Aimer le plastique pour ne pas le jeter

George Nuku expose Bouteille à la mer 2120 au Muséum de Genève. L’artiste maori invite à considérer le plastique comme un matériel précieux, venant de la nuit des temps et qui nous relie à la nature – et donc à ne pas le jeter. Une perspective sensible et renversante sur l’environnement

Baignée dans une lumière bleutée, une pirogue vogue sur une mer de plastique, entourée de poissons et de méduses. L’atmosphère sombre invite au recueillement, on dirait une cérémonie funèbre… C’est l’œuvre étonnante de George Nuku, un artiste maori – la population autochtone de Nouvelle- Zélande – mâtiné d’origines écossaises et celtes, auteur de Bouteille à la mer 2120, une exposition qui se tient au Muséum d’Histoire Naturelle de Genève jusqu’au 27 juin. Un montage réalisé à partir de centaines de bouteilles en PET recyclé qu’une dizaine de volontaires ont ouvertes, décapsulées, nettoyées et assemblées pendant deux mois pour créer un espace marin fantasmagorique dans lequel on flotte comme dans un rêve.

George Nuku est aussi un activiste et un punk qui veut attirer l’attention du public sur le plastique qui submergera nos océans d’ici cent ans. Avec une vision sensible pour changer notre regard sur l’environnement : dans la cosmogonie maorie tout est nature, il n’y a pas de distinction entre les humains, les poissons et les arbres. Le plastique, fabriqué à partir de pétrole, vient de la nuit des temps. C’est donc un matériel tellement précieux qu’on ne peut pas le jeter.

George Nuku © Isolda Agazzi

“Dans 100 ans, beaucoup de gens vivront sur des pirogues”

« C’est bien d’avoir un peu de punk, déclare-t-il crânement. Les bouchons des bouteilles que vous voyez là sont provocateurs, c’est une tentative de raconter ce qui se passe sur nos plages et nos océans d’une manière qui complète le discours actuel sur l’environnement. Car contrairement à ce qu’on dit, le plastique est très beau. Le principal message que nous entendons est que nous devrions arrêter de l’utiliser pour qu’il ne se déverse pas dans l’océan. La question est de savoir comment. Un moyen serait de dire que chaque bouteille coûte 10’000.- puisque dans notre monde c’est l’argent qui dicte la valeur. Mais nous voulons dire les choses autrement : la bouteille en plastique est un objet précieux. Quand elle était vide et que les bénévoles nous l’apportaient, ils devaient enlever le bouchon, nettoyer l’intérieur, la couper, la manipuler. Chaque bouteille a été manipulée 1’000 fois, ce n’est pas de l’amour ça ?»

Cette exposition étonnante sur la pensée maorie nous apprend que nous sommes plastique et que celui-ci est notre origine puisqu’il vient du pétrole. Elle vise à nous sensibiliser autrement aux dangers de la pollution : dans 100 ans, avec la hausse du niveau des mers, beaucoup de gens vivront sur des pirogues, au milieu d’un océan de plastique. En soi celui-ci n’est pas mauvais, mais il faudrait le traiter mieux. Il faut lui donner de la valeur, le cajoler comme un bébé pour ne pas le jeter.

« Soit tout est sacré, soit rien ne l’est. Ce que vous voyez ici c’est comme un grand pardon, c’est la façon de présenter les morts dans ma culture. Tous les animaux, les pierres, les trésors doivent être honorés. Prenez-en soin car c’est Dieu tout entier », conclue George Nuku.


Une vision de cette chronique a été publiée par l’Echo Magazine

Sauver les glaciers, des Alpes aux Andes

Glacier de Corbassière, septembre 2020 © Isolda Agazzi

Les effets du changement climatique se font sentir dans les Alpes, mais aussi dans les pays du Sud. L’Alliance Climatique Suisse et les organisations de développement demandent aux pays industrialisés d’aider les pays pauvres à réduire leurs émissions et à s’adapter à la nouvelle donne

Le glacier de Corbassière s’éteint lentement dans la lumière bleutée du soir, avant de briller à nouveau sous les étoiles qui s’allument l’une après l’autre, dans une voûte céleste balayée par les nuages. Au cœur des Alpes valaisannes, sur la terrasse de la cabane Panossière, on frôle le ciel et on entend presque la respiration du glacier en face – à moins que ce soient les soubresauts des ruisseaux qui dévalent la pente et formeront, avant de toucher terre, des lacs dans toutes les tonalités de bleu.

