“Les Choses Gonflables” de Miguel Angel Morales : ni Plonk ni Replonk

Miguel Angel Morales : un air de chat-chat-rock

Homme félin aux vies multiples, Miguel Angel Morales s’est distingué en fondant le collectif Plonk & Replonk. Mais pas uniquement. Cet espagnol typique du Jura – comme il se présente lui-même – né à Barcelone en 1963 mais qui vit aux Barrières, a, pendant longtemps, tenu les chroniques rock du feu quotidien L’Impartial et animé des émissions pour RTN. Il a également collé des affiches ; travaillé comme graphiste ; œuvré à la création du club Bikini Test ; brûlé les scènes européennes – même une new-yorkaise – avec le Jivaros Quartet. Mythique, ce groupe suisse inspiré par les Ramones et le Velvet Underground, s’était fort bien imposé dans les eighties. Plus tard, c’est avec le trio de rock psychédélique Sunday Ada, que Miguel Angel a distillé des ballades hallucinogènes. Infatigable, il vient, avec une patte joliment griffue, d’ajouter une vie à toutes les autres en publiant son premier roman : Les Choses Gonflables aux Éditions Torticolis et Frères.

 

Les Choses Gonflables de Miguel Angel Morales : l’histoire

Les Choses Gonflables ne se résument pas. Elles se lisent. Le récit se déroule, au départ, dans un monde étrange qui ressemble à une parodie du nôtre. Un endroit où vivent les Ploucs et les Beaux. Puis, peu à peu, on change de plan comme si les personnages se promenaient d’univers en univers, dans des sortes de mondes parallèles qui se superposent. Miguel Angel Morales (sans trait d’union entre Miguel et Angel parce que les prénoms composés ne prennent pas de trait d’union en espagnol) parle ainsi de son livre dans une interview accordée à RJB:

« C’est assez spectaculaire, mais néanmoins c’est écrit sur le ton de la banalité la plus totale. C’est un bouquin à tiroirs, mais je vous rassure tout de suite, ça commence par un point A et ça se finit par un point Z en laissant quelques portes ouvertes. Il y a des fausses trappes et des fausses pistes. C’est un peu comme un fromage dont vous seriez la souris. Il vous faut entrer dedans. Vous faites les trous, vous vous nourrissez de ce que vous voulez, vous en sortez puis, vous y revenez plus tard ».

« Ce n’est pas le langage Plonk, il n’y a pas de joliesses ou d’absurdités gratuites. Le but ce n’était pas de faire ça. Mais évidemment, comme je suis l’un des trois Plonk d’origine, les lecteurs s’amuseront peut-être à se dire, tiens ça oui… ça, peut être ça… Délibérément, j’ai fait en sorte que ce ne soit pas du Plonk. Maintenant, là, j’ai juste envie de montrer ce que moi je suis ».

En étant brève, je dirai que Les Choses Gonflables est un livre qui dépeint, avec des tons surréalistes, le cirque qu’est la vie. A moins que, plutôt qu’un cirque, ce ne soit une arène.

 

 

Les choses gonflables de Miguel Angel Morales: extraits

« Depuis qu’il s’est fait Beau, je n’ai plus vu mon snobinard de frère. Celui que je vois régulièrement sur le plateau de « Nos amis le sport », par contre, c’est cet Arthur tout sourire qui se raconte et s’étale. Sa vie, son œuvre, ses sous-vêtements importés du reste du monde qui coûtent telle ou telle somme en francs beaux et qu’il recommande à tous ceux qui savent. Moi, j’ignore. Ses chronos (il est recordman de choses). Ses compléments alimentaires (il mange). C’est à Musclorama, le rendez-vous du muscle Impasse Jean-Jacques Sisyphe, que mon frère perdu a ses habitudes de mascotte sous contrat. Des tas de dupes vont y souffrir, sur des tapis roulant à toute vitesse, en direction de nulle part. Faut aimer. Il me fait suer avec son sport. Ses sponsors et ses soutiens, des Beaux de Beau Gotha. Ferait beau qu’un Plouc sponsorise quoi que ce soit. Cet Arthur aux gencives élastiques et la dentition en miroir a choisi son camp. C’est peut-être mieux comme ça. Lui et moi, on n’a jamais pu se blairer. Pourquoi je m’énerve comme ça ? »

