Pour la relève post-pandémie, il faudra rêver en vert

Le monde a besoin d’un green new dream pour changer les mentalités autant que le modèle économique. C’est le point de vue de Jai Jagat, une marche gandhienne partie de Delhi l’année passée et arrivée à Genève fin septembre

« A Genève, nous sommes les gagnants de l’économie mondiale et cela nous confère une responsabilité particulière : nous émettons 12 tonnes de CO2 par habitant, alors que la neutralité carbone se situe à 1 tonne. Nous devons donc diviser nos émissions par 12 » déclarait Antonio Hodgers lors d’une journée de réflexion sur « La relève par l’économie verte et non violente » organisé le 2 octobre à Genève par Jai Jagat. Ce mouvement d’exclus indiens était arrivé quelques jours auparavant au bout du Léman, après une marche partie de Dehli l’année passée et interrompue en mars en Arménie par la pandémie.

Pour le président du Conseil d’Etat genevois, il est clair que les pauvres des pays en développement devront consommer plus pour réaliser leurs droits fondamentaux – alimentation, santé, logement. « C’est donc à nous Occidentaux de réduire notre consommation de biens non essentiels pour permettre à d’autres de consommer. Ce mouvement doit être doux et inclusif pour nous soucier des emplois qui vont être détruits et de ceux qui seront créés par la transition. Il ne faut pas seulement un green new deal, mais un green new dream. Le monde de demain sera fait d’un certain renoncement matériel, mais aussi d’une nouvelle richesse. Ce sera un monde plus apaisé, qui valorise davantage la dimension culturelle, spirituelle et relationnelle que la dimension matérielle et consumériste. »

Deux milliards de travailleurs en situation précaire

Olivier de Schutter, président de Jai Jagat International et rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme est formel : nous vivons la plus grande crise économique et sociale depuis la grande dépression de 1929. Il estime que la mise en coma artificiel de l’économie va jeter 176 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté – calculée à 3,20 USD par jour –, auxquelles il faut ajouter 1,4 milliards de personnes dans l’économie informelle. Si on y ajoute les 600 millions de « faux indépendants », cela fait deux milliards de travailleurs en situation précaire !

En Inde le confinement a eu un impact dévastateur sur 65 millions de travailleurs migrants, qui représentent 90% de la main d’œuvre nationale. Pour les aider à se nourrir, se soigner et trouver un emploi, Siddharta Prakash a lancé la Daily Wage Worker Platform, une plateforme basée à Genève qui met en relation plus de 200 initiatives dans toute l’Inde.

Dans quelques jours, Olivier de Schutter présentera un rapport sur une transition juste à l’Assemblée générale de l’ONU: « La relève que nous voulons ne doit pas choisir entre verdir et réduire la pauvreté et les inégalités, déclarait-il en vidéo conférence. Nous devons choisir un modèle de développement qui cesse de faire tout reposer sur la croissance économique pour mettre au centre la question de la redistribution et de la lutte contre les inégalités.» Ajoutant qu’il faut aller vers une économie non violente, en corrigeant les impacts des rapports de force du marché par une fiscalité progressive qui finance des politiques sociales compensatoires et construire une économie inclusive « qui intègre et donne à chacun sa place, au lieu d’exclure en mondialisant la concurrence. »

Reconnaître le crime d’écocide

A la crise sociale s’ajoute la crise climatique. Deux milliards de personnes risquent de devoir quitter leur territoire en 2080 à cause des sécheresses et de la montée des eaux. La juriste Valérie Cabanes plaide pour la reconnaissance de l’écocide comme crime contre la paix et la sécurité humaines. Elle est la co-fondatrice de Notre affaire à tous, une association qui a fait recours contre l’Etat français pour inaction climatique. « Fin 2018 nous avons lancé une pétition pour permettre aux citoyens de s’associer au recours, qui a reçu 1’800’000 signatures en une semaine. Et maintenant nous attendons la décision du tribunal », détaillait-elle. L’inspiration est venue de Urgenda, un collectif de citoyens hollandais qui, l’année passée, a fait condamner le gouvernement des Pays Bas par un tribunal national à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25% jusqu’à fin 2020. Une première.

Jean Fabre, ancien directeur adjoint du PNUD à Genève, estimait quant à lui que « l’économie n’est pas bienveillante. L’être humain est considéré comme un porte-monnaie sur pattes, tout le monde est en compétition. Il faut passer à une économie qui prenne soin des autres et de la nature, dans l’esprit de Gandhi.»

