Lectures estivales : Rosa, Dolores, Almudena et María un quatuor ibérique

Littérature espagnole : ces femmes qui l’écrivent

Pour passer leurs vacances après deux ans de Covid, Suisses et Européens ont choisi l’Espagne pour principale destination. Mais la péninsule ibérique n’est pas qu’un pays de plages et d’alcool bon marché. Hormis les châteaux, le flamenco et la paëlla, sa culture comprend aussi quelques grands écrivains dont Miguel de Cervantès, Federico Garcia Lorca et plus proches de nous Miguel Delibes ou Carlos Ruiz Zafón. Mais c’est dans les univers de quatre femmes que j’ai envie de vous emmener. Relativement peu connues des lecteurs francophones, ce sont de véritables stars en Espagne et dans les pays hispaniques. Non seulement elles cumulent les bestsellers, mais en plus elles ont un véritable talent littéraire contrairement à beaucoup d’écrivains ou d’écrivaines à grand tirage dont les livres ne savent satisfaire les amateurs de mots et d’intelligence. Une partie de leur œuvre est traduite en français et se trouve facilement en Suisse, en France ou en Belgique. Alors, n’hésitez pas à vous dorer sur une plage ibérique en lisant une écrivaine locale. Et si vous restez proche de vos pénates, voyagez à Madrid, en Cantabrie, au Pays Basque ou dans les méandres de l’Histoire espagnole avec des autrices qui connaissent parfaitement l’âme humaine, la géographie, la politique et les mythes de leur pays. Avec parfois du crime, du mystère, des ambiances noires ou de l’érotisme selon les plumes.

Rosa Montero : la touche-à-tout

Parce qu’elle est moi avons des point communs, Rosa Montero est sans aucun doute ma chouchou. Formée à la psychologie et au journalisme, elle écrit pour le quotidien El Pais depuis 1976. Avec la publication, en 1979, de La Crónica del Desamor – malheureusement non traduit dans la langue de Molière – elle est devenue l’une des écrivaines de la Movida madrilène, ce grand mouvement de libération et de renaissance de la culture qui explosa après quarante ans de dictature. Depuis, elle cumule les publications. L’œuvre de cette touche-à-tout est à la fois érudite, insolite et abordable par chacun. Ses livres se situent dans le passé, le présent ou le futur. Sa plume aborde tous les genres : littérature blanche, polar, thriller, fantastique, biographie, anticipation, journalisme, essai… Rosa Montero écrit également des récits inclassables qui relient son vécu à la vie de personnes célèbres, dont elle lit et étudie les biographies, ce qui rend le tout extraordinairement universel. Pour ma part, j’ai adoré son roman Le Roi transparent dont l’histoire se déroule au XIIe siècle, et L’idée ridicule de ne plus jamais te revoir ou elle raconte la perte de son mari, son chagrin après ce décès et sa reconstruction, tout en nous narrant des épisodes de la vie de Marie Curie. Actuellement, je découvre son dernier ouvrage Le danger d’être sain d’esprit qui paraîtra prochainement en français. Je l’ai acheté compulsivement, yeux fermés, dans un grand supermarché durant un séjour en Espagne, sans lire la quatrième de couverture. D’habitude, je me fournis dans les librairies, mais en le voyant si près de ma main, je n’ai pas pu m’empêcher de le mettre dans le caddie. Qu’elle n’a pas été ma surprise de voir qu’il aborde le même sujet que mon livre à paraître cet automne chez Torticolis et frères. On y trouve les mêmes références et elle en tire quasi les mêmes conclusions. Mon ouvrage sera nettement plus succinct, probablement moins savant et traité différemment, mais ciel ! que d’émotion en y découvrant les similitudes.

Parmi ses livres les plus marquants : La bonne chance, La chair, Des larmes sous la pluie, La fille du cannibale, La folle du logis.

Rosa Montero croule sous les prix et distinctions littéraires, notamment le Premier Prix littérature et journalisme Gabriel García Márquez (1999), le Prix National des Lettres Espagnoles (2017) et le Prix Ulysse pour l’ensemble de de son œuvre (2021). Ce sont les éditions Métailié qui la publient en français. Cliquer ici pour découvrir les livres de Rosa Montero.

Dolores Redondo : polars noirs et mythes fantastiques

Auteure de la Trilogie du Baztán, dont on a tiré trois films réalisés par Fernando Gonzalez Molina (Le Gardien Invisible, De Chair et d’Os, Une Offrande à la Tempête), Dolores Redondo écrit des polars empreints d’une touche de fantastique, et des romans historiques. Grande prêtresse du noir et du mystère, elle nous emmène dans des univers très réels qui soudainement dérapent vers l’étrange avant de revenir au tangible. S’adonnant à la littérature depuis l’âge de quatorze ans, ses premiers écrits s’adressent aux enfants et aux jeunes. Après l’abandon de ses études de droit, elle se lance dans la restauration gastronomique. Elle a travaillé dans plusieurs restaurants et en a possédé un, avant de se consacrer entièrement à la littérature. Après la publication du premier volume de la trilogie, le producteur allemand Peter Nadermann, responsable des films de la saga Millenium de Stieg Larsson, a immédiatement acquis les droits pour une adaptation cinématographique.

Dire que j’ai reçu une énorme claque en lisant la Trilogie du Baztán est un euphémisme. Ces ouvrages sont de ceux qui nous obsèdent, qui nous font détester ce quotidien qui nous empêche de reprendre le livre dont on a été obligé d’abandonner la lecture. A lire aussi : La face nord du cœur, grand prix des lectrices du magazine Elle.

Considérée comme le phénomène littéraire espagnol le plus important de ces dernières années, elle est traduite dans 36 langues.

Dolores Redondo a reçu le Prix Planeta (2016) et le Prix Bancarella (2018).

En français elle est publiée par Stock et Mercure de France. Ce sont les Éditions Gallimard et ses différentes collections de poche qui s’occupent des rééditions. A noter : il est conseillé de les lire dans l’ordre de parution. Livres de Dolores Redondo : cliquer ici.

Almudena Grandes : érotisme et Histoire

Quand, en novembre de l’an passé, Almudena Grandes est décédée à l’âge de 61 ans, une partie de l’Espagne s’est sentie en deuil. En effet, ses œuvres situées entre le XXe et le début du XXIe siècle, qui dépeignent avec une extrême justesse des moments bien précis de l’Histoire contemporaine du pays, ont frappé les Espagnols par leur réalisme et par la fine psychologie des personnages.

Almudena Grandes est entrée dans le monde littéraire en 1989 avec Les Vies de Loulou (Albin Michel), un roman qui relate l’histoire d’une femme qui explore son corps et sa sexualité dans un Madrid remué par la Movida. Vendu à des millions d’exemplaires et traduit dans près de 20 langues, ce roman sulfureux lance sa carrière. Cependant, c’est en 1994 avec Malena c’est un nom de tango (paru en français chez Pocket), qu’Almudena Grandes s’installe totalement dans la littérature. Avec ce livre elle devient une romancière populaire qui produit des bestsellers mais dont le style narratif, foisonnant et complexe est admiré et respecté par le milieu littéraire.

Après quatre ouvrages qui explorent les conflits d’identité de la femme espagnole de sa génération (elle est née en 1960) elle s’est aperçue qu’elle n’avait plus rien à raconter sur le sujet. De cette réflexion naîtra son cycle « Épisodes d’une guerre interminable », une fresque sur la guerre et l’après-guerre civile espagnole, écrite d’après les documents et témoignages parus sur le sujet.

Les romans d’Almudena Grandes donnent une voix à ces personnes invisibilisées par l’Histoire : aux humbles, aux oubliés, aux réprimés et particulièrement aux femmes. Proche amie de Pedro Almodovar, ce dernier dira à son propos : “Une écrivaine phare pour ceux d’entre nous qui veulent connaître notre histoire actuelle et d’où nous venons, ces détails importants que l’Histoire officielle avec une majuscule a tendance à nous voler”.

Considérée comme l’une des plus grandes plumes de la littérature espagnole, elle a reçu vingt-neuf prix et distinctions de son vivant et à titre posthume, notamment la prestigieuse Medalla de Oro al Mérito en las Bellas Artes. Par ailleurs, en mars de cette année, la ministre des transports a annoncé que l’une des plus importantes gares ferroviaires du pays, la Estación de Madrid Puerta de Atocha, sera rebaptisée Estación Puerta de Atocha Almudena Grandes.

Plusieurs de ses livres ont été adaptés pour le cinéma ou la télévision notamment par José Juan Bigas Luna et Gerardo Herrero. Dans leur traduction française ils sont, entre autres, publiés par Grasset et JC Lattès. Livres d’Almudena Grandes : cliquer ici.

Maria Oruña : l’admiratrice de Dolores

Admiratrice de Dolores Redondo, en hommage à cette écrivaine dont je parle plus haut, María Oruña a baptisé Valentina Redondo la protagoniste de sa série de polars. Un seul de ses livres a été traduit au français : Le port secret paru chez Actes Sud.

Née dans la région de Galice, Maria Oruña a exercé pendant dix ans la profession d’avocate spécialisée dans le droit du travail et le droit commercial.

Basé sur divers événements réels, en 2013, elle publie un roman à contenu juridique La mano del arquero ayant pour thème le harcèlement au travail et l’abus d’autorité, écrit pour aider les personnes qui se retrouvent dans une telle situation.

En 2015, María Oruña écrit Le port secret son premier roman policier. Ce livre sera également le premier d’une série qui, en espagnol en comprend déjà quatre. Si vous êtes suffisamment nombreux à réclamer d’autres enquêtes de Valentina Redondo, ses autres ouvrages seront peut-être également traduits.

L’histoire : un jeune Anglo-espagnol élevé à Londres revient à Santander pour transformer en hôtel de charme la vieille demeure héritée de sa mère. Pendant les travaux, les ouvriers exhument le cadavre d’un bébé. Ce thriller nous entraîne dans les secrets de famille, avec pour toile de fond une côte cantabrique sauvage et mystérieuse, balayée par les vents océaniques.

Je vous souhaite un délicieux été en compagnie des plus Grandes d’Espagne. Je vous donne rendez-vous à la fin juillet avec du théâtre plus joué qu’écrit.

Dunia Miralles

Sources

– En-tête : détail de la couverture du roman de Rosa Montero La bonne chance. Photo : Marco Grassi.

Site officiel de Rosa Montero

Site officiel de Dolores Redondo

Site officiel d’Almudena Grandes

Site officiel de María Oruña

JC Lattès

– Wikipédia

 

 

Philippe Battaglia et Le Gore des Alpes (1) : du sexe, de l’horreur et même de l’Histoire

Le Gore des Alpes : un inconvenant délice

Monstres humains ou fantastiques, démons, adorateurs de Satan, tortures, possessions, sexe, Nazis, médecins sadiques, sorcellerie, zombies, vengeances… – la liste n’est pas exhaustive – la collection de petits livres trash, née en Valais et sobrement intitulée Gore des Alpes, ne nous épargne aucune fantaisie extrême et sanglante. Tout cela sans nous sortir de nos beaux paysages de cartes postales. Sans que les auteur-e-s et les personnalités suisses les plus en vue ne rechignent à se lancer dans le jubilatoire mais périlleux exercice d’une écriture violente et excessive. Imaginez le spectre d’une espèce de Quentin Tarantino déjanté possédant les écrivain-e-s et dessinateurs de notre belle Helvétie, et vous serez encore loin du compte.

Parmi les personnes de plume qui ont succombé au charme de la terreur et de l’hémoglobine, l’on trouve le sociologue et historien Gabriel Bender, les journalistes Joël Jenzer et Jean-François Fournier, l’écrivaine Louise Anne Bouchard ou le talentueux artiste peintre et illustrateur Ludovic Chappex qui signe toutes les couvertures. Olivia Gerig, autrice de L’Ogre du Salève dont tout le monde se souvient et de la trilogie Le Mage Noir, s’est également laissé ensorceler. C’est ce printemps que l’on lira sa prose la plus hard !

