Mercosur : des études d’impact fragmentées et partielles

Photos © Isolda Agazzi

Après la conclusion des négociations de l’accord de libre-échange, le Seco (Secrétariat d’Etat à l’économie) a fait réaliser une étude d’impact sur quelques questions environnementales choisies, omettant les questions sociales et de droits humains. Une commission parlementaire lui avait pourtant demandé d’élaborer une méthodologie inclusive

Les négociations de l’accord de libre-échange entre l’Association européenne de libre-échange (AELE), dont la Suisse est membre, et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) ont été conclues le 23 août 2019. Plus d’un an plus tard, l’accord n’a toujours pas été signé, ni publié, l’AELE se contentant de divulguer un résumé de 7 pages.

Lors du lancement des négociations, Alliance Sud avait demandé au Conseil fédéral d’effectuer une étude d’impact ex ante sur les droits humains – ce qu’il n’a pas fait, prétextant que les données manquent. Ce alors même qu’il avait accepté un postulat de la Commission de gestion du Conseil national lui demandant d’élaborer une méthodologie.

De son côté, le Seco (Secrétariat d’Etat à l’économie) a mandaté une études d’impact qui a été publiée le 30 juin 2020, c’est-à-dire bien après la conclusion des négociations. Réalisée par le World Trade Institute, elle arrive à la conclusion que l’accord serait nettement favorable à la Suisse : elle augmenterait ses exportations de 55% vers les pays du Mercosur, alors que les exportations de ces derniers vers notre pays ne croîtraient que de 5%. Sur le plan environnemental, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre due à l’accord serait de 0,1 % en Suisse et de 0,02 % dans les pays du Mercosur. L’augmentation de la déforestation dans les pays du Mercosur pourrait aller, quant à elle, de 0,02 % à 0,1 %.

Elisabeth Bürgi

Questions sociales et foncières éludées

Pour Elisabeth Bürgi, conseillère scientifique au Centre pour le développement et l’environnement de l’Université de Berne, cette étude est partielle : « Elle examine trois questions environnementales : les émissions de gaz à effet de serre, la perte de la biodiversité en relation avec la déforestation et l’eutrophisation. La conclusion est que l’impact sur la déforestation serait minime car l’exportation d’or, de soja et de bœuf ne changerait presque pas par rapport au statu quo. Dans ce domaine, seules les concessions déjà accordées aux pays du Mercosur dans le cadre du Système généralisé de préférences seraient consolidées. Ce qui augmenterait, c’est l’exportation de blé, maïs, vin et volaille, entre autres. Mais l’étude n’examine pas des domaines importants : elle ne traite pas des pesticides, de la gestion des sols, des questions sociales – telles que les droits fonciers – et des droits humains. Elle n’examine pas non plus comment améliorer le statu quo du point de vue environnemental (soja, or, viande) ».

La deuxième étude, confiée par le l’Office fédéral de l’agriculture  à Agroscope, arrive aussi à la conclusion que l’importation de viande bovine n’augmenterait pas, mais celle de blé, maïs, huile de soja, porc, vin et poulet, si.

Dès lors, la question est de savoir s’il faut conserver le statu quo ou l’améliorer. Le Seco affirme que la Suisse n’importe du Brésil que du soja garanti sans OGM et qui ne contribue pas à la déforestation – ce qui est confirmé par une étude mandatée par l’Office fédéral de l’environnement.

Soja sans OGM et déforestation pas rentable

“Effectivement il existe une région au Brésil d’où le soja est exporté vers la Suisse, qui est garantie sans OGM et n’encourage pas la déforestation”, confirme Elisabeth Bürgi. “Cependant, l’étude de l’OFEV montre également que tous les problèmes environnementaux n’ont pas été résolus – que, par exemple, l’utilisation de pesticides est élevée – mais qu’une production de soja plus durable n’est pas rentable car les différences de prix par rapport au soja conventionnel sont trop faibles. Pour garantir la différence de prix nécessaire, le soja réellement durable pourrait par exemple être importé à de meilleures conditions, mais ce serait difficile, puisque le soja est déjà importé en franchise de droits. Toutefois, comme l’a montré l’accord de libre-échange récemment négocié avec l’Indonésie, qui lie les réductions tarifaires pour l’huile de palme au respect de critères sociaux et écologiques, de telles possibilités existeraient, pour lesquelles l’OMC laisse également une certaine marge de manœuvre. Toutefois, cette approche n’a pas été adoptée pour l’accord avec le Mercosur – ni pour le soja ni pour aucun autre produit”.

“L’accord ne devrait pas seulement consolider le statu quo, mais l’améliorer”

Le postulat de la Commission de gestion du Conseil national exige que le Conseil fédéral élabore une méthodologie pour l’élaboration des études de durabilité. Cependant, l’objectif n’a pas encore été atteint, déclare la scientifique : “Le processus est hésitant. Plusieurs études de différents mandataires sont actuellement sur la table, qui révèlent différentes perspectives et appliquent différentes méthodes et qui soit légitiment l’accord, soit le remettent en question. Bien que ces études aident à mieux comprendre le contenu de l’accord et ses conséquences possibles, elles arrivent trop tard, car le dossier est déjà clos. L’objectif des analyses d’impact serait plutôt de générer des informations en temps utile et de permettre ainsi aux acteurs concernés de s’impliquer dans le processus. Les analyses devraient permettre de répondre à des questions telles que les suivantes : Quel est le processus lancé par l’accord? Comment l’accord pourrait-il être formulé de manière à prendre en compte non seulement les intérêts économiques, mais aussi les objectifs environnementaux et sociaux ? L’objectif devrait être un accord qui ne se contente pas de consolider le statu quo, mais l’améliore – par exemple en accordant des préférences tarifaires aux produits qui répondent à certaines normes ou aux produits transformés – couplé à un soutien financier pour renforcer le processus de transformation dans le pays partenaire”.

Proto-étude d’impact sur les droits humains d’Alliance Sud

En clair : un tel accord renforcerait encore davantage la situation existante, qui voit les pays du Mercosur exporter des matières premières à faible valeur ajoutée – avec un impact plus ou moins important sur la déforestation – et importer des produits industriels et des services. Sans compter le renforcement des droits de propriété intellectuelle habituellement prévu par ce genre d’accords, qui rendrait plus difficile l’accès aux semences et aux médicaments, et d’autres problèmes relatifs aux droits humains, comme l’a montré la proto-étude d’impact [1]mandatée par Alliance Sud.

Avec cette étude, Alliance Sud a voulu montrer qu’il existe à la fois une méthodologie et les données nécessaires à une analyse des droits humains. Il appartient maintenant au SECO d’en développer une lui-même ou d’utiliser notre étude. Et d’inclure la question des droits humains et du développement social ainsi que les questions environnementales – parce que c’est cela le développement durable. Avant que le débat ne commence au Parlement et en public, l’impact de cet accord sur les populations des pays du Mercosur doit être connu. Après tout, l’Argentine et le Brésil sont parmi les pays les plus touchés par la pandémie de coronavirus et un accord ne devrait pas aggraver une crise économique et sociale déjà dramatique. Ce serait l’occasion de compléter et d’améliorer l’accord par des dispositions innovantes. Ou de le rejeter.

[1] Caroline Dommen: Blueprint for a Human Rights Impact Assessment of the Planned Comprehensive Free Trade Agreement Between EFTA and Mercosur; A Study commissioned by Alliance Sud, January 2020.


