Les nouvelles routes de la soie, développement ou nouvelle colonisation ?

L’initiative chinoise de création d’infrastructures tout azimut peut-elle contribuer au développement durable – et si oui à quelles conditions? Le sujet touche directement la Suisse, qui a signé un protocole d’entente avec la Chine pour soutenir ses entreprises, banques et  assurances qui investissent dans les pays tiers. 

« Grâce aux Nouvelles routes de la soie, l’Afrique de l’Est dispose de sa première autoroute, les Maldives ont construit le premier pont pour relier leurs îles, la Biélorussie a sa première industrie automobile, le Kazakhstan a accès à la mer et le continent euro-asiatique bénéficie du plus long service de train marchandises. Quant au train Mombasa – Nairobi, il a créé 50’000 emplois locaux » clamait Geng Wenbing, ambassadeur de Chine en Suisse, lors d’une conférence sur « Les nouvelles routes de la soie en tant que moteur des Objectifs de développement durable », organisée début septembre à Andermatt par la délégation suisse auprès de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE.

Nouvelles routes de la soie : un programme ambitieux de création d’infrastructures – routes, ports, trains, usines – lancé par le président chinois Xi Jinping en 2013 pour relier la Chine au reste du monde et faciliter l’importation de matières premières nécessaires à nourrir sa croissance spectaculaire. Un projet pharaonique auquel adhèrent à ce jour 126 pays et des organisations internationales et dont les chiffres donnent le vertige : 40% du commerce mondial, 60% de la population mondiale et 40% de la terre globale. Le montant exact des investissements est inconnu, mais il est estimé entre 1’000 et 8’000 milliards USD. La Chine à elle seule prévoit d’y injecter 600 – 800 milliards USD jusqu’en 2021.

« La Belt and Road Initiative (BRI) n’est pas un one man show de la Chine, ni un club de la Chine”, précisait l’ambassadeur chinois. En effet, la Suisse s’est empressée de rejoindre le club en avril passé, devenant l’un des premiers pays d’Europe occidentale. Le protocole d’entente entre la Suisse et la Chine ne prévoit pas une augmentation des investissements chinois en Suisse, mais une collaboration des entreprises, banques et assurances dans les pays tiers, avec le soutien des gouvernements respectifs. Ce qui soulève précisément beaucoup de questions.

La nouvelle gare d’Addis Abeba

Vive opposition au train chinois en Ethiopie

Car tous les projets ne marchent pas aussi bien que le clame l’ambassadeur chinois. Etonnamment, il a omis de mentionner le train qui relie Addis Abeba à Djibouti sur 750 km – la première liaison ferroviaire transfrontalière entièrement électrifiée en Afrique. Inauguré en janvier 2018, il a coûté 2,8 milliards d’euros, que l’Ethiopie va devoir rembourser à la Chine sur 15 ans. Une gare flambante neuve, mais peu fréquentée, a même été construite en-dehors de la capitale éthiopienne pour remplacer la vieille gare et le chemin de fer construits par les Français en 1901, qui avaient cessé de fonctionner autour des années 2000.

Ayant moi-même pris le vieux train en 1993, certes bourré de charme pour un voyageur étranger, mais qui avait mis un jour entier pour relier Addis Abeba à Harar, près de la frontière somalienne, avec deux wagons brinquebalants, je comprends aisément l’enthousiasme des autorités face à un tel exploit technologique. Sauf que, comme rapporté par de nombreux médias, certains locaux perçoivent ce chemin de fer comme un projet des élites d’Addis Abeba. La plupart des gares sont complètement excentrées et ne contribuent pas à l’économie locale, contrairement au vieux train, qui drainait dans un chaos ébouriffant marchands, restaurateurs et hôteliers. Et si l’entreprise chinoise affirme avoir créé 20’000 emplois locaux en Ethiopie et 5’000 à Djibouti, les ex employés désormais au chômage se plaignent de bas salaires et mauvaises conditions de travail. Mais le problème principal, c’est la terre, qui appartient à l’Etat et pour laquelle les communautés expropriées, notamment Oromo, affirment ne pas avoir reçu de compensation adéquate.

L’ancienne gare de Dire Dawa

Manque de transparence, surendettement…

Le train éthiopien est un bon exemple du potentiel des projets chinois, mais aussi de leurs risques. A commencer par le manque de transparence. Il n’existe pas de données officielles sur les projets de la BRI, leur rapport coûts – bénéfices et leur impact sur les populations locales, puisque Pékin ne dévoile pas les conditions d’octroi des crédits. Ceci entraîne le surendettement de ces pays vis-à-vis de la Chine, ce qui peut créer des problèmes en termes de dépendance économique, mais aussi politique. C’est ainsi que Djibouti, qui doit à la Chine l’équivalent de 80% de son PIB ( !), abrite la première base militaire chinoise à l’étranger. «  Le couloir industriel pakistano – chinois a fait augmenter le PIB pakistanais de 2,5% », soulignait  l’ambassadeur chinois à Andermatt. Se gardant bien de mentionner qu’il a aussi fait exploser la dette pakistanaise vis-à-vis de la Chine, estimée à 19 milliards USD. Quant aux Maldives, leur dette chinoise, estimée à 1,5 milliards, représente 30% du PIB.