Évidemment, cet esprit n’a pu s’empêcher d’envoûter Nicolas Feuz qui, depuis des années déploie l’ombre de ses immenses ailes sur l’ensemble de la littérature romande. Sont-ce celles d’un ange gardien qui protège les lettres et ses humbles serviteurs, ou celles d’un féroce vampire suceur d’encre et de sang ? Toutes les rumeurs circulent. Toutes les hypothèses semblent possibles. Seul Chronos, dieu issu du néant selon certaines traditions, nous révèlera peut-être un jour la véritable substance de ce que sème, entre les lignes, ce procureur devenu un incontournable de tout ce que l’édition locale produit depuis deux lustres. En attendant ce Jugement Dernier, les milliers de lecteurs qu’il délecte se régalent notamment du Verdict de la Truite.

A noter pourtant que cette collection, terriblement sombre, saupoudrée d’une touche de grotesque, se réfère souvent à l’Histoire avec un grand H. Dans ma publication de demain, je présenterai quelques-unes de ces publications ainsi que leurs auteur-e-s.

Philippe Battaglia : l’homme aux multiples casquettes

Philippe Battaglia, c’est le genre d’irrévérencieux monsieur suffisamment hyperactif et bien intégré dans la société pour qu’à l’instar d’un certain procureur, on le trouve partout. Je suis d’ailleurs surprise de ne pas encore l’avoir rencontré dans ma paella entre cinq grains de riz, quatre lamelles de poivron, deux moules, une crevette et une cuisse de poulet. Je vous invite à lire sa biographie au bas de l’article. Elle est aussi divertissante et dense en rebondissements que cette série de livres à laquelle il participe, entre autres, comme directeur de collection.

– Comment vous est venue l’idée de vous lancer dans cette aventure ?

Avant toute chose, je dois préciser que je suis une pièce rapportée, même si j’ai aujourd’hui plusieurs casquettes au sein du collectif, puisque j’y suis éditeur, directeur de la collection et auteur. Au commencement étaient trois hommes (comme pour la création de la Suisse, mais n’y voyez aucun lien de cause à effet) qui sont ensuite venus en chercher deux autres dont moi. Le Gore des Alpes est donc une maison d’édition et une collection du même nom, le tout géré par cinq individus peu recommandables. L’idée est venue peu après les votations sur les Jeux Olympiques en Valais, une campagne extrêmement clivante durant laquelle le canton a été peint dans tout ce qu’il a de plus merveilleux. Une vraie carte postale. Les trois fondateurs se sont alors dit que non, la Valais, ce n’est pas que ça. Ce sont aussi des drames, des secrets, des catastrophes naturelles, une part d’obscurantisme lié à la tradition religieuse, bref, un terrain fertile pour qui veut s’amuser avec la part d’ombre des choses. Cela étant dit, nous souhaitons aujourd’hui sortir des limites valaisannes, tant avec nos histoires qu’avec nos auteurs et autrices. Après tout, il y a des aussi des Alpes en France et en Italie, par exemple.

Nous choisissons nos textes avec soin. Il y a des plumes que nous allons chercher car nous apprécions leur style ou leur force et d’autres qui viennent à nous. Il nous arrive malheureusement fréquemment de refuser des manuscrits parce qu’ils ne correspondent pas à l’esprit que nous souhaitons donner à la collection.

Il y a, c’est vrai, plus d’hommes que de femmes parmi notre collectif. Je ne saurais donner d’arguments valables à cet état de fait car nous faisons pourtant notre possible pour trouver des autrices. D’après les discussions que j’ai pu avoir avec certaines d’entre elles, il ressort qu’il y a une forme d’illégitimité à écrire du gore ou de l’horreur, comme si elles ne s’y sentaient pas à leur place. Je le déplore.

– Pourquoi vous risquer dans du gore à une époque où tout semble conduire vers l’aseptisé politiquement correct ?

Nous allons justement à contre-courant car il y a chez nous un gros ras le bol du politiquement correct. Beaucoup d’artistes vous le diront, créer aujourd’hui, c’est danser sur une corde très fine. Le gore et le trash ont ceci qu’ils peuvent nous permettre toutes les exubérances, toutes les fantaisies. C’est très jouissif. Pour autant, cela n’est pas totalement gratuit. Dans la grande majorité de nos textes, il y a des thématiques, des sous-textes historiques ou sociaux. Ce que je dis toujours à nos auteurs / trices, c’est que l’histoire doit fonctionner sans le gore. Si l’histoire est bonne ainsi, alors il est possible de rajouter quelques tartines de gore pour que la sauce prenne.

Éveiller des colères, ma foi, c’est toujours le risque quand on s’expose publiquement. Pour ma part, j’y suis habitué. J’écris des livres et des chroniques pour la presse et la radio. Il faut bien être conscient qu’on ne sait jamais par qui on va être lu et donc comment nos mots seront perçus ou interprétés. Pour autant, j’estime n’être responsable que de ce que je dis, pas de la manière dont ce que je dis sera compris.

C’est pourquoi nous ne faisons aucune censure. Ce que nous jugeons, ce sont les intentions de l’auteur, sa sincérité. Il nous est arrivé de demander à des auteurs de supprimer ou de modifier un passage. Pas parce que c’était trop choquant mais parce que c’était gratuit et que ça n’apportait rien au récit. Ce ne sont d’ailleurs pas forcément les scènes les plus trash que nous faisons modifier.

– Le cahier des charges demande aux auteurs d’écrire des histoires gores qui se passent à la montagne. Ne craignez-vous pas de lasser votre lectorat avec toutes ces montagnes qui d’ailleurs sont souvent les Alpes ?

Le gore et la montagne, nous ne pouvons pas y couper, tout est dans le titre de la collection. Mais il y a mille et une manières de raconter et de décrire cet environnement. Certains de nos récits se déroulent au passé, d’autres au présent, d’autres encore dans un décor futuriste. Certains s’ancrent dans le fantastique alors que d’autres sont résolument terre à terre (et donc d’autant plus frontaux). Je pense que nous pourrions sortir trois cents volumes sans en avoir fait le tour.

– L’un de vos ex-lecteurs, un homme d’âge moyen ayant lu vos premières parutions, m’a asséné qu’il n’en lirait pas davantage parce que cette collection est trop sexiste. Qu’avez-vous à répondre à cela ?

Je suis entièrement d’accord avec ce lecteur. Nos textes sont souvent sexistes mais pas seulement. Il est possible d’y voir du racisme, de l’homophobie et tout autre attitude problématique. La raison en est simple, nous parlons de la réalité, surtout de son côté le moins élégant. Il est donc tout à fait normal que ces comportements y aient leur place. Bien entendu nous n’en faisons aucunement l’apologie, au contraire. A travers ces textes, nous pointons du doigt ces dysfonctionnements. Mais quand une histoire se déroule dans le Valais d’il y a deux siècles, comment voulez-vous éviter de montrer le sexisme et les autres oppressions. C’est impossible. Quand on pense que ces problèmes ne sont pas encore résolus aujourd’hui…

Cela étant dit, le Gore des Alpes s’adresse à un public averti. Je comprends tout à fait que cela ne puisse pas plaire à tout le monde. Ce n’est de toute manière pas notre but. J’ai travaillé de nombreuses années comme programmateur pour un festival de cinéma de genre à 2300 Plan 9 : Les Étranges Nuits du Cinéma et devant certains films, il est arrivé que des membres du public nous fassent ce genre de remarques. A un certain point, quand vous allez dans un festival de film d’horreur ou que vous achetez un Gore des Alpes, je pense que vous savez un peu où vous mettez les pieds.

Je ne dis pas que nous sommes sans reproche, je dis : voilà ce que nous faisons. Nous avons le droit de le faire, vous avez le droit de ne pas aimer, nous avons le droit de nous en foutre.

Mais c’est une très vaste question qui soulève énormément de débats en ce moment, que ce soit dans le monde de la littérature, du cinéma ou même de l’humour et je crains que nous ne puissions en faire le tour ici.

– En ce qui concerne le lectorat et le nombre de ventes avez-vous atteint vos objectifs ?

Nous sommes très satisfaits.  Nous croyions un peu, au début, de nous enfermer dans un marché de niche. Mais nous avons vite constaté, à travers nos dédicaces, lectures et rencontres, que notre lectorat est bien plus large que les seuls amateurs d’horreur. Je pense que c’est dû à notre attachement au local, tant par nos histoires que nos auteurs. Pour ne donner qu’un seul chiffre, tous livres confondus, nous arrivons bientôt à 10’000 exemplaires vendus. Ce qui, compte tenu de la situation générale et de ce que nous proposons en particulier, est un chiffre honorable.

Nous publions une moyenne de 6 livres par an, par tranche de 3 par semestre. Nous souhaitons dans la mesure du possible poursuivre cette moyenne mais cela dépendra bien entendu des manuscrits que nous recevrons. Nous privilégierons évidemment la qualité à la quantité. Nos livres sont disponibles en Suisse dans toutes les librairies et il est également possible de les commander par e-mail directement sur notre site : www.goredesalpes.ch. Nous n’avons pas encore de distributeur en France mais nous y travaillons car nous recevons de plus en plus de commandes d’autres pays francophones.

– A quel personnage littéraire vous identifieriez-vous ?

Il m’est absolument impossible de répondre à cette question, ils sont bien trop nombreux /euses.

Philippe Battaglia, directeur de collection du Gore des Alpes.

Philippe Battaglia : la biographie

De manière plus générale, Philippe Battaglia a été (dans le désordre) : enfant turbulent, adolescent bordélique, étudiant peu assidu, punk de salon, cuisinier dans un institut psychiatrique, vide-poubelle dans une banque, archiviste dans une abbaye, directeur d’une collection littéraire, employé de commerce équitable dans un hôpital, vidéaste amateur mais primé, Président du Kremlin, programmateur pour un festival de films d’horreur, donneur de leçons à l’Union Suisse des Professionnels de l’Immobilier, vendeur en multimédia, chroniqueur presse & radio, critique cinéma improvisé, caissier dans un centre commercial, courtier en immeuble, animateur radio, blogueur, écrivain, bédéiste dans un magazine informatique ayant fait faillite juste après sa première publication et essaye encore aujourd’hui avec beaucoup d’application de devenir un être humain à peu près convenable.

Jusqu’à présent Le Gore des Alpes compte ces auteur-e-s :

Philippe Battaglia, Gabriel Bender, Louise Anne Bouchard, Ludovic Chappex, Nicolas Feuz, Jean-François Fournier, Jordi Gabioud, Stéphanie Glassey, Joël Jenzer, François Maret, Nicolas Millé et Olive.

J’attends avec impatience de connaître les plumes qui suivront, surtout si elles sont féminines.

 

Du livre au documentaire : Le Salento ou l’enfer des pollutions cancérigènes (2)

Giovanni Sammali : de l’insouciance des vacances au polar

Salento, destination cancer de Giovanni Sammali, le roman dont la réalisatrice Tiziana Caminada a tiré le documentaire L’Enfer au Paradis*, est à la fois un coup de poing et une déclaration d’amour. Une passion assumée pour ce bout de pays qui a vu naître son père et où l’auteur passe toutes ses vacances. Un cri de guerre envers ceux qui osent le détériorer en s’attaquant à ceux qui l’habitent. Dans ce récit, personne ne meurt de la colère des éco-terroristes. En revanche, on y échafaude des plans – qui passent aussi par la Suisse – et l’on y fait des dégâts. Construit comme un roman policier, extrêmement bien documenté – l’on y trouve parfois des paragraphes tirés de journaux –, il contient tout ce que l’on attend d’un polar classique : de l’action, une histoire d’amour et du sexe. Soutenu, avant même sa parution, par le milieu littéraire, notamment par Isabelle Falconnier, (ancienne présidente du Salon du Livre de Genève et actuelle déléguée à la politique du livre de la ville de Lausanne) et ensuite par la presse romande, le roman relate le malheur des habitants d’une région dont les décharges pleines de produits toxiques sont à peine recouvertes de terre.