Cet article a été publié par Global, le magazine d’Alliance Sud

« Les petits agriculteurs et les peuples indigènes n’ont pas accès au marché international»

Alors que les incendies reprennent de plus belle en Amazonie, la déforestation avance aussi dans le Chaco, la deuxième forêt la plus importante du continent américain. Quel est son impact sur les petits paysans et les communautés autochtones? 

Quant à l’accord de libre-échange conclu l’année passée entre l’AELE, dont la Suisse est membre, et le Mercosur, peut-il bénéficier aux petits paysans de la région?

Nous l’avons demandé au professeur Graziano Ceddia, chercheur senior au Centre pour le développement et l’environnement de l’université de Berne, et directeur de INCLUDE un projet de recherche qui étudie l’impact de la déforestation sur les petits paysans et les communautés autochtones dans la province de Salta, au Nord-Ouest de l’Argentine.

Quelle est la cause principale de la déforestation dans le Chaco Salteño ?

C’est l’expansion de la frontière agricole. Il y a quelques années encore, c’était pour cultiver du soja transgénique. Aujourd’hui, le soja a atteint sa limite d’extension maximale et pour l’instant la cause de la déforestation est la création de pâturages pour l’élevage du bétail sous une forme plus ou moins intensive.

Quel est l’impact de la déforestation sur les petits agriculteurs et les peuples autochtones ?

En raison de l’expansion de la frontière agricole (soja et pâturages), les petits producteurs (criollos) et les peuples autochtones ont subi des expulsions et des délocalisations. Bien que souvent les petits paysans vivent sur ces terres depuis de nombreuses années (parfois même deux générations), dans la plupart des cas ils n’ont pas de titre de propriété officiel. Dès lors la possession de ces terres n’est souvent pas reconnue car elle est difficile à prouver. En ce qui concerne les autochtones, le discours est similaire. La constitution argentine (dans sa réforme de 1994) intègre la Convention 169 de l’OIT, qui reconnaît le droit des peuples indigènes à la terre et au territoire. Mais dans les faits ce droit reste inapplicable dans la province de Salta puisqu’il  n’existe pas encore de territoire indigène officiel (à l’exception de petits lopins de terre, dans la plupart des cas résultant de dons de l’Église anglicane). Avec la destruction de leur habitat et les expulsions, les populations indigènes vivent dans un état de grave marginalisation économique, d’extrême dégradation et de pauvreté.

Les peuples autochtones sont-ils conscients de leurs droits? Les réclament-ils ou les aidez-vous à le faire ?

Bien que les populations autochtones soient d’une façon ou d’une autre au courant de leurs droits, le processus de reconnaissance des territoires et de revendication des terres est extrêmement long et compliqué. Il y a trois ans, lorsque j’ai visité la région pour la première fois, la province avait entamé le processus de cartographie des territoires indigènes. Pour autant que je sache, ce processus n’est pas encore achevé. Il a été interrompu en 2018 par manque de financements. Les communautés indigènes et les petits agriculteurs du district de Rivadavia méritent une mention particulière. Ici, l’organisation Lhaka Honhat a réclamé 400 000 hectares de terres publiques pour les communautés autochtones et 243 000 hectares pour les familles de petits agriculteurs. Mais c’est un succès relatif car après 35 ans de lutte, elle n’a toujours pas réussi à obtenir les terres qui sont dues aux communautés en vertu de la constitution argentine et aussi en vertu des mesures législatives émises par la province de Salta. Le succès réside donc dans le fait d’avoir réussi à porter l’affaire devant une instance internationale importante telle que la Cour interaméricaine des droits de l’homme. La bataille juridique dure depuis 1984  et l’Argentine est désormais accusée de ne pas remplir ses obligations légales.

Pensez-vous que l’accord de libre-échange conclu l’année passée entre l’Association européenne de libre-échange (AELE, dont la Suisse est membre) et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay,Uruguay) – et dont le texte n’a pas encore été publié – aura un impact sur la déforestation dans le Chaco et sur les petits agriculteurs et les peuples indigènes ? Ne devrait-il pas permettre à ces derniers d’améliorer leur accès au marché international de la viande ?

Je ne connais pas les détails de l’accord. En général, cependant, je pense pouvoir dire que l’ouverture aux marchés internationaux augmentera probablement la pression sur le Chaco Salteño et donc la déforestation. L’accès à ces marchés ne profite certainement pas aux communautés indigènes (qui ne produisent ni soja ni viande) et encore moins aux petits agriculteurs, qui élèvent un type de bétail qui n’a pas les qualités et les exigences du marché international. Les petits agriculteurs sont pauvres et ils n’ont absolument aucune ressource pour répondre aux normes exigées par le marché international. Enfin, l’application des normes sociales et environnementales requises par les accords est difficile dans la pratique. Même si sur le papier la production de soja et de viande dans la province de Salta est dans la plupart des cas légale, cela est aussi dû au fait que les règlements d’application de la loi fédérale sur la protection des forêts sont extrêmement ambigus et flexibles et biaisés en faveur des grands producteurs.


Le Gran Chaco Americano, deuxième forêt la plus importante du continent avec un taux de déforestation les plus élevés au monde

Le Gran Chaco Americano est par extension la deuxième plus grande forêt du continent américain après l’Amazonie. Elle s’étend sur environ 787 000 kilomètres carrés et est située dans 4 pays : l’Argentine (où se trouve environ 60% du Chaco), la Bolivie, le Paraguay et le Brésil. Le Chaco a connu l’un des taux de déforestation les plus élevés au monde, en particulier au cours de la période 2002-2009. Le processus de déforestation se poursuit encore aujourd’hui.  Dans l’ensemble de l’écorégion du Chaco, on estime que jusqu’à la période 1976-2012, environ 15,8 millions d’hectares ont été déboisés (environ 20 % du total).

En Argentine, Salta est la province la plus importante par extension du Chaco (environ 8 millions d’hectares), suivie de Santiago del Estero (7,7 millions d’hectares), du Chaco (4,9 millions d’hectares) et de Formosa (4,4 millions d’hectares). Au cours de la période 1976-2015, environ 2 millions d’hectares de forêts indigènes ont été déboisés uniquement dans la province de Salta.


Une version de cette interview a d’abord été publiée par Le Courrier

Les semences c’est la vie

La Coalition sur le droit aux semences demande à la Suisse de ne pas exiger des lois strictes sur la protection des obtentions végétales dans ses accords de libre-échange avec les pays en développement. Le droit aux semences est aussi le thème de la campagne œcuménique de Pain pour le prochain et Action de Carême, lancée aujourd’hui.

« Nous luttons pour le droit aux semences, la souveraineté alimentaire et l’agriculture paysanne car le Honduras a adopté un modèle de développement basé sur la production agricole pour l’exportation» déclare Octavio Sanchez dans le magazine Perspectives. Le directeur du réseau hondurien ANAFAE, hôte de la campagne œcuménique de Pain pour le prochain et Action de Carême, est venu en Suisse pour parler de son combat contre l’Etat et les multinationales étrangères, qui veulent certifier les semences dans son pays, l’un des plus pauvres et violents d’Amérique latine, où 52% de la population vit encore de l’agriculture.

En Afrique, en Asie et en Amérique latine, 1,5 milliards de petits paysans sélectionnent, échanges ou achètent au marché local leurs propres semences depuis toujours. Ils ont développé une grande diversité de cultures et de variétés, adaptées entre autres au changement climatique, et produisent 70% de la nourriture. Or, si une législation stricte sur les semences est adoptée, ils n’ont plus le droit de le faire et sont obligés d’acheter les graines au prix fort auprès des grands producteurs, ce qui entraîne une dépendance, voire l’endettement.