Coopérative d’habitation, monnaies locales et labels de durabilité

Il a donné l’exemple du logement : tout propriétaire espère que son bien prendra de la valeur, alors que pour beaucoup le prix du marché est un obstacle à l’accès au logement. « C’est très réjouissant de voir qu’1/5 des nouvelles constructions à Zurich sont des coopératives !», lançait-il. Les monnaies complémentaires sont un autre exemple d’économie alternative. Si le léman peine un peu à décoller au bout du lac, en Sardaigne le sardex a permis d’amortir les conséquences de la crise économique de 2008 en relocalisant une partie de l’économie. Aujourd’hui il a atteint un volume d’échanges de plus de 100 million d’euros et une croissance de 15% – 20% an.

B-Lab Suisse affirme certifier les entreprises qui respectent des critères sociaux et environnementaux précis et les pousser à changer de statut juridique. « Si on veut promouvoir  cette économie non violente comme véhicule économique de développement il faut lui donner le bon permis de conduire, déclarait Jonathan Normand, son fondateur. Le conseil d’administration doit suivre l’impact sur toutes les parties prenantes. On estime que pour financer l’Agenda 2030 de l’ONU pour le développement durable il faut 7’000 milliards de dollars. Cela ne représente que 8% des actifs en circulation dans l’économie actuelle. C’est tout à fait possible donc, il faut juste donner le bon permis de conduire aux entreprises. »


Une version de cet article a été publié par l’Echo Magazine

Le vendredi, c’est transition

Photos de la rade de Genève © Isolda Agazzi

A Genève, le vendredi, des personnes de tous horizons se réunissent pour discuter de monnaie complémentaire, de l’initiative Genève 0 pub, du moratoire sur la 5G… Pour un monde en transition post-spéculation et post-carbone, qui oscille entre économie solidaire et décroissance.

Il fut un temps où le vendredi était jour de jeûne. Désormais c’est le jour où l’on réfléchit à une vie plus frugale pour respecter les limites de la planète. Du moins à Genève, où une vingtaine de personnes se retrouvent à la Maison des Associations pour les Vendredis de la transition, une initiative lancée par les Quartiers collaboratifs et Monnaie léman, en collaboration avec le Colibri, le mouvement de Pierre Rabhi, et animée notamment par Jean Rossiaud, député au Grand Conseil. C’est l’expression locale des Villes en transition – vers un monde post-carbone, post-nucléaire et post-spéculation –, un mouvement lancé en 2006 en Grande Bretagne par Rob Hopkins, devenu mondialement célèbre grâce au film Demain – et dont il existe un Demain Genève et un Après-demain.

« Nous avons quatre slogans : Il existe des solutions immédiates et concrètes au dérèglement climatique ; chacun doit faire sa part ; faisons de nos quartiers des communs et des logiciels libres ; sortons nos lémans comme une carte d’identité de la transition, nous explique l’élu Vert. L’idée est de réinventer la production, la consommation, la démocratie et la gouvernance. Nous avons lancé la monnaie locale le léman, qui est une initiative immédiate et concrète pour relocaliser la production et la consommation en les orientant vers la durabilité.»

8000 monnaies locales dans le monde, dont une quinzaine en Suisse

Il y a 8’000 monnaies locales dans le monde, dont une quinzaine en Suisse, nées pour la plupart après la crise financière de 2008. « On s’est beaucoup inspirés du Wir, une monnaie créée après la crise de 1929 par des entrepreneurs pragmatiques de Zurich et de Bâle. Ils se sont dit qu’il n’y avait pas de raison que la crise à New York, qui avait asséché les marchés financiers, se répercute en Suisse, où il y avait l’un des meilleurs appareils productifs d’Europe, des employés qualifiés et des clients pour leurs produits. Ils ont donc lancé une monnaie qui fonctionnait comme une sorte de troc multilatéral, un crédit mutualisé pour que l’argent circule localement.»

Même si elles visent à relocaliser la production et la consommation, les monnaies locales n’échappent pas à l’idée que la richesse d’un pays se mesure à la somme de ses transactions. « Les entreprises qui adoptent le léman veulent participer à la création de richesse, précise Jean Rossiaud, mais en s’orientant collectivement vers la durabilité. Plus on travaille en léman, plus on fait croître l’économie durable au détriment de l’économie gaspilleuse et spéculative. Nos entreprises désirent redonner du sens à leurs services et proposer des prix «  justes ». Aujourd’hui 550 entreprises acceptent cette monnaie dans le bassin lémanique, dont 75% à Genève. De plus en plus de communes s’y mettent aussi officiellement.