Les participants ont souligné que les banques multilatérales d’investissement ont élaboré des lignes directrices qui assurent une certaine durabilité sur le plan social, financier et environnemental. Bien que souvent critiquées par les ONG, celles-ci ont au moins le mérite d’exister et de créer un cadre de référence. Trop contraignant pour certains pays visiblement, puisque un haut fonctionnaire n’a pas hésité à affirmer que « dans les instances multilatérales, ce n’est pas l’argent qui manque, mais les projets viables ». Les prêts chinois seraient donc plus faciles à obtenir, mais la dépendance qu’ils peuvent entraîner a parfois des relents de néocolonialisme, avons-nous envie d’ajouter.

Car il n’y a aucun doute: ceux qui acceptent des prêts de plusieurs millions de dollars deviennent dépendants, qu’ils le veuillent ou pas. Les anciennes puissances coloniales européennes et les Etats-Unis reprochent une sorte de néocolonialisme à la stratégie de développement et d’expansion de la Chine. Reste à voir si cela aura le même effet désastreux sur les pays en développement que le colonialisme historique.

Pourtant le besoin de financements est indéniable : l’OCDE a estimé que pour financer les investissements nécessaires à réaliser les ODD, il faut 6,9 trillions de USD par an jusqu’en 2030.

impact sur l’environnement et les droits humains, corruption

L’impact des projets chinois sur les droits humains, en termes de standards de travail et de consultation des populations par exemple, est aussi significatif. Quant à l’environnement, comme dans tout projet d’infrastructure, l’impact sur l’eau, les sols, l’air, la biodiversité et le changement climatique est important – d’autant plus que beaucoup de projets portent sur le pétrole et le gaz, des secteurs qui ne contribuent pas précisément à la transition écologique prévue par les Objectifs de développement durable.

Un autre problème, accentué par le manque de transparence des prêts, est la corruption. « La mondialisation a contribué à exporter la corruption par l’investissement, a indiqué Gretta Fenner, du Basel Institute of Governance. Ce n’est pas seulement un problème de pays en développement. La BRI comporte des risques massifs de corruption et de mauvaise gouvernance, non parce qu’il s’agit d’une initiative chinoise, mais parce que ce sont des projets de grandes infrastructures qui impliquent beaucoup d’argent et un déséquilibre de pouvoir très évident entre la Chine et presque tous les autres pays.»

Pourtant certains progrès existent, à commencer par des Principes pour l’investissement vert dans la BRI et un Cadre pour la durabilité de la dette, récemment adoptés par la Chine et qui montrent une volonté de Pékin d’aller vers des investissements plus durables.

La conférence de Andermatt, © Isolda Agazzi

Que fait la Suisse ?

Dès lors, que vient faire la Suisse là-dedans ? Le protocole d’entente avec la Chine crée une plateforme où des entreprises chinoises et suisses peuvent travailler ensemble sur des projets de la BRI, avec une attention particulière à l’aspect financier et de durabilité de la dette. Un groupe de travail est en train d’être créé pour rendre la plateforme opérationnelle. Si les entreprises suisses s’impliquent, tout le monde semble s’accorder sur le fait qu’elles devraient respecter au moins certaines normes relatives aux droits humains et au respect de l’environnement.

La déclaration d’Andermatt, adoptée par les participants à la conférence, reconnaît ces beaux principes et la Suisse peut certainement  aider à les réaliser. Mais ladite déclaration vise aussi à promouvoir un environnement favorable à l’investissement privé dans les infrastructures et les partenariats publics – privés. Une intention exprimée aussi clairement dans le protocole d’entente Suisse – Chine. Toute la question est de savoir si c’est le rôle des fonds publics de soutenir les entreprises, banques et assurances suisses à l’étranger. Et si oui, comment.


Cet article a d’abord été publié par Global, le magazine d’Alliance Sud

La Suisse doit suspendre l’accord de libre-échange avec la Chine

Les China Cables ont apporté la preuve irréfutable de l’existence des camps ouïghours au Xinjiang. De passage à Berne, Dolkun Isa, le président du Congrès mondial ouïghour, demande à la Suisse de prendre des mesures. Vu le peu d’empressement de Berne à agir, Alliance Sud, la Société pour les peuples menacés et Public Eye demandent la suspension de l’accord de libre-échange avec la Chine. Une motion dans ce sens sera déposée la semaine prochaine par Fabian Molina.

“Ce n’est plus le moment de faire du business as usual, ni de coopérer avec la Chine dans les Nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative). Nous avons l’expérience historique, nous savons que le gouvernement chinois vise une expansion territoriale. D’ailleurs le corridor économique Chine – Pakistan commence à Kashgar, au Xinjiang», s’alarmait hier Dolkun Isa, le président du Congrès mondial ouïghour, invité à Berne par la Société pour les peuples menacés.