Monsanto, Syngenta et DuPont produisent 50% des semences dans le monde

Car sous prétexte de moderniser le secteur, de plus en plus de pays adoptent des législations strictes sur la protection des obtentions végétales pour garantir le monopole aux sélectionneurs de semences – la plupart du temps des multinationales. Monsanto, DuPont et la bâloise Syngenta produisent désormais plus de 50% des semences commercialisées dans le monde. Ce sont aussi les plus grands producteurs de pesticides et promoteurs de l’agriculture industrielle. Or, selon la FAO, celle-ci est responsable de la disparition de 75% des espèces végétales au cours du siècle dernier.

Quel rôle joue la Suisse? Dans les accords de libre-échange qu’elle négocie avec les pays en développement, elle leur demande d’adopter une législation stricte sur la protection des semences répondant aux exigences de la Convention pour la protection des obtentions végétales (UPOV 91). Si certains ont le dos assez solide pour résister à ces pressions, d’autres, comme l’Indonésie, capitulent. L’accord de libre-échange, ratifié par le Parlement à la fin de l’année passée, inclut une telle obligation qui, en plus, est en contradiction avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans, que la Suisse a pourtant signée.

Dès lors Alliance Sud, Apbrebes, Pain pour le prochain, Action de Carême, Public Eye et Swissaid, réunies dans la Coalition suisse pour le droit aux semences, ont lancé une campagne pour demander au Conseil fédéral de ne pas exiger des lois strictes sur la protection des obtentions végétales dans ses accords de libre-échange avec les pays en développement. La Suisse négocie actuellement avec la Malaisie. Vous pouvez soutenir cette action en envoyant une lettre au Secrétariat d’Etat à l’économie [Ministère suisse de l’économie].

Octavio Sanchez reproche à son gouvernement de vouloir transformer le Honduras en une immense maquila [industrie de sous-traitance] avec l’aide des multinationales étrangères, obligeant les gens à émigrer pour devenir de la main d’œuvre bon marché ailleurs. Les images de la caravane des migrants, partie il y a un an du Honduras vers les Etats-Unis, sont encore dans les esprits. Si on veut que les gens ne soient pas obligés d’émigrer, mais puissent vivre chez eux dans la dignité, il faut assurer leur droit à la sécurité et la souveraineté alimentaire.

La Suisse doit suspendre l’accord de libre-échange avec la Chine

Les China Cables ont apporté la preuve irréfutable de l’existence des camps ouïghours au Xinjiang. De passage à Berne, Dolkun Isa, le président du Congrès mondial ouïghour, demande à la Suisse de prendre des mesures. Vu le peu d’empressement de Berne à agir, Alliance Sud, la Société pour les peuples menacés et Public Eye demandent la suspension de l’accord de libre-échange avec la Chine. Une motion dans ce sens sera déposée la semaine prochaine par Fabian Molina.

“Ce n’est plus le moment de faire du business as usual, ni de coopérer avec la Chine dans les Nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative). Nous avons l’expérience historique, nous savons que le gouvernement chinois vise une expansion territoriale. D’ailleurs le corridor économique Chine – Pakistan commence à Kashgar, au Xinjiang», s’alarmait hier Dolkun Isa, le président du Congrès mondial ouïghour, invité à Berne par la Société pour les peuples menacés.

Une visite prévue de longue date, mais que le hasard du calendrier a fait tomber dans une actualité brûlante: lundi le Consortium international des journalistes d’investigation publiait les China Cables , une semaine après la publication par le New York Times de fuites, issues probablement de l’intérieur même du Parti communiste chinois. Les deux prouvent de façon irréfutable ce que nous savions déjà : 1– 3 millions (plutôt 3 millions selon Dolkun Isa) de musulmans ouïghours et d’autres minorités ethniques croupissent dans des camps au Xinjiang, dans l’ouest de la Chine, sur ordre du président Xi Jinping lui-même, qui a décrété qu’il fallait éradiquer l’Islam. Au programme : « dé-islamisation » (avec obligation de manger du porc et de boire de l’alcool), mauvais traitements, torture et travail forcé.

“Une partie des tomates et du coton produits par le travail forcé”

« En dehors des camps, la situation n’est pas tellement meilleure, a continué Dolkun Isa. La surveillance par intelligence artificielle est omniprésente et elle s’accompagne de pressions psychologiques et de menaces. Les gens ont peur de se parler. La Chine utilise les caméras de reconnaissance faciale, les a même exportées dans 18 pays, et elle va installer des caméras de reconnaissance émotionnelle. 400’000 Ouïghours ont été déplacés des camps vers d’autres régions et nous craignons qu’ils servent à la transplantation « d’organes halal ». Malgré cela, les pays et les entreprises étrangères continuent à faire des affaires en Chine, comme si de rien n’était. Une partie du coton et des tomates produits au Xinjiang sont issus du travail forcé. La Suisse, malheureusement, a été le premier pays européen à conclure un accord de libre-échange avec la Chine, mais avec vos relations commerciales et diplomatiques, vous pouvez agir !»

Dolkun Isa à Berne, le 28 novembre 2019

Comité mixte de l’accord de libre-échange inutile

Malheureusement la Suisse ne va pas faire grand-chose. Certes, le 26 novembre le DFAE a publié un communiqué exprimant sa vive inquiétude et appelant le gouvernement chinois à garantir à l’ONU un libre accès à la région. Le 22 octobre, dans le cadre du dialogue stratégique, le conseiller fédéral Ignazio Cassis a exprimé son inquiétude face à la situation au Xinjiang.

Mais le dialogue sur les droits humains a été reporté sine die par Pékin, après que la Suisse eut signé une lettre au Conseil des droits de l’homme condamnant les agissements au Xinjiang. Quant à l’accord de libre-échange, il est bien flanqué d’un accord parallèle sur les droits du travail, dont la violation peut être discutée dans le cadre du « comité mixte ». Mais le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) n’a pas l’air d’avoir pensé à le faire, ni de savoir quand aura lieu le prochain comité, qui se tient d’habitude tous les deux ans. Ceci soulève de sérieux doutes sur l’utilité du chapitre sur le développement durable (ou sur les droits du travail dans le cas de la Chine) contenu dans les accords de libre-échange, dont on voit bien que le respect relève du bon vouloir des Etats. Et visiblement, la Suisse n’est pas pressée de se mettre à dos ses partenaires commerciaux pour défendre les droits humains.

Suspendre l’accord de libre-échange

Dès lors Alliance Sud, la Société pour les peuples menacés et Public Eye – réunies dans la Plateforme Chine lors de la négociation de l’accord de libre-échange – demandent à la Suisse de suspendre l’accord tant que la situation des droits humains au Xinjiang ne s’est pas améliorée et que le travail forcé n’a pas cessé. Le risque est trop grand que des produits issus du travail forcé, ou même des composants entrant dans la fabrication de produits importés, comme le coton, arrivent sur le marché helvétique à titre préférentiel. Ce n’est pas une crainte infondée : selon le Wall Street Journal, Adidas, H&M et Esprit sont empêtrés dans le travail forcé des camps.

La semaine prochaine, le député PS Fabian Molina va déposer au Conseil national une motion dans ce sens : elle demande de suspendre l’accord de libre-échange tant que les camps ne sont pas fermés et que la Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et les procédures spéciales de l’ONU n’ont pas libre accès au Xinjiang – une recommandation exprimée par la Suisse elle-même lors de l’Examen périodique universel de la Chine en 2018.

