Un livre 5 questions: “Ce que révèle la nuit” de Sylvie Blondel

Ce que révèle la nuit de Sylvie Blondel : introduction

Dans son roman Ce que révèle la nuit, paru chez PEARLBOOKSEDITION à Zurich, Sylvie Blondel imagine la vie et les derniers jours de l’astronome Jean-Philippe Loÿs de Cheseaux, réputé scientifique du XVIIIe siècle. Né en 1718 dans une noble famille vaudoise, considéré par ses pairs européens comme l’un des plus grands scientifiques de son temps, il mourut à Paris en 1751.

À l’histoire de ce savant, Sylvie Blondel intercale un moment de la vie d’Hector, un homme de notre époque, qui souhaite écrire un livre sur cet astronome de nos jours oublié. Rapidement, il se voit confronté au manque d’information et aux interrogations que soulèvent ces lacunes, tout comme il tourne et retourne, dans son esprit, les questions qu’il se pose sur les mystérieux motifs qui ont incité sa femme à quitter le domicile conjugal sans plus donner de nouvelles.

Ce que révèle la nuit : interview de Sylvie Blondel

Une phrase du livre :

« … je me sens comme un poisson rouge dans le bocal de l’Univers avec la Lune et le silence ».

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Merveilleuse question, car elle reflète mon état d’esprit au moment de l’écriture de ce roman, et je la place dans la bouche d’Hector : il exprime, en partie, mon désarroi.

Ce que révèle la nuit, Sylvie Blondel, PEARLBOOKSEDITION 2015.

Cette question existentielle parcourt le livre, en ces temps troublés par le changement climatique qui menace l’humanité. Je confronte l’étroitesse de vue de bon nombre de contemporains, dont nous faisons partie, et l’immensité de l’Univers. L’infiniment petit et l’infiniment grand. Entre ces extrêmes, l’individu se sent impuissant, humble, minuscule, avec ses soucis dérisoires. Il tourne en rond comme un poisson dans un bocal sans espoir d’une issue vers la liberté. À ce propos, je viens de rêver que j’étais un poisson dans l’océan et que je nageais et communiquais avec mes congénères ! Je dois dire que ce rêve m’a redonné la pêche (si l’on peut dire !) Je pense aussi souvent à l’axolotl de Julio Cortazar, à cette perméabilité entre le dedans et le dehors. Ainsi je considère ce poisson rouge comme un avatar du moi : il se croit enfermé alors que son espace vital est immense, l’Univers entier l’entoure de sa beauté absolue : la Lune. La dimension onirique est essentielle, ainsi que la dimension spirituelle. D’où l’importance de faire silence en soi et d’écouter. C’est ce que font Hector et Loÿs par moments : ressentir cet enveloppement, cette mère universelle chère aux peuples premiers (les kogis de Colombie), cet amour de l’Univers est ce qui nous porte, c’est le mystère de la création. Malheureusement bon nombre de gens ont perdu ce contact et saccagent leur environnement, se saccagent eux-mêmes. Au contact de la nature, je peux parfois éprouver ce sentiment d’unité.

Pourquoi votre choix s’est-il porté sur l’astronome Jean-Philippe Loÿs de Cheseaux ? En particulier sur les derniers moments de sa vie ?