« Nous sirotons en silence notre vin de tapis, pas trop malheureux, sur le moment. Hélas, nous avons si mal choisi l’heure de notre petite expédition que voilà les Choses Gonflables qui apparaissent à l’horizon de notre torpeur, dérivant au ralenti avec toute leur suffisance synthétique. Tinckey (ou Mickin), Middock, Bianca Castasio et toute l’atroce équipe à valves. C’est à devenir fou. Nous nous cassons vite fait. Joop à tôt fait de nous distancer sur son gadget à vapeur. Merci papa, merci maman. »

« Le lendemain, ça déchante plus qu’autre chose. Rien ou pas grand-chose dans la presse officielle. Rien non plus dans l’autre, dont l’acte de naissance se fait attendre. Posté chez Titi Rantaplan, Avenue Jean-Jacques Camion – je précise toujours car c’est une adresse très classe et je suis l’un des rares Ploucs à s’y inviter -, je tends l’oreille, je guette l’éventuel journaliste, le sbire en goguette, la pipelette corruptible. Le surlendemain – après m’être fendu d’un nombre modeste, mais suffisant, de baffes incitatives -, j’ai une idée plus précise du nouveau fait divers. Ce type assez con que je n’appréciais guère n’est plus de ce monde. Je peux maintenant mettre un nom sur le gus : Empaphos. Le mec qui aimait jouer à la Belle au bois dormant ! Son corps a été découvert éparpillé en petits morceaux dans sa petite chambre indestructible, sanglante à faire peur. Une boucherie sans nom avec pour témoin muet le fameux cochon obscène torché par un peintre sans talent. Marrant, si j’ose dire. L’affaire Empaphos représente une nouvelle barre trop haute pour nos braves sbires. Jean-Philémon Patapon doit fumer par les oreilles. Après le boulanger-pâtissier, ami du peuple, l’intello chiant par excellence. Non, ça n’a pas de sens. Ubluglute a toujours été ce lieu où il ne se passe ni rien, ni rien de plus, ni rien de trop. Il s’y passe un peu et ça suffit. Les déchaînements de violence, c’est bon pour les projections de minuit de Rikiki Patafiol et basta. La bizarrerie ordinaire, la nazerie bas de gamme, on les connaît, on les aime. Il faut aimer le peu qu’on a. Mais cette folie-ci n’est pas à notre échelle et ne présage rien de bon. Et merde. On n’était pas bien, comme ça ? »

Et si le monde réel, et si la vraie vie s’assimilaient à ce que décrit le roman de Miguel Angel Morales ? Je vous laisse seuls juges.

Sources :

  • Les choses gonflables, Miguel Angel Morales, éditions Torticolis et Frères
  • Le Temps
  • ArcInfo
  • RJB

 

Pause hivernale

A toutes et tous je souhaite, malgré les circonstances, un Superbe Noël et une Merveilleuse Année 2021. En ce moment la pesante réalité a pris le pas sur la rêverie et les projets à long terme, mais qui sait ? En 2021 les choses changeront peut-être positivement. Je vous le souhaite. Je nous le souhaite.

A présent, ce blog va prendre une longue pause pendant que je me pencherai sur d’autres écrits. Je reviendrai le premier jeudi du mois mars avec de nouvelles lectures d’ici et d’ailleurs : des BD, des nouvelles, de la poésie, de la littérature classique et contemporaine.

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Que le bonheur soit avec vous.  A bientôt.