En écrivant ce polar, Giovanni Sammali a donné une parole et un corps à celles et ceux dont on a ignoré la voix et l’existence : aux jeunes mères en fin de vie, aux enfants malades, aux pères obligés de travailler dans des lieux insalubres et, peut-être même, aux oliviers terriblement atteints par la Xylella fastidiosa. Pourquoi, une bactérie connue depuis longtemps et contre laquelle on savait lutter, s’attaque-t-elle, à présent, aussi violemment aux oliviers qui, maintenant, semblent passés au napalm ? La conjonction des polluants les aurait-elle affaiblis ?

Le livre n’est plus disponible en librairie. On peut toutefois le commander en écrivant directement à Giovanni Sammali (coordonnées sous l’article). Écrit en français, il est également proposé en italien.

Quatrième de couverture :

« Le chant des cigales. Le thym. Le parfum du jasmin. La terre rouge, les oliviers torturés plongés dedans. Et tout autour, l’écrin d’azurs de la mer ionienne et de l’Adriatique.

Le Salento, c’est ce décor de carte postale qui vous saute aux yeux. Le rythme endiablé de la pizzica. Et le Primitivo… un territoire à la gastronomie authentique, parmi les plus saines de la planète. Même le New York Times en salive d’aise.

C’est bon pour l’orgueil de Stefano, de ses amis et de tutti i Salentini !

Mais il y a l’enfer du décor. Que certains ne veulent pas voir. Que certains préfèrent taire : ce paradis hors du temps gangréné par des cancers hors normes. Les déchets enfouis par la mafia, l’ILVA qui fait fulminer l’Union Européenne avec ses crachats de dioxine…

Révoltés que personne ne s’en soucie vraiment, que rien ne change depuis vingt ans, quatre Salentini passent à l’action. Leur commando va secouer le Talon de la Botte. Deux nuits de folie, juste après la mi-juin. Pour que le flot de touristes de l’été sache. Eux ne risquent peut-être pas grand-chose, mais les Salentini et leurs enfants sont piégés tout au fil de l’an… »

Extrait du livre :

 

Un livre 5 questions : interview de l’auteur et journaliste Giovanni Sammali

A quel moment avez-vous décidé d’écrire ce livre ?

La scène qui ouvre le roman a vraiment existé : lors d’un repas chez lui, un de mes cousins du Salento, maraîcher passionné, m’a retourné le ventre en discutant des délicieux produits de cette terre. Il m’a lancé que les touristes, tout comme nous, les émigrés de retour en vacances, avions le beau rôle : profiter de ce paradis et en repartir bronzés et repus de spécialités et de paysages, alors que l’envers du décor, pour ceux qui y vivent toute l’année, c’est la roulette russe des cancers! Devant mes doutes – un territoire en apparence préservé et épargné par les grandes industries peut-il connaître des taux de cancers hors-normes ? -, il m’a provoqué : “Tu n’es plus journaliste quand tu viens au pays? Renseigne-toi, tu verras”. J’ai vu. Les statistiques hors normes. Les cris d’alertes des oncologues. Les relevés scientifiques autour de l’aciérie (ex)-Ilva de Tarente et de la méga-centrale à charbon de Cerano. Les cimenteries brinquebalantes. J’ai été ému en découvrant tous les cris de citoyens et d’associations, dont les SOS n’ont fait aucun bruit dans les médias, pas même nationaux. J’ai été horrifié par les décharges clandestines de déchets toxiques, façon “terre des feux” napolitaine. L’une se trouve à 500 mètres de mon village de Salve. Mon cousin y jouait l’été, au milieu de fumées de couleurs étranges que les réactions chimiques en sous-sol faisaient remonter à la surface! Une situation tue (!) parce que, oui, bien sûr, le sujet est tabou. Pour ne pas plomber le formidable essor touristique en cours. Il y a aussi la honte, le sentiment de culpabilité face à cet écocide: les agriculteurs des Pouilles ont usé et abusé de pesticides, fongicides et herbicides, à commencer par le glyphosate, appelé “Lu sicca tuttu”, littéralement l’assèche-tout, qui pèse aussi sur l’hécatombe des oliviers… Et enfin le tabou politique : présidents de la Région, parlementaires, syndics de villages : tous, de près ou de loin, sont complices de l’apathie face à des business aussi dévastateurs que juteux…

J’ai du coup écrit ce livre comme un cri d’amour et de révolte, pour garder espoir dans l’avenir de l’humanité, pour ma femme et mes filles, amoureuses comme moi de cette région où on partage chaque été le rituel de la fabrication de la “conserva”, l’incomparable sauce à base des tomates de Lecce… Crever ces tabous m’a coûté d’abord un cruel désenchantement personnel, puis, en Suisse, des réactions d’une incroyable hostilité de la part de certains émigrés salentini, blessés dans leur chair. J’ai touché à nos racines et à notre orgueil partagé du pays, à l’image idyllique qu’on en donne à nos amis suisses. J’ai été accusé de trahir mes origines, d’exagérer… Et j’admets que le symbole de la radioactivité sur la couverture était inutilement excessif. Après le vernissage du livre à l’UniNE en 2014, je suis parti à Lecce pour présenter la version italienne, avec le duo Terracata* (terme désignant la motte de terre qui reste collée aux racines d’une plante qu’on arrache). Alors que nous redoutions des séances agressives, voire des représailles, nous avons eu des applaudissements et des larmes de remerciements : “Merci de le dire. Merci de le faire savoir. C’est la seule façon d’éviter que la situation empire encore. Pour nos enfants et ceux à venir”.

Toutefois, au début du tournage de L’Enfer au Paradis un entrepreneur local m’a dit : “Tu l’as écrit ton livre. Maintenant, ça suffit…”. A l’inverse, lors de la projection le 30 septembre de cette année, à Neuchâtel, un “opposant” du début, responsable d’une association d’émigrés, a expliqué avoir revu sa position et approuver ce travail.

“Salento destination Cancer” est un roman entrecoupé d’articles de journaux et de liens qui mènent à des sites d’information. Comment avez-vous procédé pour vous documenter ?

J’ai écrit dans l’urgence. Le temps pour une enquête sur place me manquait. J’ai été surpris par la quantité de chiffres, recherches, dossiers officiels et jugements disponibles. Y compris sur la décharge de mon village, qui selon une étude doit être “encapsulée” pour ne pas empoisonner la nappe phréatique. Le maire précédent a obtenu un crédit de l’Union européenne. Son successeur a promis d’opérer la sécurisation. A ce jour, rien n’a bougé…

J’ai été bouleversé de voir à quel point j’étais passé à côté de ce drame, année après année, aveuglé par le farniente des vacances et par l’omerta autour de cette problématique. J’ai redouté qu’un dossier trop scientifique rebute les gens. J’ai improvisé un mélange des genres, avec des éléments authentiques “sourcés” nourrissant le combat imaginaire des Brigades du Salento, dont les membres sont inspirés, un peu, beaucoup, de personnes réelles. L’idée était de secouer les consciences. Les éco-attentats de mes brigades vertes pourraient être le scénario d’un film d’action. Comme Impact, d’Olivier Norek que j’ai hâte de lire!

Comment avez-vous travaillé avec la réalisatrice Tiziana Caminada ?

Tiziana, une ancienne de la RTS, est tombée sur mon roman au Salon du livre, juste après qu’Isabelle Falconnier soit passée saluer ce “roman de combat”. Elle m’a demandé si j’étais partant pour l’aider, avec mes contacts dans les Pouilles et en jouant mon propre rôle au début du film. Nous sommes allés dans le Talon de la Botte pour mener les premières interviews, avec le sociologue et journaliste Luigi Russo, mon ami et frère de bataille, extraordinaire militant. Jetez un œil à sa page Facebook ! Il est décédé en 2019 d’un cancer et ce documentaire lui est dédié. Moi, je me suis peu à peu effacé, laissant Tiziana accomplir son tour des causes du fléau qui frappe les Pouilles, à l’image de ce que l’humain inflige partout au monde…

Vous dîtes que l’avenir du Salento est dans le tourisme. N’avez-vous pas peur que ces superbes paysages deviennent aussi bétonnés que la côte méditerranéenne espagnole, une autre façon de polluer la nature et le paysage ?

Le bétonnage intensif est un autre saccage environnemental qui menace le Salento. Il y a partout des mégaprojets de villages touristiques et resorts, sans compter les villas privées occupée deux mois par année. La région, prisée bien au-delà de l’Italie, offre de bons placements tant aux réseaux mafieux qu’aux particuliers songeant à leur retraite. Oui, le tourisme est l’avenir du Salento, mais de grâce, comme le préconise Matteo Pepe, mon ami de Salve, engagé dans la politique locale, un tourisme durable, doux, proche de la nature et ciblé sur les traditions culinaires et culturelles comme les rythmes endiablé de la pizzica. A choisir, je préfère le béton à la propagation silencieuse de PCB, dioxines, particules fines et autres saloperies qui tuent les habitants, en n’enrichissant que des entrepreneurs véreux. L’idéal serait un nouveau tourisme, éco-raisonnable, avec un stop aux constructions, la fermeture des complexes industriels violant les normes et un assainissement des bombes à retardement enfouies dans les sols. Moins de logements et d’hôtels = moins de revenus ? Que nenni : si l’authenticité et la nature de la région sont préservées, la demande sera plus forte encore et les prix de l’offre existante monteront en flèche. CQFD.

La question que je pose à tous les auteurs : à quel personnage de roman pourriez-vous vous identifier ?

Virgil Solal, dans le tout récent “Impact”, d’Olivier Norek (2020).

 

Le journaliste et écrivain Giovanni Sammali. ©Volperic

Giovanni Sammali : biographie

Suisse de par sa mère, Giovanni Sammali est, de par son père originaire des Pouilles, le Talon de la Botte, et en particulier du Salento. Né à La Chaux-de-Fonds, il a été journaliste à La Tribune de Genève, Le Matin et à Canal Alpha avant de devenir le chef de la communication de la Ville de La Chaux-de-Fonds. Salento destination cancer paru en italien sous le titre SOS Salento – Paradiso perduto? est son premier roman mais il considère que sa plus belle réalisation c’est son tour du monde en famille entre 2004 et 2005 (www.toura5.ch).

Pour commander le livre en français ou en italien : [email protected]

*Ci-dessous, le duo Terracata, durant une séance d’enregistrement, chantant le poète du Salento : Vitale Boccadamo.

 

 

 

*Lire la première partie de l’article parue hier.

Trouble de la personnalité borderline : 3 livres pour le comprendre

Le trouble de la personnalité borderline : un tueur invisible

Qu’une personne change facilement d’humeur et on la qualifiera de borderline. Qu’une situation s’annonce difficile à cause de facteurs susceptibles d’évoluer rapidement d’une manière imprévisible, et l’on déclarera le contexte borderline.

A l’inverse, on aura tendance à croire d’une personne qui souffre véritablement de TPB, qu’elle est capricieuse, qu’elle cherche à se rendre intéressante, qu’elle exagère ses souffrances, que c’est une comédienne ou une malade imaginaire. Si dans les deux premiers cas le mot borderline utilisé en tant que métaphore est recevable, en revanche nier la maladie d’une personne dont le trouble a été diagnostiqué relève de la maltraitance. En effet cette maladie difficile à dépister par les spécialistes, généralement invisible aux yeux du quidam, est une impitoyable tueuse.