Pourtant le lendemain matin, après avoir descendu la moraine et traversé non sans quelques frissons  la passerelle de Corbassière, c’est une réalité moins poétique qui saute aux yeux : le recul inexorable du glacier en deux ans seulement, photos à l’appui. Cette passerelle vertigineuse, l’un des ouvrages en acier les plus hauts d’Europe, a été inaugurée en 2014 et parrainée par Toni Rüttimann, le célèbre bâtisseur de ponts en Birmanie, au Cambodge, au Laos, au Vietnam et en Equateur grâce à des câbles usagés fournis par Téléverbier et d’autres entreprises de remontées mécaniques helvétiques.

Passerelle de Corbassière © Isolda Agazzi

Justice climatique

Un trait d’union entre la Suisse et le reste du monde, pourrait-on dire… Un peu comme la célébration organisée début septembre, au glacier du Trient tout proche, par l’Alliance Climatique Suisse, Pain pour le Prochain et Action de Carême. «Nous avons voulu commémorer les 500 petits glaciers qui ont disparu en Suisse ces 30 – 40 dernières années, mais aussi mettre l’accent sur la justice climatique, souligne Yvan Maillard de Pain pour le Prochain: les effets du réchauffement se font sentir surtout dans les pays en développement qui n’y ont pourtant pas contribué, ou très peu. Les pays industrialisés ont donc la responsabilité de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et d’aider les pays du Sud à s’adapter à la nouvelle donne.»

A savoir les catastrophes naturelles, cyclones, sécheresses prolongées et autres fontes des glaciers dans les Andes tropicales et l’Himalaya…. En ratifiant l’accord de Paris sur le climat, les pays industrialisés se sont engagés à allouer 100 milliards d’USD par an aux pays du Sud. Selon le calcul des ONG, la Suisse doit y contribuer à hauteur de 1 milliard par an, mais elle se limite à 600 millions.

Glacier de Corbassière, septembre 2018 © Simon Panchaud

Nouvelle loi sur le CO2 : insuffisante, mais un pas dans la bonne direction

Le mois passé, après d’innombrables allées – retours, le Parlement a adopté la révision de la loi sur le CO2. Pour les 90 organisations membres de l’Alliance Climatique Suisse, elle va dans la bonne direction, mais reste insuffisante car elle prévoit la neutralité carbone pour 2050 et non pour 2040, comme elles le réclament. Neutralité carbone veut dire que la  Suisse devra réduire ses émissions fossiles de 100% et ne plus rejeter dans l’atmosphère davantage de gaz à effet de serre que ne peuvent en absorber les réservoirs, appelés « puits carbone. »

« D’un point de vue global, nous ne sommes pas entièrement satisfaits, nous déclare Jürg Staudenmann d’Alliance Sud, mais il faut achever enfin ce processus qui s’éternise et utiliser la nouvelle loi comme base pour des mesures climatiques ultérieures plus ambitieuses. La menace de référendum brandie par la droite et par certains courants de la grève du climat conduirait à un blocage de la politique climatique suisse pendant cinq ans.»

L’expert détaille que la nouvelle loi prévoit que 75% de la réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 doit avoir lieu en Suisse (et pas 60% comme dans l’ancienne loi). En outre, la loi reconnaît également l’importance de réduire les émissions à l’étranger qui ne sont pas comptabilisées dans les objectifs climatiques de la Suisse (par le biais de certificats de réduction des émissions).

“Il s’agit d’une référence implicite au financement climatique, c’est-à-dire à des projets d’émissions sans la prétention de pouvoir “compenser” les émissions suisses”, se réjouit-il


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S’inspirer d’Icare pour combattre les criquets

Solis Nebula fabrique des ballons solaires, écologiques et bon marché, qu’elle veut utiliser pour épandre des bio-pesticides contre les criquets, en Afrique et en Amérique latine. La start-up française entend transférer sur place la technologie et le savoir-faire, mais pour un processus aussi simple il s’avère difficile de lever des fonds

Dans la mythologie grecque, Icare est puni pour son arrogance: pour avoir voulu voler trop près du soleil, il se brûle les ailes de cire et de plume. Cela ne risque pas d’arriver à Solis Nebula, une start-up française qui a mis au point une technologie dont la simplicité fait la force: des ballons captifs – reliés en permanence au sol – entièrement noirs.