Une visite prévue de longue date, mais que le hasard du calendrier a fait tomber dans une actualité brûlante: lundi le Consortium international des journalistes d’investigation publiait les China Cables , une semaine après la publication par le New York Times de fuites, issues probablement de l’intérieur même du Parti communiste chinois. Les deux prouvent de façon irréfutable ce que nous savions déjà : 1– 3 millions (plutôt 3 millions selon Dolkun Isa) de musulmans ouïghours et d’autres minorités ethniques croupissent dans des camps au Xinjiang, dans l’ouest de la Chine, sur ordre du président Xi Jinping lui-même, qui a décrété qu’il fallait éradiquer l’Islam. Au programme : « dé-islamisation » (avec obligation de manger du porc et de boire de l’alcool), mauvais traitements, torture et travail forcé.

“Une partie des tomates et du coton produits par le travail forcé”

« En dehors des camps, la situation n’est pas tellement meilleure, a continué Dolkun Isa. La surveillance par intelligence artificielle est omniprésente et elle s’accompagne de pressions psychologiques et de menaces. Les gens ont peur de se parler. La Chine utilise les caméras de reconnaissance faciale, les a même exportées dans 18 pays, et elle va installer des caméras de reconnaissance émotionnelle. 400’000 Ouïghours ont été déplacés des camps vers d’autres régions et nous craignons qu’ils servent à la transplantation « d’organes halal ». Malgré cela, les pays et les entreprises étrangères continuent à faire des affaires en Chine, comme si de rien n’était. Une partie du coton et des tomates produits au Xinjiang sont issus du travail forcé. La Suisse, malheureusement, a été le premier pays européen à conclure un accord de libre-échange avec la Chine, mais avec vos relations commerciales et diplomatiques, vous pouvez agir !»

Dolkun Isa à Berne, le 28 novembre 2019

Comité mixte de l’accord de libre-échange inutile

Malheureusement la Suisse ne va pas faire grand-chose. Certes, le 26 novembre le DFAE a publié un communiqué exprimant sa vive inquiétude et appelant le gouvernement chinois à garantir à l’ONU un libre accès à la région. Le 22 octobre, dans le cadre du dialogue stratégique, le conseiller fédéral Ignazio Cassis a exprimé son inquiétude face à la situation au Xinjiang.

Mais le dialogue sur les droits humains a été reporté sine die par Pékin, après que la Suisse eut signé une lettre au Conseil des droits de l’homme condamnant les agissements au Xinjiang. Quant à l’accord de libre-échange, il est bien flanqué d’un accord parallèle sur les droits du travail, dont la violation peut être discutée dans le cadre du « comité mixte ». Mais le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) n’a pas l’air d’avoir pensé à le faire, ni de savoir quand aura lieu le prochain comité, qui se tient d’habitude tous les deux ans. Ceci soulève de sérieux doutes sur l’utilité du chapitre sur le développement durable (ou sur les droits du travail dans le cas de la Chine) contenu dans les accords de libre-échange, dont on voit bien que le respect relève du bon vouloir des Etats. Et visiblement, la Suisse n’est pas pressée de se mettre à dos ses partenaires commerciaux pour défendre les droits humains.

Suspendre l’accord de libre-échange

Dès lors Alliance Sud, la Société pour les peuples menacés et Public Eye – réunies dans la Plateforme Chine lors de la négociation de l’accord de libre-échange – demandent à la Suisse de suspendre l’accord tant que la situation des droits humains au Xinjiang ne s’est pas améliorée et que le travail forcé n’a pas cessé. Le risque est trop grand que des produits issus du travail forcé, ou même des composants entrant dans la fabrication de produits importés, comme le coton, arrivent sur le marché helvétique à titre préférentiel. Ce n’est pas une crainte infondée : selon le Wall Street Journal, Adidas, H&M et Esprit sont empêtrés dans le travail forcé des camps.

La semaine prochaine, le député PS Fabian Molina va déposer au Conseil national une motion dans ce sens : elle demande de suspendre l’accord de libre-échange tant que les camps ne sont pas fermés et que la Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et les procédures spéciales de l’ONU n’ont pas libre accès au Xinjiang – une recommandation exprimée par la Suisse elle-même lors de l’Examen périodique universel de la Chine en 2018.

Maison détruite à Kashgar, Xinjiang

Demander aux entreprises suisses d’exercer une diligence raisonnable

Notre deuxième revendication est que la Suisse demande aux entreprises helvétiques actives au Xinjiang d’exercer leur devoir de diligence, c’est-à-dire de montrer qu’elles ont pris toutes les mesures nécessaires pour éviter de violer les droits humains. Le très sérieux site d’information China File a recensé 68 multinationales européennes présentes au Xinjiang, dont plusieurs suisses: ABB, Chubb, Nestlé, Louis Dreyfus, Roche, Novartis, UBS, SwissRe. Certaines se fournissent en tomates auprès d’une entreprise d’Etat, d’autres font du négoce de coton, d’autres financent ou construisent des infrastructures. S’assurent-elles qu’elles ne violent pas les droits humains tout au long de leur chaîne de production? Pour l’instant en droit suisse il est difficile de les y obliger – alors même que c’est prévu par les Nations Unies -, mais si l’Initiative pour des multinationales responsables est adoptée, elle va combler cette lacune.

Le Congrès mondial ouïghour lui-même a demandé aux entreprises suisses actives au Xinjiang de faire très attention.