Il précise que l’objectif des Vendredi de la transition, c’est d’offrir un espace à toute personne qui a une idée de projet et veut faire quelque chose d’immédiat et concret. Il y a eu des jardins urbains, un collégien qui voulait vendre des lémans dans son collège, un projet 0 déchets dans l’éco quartier de Meyrin… L’un des succès les plus fulgurants du mouvement, c’est le moratoire sur la 5G: l’idée est née un vendredi, la Coordination genevoise pour le moratoire a été lancée le vendredi suivant, avec communiqué de presse, envoi de la lettre à toutes les communes et circulation de la pétition suisse. Dans la foulée, les cantons de Genève et Vaud viennent de décréter un moratoire sur l’installation des antennes 5G tant que l’impact sur la santé n’a pas été étudié.

Initiative Genève 0 pub validée le 17 avril 

Un autre succès majeur des Vendredis de la transition, c’est l’initiative Genève 0 pub. « L’initiative a été lancée par le Réseau d’Objection de Croissance (ROC) en janvier 2017 lorsque, suite au changement du concessionnaire de publicité, on a vu fleurir en ville des panneaux blancs qui ont été tout de suite colonisés par des mouvements populaires artistiques, nous raconte Lucas Luisoni, du ROC Genève. Au sein des Vendredis de la transition, avec d’autres organisations comme le GLIP, le Collectif Genève sans publicité et les Quartiers collaboratifs, on a mis en place un mécanisme pour aboutir à une initiative municipale afin de libérer les rues de la publicité commerciale. Celle-ci a recueilli les 4’000 signatures nécessaires. Le Conseil d’Etat a décrété que cette initiative n’était que partiellement constitutionnelle, mais nous avons fait recours auprès de la Chambre constitutionnelle et nous avons gagné. Le 17 avril, le Conseil d’Etat a définitivement déclaré l’initiative valide et il va l’envoyer au Conseil administratif de la Ville, qui décidera s’il la met en œuvre directement ou s’il la fait passer en votation populaire. »

Pour le ROC la publicité est un moteur de croissance économique qui entraîne la diminution des ressources en transformant nos désirs en besoins. Le Réseau est né en 2008 – une date charnière, qui a marqué un véritable tournant dans les réflexions sur une économie alternative. Suite à la célébration de la journée mondiale sans achats, des gens ont voulu susciter une prise de conscience sur la fièvre acheteuse « car aujourd’hui les ressources disponibles diminuent. Décroissance c’est un terme coup de poing, qui n’existe même pas en économie car on préfère parler de croissance négative. Pourtant il est urgent de réfléchir à une économie qui respecte l’environnement et ne creuse pas encore davantage l’écart entre les revenus», ajoute Lucas Luisoni.

La décroissance, surtout pour les riches

Quelle est alors la différence entre décroissance et récession ? « La décroissance c’est la reconnaissance que l’on peut vivre mieux avec moins. C’est la frugalité heureuse, dans le sens des mouvements de protection de l’environnement. » Mais peut-elle s’appliquer à tout le monde ? « J’ai travaillé au Niger, où les gens survivent avec moins de 2 USD par jour. C’est évident que dans ce pays il faut une croissance soutenue – même 6% – 7% par an ce n’est pas assez vu l’augmentation de la population. La décroissance doit commencer par les riches, que ce soit les pays riches ou les riches au sein de ceux-ci. Car l’effet de ruissellement défendu par le système capitaliste, à savoir l’idée que tôt ou tard la croissance finira par bénéficier à tout le monde, ne marche pas. »

Nous insistons : la décroissance n’entraîne-t-elle pas le chômage? « Cela dépend des mécanismes de l’emploi mis en place, répond Lucas Luisoni. Il faudrait une répartition plus équitable du travail et une réflexion sur quel travail pour quel argent. Si on achète tout sur internet pour passer plus de temps en famille, un jour nos enfants vont se retrouver à travailler toute la journée dans un hangar pour Amazon. De toute façon, avec la robotisation, il y aura une  réduction du besoin de travail. Il faudra réinventer de nouveaux emplois dans le domaine social et relationnel, ou accepter le principe du revenu de base universel, que nous avons défendu. »