Maison détruite à Kashgar, Xinjiang

Demander aux entreprises suisses d’exercer une diligence raisonnable

Notre deuxième revendication est que la Suisse demande aux entreprises helvétiques actives au Xinjiang d’exercer leur devoir de diligence, c’est-à-dire de montrer qu’elles ont pris toutes les mesures nécessaires pour éviter de violer les droits humains. Le très sérieux site d’information China File a recensé 68 multinationales européennes présentes au Xinjiang, dont plusieurs suisses: ABB, Chubb, Nestlé, Louis Dreyfus, Roche, Novartis, UBS, SwissRe. Certaines se fournissent en tomates auprès d’une entreprise d’Etat, d’autres font du négoce de coton, d’autres financent ou construisent des infrastructures. S’assurent-elles qu’elles ne violent pas les droits humains tout au long de leur chaîne de production? Pour l’instant en droit suisse il est difficile de les y obliger – alors même que c’est prévu par les Nations Unies -, mais si l’Initiative pour des multinationales responsables est adoptée, elle va combler cette lacune.

Le Congrès mondial ouïghour lui-même a demandé aux entreprises suisses actives au Xinjiang de faire très attention.

Suspendre le protocole d’entente sur les Nouvelles routes de la soie

Finalement, nous demandons à la Suisse de suspendre le protocole d’entente avec la Chine sur les Nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative), signé en avril passé, qui prévoit une collaboration entre les deux pays pour soutenir leurs entreprises dans la construction d’infrastructures dans les pays tiers, surtout en Asie centrale.

Nous demandons aussi que la Suisse s’assure que les Ouïghours présents sur son territoire ne fassent pas l’objet de surveillance ou d’intimidations.

Ces mesures devraient éviter à la Suisse de risquer de participer, même indirectement, à « la plus grande incarcération de masse d’une minorité ethnico-religieuse depuis la deuxième guerre mondiale », comme l’a qualifiée le Consortium international des journalistes d’investigation.


Voir aussi de la même auteure:

Des Ouighurs sont soumis au travail forcé, il faut boycotter la Chine

Malgré la répression des Ouighurs, la Chine entretient des relations privilégiées avec la Chine

« L’accord de libre-échange avec le Mercosur va dans le mur »

Photo: troupeau de zébus au Brésil © Isolda Agazzi

L’accord de libre-échange avec le Mercosur soulève des questions. Les personnes touchées sur le terrain craignent que l’agro-industrie ne prenne encore plus de pouvoir. Et de mauvaises perspectives pour leurs droits humains

« Qu’est-ce qu’on vise avec les accords de libre-échange? De qui défend-on les intérêts ? Ces accords partent du principe que ce qui profite aux plus forts profite à tout le monde, pourtant malgré la croissance économique les inégalités augmentent. Les études d’impact sur les droits humains, que les défenseurs réclament depuis vingt ans, contribuent à mettre le doigt sur les zones à risque pour éviter les effets négatifs, ou pour y remédier par des mesures complémentaires », nous explique Caroline Dommen. Cette spécialiste des questions de commerce et droits humains est en train de finaliser une « proto » étude d’impact de l’accord de libre-échange avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) pour le compte d’Alliance Sud.

A ce jour il existe une douzaine d’études d’impact des accords commerciaux, en plus de celles de l’Union européenne. « Notre étude met l’accent sur la consultation des parties prenantes, précise la consultante et elle ne prétend pas être exhaustive: on se focalise sur les principaux droits humains considérés à risque par les organisations consultées.» Celles-ci ont répondu à un questionnaire en ligne et certaines ont participé à une réunion à Buenos Aires en avril, co-organisée par Alliance Sud.

70% des sondés considèrent que l’impact du libre-échange sur les droits humains est négatif (0% considèrent l’impact positif). Surtout pour les populations vulnérables, à savoir les pauvres, les autochtones, les petits paysans, les travailleurs du secteur informel et des secteurs industriels sensibles et les personnes âgées. Mais aussi pour les petites et moyennes entreprises.

L’agriculture industrielle, talon d’Achille du Mercosur

« Les accords commerciaux Nord-Sud sont asymétriques et ne protègent pas les droits humains dans les pays périphériques », assène un participant. Pour inverser la tendance, il faudrait  la pleine participation de toutes les parties prenantes aux instances de prise de décision, à commencer par les communautés locales.

« Compte tenu de l’absence d’études d’impact et du manque d’informations dû à l’opacité des négociations, l’accord aboutira à un échange inégal où le Mercosur exportera essentiellement des matières premières à faible valeur ajoutée. Au lieu de cela, il faudrait promouvoir l’agriculture familiale et la transformation des produits sur place pour augmenter les revenus et en assurer une répartition plus équitable », affirme une personne sondée.

Pour les participants à la consultation, l’agriculture est le talon d’Achille du modèle de développement du Mercosur, et l’accord ne fera que le renforcer. « Les modes de consommation dans les pays du Sud sont de moins en moins adéquats, assène une autre participante. Chez nous, on trouve des aliments agro-industriels bon marché et de mauvaise qualité, alors que les aliments sains sont de plus en plus rares. Il faut appliquer des restrictions à ce type d’approvisionnement, subventionner l’agro écologie, promouvoir le droit à la terre et la commercialisation d’aliments sûrs, exempts d’agro toxines et issus de l’agriculture familiale. »

Un autre participant est moins négatif : « Le problème principal est lié à la pression sur les terres des communautés locales, qui se trouvent actuellement dans une situation de vulnérabilité juridique. Mais je crois que l’accord peut créer des emplois plus stables que ceux offerts actuellement par l’agro-industrie, à condition de respecter les droits des populations autochtones. » L’accaparement des terres est un problème majeur car « il conduira à une plus grande expulsion des petits paysans et des populations autochtones, les privant ainsi de leurs sources de vie. »

 Changer la matrice productive des pays du Mercosur

Pour d’autres sondés, il faudrait modifier ni plus ni moins la matrice productive des pays du Mercosur, qui repose actuellement sur l’exportation de matières premières (agro-négoce) et l’extractivisme des produits miniers. Au lieu de cela, il faudrait l’orienter vers la fabrication de biens d’équipement, de produits manufacturés à faible ou moyenne complexité, de produits scientifiques et technologiques pour le développement du savoir et les exporter sous forme de services. Tout cela générerait de la richesse en recomposant une économie aujourd’hui “refroidie” par la récession, l’ajustement fiscal et l’inflation, et mettrait en mouvement le marché intérieur en générant de l’emploi –  « notre principale préoccupation aujourd’hui. »

Plusieurs participants s’inquiètent de la tendance à la destruction d’emplois dans les petites et moyennes entreprises, qui sont pourtant le moteur de l’activité économique dans le Mercosur. Un autre pense que l’accord va augmenter la précarité du travail. Citant le cas de l’ALENA (l’accord de libre-échange nord – américain, récemment renégocié), il indique que l’industrie mexicaine a été affectée par une réduction des salaires et un abaissement des normes du travail. « L’AELE pourra exporter des produits manufacturés hors droits de douane, qui mettront sous forte pression l’industrie locale naissante ».

Menaces sur le droit à la santé

Les organisations consultées craignent aussi que l’accord ne limite la capacité des États à prendre des mesures pour protéger l’environnement, la santé publique et assurer le droit à l’eau, les droits des peuples autochtones et les droits des travailleurs, comme la hausse du salaire minimum.