Suspendre le protocole d’entente sur les Nouvelles routes de la soie

Finalement, nous demandons à la Suisse de suspendre le protocole d’entente avec la Chine sur les Nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative), signé en avril passé, qui prévoit une collaboration entre les deux pays pour soutenir leurs entreprises dans la construction d’infrastructures dans les pays tiers, surtout en Asie centrale.

Nous demandons aussi que la Suisse s’assure que les Ouïghours présents sur son territoire ne fassent pas l’objet de surveillance ou d’intimidations.

Ces mesures devraient éviter à la Suisse de risquer de participer, même indirectement, à « la plus grande incarcération de masse d’une minorité ethnico-religieuse depuis la deuxième guerre mondiale », comme l’a qualifiée le Consortium international des journalistes d’investigation.


Voir aussi de la même auteure:

Des Ouighurs sont soumis au travail forcé, il faut boycotter la Chine

Malgré la répression des Ouighurs, la Chine entretient des relations privilégiées avec la Chine

“Des Ouïghours sont soumis au travail forcé. Il faut boycotter la Chine”

Dolkun Isa, le président du Congrès mondial ouïghour, estime que 1 à 3 millions d’Ouïghours sont détenus dans des “camps de concentration du XXIe siècle”. Il ne croit pas que la plupart ont été libérés, comme affirmé récemment par la Chine, et accuse les pays musulmans d’avoir abandonné leurs coreligionnaires chinois pour faire des affaires avec Pékin. 

De retour des Etats-Unis, où il a été reçu par les plus hautes autorités, le président de l’organisation faîtière de la diaspora ouïgoure, basée en Allemagne, affirme que la Chine a lancé une guerre contre l’Islam, non seulement au Turkestan oriental [Xinjiang], mais sur tout son territoire. Il est préoccupé par l’aggravation de la situation sur place et appelle la communauté internationale à ne pas être complice de ce “nettoyage ethnique”. Il sera en Suisse en novembre.

La Chine a déclaré récemment que la plupart des Ouighours détenus dans les camps avaient été libérés. Quelle est votre réaction ?

Le Congrès mondial ouighour ne croit pas du tout que le gouvernement chinois ait libéré 90% des détenus, comme l’a prétendu le gouverneur du Parti communiste chinois de la région. Il n’y a absolument aucune preuve de cela. Les Ouïghours vivant à l’extérieur de la Chine et dont les familles ont disparu dans les camps ne peuvent toujours pas les contacter. Malgré les appels de la diaspora ouïgoure, des journalistes et d’autres militants, le gouvernement chinois n’a fourni aucune preuve de ses allégations. Même en 2019, des universitaires et des journalistes ont utilisé l’imagerie satellitaire pour démontrer que les camps ont continué à se développer et que de nouvelles installations ont vu le jour. Il est peu probable que le gouvernement chinois ait investi autant d’argent dans la construction de ce système de camps s’il avait soudainement décidé de libérer la majorité des détenus.

Au lieu de cela, il semble qu’il s’agisse d’une nouvelle tentative de la Chine pour réduire la pression qu’elle ressent et faire taire les critiques sur son horrible bilan en matière de droits humains. Tout au long de cette crise, le gouvernement chinois a systématiquement menti pour échapper aux critiques. Il a nié à plusieurs reprises l’existence même des camps jusqu’en août 2018, puis a prétendu que c’étaient des « centres de formation professionnelle ” volontaires pour donner aux étudiants des ” compétences professionnelles “. Puis, fin 2018, il a affirmé que les camps constituaient une mesure ” antiterroriste”. Compte tenu de ce schéma constant de mensonges, toute déclaration du gouvernement chinois au sujet des camps doit être considérée avec scepticisme.

A propos de pression justement, le mois passé 23 pays occidentaux ont soutenu les Ouighours. Quelques jours plus tard 37 pays, dont beaucoup de musulmans, ont soutenu la Chine. Etes-vous déçus par ces derniers ?

En effet, parmi les 37 pays qui ont signé la deuxième lettre adressée au Conseil des droits de l’homme, 16 sont musulmans. C’est très dommage, mais nous nous y attendions car depuis le début aucun pays musulman n’a soutenu notre cause. Pourtant les responsables du Parti communiste chinois ont déclaré que l’Islam est une “maladie idéologique” qui doit être “éradiquée”. Aujourd’hui, la Chine n’a pas seulement une politique de répression à l’égard des Ouïghours ; elle commence une guerre contre l’Islam (et toutes les religions en Chine), non seulement au Turkestan oriental [Xinjiang], mais aussi dans d’autres provinces musulmanes. En 2017-2018, le gouvernement chinois a détruit 3000 à 5000 mosquées au Turkestan oriental et en 2018, il a interdit et recueilli des Corans, des tapis de prière et des livres liés à la religion et il a brûlé les Corans très ouvertement. Aucun pays musulman n’a réagi. Depuis 2015, pendant le Ramadan, il est interdit de jeûner au Turkestan oriental et, lentement, l’accès aux mosquées est également restreint. Aujourd’hui, la plupart des mosquées sont vides et entourées de barbelés et de caméras de sécurité.

Pourquoi ces pays soutiennent-ils la Chine ?