Le représentant du ROC Genève en est convaincu : le discours sur la décroissance est de plus en plus audible. Il affirme que le mouvement représente 15% de la population mondiale, qui cherche des solutions dans la transition, la relocalisation de l’économie, le partage plus équitable, la réparation plutôt que l’obsolescence programmée – bref des dynamiques qui permettent d’envisager l’avenir avec moins de scepticisme. « Car on ne peut pas imaginer un monde avec un futur viable sans réfléchir à un changement radical de modèle économique. »


Cet article a été publié aussi dans Bon pour la Tête, dans le cadre d’un dossier sur la décroissance

Demain, à Genève, la vie sera plus verte. Ailleurs aussi

Photo: la rade de Genève © Isolda Agazzi

L’engouement pour Demain Genève ne tarit pas. Le documentaire genevois, qui présente des solutions locales pour le développement durable, s’exporte en Suisse romande et fait des émules à l’étranger. Car les problématiques qu’il aborde sont universelles, que ce soit au Nord ou au Sud du monde.  

La file d’attente devant le cinéma Les Scala, à Genève, est exceptionnelle. Le film que la plupart des spectateurs sont venus voir ? Demain Genève, un documentaire qui fait salle comble depuis deux mois et avoisine les 6’000 entrées. Le temps maussade de ce jour férié et la curiosité compréhensible des spectateurs pour des images qui leur sont familières (et un sujet qui ne l’est pas forcément) n’expliquent pas tout : comme son précurseur, Demain, dont il s’inspire ouvertement, Demain Genève est un véritable phénomène de société, destiné à susciter des vocations dans d’autres villes et bien au-delà de la Suisse.

Le sujet est relativement simple : comment réaliser le développement durable, ici et maintenant? De jeunes Genevois ont  pris leur caméra pour montrer que dans leur ville aussi des solutions existent, à commencer par quelques secteurs clé : l’économie sociale et solidaire, l’agriculture de proximité, la gouvernance participative, les énergies alternatives, l’habitat durable. Faute de moyens, et bien dans l’esprit du film, ils se sont tournés tout naturellement vers les réseaux sociaux pour solliciter un financement participatif. «Nous avons rassemblé 106’000 CHF en 45 jours, c’est de la folie ! S’enthousiasme Grégory Chollet, le responsable marketing. Des apports complémentaires par des entreprises privées et des fondations nous ont permis de boucler le budget du film : 250’000 francs. » Un film tourné en un temps record : de juin 2016 à octobre 2017.

400 projets recensés à Genève

« On ne s’attendait pas à trouver autant d’initiatives à Genève ! Renchérit Gwendolyn Cano, une autre responsable de l’équipe. Au début on se demandait même si on allait avoir assez de projets pour nourrir un film, mais finalement il y en a beaucoup plus que nous imaginions. On a reçu des centaines de sollicitations et, lors du lancement de la campagne participative, il y avait 900 personnes ! L’association Demain Genève, que nous avons créée, recense à ce jour 400 initiatives dans la région – et encore, on ne les connaît pas toutes  –  et les informations pour aider les citoyens à adopter les bons gestes.»

Ces initiatives portent sur l’agriculture et l’alimentation, avec des fermes innovantes de la campagne genevoise. Le mot clé : favoriser l’agriculture bio, locale et de saison et éliminer les intermédiaires. Un concept tout droit issu du commerce équitable, dirons-nous, à ce jour utilisé dans les pays en développement, mais qui se révèle très utile sous nos latitudes aussi pour permettre à nos petits paysans de vivre décemment.

Estelle est membre de l’association AOC, qui fait partie du collectif Beaulieu, créé dans les années 2000. Lorsque la Ville de Genève a abandonné la petite zone horticole du parc Beaulieu, des habitants se sont associés pour lancer un projet social et d’agriculture urbaine.  « Le collectif regroupe une dizaine d’associations qui cultivent des plantons bio qu’elles vendent au printemps, vendent des légumes en accès libre et essaient d’entretenir des espèces de légumes et de plantes locales pour favoriser la biodiversité. On a aussi des poules locales et des abeilles et on collecte du miel. Une autre association fait pousser de l’indigo pour faire de la couleur et produit des tisanes bio. Avant il y avait même des producteurs de bière. J’habite à côté et c’est magnifique d’apprendre à cultiver des légumes et des fruits, à connaître le cycle des saisons et de voir pousser ce qu’on plante ! »