J’ai envisagé le point de vue le plus large pour arriver au plus petit. J’ai tapé sur Google le mot «  Nuit » et je suis tombée sur J-P L de Cheseaux. J’ai lu tout ce que j’ai pu trouver sur lui, et sa brève destinée m’a frappée. On s’identifie toujours un peu aux personnages qu’on crée. J’ai été impressionnée par sa passion des études scientifiques, son rôle de chercheur, son courage et sa modestie. J’ai volontairement laissé de côté d’autres aspects de sa vie (la religion.) Dans mon aventure d’écrivaine, j’aime ce côté voyage dans le temps, cet aspect fantastique propice à l’invention. Et j’aime particulièrement le 18e siècle pour une certaine forme d’optimisme et de liberté, ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle le Siècle des Lumières. Il a aussi sa dimension tragique, raison pour laquelle je me suis également attachée à la figure de Davel qui a donné sa vie pour la liberté du canton de Vaud, lui aussi fut un héros méconnu en son temps. J’ai imaginé qu’il aurait pu être admiré par le grand-père de Loÿs. Écrire une biographie historique n’est pas ma tasse de thé, raison pour laquelle j’ai relaté seulement certaines scènes de la vie du personnage. Je me suis inspirée des faits historiques (canevas), mais le contenu est purement imaginaire. Je me suis limitée à ses dix derniers jours, car c’est un concentré de la vie humaine : l’espoir et la souffrance, les amours et les regrets, la question de la vie après la mort (qui reste ouverte). Le récit est fait de va-et-vient entre présent et passé (on dit que notre vie défile à toute allure avant de mourir). En me concentrant sur quelques heures dans la vie d’un homme, mon sujet pouvait être appréhendé sans me perdre. Chaque chapitre forme une unité, comme un découpage cinématographique (scénario pour un téléfilm !) D’emblée, j’ai été révoltée par la manière dont la France de l’époque a traité ce grand savant en le jetant dans une fosse commune, car tel était le sort des protestants, des comédiens ( Molière) et des parias. Loÿs de Cheseaux était pourtant membre de l’Académie royale des Sciences à Paris ! N’oublions pas le massacre des protestants après la révocation de l’Édit de Nantes ; on parle beaucoup du génocide arménien, du génocide des Juifs, etc… il y eut en France le génocide des protestants. S’il n’avait pas eu lieu, la France actuelle serait peut-être plus ouverte, mieux gérée, tant la vision de l’État de la part des protestants est à l’opposé du pouvoir royaliste et centralisé d’aujourd’hui.

Ce que je veux dire c’est que Loÿs de Cheseaux est resté assez méconnu alors que ses travaux scientifiques ont joué un rôle éminent : découvreur de comète avec une simple lunette astronomique ! Bon nombre d’artistes suisses restent aujourd’hui méconnus également tant notre territoire est restreint. Les pouvoirs publics ne s’intéressent pas beaucoup à la plus value que représente la littérature.

Dans votre ouvrage, Hector vit au XXIe siècle et souhaite écrire un livre sur l’astronome vaudois. Les documents existants sur ce personnage historique sont-ils aussi lacunaires que dans votre roman? Si oui, cela vous a-t-il laissé beaucoup d’espace de liberté ou au contraire était-ce une contrainte?

Oui, hélas, c’est véridique : tous ses instruments et documents ont été détruits. À une époque pas si lointaine, on n’avait aucune conscience de la nécessité de conserver le patrimoine. De plus, lorsqu’on a passé au système métrique, toutes les anciennes mesures sont devenues caduques. Comme dit dans le livre, ma principale source est le professeur d’astrophysique Georges Meylan qui fait de nombreuses conférences sur J-P L de Cheseaux et dispose de copies des documents qui restent de ce savant : on a donc à la BCU le « traité de la comète » (illisible pour un non scientifique) et quelques autres œuvres assez ardues et très techniques destinées à un public restreint d’hommes de science. Ses dessins sont magnifiques. Il y a aussi un historien, que je cite dans les références de mon roman, qui a résumé cela mais de manière plate et non fictionnelle. Cela n’était donc pas une contrainte, mais une liberté, car il n’existe aucune anecdote sur la vie personnelle de Loÿs. Je lui ai inventé un amour impossible pour lui donner un peu d’humanité, mais comme il s’est épuisé à la tâche, il a été souvent malade et déprimé (en burn-out, dirait-on aujourd’hui.) J’ai fait une assez large place à la médecine de l’époque. N’oublions pas que l’espérance de vie était d’à peu près 40 ans. Les voyages étaient épuisants et très longs. J’ai des centaines de pages de documents, mais ne les ai pas fait apparaître dans le roman pour ne pas alourdir le propos.

Hector considère l’astronome comme un jumeau d’un autre âge. Et vous ? Avez-vous une jumelle – ou un jumeau – dans une autre époque ?