Pour différentes raisons. Il y a d’abord les avantages économiques : la plupart d’entre eux font des affaires avec la Chine dans le cadre de la Nouvelle route de la soie, lancée par le président Xi Jinping en 2014. Deuxièmement, la plupart de ces pays ont des régimes autoritaires et de piètres résultats en matière de droits humains. En Arabie saoudite, en Égypte, au Pakistan, les minorités ethniques et religieuses sont persécutées. Avant de condamner d’autres pays, il faut balayer devant sa porte et ces pays se tiennent par la barbichette.

Comment évolue la situation au Turkestan oriental [Xinjiang] ?

Il est impossible de savoir combien de personnes sont détenues dans les camps, mais notre meilleure estimation se situe entre 1 et 3 millions, plus probablement autour de 3 millions. Ce sont pratiquement des camps de concentration du XXIe siècle. Il est très difficile de savoir ce qui se passe là-bas, mais les très rares témoins qui ont réussi à sortir de Chine ont parlé de torture psychologique et physique. Ma mère est morte dans l’un de ces camps l’année dernière, à l’âge de 78 ans, mais jusqu’à présent je ne connais pas la cause ou les circonstances de sa mort et de sa détention. Pendant plus de deux ans, je n’ai pas pu avoir accès à ma famille au Turkestan oriental, alors je ne sais pas si mon père est encore vivant. Le problème n’est pas seulement d’obtenir des informations de l’intérieur du camp, mais aussi de l’extérieur. Plus de 60 morts dans les camps ont été signalés nommément, mais nous ne savons pas combien de personnes qui n’ont pas été signalées y sont mortes. Le nombre réel est certainement beaucoup plus élevé.

Selon la BBC, les enfants des familles qui se trouvent dans les camps sont transportés dans des internats, où ils sont endoctrinés et subissent le lavage du cerveau. Le gouvernement leur donne des noms chinois et leur apprend la langue chinoise pour détruire leur identité. Ils sont endoctrinés à être loyaux envers le Parti communiste chinois. Selon Bitter Winter, un magazine sur la liberté religieuse et les droits de l’homme en Chine, jusqu’à 2’000 Ouïghours ont été récemment transférés dans d’autres provinces, ce qui nous inquiète vivement. Peut-être seront-ils tués ou utilisés pour le prélèvement d’organes.

Y a-t-il du travail forcé dans ces camps ?

Oui, il a été rapporté par de nombreux médias crédibles. Il y a des millions de personnes dans les camps et il est presque sûr que certaines sont soumises au travail forcé et que les produits qu’elles fabriquent sont exportés dans le monde entier. En outre, des entreprises de haute technologie coopèrent avec le gouvernement chinois pour la reconnaissance faciale et d’autres technologies de surveillance. D’autres entreprises, dont certaines européennes, coopèrent d’une autre manière en installant leurs usines sur place. 70% des tomates utilisées dans des sauces très connues sont produites au Turkestan oriental, principalement par le travail forcé.

Qu’attendez-vous de la communauté internationale ?

La lettre des 23 pays était un bon moyen de soulever la question. Elle a exercé une forte pression sur le gouvernement chinois, c’est pourquoi, deux jours plus tard, il a encouragé d’autres pays à faire une déclaration en sa faveur. Maintenant il se sent en position d’accusé, c’est un bon pas. Nous devons former une large coalition d’États et d’individus pour dire collectivement à la Chine qu’elle doit immédiatement mettre fin à ce crime contre l’humanité.

Les États ne devraient pas faire comme si de rien n’était avec la Chine. Ils devraient recourir à des sanctions ciblées, ce qui la placerait dans une position de faiblesse car elle a besoin de la technologie occidentale.

Ne craignez-vous pas d’être instrumentalisés dans la guerre économique entre les États-Unis et la Chine ?

Nous sommes reconnaissants pour le soutien de nombreux responsables américains et espérons que le gouvernement américain est sincère. Toutefois, nous voulons être absolument clairs sur le fait que la crise au Turkestan oriental et la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine sont des questions totalement distinctes. Ce qui arrive au peuple ouïghour est un crime contre l’humanité. La communauté internationale a l’obligation morale de dénoncer et de mettre fin à ces violations flagrantes des droits humains car elles constituent un tort moral objectif.


Une version de dette interview a d’abord été publiée par Le Courrier

L’OMC veut sortir l’artillerie lourde pour contenir la Chine

Photo: magasin chinois à Buenos Aires © Isolda Agazzi

En prenant l’OMC en otage, Donald Trump pousse les membres à proposer des réformes radicales pour, de fait, contrer les mesures prétendument déloyales adoptées par Pékin : transfert forcé de technologie, subventions aux entreprises détenues par l’Etat et statut de pays en développement.

C’est la réponse du berger à la bergère : après avoir bloqué la nomination des nouveaux juges à l’Organe d’Appel, le 30 août Donald Trump menaçait carrément de quitter l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ni une, ni deux. Si trois groupes de travail planchaient depuis un certain temps sur la réforme de l’organisation, le 18 septembre l’Union européenne s’est dépêché de présenter un « concept paper » qui propose, point par point, des réponses  aux principales critiques américaines. Affirmant sans ambages que le système commercial multilatéral fait face à la pire crise de son histoire, la Commission européenne prend le taureau par les cornes en attaquant, sans jamais la nommer, les pratiques prétendument déloyales de la Chine.