TPB : un large panel de fonctionnements

Il existe un grand panel de personnes borderlines. Cela va des fonctionnantes maxi aux fonctionnantes mini.

Les fonctionnantes maxi sont capables de tromper leur monde. Un malade fonctionnant maxi peut tromper son entourage à 100%. Les fonctionnants maxi réservent leurs crises de colère et réactions inappropriées uniquement aux personnes les plus importantes de leur vie. De l’extérieur, rien ne semble indiquer qu’ils souffrent d’un trouble. Une invisibilité qui les dessert lorsqu’ils s’aventurent à révéler leurs incapacités à des non borderlines. Ces derniers mettront leurs dires en doute ce qui augmentera les sentiments d’impuissance et de détresse de la personne atteinte de TPB. Les maxi fonctionnants agissent en société tout à fait normalement. Les maxi peuvent même avoir une famille, des enfants, des loisirs, un travail gratifiant… mais ce semblant de normalité les épuise psychiquement ce qui met sans cesse leur vie en danger.

A l’autre bout de l’échelle les fonctionnants mini s’avèrent incapables de maîtriser leurs pulsions. Cependant, chez les uns comme chez les autres, les comportements à risques et le suicide sont fréquents. L’une des caractéristiques des borderlines, c’est qu’ils doivent « se faire du mal pour arrêter de souffrir » ce qui les mène à des agissements autodestructeurs. En effet, pour apaiser les démons intérieurs qui les torturent, ils-elles s’enliseront souvent dans des conduites dangereuses envers eux-elles-mêmes (et parfois envers les autres) : abus de substances diverses, alcool, anorexie, automutilation, boulimie, conduite automobile dangereuse, dépenses excessives, drogues, jeu, suicide, sexe à risque, violence domestique… Le 78% des personnes qui subissent un TPB feront une tentative de suicide au cours de leur vie et 10% en mourront. De toutes les maladies psychiatriques, c’est le trouble borderline qui tue le plus par suicide. Par ailleurs, les sujets ayant un TPB représentent jusqu’à 20% des patients hospitalisés en psychiatrie.

TPB: quand le genre influe sur la maladie

Le trouble de personnalité limite affecte autant les hommes que les femmes dans la population générale. En revanche, il existe une surreprésentation des femmes. C’est​ probablement dû au fait que le TPB se présente d’une manière différente que l’on soit d’un genre ou l’autre. La femme aura tendance à s’en prendre à elle-même au travers d’automutilations ou de troubles alimentaires. L’homme extériorisera davantage sa maladie avec des comportements violents envers autrui. La violence faisant, dans notre culture, partie des caractéristiques masculines, la pathologie s’en trouvera dissimulée.

Contrairement à ce que prétend une idée largement répandue, le trouble de la personnalité borderline est une vraie maladie répertoriée et largement étudiée. Ce n’est pas un mythe, un “délire” de psychiatre ou un diagnostic “poubelle”. Elle doit donc être prise très au sérieux. Pour mieux la comprendre j’ai sélectionné trois livres.

Le manuel du borderline

Le trouble de la personnalité borderline est une maladie bien réelle. Elle prive ceux qui en sont atteints du contrôle de leur vie et d’une reconnaissance de leur souffrance. Mettre en mots les tourments qu’elle inflige pour permettre aux malades et à leur entourage de la traverser, tel est l’objectif de ce manuel conçu par trois spécialistes des états limites. Le manuel du borderline, paru aux éditions Eyrolles, explique l’utilité d’un diagnostic, fait le point sur la recherche et livre des pistes et des outils pour vivre ce trouble d’une manière plus apaisée. Les auteurs, dont le professeur genevois Nader Perroud, ont conçu le livre comme un carnet de bord susceptible d’aider les borderlines à comprendre les mécanismes de leurs débordements, à se repérer dans les différents symptômes et à choisir la voie thérapeutique la plus appropriée.

Les textes sont à la fois pointus et faciles à comprendre. Les tests, que chacun peut faire, pour déterminer si l’on a ou non des traits borderline – ou d’autres maladies psychiques – m’ont particulièrement intéressée.

Ci-dessous, j’insère l’avant-propos rédigé sous forme de conte. Il est très pertinent pour expliquer, en une page, les différentes formes que peut prendre le trouble de la personnalité limite.

Borderline, à un compagnon disparu : un témoignage bouleversant

Anne-Catherine Ménétrey-Savary est née à Aigle. Enseignante au secondaire, spécialiste des médias et psychologue, elle a été active dans le domaine des addictions. Politicienne professionnelle, elle a siégé au Grand Conseil vaudois ainsi qu’au Conseil national. Ses nombreux atouts professionnels, son expérience de l’être humain et des addictions, ne l’ont pas empêchée de s’énamourer d’un homme borderline et de subir les diverses violences induites par la maladie de son amoureux. Dans Borderline, à un compagnon disparu, publié par les Éditions d’en bas, elle raconte avec pudeur et franchise ces vingt-cinq ans de relations intimes, dont quinze avec des hauts et des bas. Une histoire abrupte, contrastée et passionnelle qui se terminera par la disparition de celui qu’elle a tant aimé. L’évidence que l’on ne résout rien avec des « yakas » m’a interpellée. L’auteure, une intellectuelle intelligente et médiatisée, connue de tous dans le canton de Vaud et le reste de la Suisse, acceptera la violence de son conjoint avec amour et par amour, la maladie rendant – à ses yeux – acceptable l’inacceptable. Rien n’est jamais blanc ou noir. Entre les deux vivent des nuances grises, parfois même arc-en-ciel. Ce livre nous l’explique avec distance et tendresse, même si j’ai souvent eu envie de hurler « Laisse-le tomber ! Sauve ta peau ! Tant pis pour ton mec ! » Un texte magnifique écrit à la deuxième personne du singulier. Des mots qui s’adressent directement à un homme qui a préféré la mort plutôt que la douleur et la déchéance imposées par la maladie.

J’ai choisi l’extrait qui suit parce qu’il montre à quel point être déclaré inapte à travailler peut s’avérer inconfortable pour les personnes diminuées par une maladie psychique. De plus, les paragraphes incomplets en début et en fin de page, laissent entrevoir les problèmes causés par un état limite.

Les Borderlines

Une personnalité borderline, c’est quelqu’un-e qui est d’humeur changeante, qui a des émotions intenses et excessives. Malgré une intelligence parfois hors du commun, quand il s’agit d’elle-même, la personne malade souffre d’altérations de la perception et du raisonnement. Elle peut éprouver un sentiment d’abandon, de persécution, voire de vide. Co-écrit par Bernard Granger et Daria Karaklic, deux spécialistes du TPB, et paru aux Editions Odile Jacob sous un titre d’une inégalable sobriété, Les Borderlines montre que la violence et l’autodestruction ne sont pas une fatalité. Des solutions existent pour les surmonter. Les auteurs s’intéressent également aux causes, aux symptômes, aux conséquences et aux différents traitements qui peuvent aider le patient.

La page que je publie explique la manière dont une émotion négative peut submerger une personne borderline.

Sources :

  • Le manuel du borderline, Bernadette Grosjean, Martin Desseilles et Nader Perroud, éditions Eyrolles.
  • Borderline, à un compagnon disparu, Anne-Catherine Ménétrey-Savary, éditions d’en bas.
  • Les Borderlines, Bernard Granger & Daria Karaklic, éditions Odile Jacob
  • Fondation FondaMental Suisse
  • AAPEL: Association d’Aide aux Personnes avec un État Limite, borderline ou personnalité limite.
  • Bibliothèque de La Chaux-de-Fonds
  • Bibliothèque de Delémont

Bérangère Stassin : (cyber)harcèlement, sortir de la violence à l’école et sur les écrans

Harcèlement scolaire : du suicide au crime de masse

Nombre de meurtres de masse commis dans des établissements scolaires sont imaginés et parachevés par des élèves qui subissent un harcèlement constant. Nicholas Elliott, un écolier de l’État de Virginie, aux États-Unis, était le souffre-douleur des élèves les plus populaires. Après avoir enduré des insultes, des crachats dans sa nourriture, des brûlures au briquet, de l’urine sur ses affaires et sur lui-même, en 1988 Nicholas Elliott arrive armé dans son école et tue plusieurs personnes. Plus proche de nous, en 2017 Céline, une jeune Argovienne de 13 ans, se suicide après avoir été harcelée sur Internet. Autrefois considéré comme un passage obligé pour devenir adulte, le harcèlement n’est en rien un jeu innocent, puisqu’il peut provoquer non seulement la mort de la personne harcelée mais également celle de la personne qui harcèle. Ce à quoi on peut ajouter les nombreux traumatismes qui souvent empêcheront l’adulte, autrefois victime, de mener une vie épanouie à cause des graves séquelles psychologiques laissées par cette période de sa vie. Par ailleurs, le cyberharcèlement peut clairement nous écarter de nos objectifs, comme cela a été le cas pour l’ancienne députée du parlement cantonal zougois Jolanda Spiess-Hegglin qui s’est éloignée de la politique après avoir été cyberharcelée. Toutefois, après ce douloureux épisode, elle a créé Netzcourage, une association qui milite contre la haine, le racisme et la violence sur Internet. Pour cela, elle a reçu le prix 2021 de la Fondation Somazzi. Cependant, malgré la reconnaissance du travail de Netzcourage, il reste difficile pour l’association de lever suffisamment de fonds.

Cyberharcèlement : l’agression perpétuelle

En Suisse, entre 5 à 10% des élèves sont victimes de harcèlement, selon des études menées à Genève en 2012 et en Valais en 2013. Les primaires (4-12 ans) sont les plus exposés. Certes, que se soit en milieu scolaire ou ailleurs, le harcèlement a toujours existé. Mais la différence entre la pratique du harcèlement actuel et le harcèlement d’avant l’usage d’Internet, c’est que de nos jours il se poursuit dans notre poche, dans notre sac à main, dans notre salle de bain, lorsque nous sommes à domicile, pendant nos vacances… puisque nous continuons à rester en contact avec le monde et les harceleurs à travers nos téléphones mobiles. La violence devient alors cyberviolence et le harcèlement cyberharcèlement, d’autant qu’il est plus facile de harceler par machine interposée plutôt que de visu. L’objet informatique dépersonnalise l’agression rendant toute empathie impossible. Si les garçons sont plus prompts à s’en prendre à une victime en présentiel, les filles sont davantage adeptes du harcèlement sur les réseaux sociaux.

Les différents types de violences

Dans son livre (Cyber)harcèlement, sortir de la violence à l’école et sur les écrans, paru chez C&F Editions, Bérengère Stassin explique et décortique, d’une manière accessible à chacun, les mécanismes des différents types de violences tout en nous en donnant les définitions. Elle explique également les conséquences physiques et psychologiques qu’engendrent ces agressions sur le court et le long terme. Ce livre a été pensé comme un ouvrage de synthèse, une revue des faits d’actualités qui dès lors qu’on les analyse, se montrent éclairants sur le mécanisme des phénomènes de violence et de harcèlement et de la manière dont cela continue hors de l’école. Il est aussi question des actions préventives et éducatives menées au sein de différents établissements scolaires.

Ce livre vous permettra de reconnaître les exactions que votre enfant subit peut-être à l’école ou que vous pouvez subir vous-même dans le cadre d’une association, de votre travail, d’une activité sportive ou autre… L’ouvrage, édité en France, donne des adresses valables pour l’Hexagone mais, à la fin de cet article, j’insérerai quelques liens d’associations qui apportent un soutien aux victimes, surtout aux plus jeunes, qui sont confrontées à ce problème, hélas, en expansion.