Je trouve cette idée très romanesque. J’aime beaucoup Julio Cortazar. Il articule bon nombre de ses nouvelles des Armes secrètes sur ce mélange des strates temporelles. Si l’on en croit les astrophysiciens et les bouddhistes, le temps n’existe pas, nous sommes dans un éternel présent (enfin si j’ai bien compris.) J’aime à penser, mais ce n’est qu’une croyance, que des esprits peuvent communiquer avec nous par le biais des rêves, des synchronicités. Cf le réalisme magique de Garcia Marquez, Isabel Allende, notamment. Les anciennes civilisations d’Amérique latine font état aussi de cette présence des esprits des morts, c’est une hypothèse artistique pour moi, pas une conviction, mais je pense que les artistes sont habités par plusieurs vies, sont des éponges qui captent diverses ondes émanent de leur environnement. J’ai mis ces hallucinations d’Hector sur le compte de son état dépressif suite à un deuil… Donc je n’en sais rien, mais cela m’inspire pour l’écriture. Il m’a paru intéressant de mêler l’esprit rationnel, scientifique et le paranormal. Beaucoup de phénomènes nous échappent.

Je ne crois pas avoir un jumeau dans une autre époque. J’ai bien souvent cru à l’âme sœur – tomber amoureuse d’un type impossible parce que nous nous étions connus dans une vie antérieure et que le destin nous avait séparés et qu’il fallait revivre cette histoire au présent pour libérer nos âmes du chagrin – beaucoup de voyantes disent cela.

Pensez-vous que deux personnes de deux époques différentes puissent se rencontrer ? Que le temps puisse se plier comme le prétendent certains physiciens ?

Réponse, j’y crois et j’y crois pas. Pour la deuxième partie, cela défie la raison, mais en effet la notion du temps est subjective et les physiciens ont encore bien des choses à nous révéler. Comme dit plus haut, notre connaissance du temps est partielle. Il est théoriquement possible qu’on puisse remonter le temps avec des instruments de plus en plus sophistiqués jusqu’au big bang, mais certains en doutent, car nous n’aurons jamais de télescopes aussi puissants, c’est le résultat d’extrapolations. Je pense comme eux qu’il est plus important de poser des questions que d’apporter des réponses lorsqu’on parle d’astrophysique et de spiritualité.

En ce moment j’ai de gros doutes quand à la survie de l’âme : j’ai vu ma mère dévorée par la maladie d’Alzheimer, perdre peu à peu la mémoire et la capacité de penser. Si le cerveau est détruit, que reste-t-il de l’esprit ? La vie se résume-t- elle à un tas de cendres ? Je crois que c’est inadmissible pour un écrivain dont le rôle est de faire vivre l’humain et toute forme d’existence à travers l’imaginaire.

Donc mon roman est le résultat de ce questionnement sur le caractère à la fois poignant et éphémère de la vie humaine dans l’immensité de l’univers.

La question que je pose à chaque auteur-e : à quel personnage littéraire vous identifieriez-vous ?

J’aime beaucoup Stendhal et son style haletant. Je dirais Clélia dans la Chartreuse de Parme. Une héroïne prisonnière d’un secret, d’un vœu, très puissant ressort romanesque. La légende de Tristan et Iseut, comme l’a bien montré Denis de Rougemont, façonne encore aujourd’hui la vision tragique de l’amour en Occident. La soif de passion à l’opposé d’une vie tranquille et sans histoire, c’est peut-être pour cela que, dans les films, les femmes choisissent les mauvais garçons ! (cf aussi Marguerite Duras.) Stendhal termine ses romans de cette façon : les amants sont enfin réunis…mais il est trop tard, la mort emporte l’un des deux. Idem dans Tristan et Iseut.

Mon personnage, J-P L de Cheseaux, vit aussi un amour impossible. Le tragique de l’histoire, c’est que son Isabelle, devenue enfin veuve, pourrait l’épouser, mais il meurt avant de connaître la vie tranquille sur cette Terre, mais peut-être dans l’au-delà.

 

Début du roman lu par l’auteure Sylvie Blondel.

Biographie de Sylvie Blondel:

Sylvie Blondel, professeur de français et journaliste radio, est née à Lausanne.

