Lectures : d’un passé romancé à un futur dystopique avec Henri Gautschi et Sabine Dormond

Mondes en mouvements

Violent et chaotique, le monde actuel paraît brûler puis s’en aller à vau-l’eau. Peut-être. Ou peut-être pas. Peut-être en a-t-il toujours été ainsi. Le bon vieux temps était-il si bon que l’on veut bien le croire ? Certainement pas le 16ème siècle où nous emmène Henri Gautschi. Et cet avenir qui nous terrifie, sera-t-il aussi angoissant et cruel que le 16ème siècle, ou simplement d’une distanciation glaciale comme décrite par Sabine Dormond ? Nous ne pouvons rectifier le passé mais peut-être reste-t-il encore de belles choses à imaginer pour changer l’avenir peu engageant dans lequel on semble se précipiter. Pour qu’il ne devienne ni aussi intolérant et violent que le 16ème siècle, ni aussi insipide que le futur proche pressenti par l’écrivaine montreusienne, faisons connaissance avec les deux cas de figure.

La fuite des protestants de France

Après La nuit la plus longue – Au temps de l’Escalade, Henri Gautschi poursuit son exploration de l’histoire genevoise avec un deuxième roman Clothilde – Au temps de la Saint-Barthélémy, paru aux éditions Encre Fraîche. Un roman illustré par les dessins de l’auteur.

En 1572, suite à l’onde de choc causé par la Saint-Barthélémy en France, Clothilde et sa famille quittent Bourges et les persécutions qui s’abattent sur les protestants. Dix ans plus tard, à Genève, Clothilde est arrêtée, accusée d’avoir tué un homme. Durant son emprisonnement, redoutant le verdict, elle laisse son esprit parcourir la route de son existence mouvementée. Raconté comme un récit d’aventures dans une langue très actuelle, dûment documenté et référencé, mélange de faits réels et de fiction, ce roman nous rappelle que les mœurs de l’époque n’étaient pas douces. La Genève d’alors est encore loin de devenir la ville pacifique ou sera signée, plus tard, la première convention de la Croix-Rouge. En effet, au 16ème siècle, on y noie dans le Rhône les femmes qui « fautent », on exécute les hommes pour des peccadilles, en méchante touriste la peste réapparaît tous les ans au mois d’août, les femmes n’y ont aucune liberté et les Genevois attaquent souvent les Français des campagnes environnantes.

Clothilde – Au temps de la Saint-Barthélémy : extrait

 

Henri Gautshi : biographie

Henri Gautschi est né en 1949, de père suisse allemand et de mère italienne. Pendant plus de trente ans, il a dirigé son entreprise d’installation de chauffage et enseigné à mi-temps le dessin et la théorie de son métier au Centre professionnel de Lancy. Féru d’histoire et en particulier d’histoire genevoise, depuis sa retraite, il écrit régulièrement des articles pour la rubrique historique du ChancyLien. En 2017, Henri Gautschi reçoit le mérite de la commune de Chancy pour ses recherches. Clothilde – Au temps de la Saint-Barthélémy est son deuxième roman.

 

 

Cara : un futur surnumérisé

Avec son roman Cara, paru chez M+ Éditions, Sabine Dormond a imaginé un proche avenir qui semble tristement réaliste et dangereusement près de nous.

Clémence, une ex-soixante-huitarde, vit coupée de sa famille et cloîtrée chez elle, dans un monde où tout est informatisé. La distanciation sociale est devenu une constante.  Tout s’effectue en ligne y compris les soins à domicile. Par exemple, les pilules sortent d’un ordinateur et les appartements sont autonettoyants. Même âgé et malade, on n’a plus besoin d’autres humains pour survivre, mais une telle vie est-ce vraiment vivre ? Le roman Cara dépeint un univers vautré dans le confort mais pas forcément dans le bien-être, à une époque où les contacts humains sont devenus superflus puisque tous les services sont proposés sous une forme numérisée.

A la veille de Noël, Clémence reçoit un appel de son petit-fils, dont elle n’a plus de nouvelles depuis des années, la vieille dame étant tenue pour responsable d’un drame familial qui a eu lieu autrefois, durant la tempête Lothar. Son petit-fils lui annonce qu’il ira passer Noël chez elle afin qu’elle connaisse sa femme et son arrière-petit-fils qu’elle n’a jamais vus. D’une manière assez inattendue dans le roman, mais qui va dans le sens des cycles qui arrivent, s’en vont et reviennent, l’arrière-grand-mère s’entendra très bien avec son arrière-petit-fils puisqu’ils sont très proches au niveau des idées. En revanche son amie Cara, qu’elle trouve trop envahissante et superficielle, l’agace.

