« Tant pis pour l’amour » : la BD qui explique les mécanismes de la manipulation affective

Tant pis pour l’amour : de l’idylle à la manipulation

Sophie a grandi en province, entourée de rivières où elle péchait l’écrevisse avec les mains. Lors d’une soirée, elle rencontre Marcus. Rapidement, elle en tombe amoureuse. L’homme, un comédien reconnu qui vit à Paris, lui fait comprendre que ce coup de foudre est réciproque. Dans un premier temps, il se comporte en amoureux parfait. Ensemble, ils passent des moments merveilleux. Le charme opère. Envoûtée, Sophie, qui pourtant se méfiait de la passion amoureuse, change radicalement sa vie pour lui plaire. Elle en vient même à déménager, à changer de région, pour se rapprocher de lui. Mais Marcus montrera très vite sa face obscure, celle d’un manipulateur qui la sadise psychologiquement. Quand elle ose le confronter à ses mensonges et incohérences, il devient verbalement violent et humiliant. Les réactions irrationnelles, voire hallucinantes de son compagnon, mènent Sophie à la culpabilisation puis à la dépression.

Tant pis pour l’amour : survivre à une relation toxique

Ce roman graphique raconte une histoire vraie. Celle qu’a vécue l’illustratrice et narratrice du livre. Relatée avec beaucoup d’humour, on s’y plonge comme dans un Tintin. D’autant que Sophie Lambda a eu l’excellente idée d’y introduire son ours Chocolat, une peluche gourmande qui s’adonne joyeusement à quelques vices dont l’ivrognerie. Spirituel, cocasse et plein d’à propos, Chocolat ne manque pourtant pas de sagesse puisqu’il tient le rôle de l’ange gardien ou de voix de la conscience. Bien qu’elle soit éducative, « Tant pis pour l’amour » est une BD distrayante et amusante.

L’auteure souligne qu’elle s’est contentée de relater ce qui lui est arrivé lors d’une relation amoureuse. La personne perverse est donc un mâle hétérosexuel blanc et celle qui se laisse prendre au piège une femme hétérosexuelle blanche. Elle précise cependant que les manipulateurs peuvent avoir n’importe quel âge, être issus de tous les milieux et de toutes les cultures. Que cela concerne tous les genres et toutes les préférences sexuelles. Que les manipulateurs et manipulatrices se rencontrent partout y compris dans les relations  « amicales », parmi nos collègues de travail ou au sein de la famille. Afin de ne pas enfermer les personnes toxiques dans une seule et unique case, le terme manipulateur est utilisé pour ces trois cas de figure : le-la pervers-e narcissique, le-la vampire psychique ou le-la sociopathe.

Un passage de la BD m’a particulièrement interpellée : quand Sophie explique qu’il ne faut pas confondre sauver sa vie et sa santé mentale avec la lâcheté ou le ghosting. Fuir, disparaître en bloquant la personne toxique de toutes parts, c’est l’unique solution pour échapper aux manipulateurs et manipulatrices. « Être lâche c’est disparaître sans donner de nouvelles à quelqu’un qui ne nous a jamais fait de mal. Quitter un bourreau c’est sauver sa peau. La lâcheté c’est un manque de respect violent fait dans le plus grand des silences ». En revanche, fuir un manipulateur ou une personne toxique, c’est se respecter soi-même. A noter: les manipulateurs sont extrêmement doués pour jouer les victimes de ghosting auprès de leurs amis ou sur les réseaux sociaux.

Apprendre à reconnaître un manipulateur et réagir

L’histoire de Sophie se divise en plusieurs parties. La première nous montre comment la jeune femme se laisse insidieusement manipuler par Marcus, jusqu’au jour où elle s’aperçoit qu’elle est dans une relation destructrice.

Dans la deuxième partie, elle le quitte. Totalement déstabilisée par ces quelques mois de relation toxique, elle demande l’aide d’une professionnelle pour se reconstruire.

Dans la troisième partie, elle démonte les pièges qui lient le chasseur à sa proie. Sophie Lambda n’épargne personne. Pas même le manipulé qui souvent s’imagine plus fort qu’il n’est en réalité.

En fin de livre, on trouve un Violentomètre. Cet outil permet à tout un chacun de mesurer la violence qu’une autre personne lui fait subir. Suivent quatre pages d’adresses et de numéros de téléphones ou les victimes de violences physiques ou psychologiques peuvent trouver une écoute ou du secours. Elles se situent toutes en France. Cependant, si vous vivez en Suisse et que vous êtes victime de violences, faites une recherche sur internet avec les mots suivants : violences psychologiques ( ou physiques ) avec le nom de votre canton ou de votre ville, vous serez rapidement dirigée vers une association près de chez vous.