Projet d’agroécologie au Myanmar © Isolda Agazzi

Inspiré des projets de développement dans les pays du Sud

Il y a ensuite des restaurants qui, en plus des francs suisses, acceptent le Léman, une monnaie complémentaire qui ne peut être utilisée qu’entre acteurs du bassin lémanique, dans le but de promouvoir l’économie locale et de limiter la spéculation. Côté économie on trouve des entreprises sociales et solidaires qui se soucient du bien-être de leurs collaborateurs, essaient de préserver l’environnement, ou qui, comme la Banque alternative, ne financent que des projets répondant à des critères socio-environnementaux stricts. Des entreprises qui essaient autant que possible de réparer, récupérer et recycler au lieu de jeter.

Dans le secteur de l’énergie figurent des entreprises ou sociétés de conseil qui s’efforcent de consommer moins d’énergie et de promouvoir une énergie verte et locale, comme un ingénieux système de refroidissement des bâtiments grâce à l’eau du lac Léman. Les initiatives urbanistiques, quant à elles, se déclinent en coopératives et projets d’éco-quartiers avant-gardistes. Tout cela, évidemment, dans une approche participative, où les décisions se prennent ensemble et de bas en haut, tant au niveau de l’entreprise, de la communauté, du quartier que de la ville. Ce qui nous frappe c’est que, de nouveau, c’est une approche traditionnellement utilisée dans les projets de développement au Sud ! La démocratie directe suisse favorise évidemment ce genre d’approche, mais elle ne suffit pas, il faut une réelle volonté d’aller plus loin.

Approche participative au Myanmar © Isolda Agazzi

 

Première à Lausanne complète, mais les projections continuent

Dernièrement, le film a franchi les frontières du canton pour être projeté ailleurs en Suisse romande. Une avant-première est organisée le 28 avril à Lausanne, en présence de l’équipe. Les billets sont partis en quatre jours ! Elle est co-organisée par Pain pour le prochain, une ONG active dans le développement des pays du Sud. Elle y soutient la souveraineté alimentaire, la protection des semences, les droits humains, l’accès à la terre et à l’eau. « Depuis deux ans, nous essayons de promouvoir cette vision de l’économie et de l’environnement aussi en Suisse, pour donner une cohérence à notre discours, nous explique Daniel Tillmanns, le chargé de communication. Nous avons créé un laboratoire de la Transition pour susciter une réflexion sur un nouveau paradigme social et économique qui respecte le vivant. D’où notre soutien pour des initiatives de transition locale. »

Mais comment expliquer un tel engouement pour des modèles autrefois considérés comme « alternatifs » et de niche ? « Notre système dominant de consumérisme montre ses limites. Les gens veulent donner un sens à leur vie et à leur travail. Ce film illustre des initiatives concrètes et porteuses d’espoir, à la portée de tous. Il montre que tu peux donner ta petite contribution et faire partie d’un mouvement qui, un jour, va amener un véritable changement. Peut-être que ça sera une révolution… »

L’association Demain Genève a été approchée par un groupe de jeunes qui souhaitent tourner Demain Portugal. Un réalisateur libanais serait aussi intéressé… Nul doute, au niveau local la révolution du développement durable est bel et bien en marche. Aujourd’hui déjà.

Cultiver le bonheur dans son jardin

Photo: paysanne dans l’Etat Shan, Myanmar, © Isolda Agazzi

Changer soi-même pour changer le monde. Passer du local au global. Le mouvement de la Transition renverse les perspectives : la recette du bonheur serait à portée de main, pourvu de bien mélanger le spirituel, le social et l’environnemental. 

C’est un formidable mouvement d’espoir qui prend de plus en plus d’ampleur. « Il faut une grande transition : spirituelle, environnementale et sociale. Ces trois éléments doivent aller de pair, comme les trois fleuves sacrés de l’Inde – le Gange, le Jamuna et le Saraswati –, célébrés tous les trois ans dans le plus grand pèlerinage du monde, le Kumba Mela » s’exclame Satish Kumar, invité par Action de Carême et Pain pour le prochain pour parler de la Transition, le thème de la campagne œcuménique 2018.