Influenceuse, Cara est pourtant la star de toute une génération, dont Chigiru, une adolescente d’une quinzaine d’années surdouée en informatique. Contrairement à Clémence qui vient d’un autre temps, sa jeunesse l’a rend à l’aise avec la surnumérisation. En revanche, elle peine à trouver sa place parmi les humains. Afin d’éradiquer les discriminations dues au genre, les féministes sont parvenues à abolir la mixité en classe au nom du progrès et de l’épanouissement des filles. Malgré cela, tout n’est pas violet pour les jeunes femmes. D’autres discriminations se sont mises en place. Chigiru vient d’un milieu modeste or, pour être acceptée par ses pairs, il faut le prestige des accessoires et des habits qu’on arbore. N’ayant pas les moyens de suivre le rythme dépensier de ses camarades, elle est moquée et mise à ban.

Cara : extrait

Sabine Dormond : biographie

Écrivaine et traductrice, Sabine Dormond a présidé pendant 6 ans l’Association vaudoise des écrivains. En 2007, elle coécrit avec Hélène Küng, pasteure lausannoise, un premier recueil de contes intitulé 36 chandelles. Depuis, elle a publié sept ouvrages et a participé à quatre reprises au Livre sur les quais à Morges. Ses nouvelles ont fait l’objet de plusieurs lectures radiophoniques. Elle anime aussi des ateliers d’écriture et des tables rondes, et rédige des chroniques littéraires pour le journal en ligne Bon pour la tête.

Elle a également siégé au conseil communal de Montreux parmi les socialistes.

 

Sources :

  •  Éditions Encre Fraîche
  • M+ Éditions
  • Wikipédia
  • Radio Chablais
  • Radio Cité

Un livre 5 questions : « Le Monde est ma ruelle » d’Olivier Sillig

Le Monde est ma ruelle: instants d’évasion

Pour évader nos esprits hors des murs qui les confinent, « Le Monde est ma ruelle » d’Olivier Sillig, paru aux Editions de L’Aire, nous emmène de Lausanne au Mexique en passant par l’Allemagne, l’Afrique ou l’Amérique du Sud. Derrière son allure tranquille et débonnaire, ce romancier aux multiples casquettes – psychologue, informaticien, peintre, sculpteur, cinéaste – passe sa vie à globe-trotter, parfois même dans sa propre ville natale. Parcourir les rues et les places, regarder vivre les gens, photographier, s’imprégner des ambiances, prendre des notes, occupe une partie de son existence. Rédigées dans un style concis, presque lapidaire, dans son dernier ouvrage il nous livre ces déambulations par flashs. Pas de fioritures inutiles, ni de sentiments futiles. Les sentiments, c’est à nous de les ressentir au travers des mots qu’il jette sur ses cahiers. A nous de construire nos propres histoires à partir des courts moments captés, tel des instantanés. Trois cent soixante-huit chroniques nous emportent loin de notre quotidien, respirer l’air d’ici et d’ailleurs qui, actuellement, nous fait tellement défaut. Un dépaysement aux mille couleurs, parfums et saveurs.

Olivier Sillig s’exprime sur la quatrième de couverture

« Le Monde vu par le petit bout de la spirale. Géographiquement, du plus près au plus éloigné. Le point de départ de ma spirale, c’est donc la Suisse, le Canton de Vaud, Lausanne ma ville. J’y suis né. En gros, j’y ai toujours vécu. J’y mourrai sans doute, malgré des velléités périodiques : m’acheter une gare désaffectée au centre de la Sicile, m’installer dans une des vieilles bâtisses coloniales en bois vermoulu de l’Avenue Eduardo Mondaine à Beira Mozambique, terminer ma course dans une petite ville française du Gers pour autant qu’elle ait un bistrot, une bibliothèque publique et de bonnes liaisons ferroviaires. En attendant, au gré de la vie et des surprises qu’elle me réserve, je prends quelques notes dans un calepin que j’ai toujours à portée de main ».

Les calepins de l’écrivain Olivier Sillig.

Le Monde est ma ruelle : extraits

Afin de nous familiariser avec l’univers d’Olivier Sillig, j’ai choisi trois minis chroniques. Son ouvrage en compte également de plus longues, qui ressemblent davantage à de courtes nouvelles.

 

119. Marseille, 5 janvier 2010

Dans le bus, une fille est assise sur l’espace surélevé qui domine les roues avant du véhicule. Dépassant de son sac, un classeur arbore une étiquette troublante, écrite à la main, bien visible : « Copie du mensonge ». Peut-être une comédienne ?