Bon à savoir : si vous souhaitez faire le test du Violentomètre sans acheter le livre, on le trouve facilement sur la toile. Créé en Amérique latine pour que les femmes puissent mesurer les violences qu’elles subissent et comprendre le moment où elles sont en danger, le Violentomètre peut aisement être utilisé par les hommes.

“Tant pis pour l’amour” est un roman graphique que je n’hésiterais pas à placer entre les mains de chaque adolescent et de beaucoup d’adultes.

 

Sophie Lambda : la biographie

Illustratrice autodidacte, elle est née en 1986 à Besançon, en Franche-Comté. Elle grandit à Vesoul qu’elle quitte à 19 ans, après avoir arrêté ses études pour cumuler, durant trois ans, des expériences professionnelles diverses : fille au pair en Irlande, charcutière à Super U, ouvrière dans une usine en Suisse, vendangeuse, serveuse ou caissière. Elle reprend un cursus universitaire à Montbéliard et enchaîne cinq ans d’études de langues étrangères appliquées au e-commerce. C’est en parallèle à ses études qu’en 2010 elle crée son pseudonyme Sophie Lambda et ouvre un blog BD. Elle y raconte ses anecdotes de voyages, d’étudiante et des petites tranches de vie. Le blog et les réseaux sociaux aidant, elle décroche ses premiers contrats d’illustratrice alors qu’elle est encore étudiante. En 2014, elle termine son master 2 et se lance à plein temps, en freelance, dans l’illustration. Depuis, elle travaille pour l’édition, la publicité et la communication.

 

Sources :

  • Tant pis pour l’amour, Sophie Lambda, Éditions Delcourt.
  • Bibliothèque de La Chaux-de-Fonds

 

 

Mary Shelley : une érudite tragique, amoureuse et féministe

Mary Shelley : la courte durée d’une heureuse jeunesse

Dans la nuit du 16 juin 1816, Lord Byron et ses amis, entre autres Percy Shelley et Mary Wollstonecraft Godwin qui deviendra plus tard Mary Shelley, séjournent à la villa Diodati, à Cologny dans la banlieue de Genève. L’éruption du volcan indonésien Tambora, quelques mois auparavant, provoque de terribles perturbations du climat. De 1816, les documents de l’époque soulignent que ce fut une année sans été. Enfermé dans la maison par les orages qui se suivent, fasciné par le surnaturel, pour se divertir le petit groupe lit des histoires d’horreur. Afin de diversifier les rares activités de cette singulière villégiature, Lord Byron propose qu’ils écrivent chacun une histoire de fantômes. Mary, qui sera la seule à terminer un récit, imagine quelque chose de totalement nouveau en s’inspirant d’un cauchemar qu’elle avait eu. Considéré comme le premier roman de science-fiction lors de sa parution, Frankenstein ou le Prométhée moderne, qui à présent figure parmi les classiques de la littérature, eut certes un succès immédiat mais dut également essuyer quelques critiques peu amènes. Très jeune, l’érudite et innovante Mary Shelley devra affronter les rugosités de l’existence.

Mary Shelley : journal d’affliction

Italie, été 1822. Le poète Percy Shelley traverse le golfe de Livourne à bord d’un petit voilier qu’il vient d’acheter. La mer est agitée. L’embarcation chavire. Le jeune écrivain meurt. Sa veuve n’a pas encore 25 ans. La douleur soudaine, brutale, anéantit la jeune femme déjà durement éprouvée par le décès de trois de ses quatre enfants. Elle entame alors l’écriture d’un cahier intitulé Journal d’affliction. Elle le tiendra jusqu’en 1844. Une œuvre bouleversante, écrite par une femme brisée qui consigne les souvenirs de son amour, de sa souffrance, de sa solitude. Ces pages sont considérées parmi les plus belles de la littérature romantique. Traduites par Constance Lacroix, elles paraissent en 2017 sous le titre Que les étoiles contemplent mes larmes un très bel ouvrage publié par les éditions Finitude. Après une courte jeunesse, exaltante et heureuse, la vie de Mary Shelley ne sera qu’une suite de deuils. Ces drames la plongeront dans une profonde et incurable dépression, d’autant que les personnes opposées à la relation qu’elle a eue avec son défunt mari, lui feront chèrement payer cette passion. Pour survivre elle écrit, étudie, s’attache follement à son fils Percy Florence et s’acharne à faire reconnaître le talent de Percy Shelley, le seul et unique grand amour de sa vie.

