Marilyn Monroe : une sensibilité et une intelligence innées

Pour la découvrir :  3 livres hors du tapage Netflix

Ai-je vu le film Blonde ? Non. Je fais partie des extraterrestres qui n’ont pas Netflix. Ai-je envie de le voir ? Non. Le film est tiré du roman éponyme de l’immense écrivaine Joyce Carol Oates qui précise au début de son ouvrage : « Blonde est une œuvre de fiction. Si la plupart des personnages de mon livre présentent quelques ressemblances avec les proches et les contemporains de Marilyn, leur description et les événements rapportés sont entièrement le fruit de l’imagination de l’auteur. Il faut donc lire Blonde comme un roman et non comme une biographie de Marilyn Monroe. »

Pour cette raison, il m’a paru important de donner la parole à Marilyn elle-même que l’on laissait si rarement parler, ou à son meilleur ami, l’écrivain et poète Norman Rosten.

Hollywood la broyeuse

Que Marilyn ait été broyée par Hollywood me semble évident. Qu’elle n’ait été qu’un piètre objet dans la machine hollywoodienne me paraît, en revanche, discutable. Jayne Mansfield, formatée pour la remplacer, n’eut que des rôles de vulgaire et ravissante idiote. Elle était pourtant pianiste et violoniste classique, parlait cinq langues et avait un QI de 163. Avant de mourir dans un effroyable accident de voiture, Hollywood la transforma en une actrice déchue et pathétique, alcoolique, et bourrée de psychotropes. Quant à la brillante Hedy Lamarr, star de la MGM dans les années 1930-1940 et inventrice peu considérée de notre incontournable Wifi, elle finit enfermée chez elle, terrifiée par le vieillissement et ravagée par les successives chirurgies esthétiques. Hollywood a également détruit quelques hommes. Je me contenterai de n’en citer qu’un seul : River Phoenix, dont on parle beaucoup ces jours. La mâchoire de l’industrie du film américain a déchiqueté bon nombre de personnes. Nul besoin d’être femme ou imbécile pour se laisser happer par elle.

Un corps et un cerveau

L’essayiste et poétesse britannique Edith Sitwell, avec qui Marilyn Monroe parlait de poésie, écrivit à son propos « Elle était très calme et avait une sorte d’immense dignité naturelle et elle était extrêmement intelligente. Elle était aussi d’une sensibilité maladive… Au repos son visage était par moments étrangement tragique et prophétique, comme le visage d’un beau fantôme ».

Contrairement à Jayne Mansfield ou à Hedy Lamarr, issues de milieux cultivés et privilégiés, qui auraient peut-être pu échapper au chant des sirènes hollywoodiennes, Marilyn Monroe ne connut, durant son enfance, que les orphelinats et les familles d’accueil qui la traitaient en servante. Consciente de manquer de culture, pour échapper à son destin elle ne possédait que son corps. Un corps que son esprit affuté sut savamment utiliser pour fuir l’ignorance et la pauvreté, même si effleurer les étoiles et laisser son empreinte sur le plus célèbre boulevard de Los Angeles lui coûta cher. Mais rien ne nous indique que sa vie aurait été plus heureuse si elle s’était contentée de rester « à sa place » de « pauvre fille» désargentée fruit d’institutions.

Marilyn Monroe : Fragments

Marilyn Monroe aimait la littérature et la poésie. En 2010, les éditions du Seuil, grâce à l’éditeur et écrivain suisse -jurassien- Bernard Comment, publiait les notes et poèmes inédits que l’actrice avait légués à son professeur de théâtre Lee Strasberg. A travers ces écrits pour la première fois dévoilés au public, on découvrait une personne sensible, avide de culture et d’amitiés sincères. Exigeante envers elle-même et travailleuse, les uniques motivations de Norma Jeane Mortenson (son vrai nom) furent de toujours améliorer son jeu de comédienne, de se cultiver et de trouver un équilibre grâce à la psychanalyse. A n’en point douter, elle était une personne très éloignée des rôles d’idiote manipulatrice, vénale et dévoreuse d’hommes qu’on lui prêtait dans les films.