Né au Rajastan en 1936, mais installé de longue date en Angleterre, cet ancien moine jaïn est l’un des pionniers de la Transition, un mouvement lancé en 2006 dans la ville anglaise de Totnes avec un autre militant célèbre, Rob Hopkins, et devenu mondialement connu grâce au film Demain. La transition extérieure consiste à passer des énergies fossiles aux renouvelables et de la mondialisation à des systèmes économiques plus localisés. Elle vise à réduire les inégalités et accroître la justice sociale. Elle exhorte à se prendre en main sans attendre que le gouvernement, ou le secteur privé, le fassent. Mais elle ne peut réussir que si elle va de pair avec une transition intérieure, spirituelle et psychologique, car l’avidité se niche au cœur de l’homme. «Quand on reçoit quelque chose dont on a besoin, il y a abondance. Mais quand on achète par avidité, la rareté s’installe car ce n’est jamais assez », assure cet hédoniste, qui appelle à croquer la vie à pleines dents et à ne pas travailler plus de quatre heures par jour « car le temps et les relations sont plus importantes que l’argent. Il faudrait utiliser son temps pour nourrir son âme, son imagination et son esprit par une spiritualité qui transcende les religions». Ce qu’on appelle la frugalité heureuse.

Si une récente étude semble lui donner raison – elle affirme qu’au-delà de 7’800.- de revenu mensuel notre bonheur n’augmente pas – cette philosophie, qui est aussi un projet politique et économique, est-elle pour autant réaliste ? Satish Kumar en est convaincu. Et de citer l’exemple des villes anglaises en transition, où les jeunes et les personnes âgées travaillent dans les mêmes jardins potagers et se partagent les récoltes, les habitants lancent des projets d’énergie renouvelable qui appartiennent à la communauté et non aux grandes entreprises et, quand on tombe malade, on se demande pourquoi avant d’aller chez le médecin. Comme la réponse se trouve souvent dans la solitude et l’isolement, les habitants prennent soin les uns des autres. Un appel qui semble avoir été entendu : la Grande Bretagne vient de créer un ministère de la solitude pour faire face à un fléau social qui touche neuf millions de personnes.  Une première mondiale.

Comment passer du local au global ?

Lorsqu’on objecte que ce genre d’initiatives marchent au niveau local, mais beaucoup moins au niveau national et international, Satish Kumar ne se laisse pas désarçonner. Il cite l’exemple du Bouthan, qui a adopté le Bonheur national brut, un indicateur qui mesure le développement socio-économique, mais aussi le bien-être psychologique, la santé, l’utilisation du temps, l’éducation, la diversité culturelle, la bonne gouvernance, la vitalité de la communauté, la diversité et résilience écologique et les standards de vie. « Le Bouthan est en transition d’une société agricole, qui était très pauvre, à une société écologique basée sur la justice sociale et la durabilité économique et imprégnée d’une grande spiritualité. » Il cite aussi le cas de l’Inde, avec des personnalités comme Vandana Shiva et les mouvements inspirés de Gandhi, encore très vivants. Ou le Danemark, où 40% de l’énergie est désormais produite à partir de sources renouvelables.

Il affirme que la transition est un processus qui se déploie en plusieurs niveaux : le premier est celui de la transition personnelle, où l’on essaie de consommer moins, travailler moins, cultiver son jardin, méditer, s’adonner à la vie spirituelle et participer à la vie de la communauté. Ensuite vient le niveau de la famille, où l’on essaie d’adopter une attitude écologique en polluant moins. Vient ensuite le niveau de la ville (en Suisse romande des initiatives intéressantes fleurissent à Genève, Bienne et Meyrin, entre autres) ; et pour finir le niveau national et même international.

« Le mouvement de la transition est très vaste, conclue-t-il. Des millions de personnes s’engagent dans le monde – défenseurs de l’environnement, activistes sociaux, défenseurs des droits humains, adeptes de l’agro-écologie, personnes actives dans la santé holistique. Parfois ils ne mettent pas d’étiquette, mais la grande transition consiste à voir tout cela dans son ensemble. Un grand changement est en marche, qui touche même les gouvernements : voyez l’accord de Paris sur le changement climatique ».

Pourvu que des gouvernements peu intéressés ne viennent pas torpiller ce bel élan, se dit-on… Après on pense aux grandes villes, Etats fédéraux et entreprises américaines qui ont décidé de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre malgré le retrait annoncé des Etats-Unis de l’accord de Paris et on se dit que oui, c’est un beau message d’espoir.