Transfert forcé de technologie

A commencer par la délicate question du transfert forcé de technologie. Les Etats-Unis ont toujours affirmé que c’était l’une des principales raisons pour laquelle ils avaient imposé des droits de douane de l’ordre de 250 milliards USD sur les marchandises chinoises et menaçaient d’y ajouter 267 milliards USD.

En effet, comme constaté même par des observateurs indépendants, la Chine exige que, pour pouvoir accéder à son immense marché, les investisseurs étrangers cèdent des technologies et innovations stratégiquement importantes à une entité locale. Selon des études officielles américaines, les détenteurs américains de propriété intellectuelle perdent des dizaines, voire des centaines de milliards à cause de ce transfert forcé de technologie et d’une faible protection de la propriété intellectuelle. Comment font les Chinois ? Ils obligent les multinationales qui veulent investir dans certains secteurs à établir des joint-ventures avec des entreprises locales, qu’elles ne contrôlent pas. C’est le cas dans l’industrie automobile par exemple, où les fabricants chinois pourraient vouloir mettre la main sur la technologie nécessaire à fabriquer des voitures électriques.

Photo: vue depuis le siège de l’OMC à Genève, © Isolda Agazzi

Concentré de tomate italien produit au Xinjiang

Le problème est que les entreprises chinoises peuvent devenir de véritables concurrents, non seulement sur le marché chinois, mais à l’international. C’est l’amère expérience qu’ont fait les fabricants italiens de concentré de tomate: à la fin des années 1990, ils ont commencé à faire pousser des tomates et à produire du concentré au Xinjiang, région autonome à majorité musulmane et turcophone de l’ouest de la Chine, où Pékin envoie depuis les années 1950 une armée de pionniers, directement liés au gouvernement central, pour l’assimiler au reste de la Chine Han (aujourd’hui cette région est tristement connue pour les camps de rééducation des Ouighours). Les Italiens ont fourni aux entreprises d’Etat chinoises, fortement subventionnées et pouvant compter sur une main d’œuvre sous-payée et le travail des enfants, la technologie et le savoir-faire nécessaires à produire du concentré de tomate, qu’ils réimportaient en Italie. Mais tel le monstre de Frankenstein, l’idée à priori géniale de délocaliser la production dans un pays bon marché s’est retournée contre les Italiens, lorsque les Chinois ont commencé à exporter le concentré de tomates, non seulement en Italie, mais dans le monde entier, faisant une concurrence (déloyale) à leurs mentors italiens. Le problème est que ce transfert forcé de technologie est très difficile à prouver car les entreprises n’aiment pas admettre qu’elles ont été mises sous pression, ou que, pour gagner des parts de marché, elles ont accepté de dévoiler des secrets qu’elles auraient préféré garder pour elles.

Entreprises détenues par l’Etat

Ce qui accentue encore le problème c’est qu’en Chine de nombreux secteurs d’importance stratégique sont largement dominés par les entreprises détenues par l’Etat. On pense aux transports, aux télécommunications, à l’électricité, aux compagnies aériennes, ou à la médecine. Les PDG de ces sociétés sont nommés par le parti communiste et les décisions qu’ils prennent sont susceptibles de servir davantage les intérêts du pays plutôt que des intérêts commerciaux à court terme (par ex. fabriquer un jour un avion chinois). Même dans les secteurs officiellement ouverts, les entreprises étrangères peuvent être mises sous pression pour transférer la technologie afin d’avoir les autorisations nécessaires, souvent difficiles et opaques à obtenir au niveau local. Dans son « concept paper », la Commission européenne estime que l’OMC a besoin de nouvelles règles pour améliorer l’accès au marché des investisseurs étrangers dans des secteurs jusqu’ici fermés. Et aussi pour interdire des pratiques jugées « discriminatoires », comme les exigences de performance, qui obligent un investisseur étranger à produire un intrant localement, à utiliser un fournisseur de service local, ou à recruter de la main d’œuvre sur place.

De surcroît, ces entreprises reçoivent des subventions, certes interdites par l’OMC, mais non appliquées puisque la moitié des membres – et donc pas seulement la Chine – ne les notifient pas. Par ailleurs, le degré d’interférence de l’Etat dans ces entreprises est difficile à mesurer. L’UE propose de clarifier tout cela, d’améliorer le processus de notification et d’imposer des critères plus stricts pour éviter la surproduction, qui fait chuter les prix sur les marchés internationaux et a un effet de distorsion sur la concurrence.

Photo: siège de l’OMC à Genève, © Isolda Agazzi

Quid des autres pays en développement ?

Dans le collimateur des Etats-Unis – et forcément repris dans le papier de la Commission européenne -, on trouve aussi le serpent de mer du statut de pays en développement. A l’OMC, à l’exception des Pays les moins avancés (PMA) – qui constituent une catégorie définie par l’ONU et qui compte 47 pays aujourd’hui – les membres s’auto-classifient en pays développés ou pays en développement. Ces derniers bénéficient d’un traitement spécial et différencié, qui comporte une réduction moindre des droits de douane, des temps d’adaptation plus longs, etc. Sauf que cette catégorie, qui comprend 2/3 des membres, compte désormais des pays aussi disparates que la Côte d’Ivoire, la Corée du Sud et la Chine. Elle est donc de plus en plus contestée par les pays industrialisés et la Commission européenne propose que les pays « graduent » volontairement, ou qu’il y ait  une forme ou l’autre de différenciation.

