Une longue journée tanzanienne

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Mambo !

Bonjour du pays où parfois une journée peut paraître un mois

Laissez moi vous raconter une journée quelque peu surprenante.

Tout d’abord, il faut savoir que pour infecter nos moustiques, il nous faut trouver des enfants porteurs des « œufs » de malaria. Soit des enfants qui étaient malades, ne le sont plus, mais possèdent encore le parasite au stade dit « gamétocytes » (les fameux œufs) dans le sang. Pourquoi des enfants me direz vous ? Et bien, leur système immunitaire étant moins performant, ils sont porteurs d’une plus grande quantité d’œufs.

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Comment cela se passe ?

Un travailleur social tanzanien se rend au préalable dans le village. Une grande réunion (palabre) se tient et sont présents le chef du village, les enseignants, les parents et les enfants. Notre démarche est expliquée. Ces rencontres durent en général plusieurs heures et de nombreuses questions fusent. C’est l’occasion de réexpliquer ce qu’est la malaria et faire de la prévention.

Ensuite un rendez-vous est convenu et notre équipe renforcée de collègues tanzaniens vient screener les enfants qui acceptent de participer à l’étude.

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Les enfants qui sont atteints de la malaria sont traités et ceux qui sont porteurs des œufs sont emmenés au laboratoire, accompagnés de leurs parents. Nous leur faisons une prise de sang (3ml), les soignons pour la malaria et nous les raccompagnons dans leur village. Avec ce sang prélevé nous infectons nos moustiques. Cela mériterait un article à lui tout seul et nous y reviendrons.

Bref, ce matin, nous avons un enfant à chercher dans un village. Lorenz se prépare pour cette expédition.

Rendez-vous à 7h avec le chauffeur. Hélas, la voiture ne possède plus d’essence. Il faut attendre une heure que l’administratrice arrive, signe une autorisation pour faire le plein et c’est parti. Comme elle arrive en retard, c’est à 9h que notre équipe aborde le long chemin qui les mènera dans l’arrière pays. Après une petite halte pour acheter des jus pour les enfants c’est deux heures de courageuse route, chaotique et parsemée de trous qui attend notre équipe. Les paysages sont à couper le souffle.

Les heures passent…

Soudain, un téléphone. Nous entendons la voix lointaine et grésillante de Lorenz qui évoque un problème de vaches et de policiers. Soyez patient, nous ne rentrerons pas tout de suite nous dit-il. Nous n’en savons pas plus. La petite aiguille de l’horloge parcourt encore inlassablement le cadran à plusieurs reprises avant que notre téléphone sonne à nouveau. Problème résolu nous assure-t-il, mais l’enfant a disparu. Nous le cherchons, je vous rappelle.

Le temps s’écoule. Nous sommes prêts, pipette à la main, curieux de connaitre le fin mot de ces enchainements d’événements.

Enfin, vers la fin de la journée cette même voix, un peu plus fatiguée, nous dit rentrer. Bredouille. Vous pouvez jeter les moustiques. Pas d’infection aujourd’hui.

Que s’est-il passé ?

Et bien en arrivant dans le village, l’émotion était à son comble nous racontera plus tard notre fourbu collègue. Des Masaïs voulaient passer avec leur troupeau de vaches, mais les villageois se sont opposés. Ils possèdent des champs de maïs qu’ils ne souhaitent pas partager avec les bovins. La tension est montée, les Masaïs étant armés de couteaux la peur a gagné le village et une intervention de la police et de l’armée a été requise.

C’est donc au milieu de ce chaos que Lorenz et Ali (le chauffeur) sont arrivés. Quelques Masaïs sont arrêtés et les autres devront poursuivre un autre chemin.

Enfin la foule se disperse, Lorenz et Ali arrivent dans la sommaire maison en terre où habite l’enfant. Malgré le travail explicatif préalable, l’enfant prend peur. Nous allons le vider de son sang pense-t-il. Fort de cette crainte, c’est donc légitimement qu’il s’enfuit. Son père, qui est le chef du village, le cherche pendant que Lorenz et Ali cachent la voiture pour ne plus l’effrayer. L’enfant est retrouvé, rassuré, la situation lui est expliquée. Sur le chemin du retour, cependant, âgé de ses 12 ans, il grimpe sur une moto et s’enfuit à nouveau.

Bref, face à une telle peur nous ne pouvons qu’abdiquer. Les médicaments sont laissés aux parents qui le soigneront à son retour et notre équipe reprend sa longue route.

Enfin, sur le chemin du retour, Ali négocie du charbon qu’il souhaite ramener du village. Trop cher à son goût, il parcourt chaque point de vente et négocie. Ils rentreront finalement bredouille en charbon également.

De cette longue journée votre brave parasitaire rentre harassé. Il retrouve une équipe écorchée, puisqu’entre temps Lagonelle s’est vue couper la route par un picki picki (une moto) ayant la subite envie de rentrer sur la route alors qu’elle passait. Coup de frein, sable sur du bitume, une moto qui glisse et s’affaisse, une foule de tanzaniens qui se presse.

Pour ne pas être en reste, la jambe de Kevin, quand à elle, a goûté du pot d’échappement, lorsque les fourbes chemins de sable ont souhaité le faire choir.

C’est donc en pansement, cheveux hirsutes, poussiéreux et taciturnes que les retrouvailles s’opèrent.

Il est des jours ainsi. Mais assurément le métier de scientifique n’est pas forcément de tout repos…

Bien à vous, vos petits morceaux de parasitaires.

 

Elise Rapp

Elise Rapp est infirmière spécialisée en médecine Tropicale (IMT Anvers). Elle a repris le chemin des études pour faire de la recherche sur les maladies tropicales. Elle est actuellement basée en Tanzanie où, dans le cadre d’un master de biologie elle mène un projet de terrain sur la malaria.