«C’est le phénomène d’Albedo : plus on va vers le noir parfait, plus on capte du rayonnement thermique – pour le blanc c’est l’inverse, nous explique Christophe Praturlon, son directeur. Cela permet de récupérer tout le rayonnement thermique et de chauffer la masse d’air, comme dans une montgolfière. Sauf que dans celle-ci il faut du gaz pour chauffer l’air, tandis que notre ballon chauffe avec le soleil : la couleur noire de l’enveloppe capte le rayonnement solaire et un transfert thermique s’opère entre dedans et dehors. En vertu de la poussée d’Archimède, l’air chaud étant plus léger que l’air froid, le ballon monte. C’est renouvelable, écologique et entièrement gratuit. »

Il y a une dizaine d’année, la start-up a gagné un prix d’innovation et a été intégrée à un pôle de compétitivité dans le sud de la France. Ces ballons low-cost servaient à faire de l’imagerie aérienne et étaient commercialisés partout dans le monde. Mais les drones sont arrivés et, même si leur prix est plus élevé, l’activité de Solis Nebula est devenue beaucoup moins efficace.

Les criquets, fléau biblique

Alors Christophe Praturlon et son équipe ont pensé à l’Afrique et à l’Amérique du Sud, et aux nouvelles plaies d’Egypte qui s’abattent sur elle à cause du changement climatique. A commencer par l’invasion de criquets qui frappe le Kenya, l’Ethiopie et la Somalie depuis le début de l’année et qui met en péril la sécurité alimentaire de toute la région. « Avec la prolifération des criquets, nos ballons peuvent rendre service, continue l’ingénieur. L’idée est d’accrocher des pulvérisateurs aux ballons et d’épandre des bio-pesticides (des champignons entomopathogènes) à très bas volume, pour ne pas exterminer les locustes – si elles sont là c’est qu’elles ont une fonction – mais pour réguler leur population. »

La start-up prévoit de fabriquer les ballons sur place, en transférant la technologie et le savoir-faire pour permettre aux pays intéressés de maîtriser le processus de A à Z. Elle affirme être en contact avec de nombreux scientifiques, instances gouvernementales et instituts de recherche sur les deux continents et avoir été invitée par les onze pays qui se situent le long de la Grande Muraille Verte – l’initiative phare de l’Union Africaine pour lutter contre le changement climatique et la désertification – à venir présenter sa technologie devant la commission de l’Union Africaine, à Addis Abeba.

Délier les cordons de la bourse

En Argentine il y aurait aussi de l’intérêt. Dans le Chaco, la deuxième plus grande forêt d’Amérique latine après l’Amazonie, la prolifération de criquets avait été endiguée dans les années 1970, mais par la suite, le problème ayant disparu, la surveillance a été négligée et d’énormes nuages d’acridiens font à nouveau leur apparition.

Alors qu’est-ce qui empêche un projet aussi visionnaire de prendre son envol ? « Les fonds ! s’exclame Christophe Praturlon. C’est une idée très simple, elle n’est pas dans l’air du temps. Aujourd’hui on ne parle que de satellite et de choses très sophistiquées, mais en Afrique il faut des technologies dont toute la chaîne de production peut être maîtrisée sur place. Notre solution est relativement facile, il n’y a pas de maintenance, si le ballon se casse on en fabrique un autre. Nous livrons seulement la matière première pour sa fabrication. Nous sommes vraiment dans une démarche philanthropique, j’ai une autre activité à côté. »

Une technologie modeste qui, contrairement à Icare, ne risque pas de se brûler les ailes

Des pailles en bambou pour préserver les océans

Photo: île de Rodrigues, © Gabriella Silvestri

A la Geneva Cocktail Week ne seront utilisées que les pailles en bambou de Travel4thoughts. Convaincue que le plastique utilisé même en Suisse pollue les mers du monde entier et contribue au changement climatique, cette ONG genevoise milite contre l’utilisation des pailles en plastique en lançant un projet de production de pailles en bambou sur l’île de Rodrigues, dans  l’Océan Indien.