Extraits du journal :

17 novembre 1822

La douleur est préférable à l’absence de douleur. Ma peine me rappelle tout du moins que j’ai connu des jours meilleurs. Jadis, entre toutes, je me vis accorder le bonheur. Puisse ce souvenir ne jamais me quitter ! Celui qui passe auprès des ruines d’une vieille demeure, non loin d’une sente déserte et triste, n’y prête pas garde. Mais qu’il apprenne qu’un spectre, gracieux et farouche, hante ses murs, et voilà qu’elle se pare d’une beauté et d’un intérêt singuliers. Ainsi pourrait-on dire de moi que je ne suis plus rien mais que je vécus un jour, et que je chéris jalousement la mémoire de ce que je fus.

Quand le vautour de mon chagrin s’endort un instant sur sa proie, sans que se relâche jamais l’étau de ses serres cependant, je me sens glisser dans une léthargie plus terrible encore que le désespoir.

19 mars 1823

L’étude m’est devenue plus que nécessaire que l’air que je respire. En façonnant mon esprit à un perpétuel questionnement et à un examen systématique, elle offre une alternative bienfaisante au tumulte de mes rêveries. Le contentement que j’éprouve à me sentir maîtresse de moi éclaire ma vie présente, et l’espoir de me rendre plus digne de mon cher disparu m’apporte un réconfort qui adoucit jusqu’à mes heures les plus désolées.

Mary Shelley : des parents philosophes et hors normes

Mary Wollstonecraft Godwin naît le 30 août 1797 à Londres, fille de deux philosophes hors normes et en avance sur leur temps : Mary Wollstonecraft maîtresse d’école, femme de lettres, féministe convaincue, auteure d’un pamphlet contre le système patriarcal Défense des droits de la femme (1792) ,et de William Godwin précurseur de la pensée anarchiste. Anticonformiste, le couple ne vit pas sous le même toit. Dix jours après la naissance de sa fille, Mary Wollstonecraft meurt emportée par la fièvre puerpérale. Mary et sa sœur Fanny Imlay -âgée de trois ans et demi et née de l’union de Mary Wollstonecraft avec le spéculateur Gilbert Imlay– seront élevées par William.

Mary Shelley: une enfant surdouée

Mary a quatre ans quand William Godwin épouse une veuve mère de deux enfants. Avec elle, le philosophe conçoit un fils. William inculque les idées de leur mère à ses filles. Très rapidement Mary se montre exceptionnellement intelligente et passionnée par l’apprentissage de choses complexes. Les enfants vivent entourés des plus grands intellectuels de l’époque à qui leur père ouvre toujours sa porte.

Mary ne suit pas une scolarité habituelle. Son père assure lui-même en partie son instruction en lui enseignant les matières les plus diverses. Godwin a l’habitude d’offrir à ses enfants des sorties éducatives et ils ont accès à sa bibliothèque. Mary reçoit une éducation exceptionnelle et rare pour une fille du début du 19e siècle. Elle a une gouvernante, un professeur particulier, et lit les manuscrits de son père portant sur l’histoire grecque et romaine.

Souvent, elle et sa sœur Fanny, vont lire et étudier au cimetière de Saint Pancras, près de la tombe de leur mère.

Mary Shelley: Percy un amour passionnel et sulfureux

Lors d’une visite que Percy Bysshe Shelley rend à son père, elle tombe éperdument amoureuse du poète. Elle le sait marié mais ne voit pas d’inconvénient à ce que cet homme brillant, qui cumule les problèmes dus – entre autres – à son athéisme, lui fasse du charme. En 1814, à l’âge de seize ans, elle commence une relation avec lui. En sa compagnie, elle quitte le domicile familial et l’Angleterre. Le couple se rend en France et en Suisse. Cette union courrouce énormément le père de Percy. Dès lors, et pendant tout le reste de sa vie, il mettra une énergie incroyable à rendre infernale l’existence de Mary, d’autant qu’il était en mauvais termes avec son fils. Durant ce périple, elle tombe enceinte de son premier enfant. Elle le perdra à sa naissance.

Humiliée, offensée et enceinte, Harriet l’épouse de Percy, peu ouverte à l’amour libre, les suit. Le sulfureux Lord Byron ajoute rapidement à la confusion lui qui, partout où il passe, jette le trouble. Dans The Encyclopedia of Science Fiction, John Clute, n’hésite pas à affirmer que Fanny, la sœur de Mary, était devenue la maîtresse du Lord.

La communauté amicale qu’ils forment avec Lord Byron et d’autres personnes, se dissout après deux suicides : celui de sa sœur Fanny Imlay et celui de Harriet Westbrook, l’épouse de Shelley, qui choisit de se noyer.

