini sa vie à Rome comme cardinal, c’est par le truchement de ses relations personnelles, limitant ses niveaux d’action locale à un calendrier de réformes spécifiquement romain. Partant du cas unique, le regard suit le parcours de Celestino Sfondrati, qui s’élève jusqu’à cet (presque) ultime honneur de l’Eglise catholique, ainsi que les pratiques de communication qui ont permis aux prêtres bénédictins de se mêler activement aux affaires du monde et de toujours naviguer entre observance à la Règle et « mondanités ».
Celestino Sfondrati a entretenu un vaste réseau de correspondants dont on retrouve la trace dans les archives les plus diverses. Certes, mes investigations puisent essentiellement dans le riche patrimoine des archives du couvent de Saint-Gall. Hormis les fonds saint-gallois, les sources les plus importantes et les plus complètes sont les archives de la nonciature apostolique à Lucerne et sa correspondance avec le secrétaire d’Etat, toutes deux abritées dans les archives du Vatican.
Un cardinal saint-gallois à Rome
Cette résidence à l’Istituto Svizzero clôt d’une façon merveilleuse un cycle qui avait débuté en janvier 2019 par mes premières recherches aux Archives apostoliques du Vatican. A part finaliser le premier jet de ma thèse, je souhaite utiliser mon séjour dans la résidence à Rome pour explorer le bref séjour que Sfondrati, fait cardinal, a passé à Rome. Après la promotion cardinalice longuement attendue en décembre 1695 ordonnée par le pape Innocent XII, Celestino Sfondrati aspire à son transfert rapide dans la Ville éternelle. Il se retire de sa fonction de prince-abbé du monastère de Saint-Gall, règle sa succession, quitte à la mi-janvier 1696 ses anciennes seigneuries ecclésiastiques et la Confédération dans une sorte de train triomphal en direction de l’Italie. Afin de rejoindre la Curie dans les plus brefs délais, le nouveau cardinal avait souhaité garder l’anonymat pour son périple à travers l’Italie. Le 9 février 1696 le cardinal Celestino Sfondrati arriva enfin à Rome. Grâce à ses excellentes relations, construites et entretenues de longue date, il sut tout de suite trouver sa place à la Curie. Cependant, ses bonnes relations ne lui servirent que peu de temps, son état de santé se dégradant, avant de s’empirer jusqu’à son décès le 4 septembre à l’âge de 52 ans. Le cardinal Celestino était le descendant de feu le cardinal neveu Paolo Emilio Sfondrati, dont le titre cardinalice était attaché à Santa Cecilia in Trastevere. Sa dépouille fut inhumée dans la crypte de l’église, tandis que son cœur, embaumé, fut rapatrié à Saint-Gall. Aujourd’hui encore, une épitaphe à Saint-Gall et une à Santa Cecilia in Trastevere au cœur de Rome rappellent son souvenir. Partant de ce repère, je me réjouis des nombreuses autres découvertes et mentions sur le court séjour que Celestino Sfondrati fit dans la Ville éternelle.
Giuanna Beeli (1994) – Histoire
Giuanna Beeli a étudié l’histoire, l’anthropologie sociale et le romanche auprès des Universités de Berne et de Fribourg. En tant qu’assistante de recherche des Archives de l’Abbaye de Saint-Gall, elle s’est concentrée sur la figure de Celestino Sfondrati (1644-1696), le prince-abbé bénédictin du célèbre monastère de Saint-Gall qui reçut le chapeau de Cardinal des mains du pape Innocent XII en 1695. Dans sa thèse actuelle, financée par le FNS, elle se penche sur le règne de Sfondrati pour examiner, dans une perspective d’histoire sociale, culturelle et politique, comment les ordres religieux et le clergé ont assumé des fonctions importantes au sein des sociétés catholiques du début de l’ère moderne, par le biais d’interconnexions et de pratiques symboliques-communicatives. À Rome, elle étudie comment la Curie romaine et la réforme tridentine ont contribué de manière décisive au cursus honorum de Celestino Sfondrati.