Photo: Rio de Janeiro © Isolda Agazzi
De passage en Suisse, deux députées brésiliennes dénoncent la politique du président Jair Bolsonaro en faveur de l’agro-business et des projets miniers, que l’accord de libre-échange avec l’AELE va renforcer, selon elles. La libération de l’ancien président Inacio Lula da Silva pourrait redynamiser l’opposition, tout comme les soutiens extérieurs, dont le Synode sur l’Amazonie.
«Le gouvernement brésilien ne donne aucune information sur l’accord de libre-échange avec l’AELE [dont la Suisse est membre], contrairement au gouvernement précédent», se désolait Marilene Alves de Souza (Leninha) la semaine passée à Berne, invitée par l’EPER (l’Entraide protestante suisse). Cette députée du Parti des Travailleurs (PT) de l’Etat fédéral de Minas Gerais préside la commission des droits humains et travaille depuis vingt ans avec les petits paysans et les communautés locales. «Depuis l’entrée en fonction de Jair Bolsonaro en janvier 2019, 290 pesticides toxiques, pour la plupart interdits en Europe, ont été autorisés, afin d’augmenter la production agricole pour le marché international. Cela se fait au détriment des terres des groupes traditionnels, dont les quilombolas et les autochtones, et crée beaucoup de conflits. Des autochtones sont assassinés, le dernier en date étant un chef Wajapi le 23 juillet. »
«Tout cela profite aux pays du Nord et aux grands producteurs brésiliens, les seuls qui exportent. La sécurité alimentaire du pays et notre nourriture sont assurées par les petits paysans », ajoute Andreia de Jesus, députée du PSOL du même Etat fédéral et co-présidente de la même commission.
Pesticides et déforestation pour augmenter les exportations
Les deux élues renchérissent : la déforestation a atteint des niveaux inégalés, dans le but de gagner de nouvelles terres pour produire davantage de viande pour l’exportation. « Cette année, les incendies ont augmenté de 82% pour atteindre 71’000 départs de feu, dont 52% en Amazonie et 31% dans la savane, détaillent-elles. Cet accord de libre-échange et celui avec l’Union européenne vont signer l’arrêt de mort de l’environnement et des droits humains.»
Le président Jair Bolsonaro a arrêté le versement de 72 millions USD par l’Allemagne et la Norvège au Fonds pour l’Amazonie. Les acteurs étrangers regrettent qu’en dix mois qu’il n’y ait plus d’interlocuteurs, ni de politique, en matière de climat, de santé, d’agriculture paysanne et de peuples autochtones.
L’Etat de Minas Gerais, deuxième utilisateur de pesticides du Brésil, exporte de la viande, du café et des produits miniers vers l’Europe. Ces trois produits peuvent compter sur un lobbying très puissant au parlement et sur des connivences étroites entre les grands producteurs et les politiciens, qui ont eu raison des tentatives des deux députées de limiter l’utilisation de pesticides.
Fin du monopole sur la vente d’armes
Andreia de Jesus ne mâche pas ses mots : « La politique de Jair Bolsonaro est une continuation du coup d’Etat contre Dilma Roussef. Il veut ouvrir le monopole des armes, réservé jusqu’à présent aux fabricants brésiliens, ce qui va renforcer la vente illégale d’armes aux milices. Les assassinats ont beaucoup augmenté depuis qu’il est au pouvoir, en ville et dans les zones rurales. L’accord de libre-échange va encourager cette politique et ouvrir encore davantage le marché des armes, des pesticides, des semences transgéniques et des produits pharmaceutique. Ce sera la désindustrialisation du Brésil ».
Selon les chiffres officiels, en 2018 la Suisse a exporté pour 12 millions CHF d’armes au Brésil.
L’autre bête noire de la députée du PSOL, c’est l’extraction minière. Premièrement parce qu’elle n’est pas taxée. Ensuite à cause des nombreux accidents survenus ces quatre dernières années, dont la rupture du barrage minier de Vale à Brumadinho, le 25 janvier. Les familles des 300 victimes n’ont toujours pas été indemnisées, affirme-t-elle, et le plus grand producteur de minerai de fer au monde peut continuer à l’extraire et l’exporter en toute impunité.
Lula, rassembleur de la gauche à nouveau ?
« Nous devons mobiliser la société contre les accords de libre-échange avec l’UE et l’AELE et créer des alliances au niveau international, lance Leninha. La récente libération de Lula peut nous aider à faire bloc contre Jair Bolsonaro. C’est une figure charismatique, reconnue au niveau international, qui peut rassembler les noyaux de résistance de la société brésilienne et soutenir les campagnes internationales, comme celle contre les pesticides toxiques. Un grand rassemblement du PT va avoir lieu fin novembre pour préparer les élections municipales de 2020, qui seront notre premier banc d’essai»
Pour les deux députées, le Synode sur l’Amazonie, organisé par le pape François fin octobre à Rome, auquel ont participé beaucoup d’autochtones, « a été très important pour la gauche». En l’absence de prêtres, les laïcs membres de la communauté sont désormais autorisés à administrer les sacrements dans les coins les plus reculés d’Amazonie. « Ce sont des régions ou les églises pentecôtistes, qui soutiennent fortement Bolsonaro, sont très présentes, relève Uli Ide, responsable de la thématique développement durable pour l’Amérique latine chez l’EPER et basé au Brésil. Cette nouvelle pastorale permet à l’Eglise catholique d’accéder aux indigènes, aux pêcheurs et aux communautés reculées et de les écouter. Cet été, lors des incendies, le pape a pris des positions très fortes sur le Brésil. Il a été très critiqué par le gouvernement à cause du synode sur l’Amazonie et par Jair Bolsonaro lui-même, qui dit que les églises ne doivent pas faire de politique ».