Mais le principal souci des participants, surtout vis-à-vis de la Suisse, est le renforcement des droits de propriété intellectuelle généralement prévu par ces accords. Car le prolongement de la durée des brevets au-delà de 20 ans et des conditions plus strictes pour la commercialisation des génériques risquent de faire augmenter le prix des médicaments et de réduire la disponibilité des traitements médicaux, mettant ainsi en péril le droit à la santé.

Le renforcement des droits de propriété intellectuelle pourrait menacer aussi l’accès des petits paysans aux semences.


La modification de la Loi de semences en Argentine

Ce n’est pas une crainte infondée : en Argentine, le gouvernement essaie depuis des années de modifier la Loi de semences, appelée aussi Monsanto – Bayern (ils auraient pu ajouter la bâloise Syngenta qui, depuis sa fusion avec Chem China, est devenue l’une des quatre multinationales qui contrôlent 60% des semences dans le monde). Le but est de limiter « l’utilisation propre », à savoir le droit des paysans d’utiliser, sauvegarder, reproduire et utiliser des semences. Jusqu’à présent les organisations de la société civile, fortement mobilisées, ont réussi à bloquer la modification de la loi. Elles dénoncent une légalisation de la «bio piraterie », à savoir le vol des semences des communautés paysannes et autochtones au profit des entreprises biotechnologiques et agro-industrielles.

Pour Tamara Perelnuter, une chercheuse de l’Université nationale de Saint José, « l’enjeu est vital. Avec plus de la moitié de ses terres arables plantées en semences transgéniques, l’Argentine est un lieu stratégique pour analyser les conflits autour de l’appropriation des semences. Il s’agit de discuter du modèle agraire et, par conséquent, du projet du pays (…) Il  serait urgent d’avancer dans les politiques de transition vers un autre modèle agroalimentaire basé sur l’agro écologie, qui définit l’axe de la production d’aliments sains et culturellement appropriés, dans le respect de la biodiversité et des ressources naturelles, qui sont des biens communs de toute l’humanité. »

Le gouvernement libéral de Mauricio Macri veut faire passer la modification de la Loi de semences avant la fin de l’année (et de son mandat). Le renforcement des droits de propriété intellectuelle probablement prévu par l’accord avec l’AELE lui ouvre une voie royale, au détriment de la souveraineté alimentaire et du changement de paradigme invoqué par la société civile du Mercosur.


Une vesion de cet article a d’abord été publiée par Global, le magazine d’Alliance Sud

La société civile du Mercosur rejette l’accord avec l’UE

Le 28 juin, l’UE et le Mercosur annonçaient la conclusion d’un accord de libre-échange dont les négociations auront duré 20 ans. Les paysans et les écologistes européens sont loin d’être les seuls à s’y opposer : les syndicats, ONG, mouvements sociaux et intellectuels latino-américains le rejettent aussi fermement.

Contrairement à ce que laisse trop souvent entendre la presse européenne, les paysans et défenseurs de l’environnement de l’UE ne sont pas les seuls à s’opposer à l’accord de libre-échange signé vendredi passé. Si les gouvernements du Mercosur (Argentine, Uruguay, Paraguay et Brésil) saluent un succès diplomatique, la société civile de la région le rejette fermement et se mobilise pour empêcher sa ratification. Car, rappelle-t-elle, cet accord va bien au-delà de l’exportation facilitée vers l’UE de viande et soja – dont le prix sur le marché international ne cesse d’ailleurs de baisser.

Dans une pétition en ligne relayée par la Plataforma America Latina mejor sin TLC, des intellectuels et universitaires argentins critiquent le fait que l’accord ait été négocié dans le plus grand secret et sans qu’aucune étude d’impact préalable n’ait été effectuée par l’Argentine. Maintenant que les grandes lignes du texte sont connues, ils affirment que, bien que dénommé « accord de libre-échange », ce traité va au-delà des frontières pour empiéter sur des politiques nationales souveraines, comme les droits de propriété intellectuelle, les services, le secteur financier, les indications géographiques et les politiques gouvernementales. Il limite la capacité des Etats à réguler dans l’intérêt public et il va avoir un impact particulièrement négatif sur les services de base tels que la santé, l’éducation et l’eau potable, affectant principalement les femmes et les secteurs les plus vulnérables de la société.

Marchandisation de la santé par le renforcement des droits de propriété intellectuelle

Selon la Coordinadora de Centrales sindicales del Cono Sur, la puissante faîtière qui regroupe les 20 principales centrales syndicales de la région, l’accord « signe l’arrêt de mort de notre industrie, de l’emploi décent et du travail de qualité », notamment dans la technologie, le système maritime et fluvial, les œuvres publiques, les marchés publics, les laboratoires médicaux, l’industrie automobile et les économies régionales (surtout celles liées à l’huile d’olive, aux vins et aux produits laitiers). Ce à cause de la baisse des droits de douane dans des secteurs industriels stratégiques, qui vont rendre l’importation de produits manufacturés européens moins chers, au détriment de la production locale. En cause aussi la libéralisation des marchés publics, qui permettra aux entreprises européennes de participer aux appels d’offre sur un pied d’égalité avec les entreprises locales. Ces dernières, dont beaucoup de PME, ne sont souvent pas (encore) compétitives. Jusqu’à présent elles étaient protégées par des droits de douane pouvant aller jusqu’à 35%, que l’accord vise à démanteler progressivement. Au grand dam de l’industrie et de l’emploi local.

Dans un communiqué intitulé « Notre santé n’est pas négociable», le Grupo Efectos Positivos met en garde contre l’impact sur la santé du renforcement des droits de propriété intellectuelle prévus par l’accord, qui vont au-delà des dispositions de l’OMC. Il prévoit notamment une prolongation de la durée des brevets au-delà de 20 ans et la protection des données test, qui vont rendre plus longue et onéreuse la production et commercialisation de médicaments génériques.

Les problèmes de l’accord avec l’AELE sont les mêmes

Lors d’une journée continentale, les mouvements sociaux de la région ont rejeté l’accord de libre-échange avec l’UE au nom du droit à réguler, à protéger les industries naissantes et à exiger le transfert de technologies. A leur tour, elles ont dénoncé la libéralisation des marchés publics, la marchandisation du droit à la santé et la dérégulation des services.

Pour le sénateur argentin Fernando Solana, « l’accord Mercosur-UE confirme une politique qui viole notre production et notre souveraineté économique. C’est un jour noir pour les intérêts nationaux ».

L’Association européenne de libre-échange (AELE), dont la Suisse est membre, négocie un accord de libre-échange avec le Mercosur depuis deux ans. L’UE et l’AELE étant en compétition constante, les négociations pourraient aboutir très prochainement. Les problèmes que cet accord pose du point de vue du développement sont les mêmes que celui avec l’UE.

 

 

Les ONG latino-américaines disent Basta à 25 ans de libre-échange!

Photo: manifestation anti-G20, Buenos Aires, 27 novembre 2018 © Isolda Agazzi

La Plataforma « America latina mejor sin TLC » a été lancée le 27 novembre à Buenos Aires, dans le cadre de la semaine d’action contre le G20. Elle demande aux gouvernements de la région de ne plus signer de nouveaux traités de libre-échange et d’investissement et de faire réaliser des études d’impact des traités existants.