La forme poétique, ou plus largement celle du fragment, lui permit probablement d’exprimer des fulgurances et des sensations ponctuelles. Mais qui voulait vraiment entendre et comprendre cette voix ? Après sa mort, Arthur Miller dira : « Pour survivre, il aurait fallu qu’elle soit plus cynique ou du moins plus proche de la réalité. Au lieu de cela, elle était un poète au coin de la rue essayant de réciter ses vers à une foule qui lui arrache ses vêtements. »

Marilyn Monroe : Confession inachevée

En 1954, l’agent de Marilyn demande au célèbre scénariste Ben Hecht d’aider l’actrice à écrire ses mémoires. A 28 ans, elle compte une vingtaine de films à son actif, et elle est déjà plus que lasse des inventions et des potins que les journaux à scandales colportent à son sujet. Elle dicte ses mots, d’une grande liberté et maturité, au dramaturge qui les retranscrit sur le papier. Pour des raisons personnelles, elle ne terminera pas cette autobiographie qui s’achève comme s’achèvera sa vie : abruptement, au moment où elle se rend en Corée, par un froid polaire, pour chanter devant les soldats américains. Toutefois, l’on y apprend le calvaire que fut son enfance, les problèmes psychiatriques de sa mère, le viol subit alors qu’elle n’a que 8 ans, et comment à 12 ans, alors qu’elle n’est encore qu’une fillette innocente, elle s’aperçoit de la puissance évocatrice de son corps. Sans tabous Marilyn dévoile également ses états d’âme; les dessous cauchemardesques de l’usine à rêves; sa volonté acharnée à devenir une actrice contre vents et marées; comment ce fut une femme qui, la première, commença à la transformer physiquement; sa lutte continuelle pour être considérée en tant que talentueuse actrice et non comme un tapageur objet sexuel décérébré.

Ces textes intimes, bouleversants et féministes, ont été publiés pour la première fois aux États-Unis et dans les pays francophones en 1974.

 

Norman Rosten : Marilyn ombre et lumière

De 1955 et jusqu’au jour de sa mort, le poète et écrivain Norman Rosten et son épouse Hedda furent les plus proches amis de Marilyn. C’est à lui qu’elle donnait à lire ses textes.

« Elle me tendait souvent un bout de papier avec quelques mots dessus et demandait :

– Penses-tu que c’est de la poésie ? Garde-le, tu me diras.

Ou bien elle m’envoyait par la poste une feuille griffonnée, demandant ce que j’en pensais. Je l’encourageais toujours.

Elle aimait la poésie. Elle comprenait, avec l’instinct d’un poète, que la poésie menait au cœur des choses. »

Avec amitié et tendresse, Norman Rosten raconte la Marilyn qu’il connut. Ses hauts, ses bas, ses déconvenues avec le psychiatre qui la suivait, et son plongeon final. Il ne se remettra jamais vraiment de la brutale disparition de son amie. De n’avoir pas compris son appel à l’aide, alors qu’elle et lui, que les tendances suicidaires habitaient aussi, s’étaient promis de s’aider mutuellement si l’un d’eux se sentait sur le point de passer à l’acte.

Les trois livres contiennent de nombreuses photographies de la star.

 

Sources :

– Fragments, Marilyn Monroe, Points, 2012.

Confession inachevée, Marilyn Monroe, Pavillon Poche, Robert Laffont, 2022.

Marilyn ombre et lumière, Norman Rosten, Éditions Seghers, 2022. La couverture du livre illustre cet article. Il s’agit du détail d’une photographie     réalisée par Sam Shaw en 1957.

Blonde, Joyce Carol Oates, Stock, Le Livre de Poche, 2000.