Mary et Percy se marient en 1816, après la mort d’Harriet. Trois autres enfants naissent de leur union. Seul le petit Percy Florence survit à l’enfance. Mary Shelley vit la perte de chaque enfant comme une tragédie. A partir de la mort de la première-née, la vie de Mary Shelley ne sera plus qu’une suite de drames dont elle ne se remettra jamais.

A Londres, Percy Shelley s’absente souvent pour éviter les créanciers. La menace de la prison pour dettes, leur mauvaise santé et la peur de perdre la garde de leurs enfants, incite le couple à quitter l’Angleterre pour l’Italie en 1818. Deux de leurs enfants y mourront.

Percy décède avant son trentième anniversaire. Son corps est incinéré mais son cœur a d’abord été enlevé. Mary l’a enveloppé dans une page de poésie. Elle transportera cette relique pendant un quart de siècle, jusqu’à la fin de ses jours. Après la mort de son mari, Mary se bat pour que l’œuvre du poète soit diffusée. Certains chercheurs n’hésitent pas à affirmer que, sans le travail accompli par Mary, Percy B. Shelley aurait sombré dans l’oubli.

Mary Shelley: un talent et une érudition tardivement reconnus

Bien que Mary Shelley ait écrit six romans après le premier ainsi que des récits de voyage, des biographies de personnages historiques espagnols, portugais et français, des nouvelles et des poèmes, aucune des œuvres ultérieures n’atteint la popularité de Frankenstein ou le Prométhée moderne. Ses œuvres percutantes, féministes et innovantes abordent des sujets chers au 20e et 21e siècles. Mathilda (1819) a pour thème l’inceste et le suicide. Cette œuvre est jugée si scandaleuse et immorale, qu’elle ne sera publiée qu’en 1959. Considéré comme le meilleur de sa production, Le dernier homme (1826), roman qu’il faudrait peut-être lire ou relire en ce moment, raconte la destruction de la race humaine, entre 2073 et 2100, par les guerres et la peste. Par ailleurs, l’auteure utilise les biographies qu’elle écrit, souvent très politisées, pour faire avancer la cause féminine comme dans Lodore (1835) son autobiographie romancée. Selon Wikipédia, dans ce roman, l’écrivaine prend position sur des questions politiques et idéologiques, en premier lieu l’éducation des femmes et leur rôle dans la société. Le roman dissèque la culture patriarcale qui sépare les sexes et contraint les femmes à être dépendantes des hommes.

Le 1er février 1851, à l’âge de cinquante-trois ans, Mary Shelley meurt à Londres d’une tumeur au cerveau. Elle est enterrée à l’église St Peter, à Bournemouth.

Selon les biographies romantiques et victoriennes, Mary Shelley aurait sacrifié son œuvre pour soutenir son mari puis, après sa disparition, le faire publier. Toutefois, dans les années 1970, elle est réhabilitée. Dégagée de l’ombre de son époux, elle est à présent considérée comme une précurseure et une écrivaine à part entière. On lui accorde l’invention de la science-fiction, d’avoir amorcé les études de genres et engendré un mythe universel.

Portrait de Mary Shelley par Richard Rothwell (1840). National Gallery Londres.

Sources:

  • Que les étoiles contemplent mes larmes, Journal d’affliction, Mary Shelley, éditions Finitude.
  • Buscarbiografias
  • Campus n°124
  • Wikipédia

Michel Houellebecq : un poète devenu romancier

Soufre et amertume

Avant d’être l’auteur des très controversés Particules élémentaires ou Soumission, Michel Houellebecq écrivait de la poésie. Ce poème a été publié en 1991, par les Éditions de la Différence aujourd’hui disparues, dans un recueil intitulé A la poursuite du Bonheur.

 

 

Né sur L’île de La Réunion en 1956 ou 1958 – sa date de naissance reste un mystère sa mère ayant probablement falsifié son acte de naissance – Michel Houellebecq est considéré comme l’un des plus grands écrivains français contemporains. Avant de séduire le grand public avec sa prose, sa poésie rencontrait déjà un succès d’estime dans les milieux intellectuels et littéraires. Ses deux premiers recueils de poèmes, parus en 1991, passent inaperçus, les deux suivants seront primés : A la poursuite du bonheur, prix Tristan Tzara 1992 et Le Sens du Combat, prix de Flore 1996. Dans ces recueils les thèmes essentiels des livres à venir y sont déjà traités : solitude existentielle, dépression, dénonciation du libéralisme qui prend corps jusque dans l’intimité des individus.

Sa poésie, amère, violente et sans espoir, contient tous les signes de la souffrance humaine.

 

Sources :

Éditions J’ai Lu

Bibliothèque nationale de France

-Wikipédia