“En Amérique latine, le commerce intra régional est déjà libéralisé à 95%. Alors pourquoi les gouvernements continuent-ils à négocier des accords de libre-échange (ALE)? Parce que les nouveaux ALE traitent de thèmes qui vont au-delà des frontières et affectent le pouvoir de décision des Etats. Un exemple patent, c’est le mécanisme de cohérence réglementaire, qui implique de rendre compatibles et homogénéiser les législations internes et prévoit le dialogue avec les « parties intéressées » du secteur privé. Ces questions régulatrices confèrent des privilèges exorbitants aux multinationales étrangères !  » S’exclamaient les représentants des ONG latino-américaines lors du lancement de la Plateforme Amérique latine mieux sans ALE, le 27 novembre à Buenos Aires. Ajoutant que : « 25 ans de libre-échange, ça suffit ! Il y a dix ans, nous nous sommes opposés avec succès à l’Area de Libre Comercio de las Americas (ALCA) [Zone de libre-échange des Amériques, un projet de traité de libre-échange continental], mais aujourd’hui les nouveaux ALE vont dans le même sens que l’ALCA ! »

Lancement de la plateforme © Isolda Agazzi

Manifestations contre le G20 pour protester contre le libre-échange

« Nous sommes membres d’organisations sociales, syndicales, de femmes, de jeunes. Cette plateforme, qui réunit des plateformes nationales, était en gestation depuis longtemps. Ce n’est que par le dialogue que nous pouvons remettre en question les ALE, notamment en ouvrant un espace de discussion avec les parlements», soulignait Luciana Ghiotto, de l’Assemblée Argentine mieux sans ALE, saluant le fait que le lancement eût lieu dans les locaux du Sénat argentin.  Deux sénateurs étaient présents pour soutenir la plateforme – Fernando Solanas, président de la commission environnementale, et Magdalena Odarda, de Patagonie, présidente de la commission des peuples autochtones, très inquiète de l’avancée de l’extractivisme en Amérique latine. « Nous sommes contre tous les ALE car ils détruisent l’environnement et limitent la capacité de régulation des Etats. Il n’y a pas d’accords bons ou moins mauvais ! » Précisait Luciana Ghiotto.

L’évènement avait lieu dans le cadre de la semaine d’action contre le G20, organisée par les mouvements sociaux pour protester contre le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement qui se tenait dans la capitale argentine – et pour la première fois en Amérique latine. Des ateliers contre le libre-échange et l’extractivisme se sont succédé à l’université et sur la place du Congreso (le parlement argentin), où des citoyens concentrés ont bravé la pluie diluvienne pour refaire le monde sous des bâches en plastique. La mobilisation a culminé dans la manifestation du 30 novembre, où des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues de Buenos Aires, scandant des slogans au son de la musique, dans une ambiance militante mais entièrement pacifique. En tête du cortège, une représentante des grand-mères de la Plaza de Mayo, le caractéristique fichu blanc sur la tête, et Perez Esquivel, rescapé de la dictature argentine et lauréat du Prix Nobel de la Paix, opposé aux accords de libre-échange et qui a servi de médiateur entre les autorités, qui craignaient des débordements et voulaient dans un premier temps interdire la manifestation, et les mouvements sociaux

Manifestation anti-G20 Buenos Aires, 27 novembre 2018 © Isolda Agazzi

Scepticisme sur l’amélioration de l’ALENA

« Le premier traité signé a été l’ALENA, qui a ouvert la porte à tous les autres, a ajouté le Mexicain Alberto Arrojo à la conférence de presse. Aujourd’hui le Mexique a des ALE avec plus de 50 pays. Dans le cadre de la renégociation de cet accord, Donald Trump était prêt à laisser tomber le mécanisme de règlement des différends investisseur – Etat (ISDS), mais le Mexique a demandé de le garder, c’est absurde ! Donc il va s’appliquer au Mexique [mais sa portée a été limitée au secteur de l’énergie, des télécommunications et à d’autres projets d’infrastructure], mais pas au Canada… Le nouveau chapitre sur le droit du travail n’a rien d’exceptionnel, il n’est pas contraignant, ce ne sont que des recommandations. Le chapitre sur les règles d’origine exige une augmentation du salaire et l’indépendance syndicale des travailleurs du secteur automobile reliés aux chaînes globales de production, mais ceux-ci ne représentent que 2,8% de l’emploi du pays. De plus, son application va dépendre de la loi sur le travail au Mexique, qui est en train d’être réformée.»

Le nouvel ALENA, rebaptisé Accord Etats-Unis – Mexique – Canada, prévoit que pour que les véhicules automobiles puissent entrer sur le marché nord – américain à des conditions préférentielles, 40% – 45% de leur valeur soit produite par des ouvriers gagnant au moins 16 USD de l’heure. Pour l’instant nul ne sait si cette disposition va faire augmenter les salaires du secteur au Mexique ou relocaliser la production aux Etats-Unis.

Inquiétudes pour le TPP 11, entré en vigueur le 30 décembre

Ana Romero, du Pérou, s’est inquiétée de la pression exercée par son gouvernement sur le parlement pour qu’il ratifie le Traité Trans Pacifique 11 (le TPP sans les Etats-Unis, entré en vigueur le 30 décembre), malgré l’opposition du ministère de la Santé, qui craint une limitation de l’accès aux médicaments. Ignacio Latorre, sénateur chilien, a aussi pointé du doigt la  ratification du TPP 11 en cours dans son pays et le fait que les dispositions de cet accord se retrouvent déjà dans les nouveaux accords de libre-échange, négociés ou en cours de négociation, – selon la fameuse « technique du salami », dénoncée par Alliance Sud dans le cadre du TISA et du CETA.

La Plateforme demande aux gouvernements latino-américains de ne plus signer d’accords de libre-échange et d’investissement. Comme Alliance Sud, elle exige la réalisation d’études d’impact, dont sur les droits humains, par des entités indépendantes et un audit citoyen indépendant des accords existants. Celui-ci devrait être  contraignant, contrairement à ce qui s’est passé en Equateur, où une commission indépendante, la CAITISA, avait conclu au caractère néfaste des accords d’investissement, mais le gouvernement n’en a pas tenu compte.

Cet article a d’abord été publié dans Global, le magazine d’Alliance Sud

« Etre le grenier du monde n’est pas une affaire »

Photo: Boucherie à Buenos Aires © Isolda Agazzi

Les négociations de l’accord de libre-échange avec l’UE suscitent une levée de bouclier dans les pays du Mercosur, où la société civile craint une perte d’emplois industriels et le renforcement d’une économie basée sur l’exportation de matières premières. L’accord avec l’AELE, dont la Suisse, pose les mêmes problèmes.  

Le moins que l’on puisse dire est que les négociations de l’accord de libre-échange entre l’AELE (Association européenne de libre-échange) et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) ne sont pas sur le radar de la société civile de ces pays. La plupart des associations et syndicats ne savent même pas que ces négociations, lancées l’année passée dans la plus grande opacité, ont lieu. Si la visite d’une délégation amenée par Johann Schneider – Amman en mai 2018 a donné un petit coup de projecteur, la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein sont bien trop petits pour faire la une de la presse locale.

Par contre, les négociations avec l’UE, qui remontent au siècle dernier, suscitent une opposition farouche des syndicats de travailleurs, des ONG, des parlementaires, mais aussi des syndicats patronaux. Lancées en 1995, bloquées entre 2004 et 2010, elles ont pris un nouvel essor avec l’arrivée au pouvoir de gouvernements libéraux dans la région, il y a quelques années. Bien que les deux négociations soient secrètes, à l’exception de quelques fuites pour celles avec l’UE, nous savons par expérience qu’elles contiennent à peu près les mêmes dispositions. Les craintes de la société civile du Mercosur valent donc aussi pour l’accord avec l’AELE.