Sa vie est jalonnée par de nombreux voyages qui ont inspiré le recueil de nouvelles : “Le Fil de soie ”  éditions de l’Aire, 2010. En 2015, elle publie le roman « Ce que révèle la nuit », PEARLBOOKSEDITION. D’autres textes figurent dans des recueils collectifs.

Actualité et projets à venir de Sylvie Blondel:

Une nouvelle parue dans « Le livre des Suites « , éditions l’Age d’Homme, 2018.

Une nouvelle à paraître dans un recueil collectif d’écrivaines de Suisse romande à l’occasion de la future grève des femmes du 14 juin 2019.

La sortie de son prochain livre est prévue pour début 2020.

 

Cette entrevue, réalisée par Dunia Miralles, est extraite du blog : “Écrire à mille: littérature romande et autres art”.

Jean de la Fontaine: un libertin repenti

Jean de la Fontaine : le plus moralisateur des libertins

Nous connaissons cet homme de lettres en tant que fabuliste moralisateur qui aura su se faire haïr par de successives générations de jeunes écoliers – heureusement pas de tous. Or, Jean de la Fontaine écrivait non seulement des livrets d’opéra, des pièces de théâtre et des poèmes mais également des contes licencieux. Écrivain et poète vaguement libertin, pour accéder à son rêve le plus cher – un fauteuil à l’Académie Française- il dut renier ses premiers contes, se « réconcilier » avec Dieu et surtout avec ses représentants de l’église catholique. La poésie d’aujourd’hui a pour sujet la volupté sous toutes ses formes. Elle est extraite du livre “A l’heure de l’amour et des roses”, poèmes choisis par Hubert Gravereaux et délicatement illustrés par Lotte Günthart. Parution aux Éditions Payot, Lausanne, en 1968.

Jean de la Fontaine: le protégé des Dames

Jean de La Fontaine, naît un début juillet 1621, à Château-Thierry, dans la bourgeoisie de province. Avant de s’installer à Paris, il vit ses premières années dans l’hôtel particulier que possèdent ses parents.

Proche de Nicolas Fouquet, de Molière, Boileau et Racine, Jean de La Fontaine reste à l’écart de la cour royale non par choix mais parce qu’il n’est guère apprécié en haut lieu. Il profite de cette distance pour publier, de 1668 à 1674, des Contes et Nouvelles, à tendance libertine, écrits pour l’une de ses protectrices. La méfiance de la cour à son égard, principalement due à sa fidèle amitié envers Nicolas Fouquet, ne l’empêche pas de pénétrer dans les meilleurs salons. Quelques dames amoureuses des lettres lui octroient tour à tour leur protection.

Jean de la Fontaine: les contes ou le fauteuil

Malgré des oppositions, il est reçu à l’Académie française en 1684. A cette occasion, il est obligé de renier publiquement ses contes licencieux.

Après la perte de Madame de la Sablière, sa dernière protectrice, son moral tombe au plus bas. Il perd goût à la vie, tombe malade, passe son temps à lire les Évangiles et entame des discussions avec les prêtres. Un abbé persuade Jean de la Fontaine de se confesser. Il insiste sur une confession publique afin que tous puissent assister au reniement de ses contes. Il le fait dans sa chambre en présence des académiciens. L’abbé lui fait promettre de ne plus écrire que des textes pieux et lui accorde l’extrême onction.

Contre toute attente, il se rétablit et retourne à l’Académie.

Il meurt le 13 avril 1695.

Pour écrire ses fables, Jean de la Fontaine s’est inspiré des fabulistes de l’Antiquité gréco-latine et en particulier d’Ésope. Le premier recueil qui correspond aux livres I à VI des éditions actuelles est publié en 1668, le deuxième (livres VII à XI) en 1678, et le dernier (livre XII actuel) est daté de 1694. L’adresse de ses vers et la morale des textes, plus complexes qu’ils n’y paraissent, ont assuré leur succès. Actuellement, Les Fables de La Fontaine sont considérées comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature française. Le fabuliste a éclipsé le conteur d’autant, qu’afin de sauvegarder la morale, on a mis dans l’ombre ses contes licencieux.

Un merci à Michel Pennec et à la Librairie Humus à Lausanne.

Sources :

-Histoire pour tous

-Musée Jean de la Fontaine

-Wikipédia