La violence scolaire

« La violence scolaire revêt différentes formes : violence entre élèves, violence des élèves envers les enseignants, violences des enseignants envers les élèves, violence institutionnelle. Toutefois, 90% des faits graves sont commis par les élèves qui y sont scolarisés, par des élèves sur d’autres élèves et parfois par des élèves sur des enseignants. En outre les agressions physiques sérieuses sont très rares, la violence scolaire étant majoritairement composée d’agressions mineures et d’incivilités, soit de micro-violence : bousculades intentionnelles, vols, insultes, réflexions racistes, sexistes, homophobes… mais répétées.

La violence sous toutes ses formes

Les insultes proférées en face à face dans la cour de récréation ou sur le chemin de l’école trouvent généralement un écho au sein des médias sociaux. Les filles sont deux fois plus victimes de cyberharcèlement que les garçons, et les jeunes homosexuel-l-es et les jeunes transgenres risquent quatre fois plus d’endurer un épisode de cyberviolence que les jeunes hétérosexuel-le-s cisgenres ».

Il est désolant de relever que les premières victimes de harcèlement et de cyberharcèlement sont les personnes hors normes, qui sortent du lot, qui ne se conforment pas ou ne correspondent pas au mode de fonctionnement du groupe. Il est encore plus désolant de constater que les jeunes sont les premiers à vouloir imposer des morales et des stéréotypes venus de temps archaïques, puisque qu’ils s’appuient sur des archétypes éculés pour nuire à l’image et à la réputation des victimes. Les premières choses à enseigner seraient sans doute le respect d’autrui, la tolérance de la diversité des personnes et des modes de vie.

Parmi les différentes violences décrites dans cet ouvrage on trouve le sexting, le revenge porn (généralement l’amoureux éconduit qui poste des vidéos intimes d’ébats sexuels) le happy slapping (des violences physiques filmées qui se terminent par du vidéolynchage), les challenges qui mettent l’intégrité physique et la santé en danger, le flaming et le raid numérique (cyberviolences de meute), le roasting (une sorte d’automutilation digitale), les discours de haine, l’usurpation d’identité pour nuire à l’autre…

« La lutte contre ces phénomènes passe par l’éducation : à l’empathie, aux médias et à l’information, à l’intelligence des traces et à l’esprit critique. L’usage que les adolescents font du web est riche et varié et bien loin de se résumer à ces actes malveillants. Puiser dans leurs compétences et leurs goûts numériques et parler de leurs usages pourrait permettre de sortir de la violence, à l’école et sur les écrans ».

Bérengère Stassin : biographie

Maître de de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine et membre du Centre de recherche sur les médiations (Crem). Elle enseigne à l’IUT Nancy-Charlemagne et dans la formation des professeurs documentalistes. Ses recherches portent sur les médiations des numériques, les communautés en ligne et l’identité numérique qu’elle interroge au prisme de la cyberviolence et du cyberharcèlement scolaires.

Harcèlement et cyberharcèlement : à qui s’adresser en Suisse ?

Les liens et adresses qui peuvent vous aider

Il suffit de cliquer sur les noms surlignés pour avoir directement accès aux liens.

147 : numéro de téléphone que les enfants et les adolescent-e-s peuvent composer en cas d’urgence. Le 147 a aussi un site et une page Instagram. Le 147 est une ntenne de Pro Juventute.

Netzcourage : association de soutien aux victimes de cyberharcèlement.

Stop Suicide :  prévention du suicide des jeunes.

143 : numéro de téléphone de La Main Tendue.

Sources :

  • Cyber)harcèlement sortir de la violence à l’école et sur les écrans, Bérengère Stassin, C&F éditions.
  • Bibliothèque de La Chaux-de-Fonds
  • Quotidien Le Temps
  • RTS
  • Quotidien ArcInfo

Un livre 5 questions : « Il s’agit de ne pas se rendre » d’Anouk Dunant Gonzenbach

Vivre après un deuil périnatal

En été 2006, l’auteure subit un deuil périnatal à cinq mois de grossesse. Au fil des mois et des années, elle se questionne sur la manière de réagir face à un drame aussi hermétique duquel il est si difficile de se relever. Autrefois les familles étaient davantage préparées à endurer la perte d’un être tant désiré. De nos jours en revanche, où la confiance en la médecine est presque entière, personne ne songe qu’une grossesse pourrait mal tourner. Que les vies de la mère et de l’enfant peuvent soudainement basculer vers la tragédie. Or, comment se mettre d’accord avec l’existence et soi-même suite à un événement indicible, quel qu’il soit ? Rédiger le livre Il s’agit de ne pas se rendre, réflexions sur l’espérance a permis à Anouk Dunant Gonzenbach de retrouver une certaine sérénité.

Dans sa quête de réponses, elle s’est tournée vers les archives, vers la poésie, vers la littérature à laquelle elle se réfère largement dans son ouvrage et surtout vers Dieu, même si au début du livre elle ressent une profonde incompréhension, voire de la colère, envers ses desseins. Cependant l’évidence est s’impose : la grossesse est une chose naturelle mais risquée. Donner la vie est un acte dangereux pour la mère et l’enfant. Encore de nos jours.

Il s’agit de ne pas se rendre : extraits

« Je cherche ensuite du réconfort, si on peut appeler ça du réconfort, du côté de l’Histoire. De tout temps, et encore aujourd’hui des femmes et des bébés meurent ».

« Au dix-septième siècle, la femme enceinte vit dans la peur, la peur pour elle et pour l’enfant dont elle est responsable. Elle baigne dans une atmosphère d’angoisse ; de nombreux rites et coutumes sont mis en place afin de déjouer la mort. Entre 2,4% et 10% des accouchements provoquent la mort, et une femme accouche en moyenne six fois dans une vie ».

« Pour des raisons professionnelles, dans les quelques jours suivant ma reprise du travail après la perte du bébé, je dois passer en revue toutes les pages du registre des décès de l’année 1874 à Genève, soit un siècle précisément avant ma naissance. Je manque fondre en larme devant ce document d’archive, qui témoigne des tous les décès d’enfants et de tout petits enfants, parfois tous les enfants en bas âge d’une même famille pendant une semaine.

Nous avons oublié tout cela. La mort périnatale et infantile (sans parler de la mort de la femme en couches) est devenue taboue et n’est plus acceptée. C’est même la mort la moins acceptée. A une amie réalisant son FMH en gynécologie dans un petit hôpital, le médecin avait lancé : « Vous ne voulez pas devenir dermatologue plutôt, ou même chirurgienne cardiaque ? » Un décès lors d’une opération à cœur ouvert passe mieux aujourd’hui qu’une mort en couches. »

Anouk Dunant Gonzenbach : l’interview

Commençons par la fin : avez-vous surmonté le deuil périnatal auquel vous avez été confrontée ?

Oui heureusement, j’ai surmonté ce deuil qui est arrivé en 2006. Mon fils cadet est né en 2007. Je suppose que comme toute personne confrontée à un événement tragique, il reste par la suite une cicatrice, mais elle ne me fait pas mal. En revanche elle est là, inscrite dans mon histoire de vie. Je suis bien sûr plus sensible lorsqu’une autre femme raconte qui lui est arrivé la même chose. Je parle des femmes, tout en étant consciente qu’il faudrait aussi parler des hommes, des pères. Je parle des femmes, car ce qui arrive se passe dans notre ventre, dans notre chair, souvent il me semble dans notre silence. Je parle des femmes, car je suis chaque jour plus admirative devant la résistance et la puissance féminine. La perte d’un bébé avant la naissance se produit depuis la nuit des temps. Ce n’est pas réconfortant, mais si nous en parlons, si nous avons la force d’échanger, de voir comment les autres l’ont surmontée, alors cela peut quand même peut-être apporter un peu de réconfort.

Vous aviez déjà une petite fille lorsque c’est arrivé. Avez-vous l’impression de l’avoir délaissée pendant les mois, les années qui ont suivi ce drame ? Que diriez vous au parents qui vivent la même chose que vous et qui ont déjà des enfants ?

Fille Ainée avait 2 ans à ce moment. Non, je n’ai pas l’impression de l’avoir délaissée, au contraire, ni pendant les jours et les semaines qui ont suivi, ni après. Je pense qu’avoir un enfant oblige à ne pas se laisser couler, donne une raison de se lever le matin. Je ne me sens pas la légitimité de dire quoi que ce soit à des parents qui vivent ce drame; ce que je peux dire, c’est que quoi qu’il soit arrivé et qu’il arrive, mes enfants aujourd’hui adolescents sont ce qu’il y a de plus beau, de plus authentique et l’espérance pour aller vers demain.

Ma surprise a été de constater que votre livre parle plus de religion, du protestantisme en particulier, que de vos émotions. Quel conseil donneriez-vous aux athées qui se retrouvent avec la même épreuve ?

Je pense avoir fait état de mes émotions, mais l’objectif de ce recueil n’était pas de m’étaler, de m’apitoyer ou d’entraîner à dessein la lectrice ou le lecteur dans la tristesse. Il s’agissait pour moi de faire le point sur un cheminement intérieur, d’écrire comment je me suis relevée face un drame inexpliqué et inexplicable, de décrire mes questionnements. Et dans cette quête de sens, à un moment, il devient inévitable de se tourner vers le haut, vers quelque chose qui transcende. Dans ma culture genevoise protestante, ce quelque chose en effet a un nom, Dieu, que j’ai été d’accord d’utiliser. Je n’ai pas cherché à me demander ce que Dieu a tenté de m’apprendre, d’abord parce que je ne savais même pas si je croyais en lui, et parce que je ne pense pas une seconde qu’un événement tragique arrive exprès pour déclencher des choses qui pourraient par après se révéler enrichissantes. J’ai plutôt voulu comprendre comment articuler un événement indicible avec l’existence d’un Dieu, quel qu’il soit, qui permet une chose pareille. Rien n’est logique. Alors j’ai questionné la notion de foi, et c’est ce que je tente de décrire. Je ne me sens pas légitime de donner des conseils à qui que ce soit. Ce que je peux dire, c’est que ce chemin m’a permis de réfléchir à cette notion de foi, qui pour moi revient à demeurer dans l’espérance qui permet de toujours se relever. J’ai tenté alors de définir ce qu’est pour moi, aujourd’hui, l’espérance, et voilà ce que je peux en livrer: Je crois que mon espérance à moi, c’est de rendre beaux les moments du présent, et de repérer dans le présent les moments qui sont beaux. Ce qui m’importe vraiment, c’est le ici et maintenant, là où on vit, ce qui vient avant la fin de l’histoire.

Avez-vous un message à faire passer au personnel médical lorsque ce genre de drame arrive ?

Tout cela est arrivé dans un petit hôpital de Haute-Engadine où le personnel médical n’était pas surchargé et donc disponible, et j’en suis reconnaissante. J’ai entendu des témoignages terribles de femmes qui ont vécu un deuil périnatal seules ou dans des grosses structures. Les choses avancent, mais je ne suis pas spécialisée sur la question. Il faudrait aussi que les choses avancent dans la société : cette problématique reste taboue encore aujourd’hui. La femme n’ose pas en parler à son entourage car elle a l’impression que c’est un échec, alors qu’elle n’est responsable de rien. L’entourage ne sait pas comment réagir, et les gens pensent encore souvent que ce n’est pas grave de perdre un enfant qui n’est pas encore né. De manière plus générale, on se heurte au rapport problématique de notre société avec la mort, ce que d’ailleurs la pandémie a bien mis en évidence.

La question que je pose à tous les auteurs et autrices : à quel personnage littéraire vous identifiez-vous ?

Je pourrais répondre Alice au pays des merveilles ou Dorothy du Magicien d’0z, mais j’aurais vraiment aimé être le “Je” de Mme de Sévigné, parce que j’aurais voulu écrire il y a plus de 300 ans avec autant de fulgurance et d’humour.