– Wikipédia

Un livre 5 questions : « Les dressings » d’Annik Mahaim

Décodages : quand l’habit fait le moine

Les dressings commencent par ce nouvel accessoire couvrant qu’est devenu le masque sanitaire. Enchaîne sur la peau de bête, transformée au cours des âges en feuille de figuier puis de vigne qu’Adam et Ève durent porter après leur expulsion de l’Eden par le Tout-Puissant. Se termine par les fleurs de lotus et la tiare qui habillent la trinité hindoue qu’on appelle la Trimūrti. Entre-deux, les fragments traversent les âges, les garde-robes et les codes. Nous livrent les impressions et l’analyse d’Annik Mahaim sur le peignoir du curiste, le corset orthopédique, les différentes écharpes et foulards, le pyjama, les slips et les soutiens-gorges ainsi que sur divers uniformes, de celui des pompiers à celui des employés des CFF. Cette liste n’est pas exhaustive. Chaque habit livre des fonctions, des indications d’une époque. Raconte de ce que la personne est. Ce qu’elle souhaite que l’on perçoive d’elle ou ce que la société veut qu’elle soit ou montre. Sur la quatrième de couverture de Dressings on lit « Saturés de nos présences, de joies, de tragédies, de révoltes, de moments drôles, de terreurs et de rêve, nos vêtements parlent de nous. Ils nous étiquettent. Nous ne cessons de les décoder. De catégoriser, voire de juger qui les porte et comment ». Même si cela nous chiffonne quelques tissus sentimentaux et cérébraux, c’est probablement vrai.

Les Dressings : extraits

Ci-dessous quelques fragments des pages 80, 81 et 82 du livre d’Annik Mahaim Les dressings, paru aux éditions de l’Aire.

Annik Mahaim : l’interview en 5 questions

Comment vous est-il venu l’idée d’écrire un livre sur les vêtements, leur fonction, la manière de nous vêtir et leur impact psychologique ?

J’avais une autre idée au départ : je pensais écrire un roman de vie (suivre un seul personnage, de la naissance à la mort, qui aurait été une femme) et commencer chaque chapitre par le vêtement qu’elle portait à telle ou telle époque. Le vêtement en question  aurait donné le titre du chapitre, par exemple : La robe rouge, Les baskets pleines de boue, etc. Afin d’aller « pêcher » ce personnage au travers de ses vêtements, de me faire une idée de sa personnalité, de son parcours, j’ai commencé à réunir du matériel (description de vêtements avec historiette ou contexte, sous forme de notes télégraphiques). Mais c’est parti dans tous les sens, pas du tout dans celui, souhaité, d’un roman cohérent. J’ai compris au bout d’un certain nombre de pages que j’étais en train d’écrire des fragments (un genre que j’aime beaucoup) et pas du tout mon projet initial. Du coup, j’ai organisé ces fragments selon des thématiques, je les ai enrichis, complétés, je les ai réécrits en soignant la forme… Plus j’écrivais, plus j’avais d’idées, et j’en ai encore de nouvelles bien que le livre soit publié… J’ai moi-même été surprise de constater tout ce que ces vêtements me racontaient !

Annik Mahaim comment vous habillez-vous ?

Sur une photo, le tablier d’école de mon enfance, rayé rouge sur blanc, avec un motif orange et jaune, m’inspire des sentiments mélangés : j’aimais la maîtresse, j’aimais l’école ; mais la maîtresse de couture me faisait faire des cauchemars ; sur le chemin du retour, je me faisais « embêter » par des petits garçons qui me faisaient très peur et m’obligeaient, pour les éviter, à faire des détours. La photo est en noir et blanc, mais je verrai toujours ce tablier en couleurs.