Rodrigues : ses plages de sable blanc, ses cocotiers qui ondulent sous les alizés, ses poulpes qui sèchent au soleil… Mais l’image d’Épinal de ce confetti perdu au milieu de l’Océan Indien, à 600 km de l’île Maurice, se heurte parfois à une réalité moins idyllique : « il y a des pailles en plastique partout !», se désole Gabriella Silvestri, fondatrice de l’ONG Travel4thoughts, Cette biologiste italienne installée à Genève s’y est rendue l’année passée pour la journée mondiale de l’environnement – placée sous l’enseigne de « Combattons la pollution plastique ! » – à l’invitation des autorités locales. Bien décidées à faire de ce petit coin de paradis une destination phare du tourisme durable, ces dernières se sont lancées corps et âme dans la lutte contre le changement climatique et ont déjà banni les sacs en plastique et les conteneurs à usage unique.

Les pailles en plastique traînent sur les marchés, jetées par les amateurs d’eau de coco, mais aussi sur les plages désertes, où personne ne vient jamais. C’est qu’elles arrivent de loin : « Plus de 200’000 pailles en plastique se retrouvent dans l’Océan Indien chaque année, nous explique la biologiste. Avec le temps, elles se transforment en de minuscules particules de la taille d’un grain de sable, très nocives pour les poissons. L’Océan Indien abrite l’une des plus grandes îles de plastique au monde, les gyres: ce sont d’immenses tourbillons ou vortex d’eau créés par les vents et les courants marins, au sein desquels les déchets plastiques se déplaçant dans les océans se regroupent et s’accumulent pour former de gigantesques zones de pollution diffuse. Ce plastique est entraîné par les courants qui charrient des déchets provenant du monde entier, même de Suisse, déversés par les rivières qui se jettent dans la mer».

Pour combattre ce fléau, Gabriella  Silvestri a lancé le projet Biostraw4water, qui vise à produire des pailles en bambou à Rodrigues même, en partenariat avec CareCo, une association qui travaille avec des personnes handicapées. Le but est de les vendre sur le marché local et international. Les autorités rodriguaises se sont engagées à interdire les pailles en plastique dès qu’assez de pailles en bambou seront produites sur l’île.

Genève, première tentative de commercialiser les pailles en bambou

La première approche du marché suisse aura lieu à la Geneva Cocktail Week, une semaine à la gloire des cocktails qui se tiendra du 25 au 29 septembre à Genève. Avec son organisation Travel4throughts, Gabriella Silvestri est responsable de la partie développement durable de l’évènement. Elle présentera ses pailles en bambou, fabriquées pour l’instant en Chine. En Chine… ? « Oui, c’est la première phase du projet, qui va nous permettre de lancer la production à Rodrigues. Dans les pailles en bambou qu’on trouve sur le marché il y a des produits chimiques comme l’eau de javel. J’ai donc décidé de faire fabriquer mes propres pailles, entièrement écologiques, par une petite entreprise familiale en Chine, qui travaille de façon responsable. Tous les gains de la vente seront dévolus au projet de Rodrigues, où le bambou pousse de façon endémique, mais est considéré comme un déchet. C’est donc un bon exemple d’économie circulaire qui crée des emplois, tout en aidant à l’insertion de personnes en difficulté ».

Tous les jours, la scientifique va animer des ateliers sur l’éco responsabilité. « Le but est de sensibiliser les gens à réutiliser les pailles en bambou, qui sont lavables, alors que les pailles en plastique ne peuvent être utilisées qu’une fois. Aujourd’hui on voit apparaître de plus en plus de pailles en papier, mais elles sont aussi à usage unique et contiennent des composantes chimiques qui peuvent être dangereuses pour la santé. Il y a aussi des pailles en acier et en verre, mais les pailles en bambou ont la consommation d’énergie la plus basse.»

La biologiste en est convaincue : les petites îles sont les plus exposées au changement climatique. Elles polluent très peu, pourtant la montée du niveau des mers risque de les rayer de la carte. Or les Objectifs de développement durable, que tous les pays du monde se sont engagés à réalisés d’ici 2030, visent à conserver et exploiter les océans de manière durable et à établir des modes de consommation et de production durable.