Interview réalisée par Dunia Miralles

Biographie d’Anouk Dunant Gonzenbach 

Anouk Dunant Gonzenbach est née en 1974 à Genève où elle vit et travaille. Titulaire d’un master en histoire, elle est directrice adjointe des Archives d’État de Genève. Dans les interstices de la vie familiale, professionnelle et associative, elle cherche à restituer par l’écriture ce qu’elle observe et ressent. Elle a également publié Les mots de tout au fond – Poèmes aux Éditions des Sables (2018). Vous pouvez découvrir le site auquel participe Anouk Dunant Gonzenbach en cliquant ici.

Adresse : en Suisse romande, l’association AGAPA offre un soutien psychologique aux personnes ayant subi un deuil périnatal, non seulement les parents mais également la fratrie. Rendez-vous sur le site d’AGAPA en cliquant ici.

Sources :

  • Il s’agit de ne pas se rendre, réflexions sur l’espérance, Anouk Dunant Gonzenbach, Editions des Sables, collection Alluvions.
  • Anouk Dunant Gonzenbach

Un livre 5 questions : « Exutoires » de François Hainard

Exutoires : une écriture idoine pour le cinéma

Après un brillant parcours universitaire, en tant que chercheur et professeur à l’Institut de sociologie de la faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université de Neuchâtel, François Hainard s’adonne au côté ludique de l’écriture. En 2017, son premier roman Le Vent et le Silence paru aux éditions G d’Encre, avait déjà reçu un excellent accueil. Traduit à l’allemand et intitulé Wind und Schweigen, il est également paru chez PEARLBOOKSEDITION à Zurich, ce qui lui a valu d’être signalé par la NZZ comme une bonne surprise littéraire. En cours de traduction à l’italien chez Armando Dadò à Locarno, François Hainard vient d’en laisser les droits afin que cette histoire d’amour tragique, qui se déroule durant la deuxième guerre mondiale entre une bonne à tout faire protestante et un ouvrier en boulangerie tessinois et catholique, soit adaptée au cinéma.

Si vous êtes un réalisateur ou une réalisatrice à la recherche d’un scénario, ne manquez pas de vous intéresser à son deuxième roman Exutoires. Ce dernier opus contient également tous les éléments pour devenir un excellent film y compris une magnifique bande son.

 

Exutoires :  l’histoire

Dans une campagne pas très loin de chez nous, trois personnes vivent sous le même toit, font tourner une ferme sans se soucier les unes des autres. Dans cette famille recomposée où la communication est impossible, le trio est devenu infernal et tout s’enchevêtre : les rêves brisés du quotidien, l’invisibilité de l’autre, les addictions de chacun, l’absence de distance, une démence qui conduit à l’abjection… Il y a pourtant des exutoires : le sordide de l’ordinaire se dilue dans ce qu’il peut y avoir de plus magique et de rédempteur, la musique.

En excellent sociologue, François Hainard décortique l’environnement dans lequel évoluent ses personnages et l’influence culturelle et psychologique qu’il exerce sur les gens. Aucun geste, aucune attitude n’est laissée au hasard. Tout contribue à tisser la trame. Si au début cela peut paraître fastidieux, l’on s’aperçoit rapidement qu’il monte un puzzle où chaque pièce permet à une autre de s’emboîter. Ces descriptions méthodiques nous amènent à comprendre qu’à la campagne, encore de nos jours, certaines femmes ne sont qu’une monnaie d’échange. De la main d’œuvre bon marché, une marchandise qui permet d’agrandir le patrimoine à l’instar d’une vache ou d’un hectare de pâturage. Dans cette lourdeur, la beauté ne vient ni du chant des oiseaux ni du paysage forestier, mais de la musique classique dans laquelle Lydia puise la force de continuer à vivre.

 

Exutoires :  l’extrait

 

François Hainard : l’entrevue

La vallée de la Brévine vous a-t-elle inspirée pour écrire votre livre ?

Dans toute fiction figure un peu de soi, vous le savez si bien. Ce roman ne se passe pas dans cette vallée, mais elle y a fortement contribué. Il mobilise mes propres connaissances du monde paysan puisque j’en suis issu, et inévitablement un peu du sociologue que je suis, même si j’essaie de m’en éloigner le plus possible ! Il se passe aujourd’hui et raconte une paysannerie qui s’enfonce dans une modernité qui la détruit. Étonnamment il est politiquement très actuel !

“Exutoires” raconte – entre autres – l’histoire de Lydia, une femme née dans un milieu paysan, ce qui ne l’empêche pas d’éprouver une véritable passion pour la musique classique. Quel rôle tient la musique classique dans votre vie et dans votre livre ? Les morceaux choisis correspondent-ils à ses humeurs ?

La manière dont Lydia a découvert la musique classique est exactement la mienne ! En fait, à travers elle, je raconte ce qui m’est arrivé et ce que j’ai ressenti: l’initiation par un instituteur, le voyage à l’opéra de Zurich. A cela s’ajoute que ma mère, paysanne, écoutait ce type de musique et jouait du piano. Toutes les conditions étaient remplies pour l’aimer, car il ne faut pas de culture pour apprécier cette musique, il faut juste une personne pour nous en montrer la beauté, comme pour toutes autres choses ! Sans doute on peut apprendre à aimer par soi-même, mais il est plus facile de manquer la cible. Il est vrai que la musique classique est connotée socialement (comme le rap !), c’est ce qui la dessert. Elle reste trop souvent caractéristique des attributs dont se pare une élite, et ici aussi, comme pour beaucoup d’autres éléments discriminants, les processus de reproduction sociale et la force des déterminismes contribuent à entretenir une solide forme d’étanchéité. Aujourd’hui la musique classique m’accompagne quotidiennement et meuble souvent mes insomnies. La musique que Lydia écoute est fonction de ses états d’âme ; j’ai passé quelques centaines d’heures à choisir ce qu’elle pourrait aimer et à chaque fois le choix était un cruel sacrifice.

Le beau-fils de Lydia est schizophrène. Etait-il nécessaire de justifier ses actes, souvent odieux, par la maladie ?

J’ai attribué cette maladie au fils pour expliquer un comportement particulièrement sordide. Ce qui me paraissait intéressant dans ce trio infernal était de montrer les rapports entre un fils et ses parents, lorsque tous sont en décalage. Car même si sa mère était déjà morte, elle vivait toujours dans sa tête. Mon intérêt était aussi d’aborder l’influence que des parents peuvent avoir dans des circonstances extrêmes. Il est possible que des actes similaires aient pu être commis par des personnes sans maladie mentale détectée, mais saines seulement en apparence, car (à mon avis) on ne tue ni ne viole, de surcroît à répétition sans avoir de graves problèmes mentaux. Dans le même sens, il m’apparaît que l’enfermement dans les têtes, par des addictions diverses, la non-communication, les non-dits, le repli sur soi, l’isolement, donc tout ce que notre société est en train de produire actuellement, et ceci malgré la multiplicité des techniques et des canaux de communication, contribuent à façonner ces types de comportements déviants.

Votre biographie spécifie que vous vous adonnez à la peinture et que vous aimez penser avec vos mains. Bûcheronner est-ce votre manière de pratiquer la méditation, ou un de pied de nez aux intellos qui méprisent ce genre de tâches ?

M’essayer à la peinture était aussi un objectif à réaliser à ma retraite parce que, comme pour l’écriture, il faut avoir du temps. Comme l’écriture, peindre est pour moi une forme d’évasion ; j’essaie de peindre un peu de tout, sans doute très maladroitement, sauf du portrait. Comme je suis plutôt impatient je travaille à l’acryl (ça sèche plus vite !) que je rehausse d’un peu d’huile.

C’est Denis de Rougement qui disait : « Les uns pensent, les autres agissent. Mais la vraie condition de l’homme c’est de penser avec les mains. » ! Cela va un peu dans le sens de la formule de Fernando Pessoa à laquelle j’adhère, dans son livre sur l’Intranquillité « Agir, c’est connaître le repos ». On peut bien sûr penser avec les mains de différentes manières. J’y ai inclus le bûcheronnage. Il est à la fois une forme d’évasion et de retour en arrière : je communie avec mon contexte et je retrouve mes racines. Il faut dire que j’ai la chance d’avoir une forêt en hoirie avec mon frère et ma sœur, qui jouxte ma vieille ferme. C’est moi qui m’en occupe, j’adore ça ! Je suis adepte d’un bûcheronnage « de luxe », c’est-à-dire que je n’y travaille que s’il fait beau temps, et au printemps et en été je n’utilise que très peu la tronçonneuse pour pouvoir écouter les chants d’oiseaux, donc j’ébranche à la hache les arbres coupés! Oui c’est une activité très physique, mais de par mes origines paysannes, j’ai hérité d’une conception utilitariste du corps. Mon corps est davantage un outil qu’il faut faire fonctionner avant d’être un capital que je dois entretenir. En réalité avec ma façon de faire, je triche et il est un peu les deux à la fois. J’aime cette forêt car elle est comme je voudrais qu’elle soit. Elle commence par un pâturage vallonné avec de belles formes douces et rondes (oserais-je dire féminines par les temps qui courent ?), puis suivent de petits bosquets comme mise en bouche, ensuite il y a une alternance de clairières et de bois, pour finir par une dense sauvagerie désordonnée, pleine de mystères, de rocailles et de trous, une petite jungle qui pourtant m’accepte. J’aime aussi cette forêt parce que je me dis : tiens ces arbres ont vu passer mes parents, et ceux-là mes grands parents ! Et mes enfants les verront-ils passer plus tard ? Aujourd’hui elle souffre de la chaleur et du bostryche et je n’arrive pas à débarrasser tous les arbres qui meurent. Mais j’ai un épicéa en pleine forme qui doit avoir plus de 250 ans selon le garde-forestier, c’est-à-dire qu’il a vécu tous les grands événements qui ont émaillé cette période: la Révolution française, les trois grandes guerres et tous les drames du quotidien. Ce n’est donc pas ce qui se passe avec le Covid qui lui fait peur ! Je vais souvent le saluer. Son silence est un peu dédaigneux, sans doute rempli de pitié et de condescendance à l’égard des hommes. Il sait déjà qu’il me survivra. Mais je l’aime quand même beaucoup.

Une question que je pose à tous les auteurs : à quel personnage littéraire vous identifiez-vous ?

De mes récentes lectures, j’hésite entre Martin Eden et Little Wolf… Je choisirai Little Wolf, chef cheyenne, personnage mythique de la trilogie de Jim Fergus « 1000 femmes blanches ». Un chef fier, courageux, respectueux de son pays et amoureux de son peuple. Avec lui, dans les années 1870, j’ai chevauché de nombreuses journées dans les plaines de l’Ouest, chassant le bison dans les Black Hills et les indiens Crows, des traîtres vendus aux colons. Mais surtout avec lui, Sitting Bull le chef Sioux et Crazy Horse un autre chef Lakota, j’ai participé en juin 1876 à l’écrasement de la cavalerie états-unienne à Little Bighorn. Une bataille dantesque, un massacre sans pitié, où seuls nos chevaux plus rapides et le courage des hommes et des femmes de nos tribus ont fait la différence. J’en fais encore des cauchemars… J’en ai souvent les mains qui tremblent et je me cache pour pleurer de ce qui a suivi. Heureusement, pour se souvenir de cette victoire, plusieurs scalps sanglants de soldats attachés à ma ceinture dégoulinent encore et refusent de sécher …

 

Interview réalisée par Dunia Miralles

François HAINARD – sociologue, écrivain. ©Xavier Voirol

Biographie de François Hainard

François Hainard a passé toute son enfance dans la vallée de La Brévine dans le Jura neuchâtelois. Après des études en Suisse et aux États-Unis, il effectue des recherches et enseigne la sociologie pendant une trentaine d’années.