Au bal déguisé de fin de collège, mon cavalier porte un fier uniforme évoquant un officier prussien du 19e siècle, et moi le sari caramel brodé d’argent de ma mère, avec un corsage lamé, une perruque noire et lisse coiffée en chignon (je suis blonde et frisée). Cette tenue fait écho à mes origines métisses du côté maternel, issues de l’union illégitime d’une Indienne libre de l’île Maurice avec un lieutenant d’artillerie de la Marine royale, en 1792. A l’époque, je connais à peine cette histoire hautement romantique, mais trente ans plus tard, j’en ferai une recherche historique documentée qui m’inspirera aussi un roman. Une psychogénéalogiste aurait des commentaires à faire sur cette tenue de bal…

Je me souviens d’un pantalon pattes d’éléphant, que je portais avec un T-shirt hippie incrusté de petits miroirs et brodé de fleurs, alors que je me sentais chez moi dans les milieux contestataires des années 1970, et tenais mordicus à me distinguer des femmes « comme il faut » de la génération de ma mère.

Dans ma vie professionnelle, il y a eu le tailleur bien coupé de la journaliste radio, particulièrement quand j’étais envoyée au Palais fédéral pour suivre une session parlementaire ; et puis les vêtements fantaisie de l’écrivaine en dédicace dans une manifestation littéraire, ou en train d’animer un atelier d’écriture. J’aime les écharpes, les pantalons, les tuniques amples, colorées, originales. J’ai horreur de la mode standardisée, souvent absurde (par exemple celle des sweats tous munis d’un capuchon d’ado rasant les murs, que je n’utilise pas, qui forme un volume désagréable sous une veste !)

 Si vous pour une raison quelconque vous deviez choisir de toujours porter les mêmes vêtements, lesquels choisiriez-vous ?

Ah là là ! Quelque chose de neutre, de passe-partout, en trois ou quatre couches pour pouvoir faire face au froid autant qu’au chaud ou à la pluie : monotone et peu pratique.

En ce moment vous écrivez un livre sur les jeux vidéo. Qu’est-ce qui vous fascine dans ces jeux ?

Ce qui m’inspire dans l’univers du gaming, c’est son côté interactif, contemporain, visuel, ludique. Ce nouveau livre, dont je prépare l’édition pour ce printemps, s’intitule « Gameuse ». C’est un texte de fiction, qui relate six séquences d’un jeu vidéo imaginaire. Elles explorent toutes un mythe féminin populaire : la petite Sirène, la Ménagère désespérée, la « femme-libérée”/Barbarella, une duègne moraliste nommée Duhaigne, la Reine du paraître et ses victimes… Le personnage de l’autrice, maîtresse du jeu, retourne et combat ces stéréotypes via son avatar, Combattante. C’est un texte féministe avec un côté expérimental et humoristique.

La question que je pose à chaque auteur-e : à quel personnage de la littérature pourriez-vous vous identifier ?

A la narratrice d’Une chambre à soi de Virginia Woolf.

Annik Mahaim : biographie 

Au début des années 1980, Annik Mahaim composait des textes de chanson et de café-théâtre qu’elle interprétait sur scène. Passionnée d’histoire, à la même période elle publiait des recherches historiques sur la condition des femmes avant d’aller à Paris pour suivre l’école de l’acteur-créateur animée par Alain Knapp. Elle a également travaillé comme journaliste dans plusieurs médias, en particulier à la Radio Suisse Romande. Annik Mahaim , qui écrit depuis l’âge de onze ans, poursuit une œuvre de fiction multiforme, romans, nouvelles, récits autobiographiques, chroniques, fragments, contributions à des ouvrages collectifs. Son premier roman, Carte blanche, a remporté en 1991 le Prix de la Bibliothèque pour tous, son roman La femme en rouge, a été soutenu par la Bourse à l’écriture du Canton de Vaud 2016.  Elle anime également depuis une quinzaine d’années des ateliers d’écriture. Pour en savoir davantage rendez-vous sur son site : www.annikmahaim.ch

Ecoutez une lecture en musique de quelques extraits des Dressings sur les ondes d’Espace 2, dans l’émission Allô Juliette. Musiques : Bach, Grieg, Bjork, Garbarek, Verdi, Tchaikovsky, Nina Simone et Marcelle Meyer dans Scarlatti.

Photographie d’Annik Mahaim :  Lea Kloos et Sébastien Agnetti.