Ces propositions de réforme laissent perplexe. C’est précisément parce que la Chine a mené une politique économique pas toujours conforme aux règles de l’OMC qu’elle est devenue la 2ème puissance mondiale. Elle s’assure un transfert de technologie, protège les secteurs industriels sensibles et peu compétitifs, limite les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques, subventionne les entreprises détenues par l’Etat, introduit des exigences de performance et profite de son statut de pays en développement… Cela lui a tellement bien réussi qu’aujourd’hui elle fait peur. Pour contenir son expansion, les pays industrialisés veulent réformer l’OMC. Le grand danger est que ces réformes s’appliquent aussi aux pays pauvres qui ont (encore) besoin de faire transférer la technologie, subventionner le secteur industriel, protéger les secteurs sensibles, avoir des entreprises d’Etat capables de mener une politique industrielle digne de ce nom, bénéficier d’un traitement de faveur en tant que pays en développement. En visant la Chine, le danger est grand de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Cet article a d’abord été publié dans Global, le magazine d’Alliance Sud

La Patagonie menacée par les mines et les grands barrages

Photo: glacier du Perito Moreno, © Peter Dielmann

Dans la Patagonie argentine, une entreprise chinoise est en train de construire deux grands barrages qui menacent le glacier du Perito Moreno. Une multinationale canadienne pourrait exploiter la plus grande mine d’argent du monde. A Vaca Muerta, Chevron extrait du pétrole et du gaz par la technique controversée du fracking. Les résistances s’organisent, alors que les défenseurs des droits humains s’inquiètent de l’avancée des investissements chinois en Amérique latine.

L’entreprise chinoise Gezhouba est l’actionnaire majoritaire de Represas Patagonicas, un consortium qui est en train de construire les deux plus grands barrages d’Argentine : le Condor Cliff et La Barrancosa, sur le fleuve Santa Cruz, au sud de la Patagonie. Le projet avait été adjugé en 2008, sous l’ancienne présidente Cristina Kirchner, mais la crise économique – et une forte opposition des mouvements de protection de l’environnement et des peuples autochtones – avaient empêché l’avancement des travaux – jusqu’à l’entrée en scène du puissant financier chinois, qui a injecté 4’714 millions USD dans le projet. Après la réalisation d’une étude d’impact environnemental et la tenue d’un débat public en 2017, les travaux ont démarré.

« Beaucoup de gens avaient pourtant participé à cette audition publique pour dire qu’ils étaient contre le projet ! s’exclame Soledad Veron, du Movimiento Patagonia Libre, lors d’un atelier organisé le 28 novembre à Buenos Aires, dans le cadre de la semaine d’action contre le G20. Elle nous explique que Gezhouba est une entreprise détenue par l’Etat chinois. Or, comme la Chine n’a plus de rivières pour construire des barrages, le gouvernement conclut des contrats à tour de bras avec des pays étrangers pour pouvoir continuer à construire ailleurs. « Mais la rivière Santa Cruz est très fragile, ajoute-t-elle. Elle conflue dans le glacier du Perito Moreno, la troisième réserve d’eau douce au monde, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, qui est ainsi menacé. Les barrages vont couper la rivière, qui va devenir un lac. Celui-ci va venir frapper le mur du glacier et il peut causer des inondations ».

©  Movimiento Patagonia Libre

Le Movimiento Patagonia Libre s’oppose aux méga barrages et à l’extractivisme

Pour s’opposer à ce méga projet hydroélectrique et à l’avancée des politiques extractivistes en Patagonie, le mouvement s’est créé en 2017 à Pietra Buena (Santa Cruz), rassemblant des habitants d’El Chalten, d’El Calafate et d’autres lieux isolés de cette région du bout du monde. « En hiver il est très difficile de voyager dans nos terres, heureusement que les réseaux sociaux et internet nous permettent de garder le contact ! », fait remarquer Soledad. En plus des dégâts environnementaux, le collectif dénonce la perte de la biodiversité, le manque de consultation des communautés Mapuche et Tehuelche et une clause du contrat, appelée « clause de défaut croisé», qui implique que lorsqu’un débiteur entre en situation de défaut sur l’un de ses prêts, il entre automatiquement en situation de défaut dans les autres projets qui contiennent la même clause. Ce qui, de fait, lie les mains de l’Etat argentin qui, même s’il le voulait, aurait beaucoup de peine à arrêter le projet.

