S’inspirer d’Icare pour combattre les criquets

Solis Nebula fabrique des ballons solaires, écologiques et bon marché, qu’elle veut utiliser pour épandre des bio-pesticides contre les criquets, en Afrique et en Amérique latine. La start-up française entend transférer sur place la technologie et le savoir-faire, mais pour un processus aussi simple il s’avère difficile de lever des fonds

Dans la mythologie grecque, Icare est puni pour son arrogance: pour avoir voulu voler trop près du soleil, il se brûle les ailes de cire et de plume. Cela ne risque pas d’arriver à Solis Nebula, une start-up française qui a mis au point une technologie dont la simplicité fait la force: des ballons captifs – reliés en permanence au sol – entièrement noirs.

«C’est le phénomène d’Albedo : plus on va vers le noir parfait, plus on capte du rayonnement thermique – pour le blanc c’est l’inverse, nous explique Christophe Praturlon, son directeur. Cela permet de récupérer tout le rayonnement thermique et de chauffer la masse d’air, comme dans une montgolfière. Sauf que dans celle-ci il faut du gaz pour chauffer l’air, tandis que notre ballon chauffe avec le soleil : la couleur noire de l’enveloppe capte le rayonnement solaire et un transfert thermique s’opère entre dedans et dehors. En vertu de la poussée d’Archimède, l’air chaud étant plus léger que l’air froid, le ballon monte. C’est renouvelable, écologique et entièrement gratuit. »

Il y a une dizaine d’année, la start-up a gagné un prix d’innovation et a été intégrée à un pôle de compétitivité dans le sud de la France. Ces ballons low-cost servaient à faire de l’imagerie aérienne et étaient commercialisés partout dans le monde. Mais les drones sont arrivés et, même si leur prix est plus élevé, l’activité de Solis Nebula est devenue beaucoup moins efficace.

Les criquets, fléau biblique

Alors Christophe Praturlon et son équipe ont pensé à l’Afrique et à l’Amérique du Sud, et aux nouvelles plaies d’Egypte qui s’abattent sur elle à cause du changement climatique. A commencer par l’invasion de criquets qui frappe le Kenya, l’Ethiopie et la Somalie depuis le début de l’année et qui met en péril la sécurité alimentaire de toute la région. « Avec la prolifération des criquets, nos ballons peuvent rendre service, continue l’ingénieur. L’idée est d’accrocher des pulvérisateurs aux ballons et d’épandre des bio-pesticides (des champignons entomopathogènes) à très bas volume, pour ne pas exterminer les locustes – si elles sont là c’est qu’elles ont une fonction – mais pour réguler leur population. »

La start-up prévoit de fabriquer les ballons sur place, en transférant la technologie et le savoir-faire pour permettre aux pays intéressés de maîtriser le processus de A à Z. Elle affirme être en contact avec de nombreux scientifiques, instances gouvernementales et instituts de recherche sur les deux continents et avoir été invitée par les onze pays qui se situent le long de la Grande Muraille Verte – l’initiative phare de l’Union Africaine pour lutter contre le changement climatique et la désertification – à venir présenter sa technologie devant la commission de l’Union Africaine, à Addis Abeba.

Délier les cordons de la bourse

En Argentine il y aurait aussi de l’intérêt. Dans le Chaco, la deuxième plus grande forêt d’Amérique latine après l’Amazonie, la prolifération de criquets avait été endiguée dans les années 1970, mais par la suite, le problème ayant disparu, la surveillance a été négligée et d’énormes nuages d’acridiens font à nouveau leur apparition.

Alors qu’est-ce qui empêche un projet aussi visionnaire de prendre son envol ? « Les fonds ! s’exclame Christophe Praturlon. C’est une idée très simple, elle n’est pas dans l’air du temps. Aujourd’hui on ne parle que de satellite et de choses très sophistiquées, mais en Afrique il faut des technologies dont toute la chaîne de production peut être maîtrisée sur place. Notre solution est relativement facile, il n’y a pas de maintenance, si le ballon se casse on en fabrique un autre. Nous livrons seulement la matière première pour sa fabrication. Nous sommes vraiment dans une démarche philanthropique, j’ai une autre activité à côté. »

Une technologie modeste qui, contrairement à Icare, ne risque pas de se brûler les ailes