Aujourd’hui il a abandonné la rigueur scientifique pour la liberté de la fiction et une discrète pratique de la peinture. Et comme il a besoin de penser avec les mains, il aime s’exercer au bûcheronnage…

 

Sources :

  • Exutoires, François Hainard, roman, Éditions du Roc.
  • François Hainard

Lecture : “Pépites” de Sylvie Blondel un voyage élégant et cruel

Pépites : quand la réalité change de dimension

Du Léman aux sommets des Alpes, de Kyoto à Zurich, de Pompéi à l’île de Pâques, Sylvie Blondel nous invite à effectuer un voyage dont la douceur et la légèreté ne sont que de trompeuses apparences. Avec un raffinement cruel Pépites, son dernier livre, un recueil de nouvelles paru aux Éditions L’Âge d’Homme, nous distille des instants de vie dont la sérénité n’est qu’une surface au fallacieux miroitement. On entre dans son livre en toute confiance, séduit par l’élégance de l’écriture et, mot après mot, l’on se retrouve, on ne sait pas comment, témoin de relations familiales péniblement banales, dans un accident d’avion, dans des amours impossibles et des ruptures abruptes, dans des viols ou des féminicides. Avec Sylvie Blondel pas de description trash. Juste un basculement de la réalité. Une altération des perceptions qui nous emmène dans des mondes étranges proches de la folie. On croit partir pour un périple autour du monde alors qu’en réalité elle nous entraîne dans l’inconscient de ses protagonistes or, ce que l’on y trouve, est souvent féroce.

 

Pépites : extraits

« Depuis mon plus jeune âge, j’aimais le sport. Ce qui me plaisait c’était le sprint : partir comme une flèche, tout donner pendant deux minutes et m’écrouler à bout de souffle. » La nuit verte

 « Au petit matin, j’aime me rendre sur les berges pour prendre des photos des montagnes. Le Grammont noir ne m’inspire pas, je préfère les pentes bleu pâle alentour. En face, dans les hauts de Vevey, les vignes dorées sont nimbées de brume. » Café crime

« Il eut honte d’avoir été aussi excentrique. En vieillissant, il s’était un peu ouvert aux autres, il était moins imbu de lui-même : il souffrait de la solitude après son divorce. Un point commun avec Danaé.

Il aurait donné n’importe quoi pour une soirée d’amour, n’importe quoi pour serrer une femme dans se bras, n’importe quoi pour retrouver le désir.

L’apparition de Danaé, par les voies insondables d’Internet ou du destin, tombait à pic.

Il y vit sa dernière chance de bonheur. Il décida de lui rendre visite à Genève ou elle résidait. » Modification

« On choisit d’être hanté par le diable. Il aime à se loger au creux d’une âme vide ou plutôt avide de sensations troubles. Le diable vient toquer à la porte, jour après jour, sous différentes formes, jusqu’à ce qu’on affronte son démon intérieur. Marguerite était persuadée que son bonheur viendrait de l’extérieur sous une forme magique. » Le diable est ici

 « Nous avions la même taille, raison pour laquelle le metteur en scène nous avait choisis. Nous formions un couple par la magie du théâtre, des jumeaux en somme.

Sur scène nous étions deux soldats encagoulés et pétrifiés. Gardiens du palais d’Hérode, visages couverts d’un bas nylon couleur chair, uniforme noir.

Te souviens-tu ? Nous étions deux soldats étouffant sous les projecteurs ». Quelque chose entre nous

 « La vie est longue. Trop longue, mais je ne m’ennuie pas. Je suis bien ici. C’est l’essentiel. » La maison vide

 « A un certain moment, la femme est nue. Elle se promène. S’étire gracieusement. Elle passe sans doute à la salle de bain, car la caméra n’a rien enregistré pendant au moins trente minutes. Elle s’est lavée et a nettoyé ses vêtements, les a longuement passés au sèche-cheveux rangés dans le placard. Masami ne devait pas sentir d’odeur suspecte ». Dévorer

« Mon passeport suisse et mes mains innocentes ne me dispensent pas d’ouvrir ma valise. Tout y est désordre après les secousses de l’avion. L’employé aux gants blancs examine mes affaires. Il émet des paroles étouffées sous son masque de coton blanc, il parle une sorte d’anglais saccadé, enseigné à l’école par des professeurs qui ne sont jamais sortis de leur pays. Je me fais répéter ses paroles et feins avoir compris. Je réponds à ses questions sur mes objets que je peine à reconnaître. J’explique une nouvelles fois les raisons de ma visite : c’est écrit en majuscules sur ma fiche d’entrée : visite amicale à une connaissance de Fukuoka. Un système de flicage qui ne me dit rien de bon.

Fukuoka est le chef-lieu des Yakuzas, la mafia japonaise, on attend longtemps avant de traverser la rue et il y a des embouteillages sans fin. Quel rapport ? Eh bien, les Yakuzas gèrent le marché des sémaphores, ils ont donc tout intérêt à installer des feux de signalisation tous les vingt mètres. On marche et on attend. Le feu est rouge. » Loin du réconfort

 

Sylvie Blondel : la biographie

Sylvie Blondel, romancière, est née à Lausanne. Après des études de lettres modernes à l’Université de Lausanne, elle devient professeur de français au gymnase. Un parcours jalonné d’autres activités, notamment le journalisme à Radio Suisse Internationale ainsi que le théâtre. Son recueil de nouvelles : « Le Fil de soie », éditions de l’Aire, 2010, s’inspire de ses voyages. En 2015, elle publie le roman : « Ce que révèle la nuit », PEARLBOOKSEDITION, qui relate la vie d’un astronome vaudois du 18e siècle. D’autres textes figurent dans des recueils collectifs : « Le livre des Suites » éditions l’Âge d’Homme, 2018 suivi de « Tu es la sœur que je choisis » éditions d’En bas, 2019. En 2021 paraît un nouveau recueil de nouvelles : « Pépites », aux éditions l’Âge d’Homme.

Remarque : le recueil de nouvelles « Le Fil de Soie » est disponible en livre audio (3 CD), sur demande, auprès de l’auteure.

Vous pouvez également retrouver Sylvie Blondel dans ce blog, en cliquant ici, dans une entrevue réalisée lors de la parution de son roman « Ce que révèle la nuit ».

 

Sources :

  • Pépites, recueil de nouvelles, Sylvie Blondel, Éditions L’Âge d’Homme
  • Association Vaudoise des Écrivains

BD : « Irena » l’ange du ghetto de Varsovie

Irena Sendler : une résistante courageuse et modeste

Irena Sendler. 1944.

Entre 1941 et 1943, sans se soucier du danger, Irena Sendler sauve 2500 enfants juifs du ghetto de Varsovie. Pourtant, cette résistante catholique polonaise culpabilisera jusqu’à sa mort de ne pas en avoir sauvé assez. Qu’on l’appelle « héroïne » l’offusquait. « Je ne suis pas une héroïne. J’ai fait ce qu’il y avait à faire. Ce que j’ai fait est normal. Les enfants juifs sont les véritables héros ». Une « normalité » qui, en 1943, lui coûte d’endurer, chaque jour et durant des mois, de longues séances de tortures infligées par la Gestapo, sans que jamais elle ne dénonce aucune des personnes de son réseau. Condamnée à mort, elle s’en sort grâce aux membres de la résistance qui organisent son évasion mais les sévices infligés l’ont rendue définitivement infirme.

 

Irena Sendler : l’effacement

Après la guerre Irena Sendler (Sendlerowa en polonais) demeure fidèle au gouvernement polonais en exil. Cela lui vaut d’être à nouveau emprisonnée de 1948 à 1949, et d’être brutalement interrogée par la police secrète communiste. Elle est finalement libérée. Toutefois, ses liens avec la résistance polonaise proche du gouvernement en exil empêchent que les sauvetages qu’elle a effectués durant la guerre soient reconnus.

 

Irena Sendler : sauvée de l’oubli

Malgré la volonté du régime communiste à l’effacer de l’Histoire de la Pologne, en 1965, elle est déclarée Juste parmi les Nations et, en 1991, Citoyenne d’Honneur de L’État d’Israël. Cependant, son rôle durant la Seconde guerre mondiale reste largement ignoré jusqu’à la chute du régime communiste. En 1999, c’est un travail de fin d’études réalisé sur la Shoah par quatre étudiantes du Kansas, qui permet de mettre au jour ce pan de L’Histoire et de le diffuser mondialement. Depuis, Irena Sendler a reçu de nombreux prix. En 2003, alors qu’elle vivait encore, on lui décerne L’Ordre de l’Aigle Blanc, la plus haute distinction polonaise. En 2007, elle est distinguée de l’Ordre du Sourire, attribué à des personnalités œuvrant pour Le bonheur et le sourire des enfants. En 2009, Irena Sendler reçoit, à titre posthume, le prix humanitaire Audrey Hepburn, nommé ainsi en l’honneur de l’actrice et ambassadrice de l’Unicef. Le Parlement polonais a déclaré l’année 2018 « Année Irena Sendler ».

Irena Sendler. 2007.

 

Irena : la bande dessinée

Des livres et documentaires racontent les actions et la bravoure de cette grande dame, dont une série de bandes dessinées parues chez Glénat. Le scénario a été réalisé par Jean-David Morvan et Séverine Tréfouël d’après le documentaire Les Justes de Marek Halter. Afin que le dessin soit accessible aux plus jeunes, c’est le dessinateur David Evrard que l’on a sollicité, tandis que l’on a demandé au coloriste Walter de garder la couleur des films documentaires tournés durant la Deuxième Guerre Mondiale. Didier Pasamonik, spécialiste en bande dessinée, éditeur, directeur de collection, journaliste et commissaire d’exposition, écrit à propos de leur travail :

« Le regard qu’ils portent sur cette histoire a une qualité essentielle : ils l’abordent du point de vue de l’enfant. Cette tradition du dessin simple, au vibrato sensible doté d’une probité impeccable, nous la connaissons bien : elle est de la lignée, puissante parce que poétique, éternelle parce que authentique et universelle, du Petit Nicolas de Sempé et René Goscinny. Ils ont la même évidence. »

En cinq volumes, cette BD raconte le quotidien du ghetto de Varsovie, les déportations, les moments d’espoir, de désespoir et d’horreur, et comment Irena en est venue à sauver 2500 enfants, en prenant soin de noter et de cacher leur nouvelle identité jointe à l’ancienne, afin qu’après la guerre ils puissent connaître leurs origines et retrouver leurs familles. Les scénaristes se sont également aventurés dans l’après-guerre pour nous raconter les exactions du régime communiste, ainsi que quelques décennies plus tard à la rencontre des enfants, devenus adultes, qu’Irena a sauvés. La trame, souvent entrecoupée de scènes de tortures, est allégée par des moments où Irena imagine son père, un homme bon décédé très jeune, près d’elle et fier de son engagement. Des instants de tendresse tout aussi poignants que les scènes les plus dures.

Des frises historiques permettent de comprendre la chronologie de la montée du nazisme, la guerre et l’après-guerre, ainsi que la vie entière d’Irena Sendler.

Née à Varsovie le 15 février 1910, Irena décède dans la même ville, à l’âge de 98 ans, le 12 mai 2008.