Buenos Aires, La Boca © Isolda Agazzi

Pas d’études d’impact sur les secteurs sensibles

La Coordinadora de Centrales Sindicales del Cono Sur (LA représentante du syndicalisme dans  le Mercosur) et la Confédération européenne des syndicats, dénoncent un accord asymétrique entre des pays aux niveaux de développement inégaux, et sans traitement spécial et différencié pour les moins développés. Elles regrettent l’absence d’études d’impact sur les secteurs sensibles, qui permettraient d’évaluer les mesures nécessaires à la protection de la production et à l’accompagnement des emplois délocalisés et transformés. Car la baisse des droits de douane, trop drastique et rapide, risque de mettre à mal les politiques industrielles et commerciales des pays du Mercosur, dont les industries ne sont pas assez compétitives pour faire face aux importations à moindre coût en provenance de l’UE et de la Suisse et ont encore besoin d’être protégées.

Une requête portée aussi, en Suisse, par Alliance Sud et Public Eye, exprimée par la Commission de gestion du Conseil national, mais à laquelle le Conseil fédéral oppose un refus catégorique, comme il l’a réitéré dans sa réponse à l’interpellation de Maya Graf, où il concède tout au plus une étude d’impact sur quelques secteurs environnementaux sensibles.

Petites et moyennes entreprises à risque

Les centrales syndicales argentines rejettent à leur tour l’accord avec l’UE, qui signerait l’arrêt de mort de l’industrie nationale. Elles affirment qu’il aurait un impact négatif sur la production nationale en général et sur certains secteurs stratégiques en particulier, tels que la technologie, le transport maritime et fluvial, les travaux publics, les marchés publics, les laboratoires médicaux, l’industrie automobile et les économies régionales. Elles dénoncent aussi l’insuffisance des mesures de promotion et protection des PME.

La Suisse lorgne l’immense marché du Mercosur, qui compte 275 millions de consommateurs et est encore relativement protégé. Les droits de douane sur les produits industriels y sont de 7% en moyenne, mais ils peuvent aller jusqu’à 35%. Elle espère augmenter surtout ses exportations de produits chimiques, pharmaceutiques et de machines.

Plus étonnant, dans une rare position commune, les centrales industrielles du Mercosur (syndicats patronaux) ont adopté une déclaration très dure qui demande la transparence des négociations, des conditions pour permettre aux secteurs affectés de s’adapter aux nouvelles réalités et un accord équilibré, qui reconnaisse la différence de développement entre les parties.  Elles demandent une « clause de développement industriel » et la sauvegarde de différents instruments de protection de l’emploi.

Dans une tribune intitulée « Etre le grenier du monde n’est pas une affaire », Julio René Sotelo, un élu argentin du Parlement du Mercosur, remet en question la logique même de cet accord, qui ferait du Mercosur un exportateur de denrées agricoles, au détriment d’une production industrielle indigène – dans la seule Argentine, l’accord avec l’UE mettrait à risque 186’000 emplois industriels. Il dénonce aussi la perte de souveraineté et le risque que cet accord fait peser sur l’intégration régionale.

Dans un pays à l’inflation galopante – il fallait 19 pesos argentins pour 1 USD fin 2017, il en faut presque 40 aujourd’hui -, où les produits importés deviennent tous les jours un peu plus chers, il est urgent de développer une industrie nationale pour ne pas dépendre des importations.

Agro-industrie au détriment des petits paysans

Dans une tribune publiée en février 2018, des ONG régionales renchérissent : l’accord avec l’UE (et l’AELE) profiterait surtout aux élites agro-exportatrices du Mercosur, qui cherchent à renforcer les exportations basées sur le bétail industriel et le soja. « Si l’accord est signé, il approfondira les problèmes que l’agro-industrie est déjà en train de produire dans la région : déforestation, expulsion des paysans, pollution du fait des agro toxines, destruction des économies régionales, perte de souveraineté alimentaire et vulnérabilité alimentaire croissante. Les paysans et les petits agriculteurs familiaux produisent la majeure partie de la nourriture dans la région. Le modèle imposé par l’accord favorise le contrôle territorial par l’industrie agroalimentaire et approfondira la violence, la criminalisation et la persécution que subissent, aujourd’hui, les communautés paysannes dans toute la région », dénoncent-elles.

Les syndicats du Mercosur craignent aussi que l’adoption de règles d’origine flexibles entraîne la délocalisation de la production dans des pays tiers où les droits du travail ne sont pas respectés. Ils dénoncent la déréglementation de services stratégiques, dont les services publics et le renforcement des droits de propriété intellectuelle, qui rendront plus longue, difficile et onéreuse la commercialisation de médicaments génériques.

Buenos Aires, La Boca © Isolda Agazzi

Mise sur le marché des génériques retardée

Ce n’est pas une crainte infondée, comme en a fait l’amère expérience un pays voisin, la Colombie. Il y a quelques années, le Seco a contesté l’intention de Bogota de commercialiser un générique du Glivec, un anti-cancéreux produit par Novartis, en raison des accords de libre-échange et d’investissement. Or la Suisse dispose déjà d’accords de protection des investissements avec l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay – pas avec le Brésil, qui n’a signé ce genre d’accord avec aucun pays. La prolongation des droits de propriété intellectuelle au-delà du délai de 20 ans prévu par l’OMC faciliterait le dépôt de plaintes d’entreprises suisses contre ces pays.

Les accords de libre-échange prévoient aussi d’habitude l’adhésion à la Convention UPOV 91, qui rend beaucoup plus difficile l’échange et l’utilisation des semences par les paysans, entraînant une privatisation accrue des semences dans des pays où par ailleurs les OGM sont déjà largement implantés.

Finalement, les entreprises européennes et suisses vont avoir accès aux appels d’offre des entreprises publiques du Mercosur. Celles-ci, à leur tour, devront être gérées comme des entreprises commerciales et s’ouvrir à la concurrence étrangère, perdant leur fonction de réglementation étatique.

Comme le résume l’économiste argentin Claudio dalla Croce, les associations de producteurs, ONG, syndicats, associations patronales, académiciens, mouvements sociaux, politiciens et parlementaires ont empêché, pour l’instant, la signature d’un accord (avec l’UE) très défavorable au Mercosur. On verra qui, de l’AELE ou l’UE, réussira à conclure les négociations. Peut-être ni l’une ni l’autre.


Cet article a d’abord été publié dans Global, le magazine d’Alliance Sud

A qui profite l’accord de libre-échange avec le Mercosur?

Photo: Manifestation de rue à Buenos Aires, décembre 2017

Mettre l’agriculture sous pression pour gagner des parts de marché en Amérique latine : tel est le dilemme actuel de la politique commerciale de la Suisse. Mais du point de vue du développement durable l’accord avec le Mercosur pose des questions beaucoup plus larges.

Economiesuisse contre l’Union suisse des paysans. Ce sont les deux principales voix qu’on entend dans le débat sur la négociation en cours de l’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur – Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay. La Suisse veut augmenter ses exportations, notamment de produits chimiques, pharmaceutiques et de machines, vers cet énorme marché de 275 millions de consommateurs, encore relativement protégé : les droits de douane sur les produits industriels y sont de 7%, mais ils peuvent aller jusqu’à 35%. En échange, ces géants de l’agrobusiness demandent à la Confédération des efforts encore jamais consentis auparavant dans une négociation commerciale en termes de baisse des droits de douane sur les produits agricoles. Selon l’Union suisse des paysans, les produits les plus sensibles sont la viande rouge, le poulet et le sucre.