« Le gouvernement mise sur l’extractivisme et l’exploration minière pour sortir de la crise, mais nous savons que ces entreprises créent des emplois précaires, qui ne durent que quelques années, après les travailleurs se retrouvent à la rue, s’exclame Soledad. Genzhouba est en train d’amener tout de Chine, cette construction ne bénéficie à personne à part le gouvernement chinois, pourtant on est en train de s’endetter et de polluer l’environnement. D’ailleurs la province de la Rioja [nord de l’Argentine], qui est celle où il y a le plus de mines, est la plus pauvre du pays ! »  

15 investissements chinois violeraient les droits humains en Amérique latine

Gezhouba est l’entreprise qui a construit le barrage des Trois Gorges en Chine, le plus grand du monde, pointé du doigt pour les conséquences environnementales désastreuses qu’il a eu sur le fleuve Yangtzé. Elle a été sanctionnée par la Banque mondiale pendant 18 mois pour mauvaise pratique, fraude et corruption dans différents projets. Face à l’influence croissante de la Chine en Amérique latine, 21 organisations de la société civile régionale s’inquiètent de la participation d’entreprises chinoises dans le développement de projets miniers, énergétiques et d’infrastructures. Dans une note, elles les accusent de faire fi des mécanismes de diligence raisonnable prévus par les Nations Unies pour garantir le respect des droits humains des communautés affectées. Bien que les investissements chinois soient particulièrement opaques et difficiles à détecter, les militants estiment qu’au moins 15  à 18 projets violent les droits des populations autochtones et menacent l’environnement sur le continent, dont huit en Equateur, quatre au Pérou, un en Bolivie, un au Brésil et ledit projet de méga-barrages en Argentine. En 2017, le Comité de l’ONU sur les droits économiques, sociaux et culturels a estimé qu’un Etat doit adopter les mesures adéquates pour s’assurer que ses entreprises, qu’elles soient publiques ou privées, respectent les droits économiques, sociaux et culturels, particulièrement lorsqu’elles travaillent à l’étranger. Or, pour ces défenseurs des droits humains, la Chine n’est pas en train de remplir ses obligations extraterritoriales.

Baleine à Puerto Madryn, avec la Meseta en arrière-plan

Mine d’argent prête à être exploitée par une entreprise canadienne, malgré l’interdiction de la loi

Au nord de la Patagonie, ce sont surtout les entreprises minières canadiennes qui suscitent l’indignation des défenseurs de l’environnement. Dans la province du Chubut, connue pour la réserve de la Péninsule Valdes, qui abrite des baleines, pingouins, orques, éléphants de mer et autres animaux marins menacés, « le gouvernement est en train d’explorer la possibilité de confier l’exploitation d’une mine d’argent, le projet Navidad, à l’entreprise canadienne Pan American Silver, alors même que l’exploitation minière à ciel ouvert est interdite dans cette province. Ce serait la plus grande du monde et l’extraction du métal se ferait par le cyanure, qui est extrêmement polluant! » S’indigne Pablo Ceballos, de l’Asamblea de Puerto Madryn, présent au même atelier.

Pan American Silver, géant minier basé à Vancouver, possède des mines aux Etats-Unis, au Pérou, en Bolivie, au Mexique et trois en Argentine, dont celle de Navidad, prête à être exploitée, mais qui se heurte (pour l’instant) à la loi de la province de Chubut – en Argentine l’exploitation minière relève de la législation provinciale.

L’Asamblea de Defensa del Territorio relève que sur les 22 millions d’hectares que compte la province,  4 millions ont déjà été octroyés à des concessions minières et 130 projets supplémentaires sont en cours de préparation. L’association de défense du territoire s’indigne que l’exploitation minière consomme des millions de litres d’eau, alors que dans la région de la meseta (haut-plateau), l’eau manque déjà cruellement. Elle accuse l’extraction minière d’augmenter la sécheresse de la Patagonie, en entraînant la diminution des pluies, la baisse du débit des rivières et des ruisseaux, la baisse du niveau des nappes phréatiques et, au final, l’augmentation de la température moyenne de la planète

Vaca Muerta : pétrole et gaz exploités (entres autres) par Chevron

Un autre investissement qui inquiète les défenseurs de l’environnement est celui de Chevron à Vaca Muerta, dans la province de Neuquen, au nord de la Patagonie. L’entreprise étasunienne, déjà accusée d’avoir pollué l’Amazonie équatorienne, est en train d’exploiter un immense gisement de pétrole et de gaz par la technique de la fracturation hydraulique. « Les habitants commencent à avoir des problèmes respiratoires. L’accord entre Chevron et l’Argentine contient des clauses secrètes. Ce gouvernement a promis qu’il allait les révéler avant d’être élu, mais il n’a rien fait! », accuse Pablo  Cevallos.

« L’exploitation du gisement de Vaca Muerta par Chevron permet à l’élite nationale de multiplier par deux ou trois le prix du gaz et du pétrole, s’indignait le sénateur Fernando Solanas, président de la Commission Environnement et développement durable du Sénat argentin, lors d’une rencontre avec la presse le 27 novembre à Buenos Aires. Aujourd’hui, l’Argentine paie le gaz le plus cher au monde, alors même qu’elle en produit. L’adoption de ce système a entraîné la dollarisation des tarifs énergétiques. Pourquoi faut-il dollariser l’énergie si elle est extraite en Argentine et alors que nous n’en importons quasiment pas? Nous sommes en train de  perdre notre souveraineté.»

 

Voir aussi la suite de cet article, Extraction minière à Chubut en Patagonie: “non c’est non”! du 13 janvier 2019