 

Sources :

  • Irena, les 5 volumes parus chez Glénat : Le Ghetto ; Les Justes ; Varso-vie ; Je suis fier de toi ; La vie, après. Scénario : Jean-David Morvan et Séverine Tréfouël. Dessins de David Evrard. Couleurs par Walter.
  • La bibliothèque de la ville de La Chaux-de-Fonds.
  • Wikipedia

 

Lectures et maladies : de la schizophrénie à la pandémie avec Marion Canevascini et Claude Darbellay

Violences et douceurs

En lisant L’Épidémie, on soupçonnerait aisément Claude Darbellay de complotisme. Tout y est : un grand projet liant les pharmas, la haute finance, l’OMS, le Haut Commissariat aux Réfugiés, des politiques d’ici et d’ailleurs et des mafias. Des expériences sans scrupules faites sur des êtres humains. Un monde prêt à tout pour imposer sa loi. Seule ombre au tableau : L’Épidémie, dont la deuxième édition vient de sortir chez Infolio, est parue pour la première fois aux Éditions G d’Encre en 2007, soit 12 ans avant les premiers cas de Covid-19. On ne peut donc guère accuser son auteur de prendre le train en marche ou de profiter de la pandémie pour vendre du livre. A la rigueur, on peut imaginer que les complotistes s’inspirent de son livre pour élaborer leurs arguments. Les conjectures s’arrêtent là même si, depuis plus d’un an, nous vivons des situations schizophrénisantes. Toutefois, la schizophrénie, la vraie, pas le mot qu’on glisse en tant que métaphore au hasard d’une conversation, ressemble à toute autre chose. Avec beaucoup de pudeur, Marion Canevascini s’est penchée sur cette maladie dans un très beau livre illustré que je tiens à vous présenter avant de revenir sur L’Épidémie.

Marion Canevascini : Notre frère

Paru aux Éditions Antipodes Notre frère, le roman graphique de Marion Canevascini, est particulièrement touchant. Actuellement la parole se libère. De plus en plus, on laisse de la place dans les livres et les médias aux personnes qui souffrent d’un handicap ou d’une maladie mentale. On donne aussi facilement l’occasion de s’exprimer aux parents ou aux conjoints. Il est plus rare d’entendre la souffrance de la fratrie. La douleur des enfants qui « vont bien » et, dont le frère ou la sœur qui présente une pathologie, efface l’enfance en retenant l’entière attention des parents. Avec délicatesse, le livre de Marion Canevascini raconte ses souvenirs : l’arrivée de la maladie dans une famille qui compte trois enfants. Face aux étrangetés de leur frère ainé et au désarroi de leurs père et mère, les deux sœurs cadettes s’unissent pour exister. Dans cet ouvrage aux dessins et aux textes épurés, ce sont les blancs des pages et les mots tus qui s’inscrivent dans le ressenti.

Ce témoignage sensible d’une pathologie évoquée entre les lignes permet aux plus jeunes d’aborder, de questionner et d’être accompagnés dans la maladie. En effet, il existe beaucoup de littérature sur la schizophrénie mais pratiquement aucun écrit ne s’adresse à des enfants.

Biographie de l’artiste

 Artiste fribourgeoise, Marion Canevascini, étudie les Lettres à l’Université de Fribourg et notamment le rapport entre le texte et l’image. Elle partage aujourd’hui son activité entre peinture, écriture, et enseignement.

 

 

Claude Darbellay : L’Épidémie

Dès les premières lignes, Claude Darbellay nous entraîne dans une aventure labyrinthique à un rythme qui laisse peu de pauses pour souffler. Rien ne nous est épargné : les meurtres et les morts se succèdent, les hypothèses nous mènent sur des chemins que l’on se voit obligé de rebrousser, on saute d’un pays à l’autre. Même la froide torture est au rendez-vous. Les personnes qui mènent l’enquête tentent de se rassurer en se raccrochant à ce qu’elles savent et qui ne devrait pas exister. Frank le narrateur, raconte ce qu’il a vu, espérant avertir l’humanité du danger qui la menace. Les Grands Manitous le laissent faire convaincus que, de toute façon, personne n’y croira.

 L’Epidémie : extrait

 « Il s’agissait d’allier santé, jeunesse, performance et donc, Charles Larson rit, bonheur. C’était en tout cas en ces termes que Fabio Rossi avait vendu son projet à la GlaxoSmithKline. Rendre à un corps vieillissant les performances de sa jeunesse. Parce que, pour le marché, ce créneau était porteur de gigantesques profits. La clientèle potentielle avait les moyens d’acquérir LE traitement qui accélérait la réparation des tissus musculaires. En vieillissant, nous perdons environ un tiers de notre masse musculaire. L’exercice constant, soulever de la fonte dans un fitness par exemple, pratiquer un sport, même à haute dose, ne fait que ralentir le processus. Trouver un moyen biologique de l’arrêter, voire de l’inverser, c’est la gloire et la fortune.

Nous avons commencé, comme souvent en laboratoire avec des souris blanches…

L’idée, c’était de stimuler l’augmentation de la croissance musculaire à n’importe quel âge et sans exercice. Ce que promettent toutes les cliniques spécialisées dans des cures hors de prix. Ce que nous espérions aussi, l’époque voulait ça, c’était démocratiser notre découverte en multipliant le nombre de clients. »

 

Claude Darbellay : l’interview

 – La première édition de L’Epidémie a été publiée en 2007 aux Éditions G d’Encre. D’où a surgi l’idée de ce roman ?

Cette idée m’est venue d’un événement et d’une peinture. L’événement c’est le SRAS, une pneumonie atypique pour faire simple, apparue en 2003, qui avait fait peu de victimes mais généré une grande panique, avec des déclarations alarmistes de dirigeants, aussi bien à Singapour qu’au Canada ou en Chine où tous les lieux de divertissement (théâtres, cinémas, cafés internet) ainsi que les bibliothèques avaient été fermés. Les mariages avaient aussi été ajournés. J’avais lu un article dans un journal anglais où l’OMS avertissait du danger. Or, l’OMS, en anglais, c’est la WHO, the World Health Organization. Qui peut être confondu avec sa traduction en français de QUI. On y ajoute un point d’interrogation et on a le départ d’une enquête sur qui est responsable de ces mesures anti SRAS et dans quel but. Et, au niveau de la fiction, on a déjà un des responsables : l’OMS. Voici pour l’événement. Quant à la peinture, c’est un tableau de Dürrenmatt qui m’a inspiré le premier chapitre où le président du conseil d’administration d’une firme helvétique est pendu au lustre de la salle du conseil par sa cravate. Il s’agit du tableau : « L’Ultime assemblée générale de l’établissement bancaire fédéral » peint en 1966. Tableau qui montre une scène apocalyptique : des banquiers se sont pendus à des lustres, d’autres se tirent une balle dans la tête. C’est le départ du roman. Pourquoi le président d’un conseil d’administration est-il pendu à sa cravate par un commando ? Qui est responsable ? L’OMS et l’industrie pharmaceutique seraient-elles mêlées à cet assassinat et dans quel but ?

– Ce roman vous a-t-il demandé beaucoup de recherches et de documentation?

Oui. J’ignorais tout de la vie des virus. Mais j’étais enseignant dans un lycée où est enseignée la biologie. J’ai donc demandé à un professeur de biologie de me donner de la documentation. Il m’a répondu, « accorde-moi une semaine ». Une semaine plus tard, j’avais une pile de livres, de documents, d’articles. Et le professeur m’a dit, « Tiens, lis ça. Après, quand tu auras bien assimilé la matière, je te donnerai la suite. » Cela m’a pris un temps certain pour en venir à bout. Avant la publication, le même professeur a relu tous les chapitres du roman concernant les laboratoires et la description des épidémies pour que tout soit rigoureusement exact. Ceci afin de créer un « effet de réalité » et de donner du crédit à ce que raconte la fiction.

– Votre livre fait référence aux mondes de la littérature et de l’art puisqu’on y croise Dürrenmatt, Nietzsche, Niki de St-Phalle, le poète américain William Stafford… tout en mélangeant enquête, industrie pharmaceutique et politique. Résultat : un thriller à la Robin Cook en plus intellectuel. Aviez-vous envie de conquérir un lectorat qui d’habitude s’intéresse peu aux lectures populaires ?

La question du lectorat est importante, certes. Je ne voulais pas écrire pour un lecteur particulier, mais donner du plaisir à un lectorat qui soit le plus large possible. J’espérais que le roman crée son lectorat. Il y a deux façons de voir les choses, je crois. Soit on calibre un texte pour qu’il corresponde à un public cible, on en fait un produit qui va séduire des consommateurs, soit on crée un roman qui, par ses qualités intrinsèques, va attirer les lecteurs. Aujourd’hui, c’est plutôt la première démarche qui prédomine. L’ennui, c’est qu’elle s’accompagne d’un code esthétique. On y « émotionne » beaucoup, et la compréhension doit être « Nescafé », immédiatement soluble. On appelle ça « les lois du marché ». Il faut saluer ici le travail des auteurs qui continuent de vouloir « faire de la littérature » et des éditeurs qui les soutiennent.

– Avec le recul avez-vous l’impression d’avoir écrit un roman qui anticipait la pandémie de la Covid-19 ?

Oui, je crois que ce roman anticipait la pandémie de la Covid-19. Pour une bonne raison. Les rouages sont les mêmes que ceux décrits dans le roman. Il y a cependant quelques différences de poids. La pandémie du roman était fictionnelle et les morts à venir. La situation actuelle a vu apparaître quelques aspects assez inquiétants, outre la situation sanitaire. Ce sont des mesures étatiques qui sont proches de l’absurdie. J’attends toujours que l’on m’explique pourquoi il n’était pas dangereux d’assister à un culte ou à une messe pour cinquante personnes et pourquoi ce n’était pas la même chose pour un théâtre ou une salle de concerts. Mais plus grave, derrière toute décision politique se profile une conception du monde et je ne partage pas la division entre « biens essentiels » et « biens inessentiels ». Division dont les librairies ont fait les frais, par exemple. Ont aussi été rognés des droits démocratiques, au nom de la santé qui a remplacé la liberté. Ce n’est plus « liberté, égalité, fraternité ». La liberté a cédé la place à la santé. Avec une armada de virologues, de médecins, d’experts en tout genre à l’égo surpuissant. Or, rappelons-nous que le Titanic a été construit pas des spécialistes et l’Arche par des amateurs !

– Une question que je pose à tous les auteurs: à quel personnage littéraire vous identifiez-vous ou quel personnage littéraire auriez-vous aimé être ?

J’aurais aimé être Sancho Panza du Don Quichotte de Cervantès. C’est lui qui, juché sur son âne, commente les « exploits » de son maître, Alonso Quijano, qui a la tête farcie de romans de chevalerie et qui attaque des moulins à vent en les confondant avec des géants. Il est l’auteur de son maître, en fait, parsemant le récit de remarques ironiques, de jeux d’esprit, de proverbes espagnols détournés. Il nous invite à faire un pas de côté pour entrer dans la réalité ou, pour citer Lao Tseu, comme le fait Lopez, le philosophe de « l’Épidémie » : « Voyons ce qui est et non ce que nous aimerions voir ».

Interview : Dunia Miralles

 

Claude Darbellay : la biographie

Né en 1953 au Sentier, dès l’âge de dix-huit ans, il travaille comme manœuvre sur les chantiers, poseur de faux plafonds, monteur de parois mobiles afin de subvenir à ses besoins. Il fait des études de lettres à l’Université de Neuchâtel avant de voyager en Italie, dans l’East End londonien et à Grenade où il étudie le castillan. De retour en Suisse, il s’installe à La Chaux-de-Fonds et y enseigne le français et l’anglais à l’école supérieure de commerce.

Son œuvre a été distinguée par divers prix, Le Grand Prix poètes d’aujourd’hui 1984, le Prix Bachelin 1994, le Prix Louis-Guillaume 1995, le Prix Alpes-Jura 1996, et le Prix Michel Dentan 1999 pour Les prétendants.

L’écrivain Claude Darbellay. Photographie libre de droits.

 

 

Sources :

  • Notre frère, roman graphique, Marion Canevascini, éd. Antipodes
  • Éditions Antipodes
  • L’Épidémie, roman d’anticipation, Claude Darbellay, éd. Infolio
  • Claude Darbellay, écrivain et poète
  • Wikipédia