165. Antananarivo, 3 avril 2008

Service social. Antananarivo, nuit. Deux cartons ondulés à plat sur le bitume. Sur le premier, une femme endormie. Sur le second, trois bébés alignés. S’agit-il d’une nichée de triplés ? Non, c’est une halte-garderie. Plus loin, sur d’autres trottoirs, les vraies mères rassurées font leur travail de belles de nuit.

 

307. Mexico, 2 octobre 2015

Parmi les démarcheurs ambulants, il y a les vendeurs d’électrocution. On met les deux index dans deux tubes et on se fait secouer. Cela ne sert absolument à rien, si ce n’est peut-être à prouver sa virilité quand le voltage augmente.

 

Le Monde est ma ruelle : interview d’Olivier Sillig

Qu’est-ce qui vous incite à voyager ?

Le hasard. Sur mon vélo professionnel et quotidien j’ai découvert l’écriture. Mes films m’ont fait découvrir l’Afrique. La traduction d’un livre, le Mexique. Une erreur de transcription, l’Afrique du Sud. Le hasard est un bon plan de carrière, un bon plan de vie.

Depuis quand voyagez-vous et quels sont vos souvenirs de voyage les plus marquants, qu’ils soient magnifiques ou sordides ?

A vélo ou à pieds surtout depuis mes 30 ans. Au-delà, depuis mes 45 ans.

Deux souvenirs pas évoqués ailleurs :

À l’âge de neuf ans, descendant en famille à la mer, à Florence, dans la rue de notre hôtel, dans un enfer de flammes, je suis tombé sur des souffleurs de verre qui soufflaient de simples bouteilles ou des fiasques à Chianti ; j’ai découvert alors que la vraie vie existait.

À 19 ans je suis parti faire un tour en stop en Allemagne, tout seul comme un grand. Sur le vapeur qui traversait le lac de Constance, anticipant, je me sentais tel DiCaprio s’embarquant sur le Titanic.

Un souvenir sordide ? Rien de ce qui est humain ne m’est sordide, sauf peut-être les armées, rarement croisées. Ainsi qu’un accident automobile, un amoncèlement de voitures à un carrefour de mon quartier à Johannesburg.

Sur quoi écrivez-vous, avec quoi et à quels moments ?

À Madagascar, j’ai déniché un calepin, genre Clairefontaine, au format idéal. Depuis je les confectionne aux dimensions qui me conviennent. J’en fais deux à partir d’un cahier A4, mais en format paysage afin d’avoir des lignes plus longues. Dedans, j’écris à la plume. Au bistrot, dans le bus, ou sur mes genoux. Quand c’est possible, j’en fais une saisie électronique le jour même ; j’écris si mal que je n’arrive souvent pas à me relire, mais j’ai la page, son format et son contenu désormais imprimés dans la tête.

En ce moment de Coronavirus êtes-vous confiné ?

Confiné ? En gros plus ou moins, plus ou moins discipliné. Mon côté zen-cynique-positif s’en trouve désarçonné. Autour du Coronavirus, plus ça avance moins je sais quoi penser, ce qui n’est pas dans mes habitudes.

La question que je pose à chaque auteur-e: à quel personnage littéraire vous identifiez-vous ?

Même si je l’ai à peine lu, Don Quichotte, pour les moulins à vent que nous partageons.

 

L’écrivain Olivier Sillig.

Biographie d’Olivier Sillig

Très brièvement psychologue, puis informaticien, puis peintre et sculpteur, cinéaste et écrivain, Olivier Sillig reste avant tout un romancier. A son actif : douze romans publiés, certains avec un joli succès et des traductions, des courts métrages qui ont fait le tour du monde, des interventions dans les arts plastiques, et du slam jusque dans les townships d’Afrique du Sud. Toujours en bordure de genre, ses romans vont de la science-fiction aux récits historiques, en passant par l’actualité, le fantastique, le kafkaïen, le roman policier et le livre pour enfants. Un éclectisme revendiqué avec des distinctions dans tous ces domaines, le tout porté par une inquiétude existentielle qui va, dit-il, s’amenuisant. Toutefois, pour en savoir plus sur cet artiste protéiforme, je vous invite à vous rendre sur son site : www.oliviersillig.ch

Acheter des livres durant le confinement

Si vous souhaitez lire durant votre confinement, vous pouvez vous procurer Le Monde est ma ruelle directement aux Éditions de L’Aire. Par ailleurs, beaucoup de librairies indépendantes livrent exceptionnellement à domicile.

 

Interview réalisée par Dunia Miralles