Or il serait bon de prendre un peu de hauteur et de situer les principaux enjeux de cette négociation dans un cadre de développement durable, tel que défini par l’Agenda 2030 des Nations Unies.

Certes, l’exportation de produits agricoles est très importante pour les pays en développement. Actuellement, 80% des importations agricoles en Suisse proviennent de l’UE et des Etats-Unis. 20% seulement viennent des pays en développement, dont 10% d’Amérique latine. Les principaux produits importés sont le café, les bananes, le riz, l’huile de tournesol, l’huile de palme, les noix, l’huile de coco, la vanille et l’huile d’arachide.

Mais pour qu’une politique agricole commerciale fasse du sens du point de vue du développement, il faut qu’elle réduise la pauvreté et les inégalités et qu’elle protège le climat global et l’écologie locale. Le but devrait donc être la production paysanne durable du point de vue écologique et social.

Or, quel est le principal produit d’exportation du Brésil, de l’Argentine et du Paraguay au niveau mondial? Le soja (10% pour le Brésil, 30% pour l’Argentine en comptant ses produits dérivés, 35% pour le Paraguay en comptant ses produits dérivés). Pour l’Uruguay c’est la viande bovine (plus de 30% ; 13% pour le Paraguay). Il s’agit essentiellement de monocultures industrielles qui entraînent les dégâts climatiques, l’érosion des sols et l’accaparement des terres  – exactement le contraire d’une politique agricole sensée du point de vue du développement.

Les ONG locales s’opposent à l’intensification de cette politique agricole qu’entraîneraient les accords de libre-échange, car elle profite à quelques élites et menace les petits paysans – pourtant les principaux producteurs de l’agriculture vivrière – et la souveraineté et sécurité alimentaire de ces pays.

Que demande la Suisse (et l’Union européenne, dans une négociation à part) aux pays du Mercosur? Notamment de baisser les droits de douane sur les produits industriels. Or, ceux-ci ne tombent pas du ciel. Ils sont l’instrument d’une politique industrielle ciblée qui vise à protéger les industries locales jusqu’à ce qu’elles soient compétitives au niveau international. Localement les résistances aux accords de libre-échange en cours de négociation sont nombreuses. En Argentine, les principales centrales syndicales (la Central de Trabajadores de Argentina CTA et la Confederacion General del Trabajo CGT)  s’y opposent, de même que les syndicats d’entreprises (surtout des petites et moyennes entreprises) Confederacion Empresaria de la Republica de Argentina (Cgera) et l’Asociation de Industriales Metalurgicos de la Republica de Argentina (Adimra).

Ils craignent des pertes d’emploi, l’accès des entreprises européennes et suisses aux marchés publics locaux, l’obligation pour les entreprises d’Etat de fonctionner comme des entreprises commerciales strictes, ce qui limiterait leur capacité à influencer la promotion de certains secteurs de production.

Tout cela alors que l’Argentine doit déjà faire face à une profonde crise sociale, comme le montrent les manifestations et grèves à répétition. En décembre, en marge de la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce, de nombreuses ONG et mouvements sociaux ont manifesté contre l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur, donné comme étant à bout touchant. Il n’a finalement pas abouti. Pour l’instant.

L’huile de palme sur une pente glissante

Photo: Militants de l’association indonésienne Wahli © Miges Baumann

La coalition suisse sur l’huile de palme demande d’exclure ce produit controversé de la négociation de l’accord de libre-échange avec l’Indonésie, qui touche à sa fin. A Bruxelles, le parlement européen vient de décider de l’exclure du quota d’agro-carburants d’ici 2021.

 

Sale temps pour l’huile de palme. Cette huile végétale, qui entre dans la composition de près de la moitié des produits alimentaires, cosmétiques et de nettoyage qu’on trouve dans les supermarchés, en raison de son faible coût, de sa résistance à la chaleur et de son rendement exceptionnel, est produite à 90% en Indonésie et en Malaisie. Dès lors, elle représente un produit stratégique pour les gouvernements de ces deux pays, mais aussi la principale pierre d’achoppement dans les négociations des accords de libre-échange avec la Suisse (par le biais de l’AELE, l’Association européenne de libre-échange). Actuellement, l’importation d’huile de palme est frappée d’un droit de douane de 100%, qui vise surtout à protéger les producteurs suisses de colza et de tournesol. L’Indonésie et la Malaisie demandent de baisser drastiquement ce tarif douanier, voire de le ramener à zéro, ce qui a créé une levée de boucliers. Pas moins de 23 interventions ont été déposées au Parlement depuis 2010, date du début des négociations avec l’Indonésie. Celles-ci, précisément, sont à bout portant, alors que celles avec la Malaisie ont pris un peu de retard.

Aujourd’hui même, la coalition suisse sur l’huile de palme, qui comprend douze organisations paysannes, de développement – dont Alliance Sud – de protection de l’environnement et des consommateurs, a publié une lettre ouverte au Conseiller fédéral Johann Schneider – Amman et aux ministres indonésiens compétents, pour demander d’exclure l’huile de palme de l’accord avec l’Indonésie. Concrètement, cela veut dire ne pas baisser les droits de douane pour faciliter encore davantage l’importation de ce produit controversé. Car cela entraînerait une augmentation de la production, qui pose d’énormes problèmes du point de vue environnemental, social, des droits humains et des droits du travail : déforestation, pollution, diminution de la biodiversité, confiscation des terres, violation des droits des communautés locales et des travailleurs…. La liste des griefs est longue.

Les signataires s’opposent aussi à la prise en compte de tout label prétendument durable sur l’huile de palme, dont le célèbre RSPO (Table-ronde sur l’huile de palme durable), une initiative volontaire créée à Zurich en 2004 et qui regroupe aujourd’hui plus de 2’000 membres, issus surtout du secteur privé, mais aussi quelques ONG comme le WWF. Le problème du RSPO est notamment qu’il autorise certaines formes de déforestation, que ses lignes directrices sont vagues et que son mécanisme de contrôle et de plainte est faible. La lettre a été signée aussi par l’association indonésienne Wahli, membre d’Amis de la terre Indonésie, qui vient de soutenir la plainte de deux villages indonésiens contre le RSPO auprès du point de contact suisse auprès de l’OCDE. Les communautés villageoises reprochent à RSPO de ne rien faire contre la déforestation occasionnée par une société malaisienne, pourtant membre du label, à West Kalimantan.

A Bruxelles, les nuages s’amoncellent aussi. Après que des ONG indonésiennes ont demandé d’exclure l’huile de palme des négociations de l’accord de libre-échange avec l’UE, fin janvier le parlement européen a voté pour l’exclure du quota européen d’agro-carburants d’ici 2021. Il va devoir convaincre la commission européenne et le Conseil européen, qui ne sont pas du même avis, mais ce vote a déjà jeté un froid sur les négociations de l’accord de libre-échange avec la Malaisie.

On va voir qui, de la Suisse ou de l’UE, va coiffer l’autre au poteau en concluant la première des accords de libre-échange avec les deux principaux producteurs d’huile de palme au monde. Cela pourrait bien être la Suisse, mais il faut alors qu’elle ne le fasse pas au détriment de la biodiversité, des droits humains et des droits des communautés locales. Cela pourrait créer un dangereux précédent.