Dunia Miralles

A lire ou à relire : « Nouvelles histoires extraordinaires » d’Edgar Allan Poe

Le Masque de la Mort Rouge : récit parfait pour un déconfinement

Parfois, il est agréable de relire un livre dix, vingt ou quarante ans après une première lecture. Certaines expériences personnelles et d’autres ouvrages permettent aux textes de révéler des sens que nous n’avions pas perçus la première fois. Si vous fouillez dans votre bibliothèque, peut-être y trouverez-vous Nouvelles histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe, considéré comme le père du polar. Durant cette aventure Covid-19, j’ai relu cet écrivain, l’un de mes amours littéraires de jeunesse, l’un de mes pères en littérature. Je me suis penchée spécifiquement sur ce livre, car je me souvenais vaguement du Masque de la Mort Rouge, l’une des nouvelles qu’il contient. A l’adolescence, elle ne m’avait pas vraiment interpellée. J’avais un faible pour Le Puits et le Pendule et une admiration horrifiée pour Le Chat Noir et La Chute de La Maison Usher. Toutefois, durant ce confinement, j’ai redécouvert ce récit qui rappelle que nous ne pouvons pas ignorer la maladie, nous comporter comme si elle n’existait pas. Sinon, elle risque de nous rattraper. En cette première semaine de retour « à la presque normale » et à l’excitation joyeuse, peut-être un peu imprudente, qu’elle nous procure, elle prend un sens très singulier et pertinent.

 

Le Masque de la Mort Rouge : résumé

Cette nouvelle se situe dans une région imaginaire ravagée par la Mort Rouge, une maladie plus terrifiante que la peste. Entre la contamination et la mort, il ne se passe qu’une demie heure. Les malades sentent soudainement des douleurs aigües, un vertige, puis ils suintent du sang par les pores, jusqu’à la dissolution de leur corps. Quand ses domaines sont à moitié dépeuplés par la meurtrière contagion, le prince Prospero, un intrépide fêtard, convoque un millier d’amis, choisis parmi les chevaliers et les dames de sa cour, de vigoureux joyeux lurons en bonne santé. Avec eux, il s’enferme dans l’une de ses abbayes fortifiées. Tout est organisé pour qu’ils puissent être ravitaillés sans être contaminés, sans avoir à se soucier ni de la Mort Rouge, ni du désespoir et de la dévastation qu’elle provoque à l’extérieur. Au bout de cinq à six mois de fêtes permanentes, le prince décide d’organiser un grand bal masqué qui s’étend sur les sept salons de l’abbaye. Toutes les salles respirent la joie, hormis la dernière dans laquelle quasiment personne ne s’aventure. Couverte de tentures noires, le prince y a fait installer une horloge qui sonne toutes les heures avec une telle énergie qu’on l’entend dans toute la fortification. Au son du carillon, musiciens et danseurs sont obligés de s’arrêter, le geste suspendu, ce qui met tout le monde mal à l’aise. Les coups de minuit sont si longs et sinistres que la peur tétanise les participants. C’est alors que le prince remarque, parmi les convives, un costume de très mauvais goût. Barbouillé de sang, le masque représente un cadavre raidi par la Mort Rouge. Couteau à la main et talonné par ses invités, le prince Prospero s’élance avec bravoure à la poursuite de l’importun qui, ainsi déguisé, prétend se moquer de lui. Arrivé dans la salle de l’horloge, l’inconnu se retourne et fait face aux personnes qui le suivent. Une seconde après, le prince s’écroule brusquement sur le tapis terrassé par la mort. Un par un, tous les convives commencent à tomber dans toutes les salles de l’orgie qui s’inondent de sang. La Mort Rouge s’est invitée au bal alors que personne ne l’attendait.

 

Baudelaire fasciné par Poe

La première fois que Baudelaire ouvre un livre de Poe, il est la fois épouvanté et fasciné. Vingt ans avant lui, l’américain avait écrit ce qu’il aurait voulu écrire. Cependant, bien qu’il l’ait traduit, Baudelaire n’est jamais allé dans le courant de Poe. Le poète français s’est très peu adonné à la prose. Ses poèmes n’ont pas grand-chose en commun avec ceux de l’auteur du Corbeau. Toutefois, les deux ont eu des vies cataclysmiques. Extrêmement persécutés, tous deux ont été et malmenés par le destin. Ces similitudes ont probablement rapproché le Parisien des écrits du Bostonnais, et contribué à l’admiration qu’il éprouvait pour lui.

En 1856, dans la préface de la première publication, en France, des Histoires Extraordinaires, Charles Baudelaire fait un portrait d’Edgar Allan Poe. Extrait :

« Il y a, dans l’histoire littéraire, des destinées analogues, de vraies damnations, – des hommes qui portent le mot guignon écrit en caractères mystérieux dans les plis sinueux de leur front. L’Ange aveugle de l’expiation s’est emparé d’eux et les fouette à tour de bras pour l’édification des autres. En vain leur vie montre-t-elle des talents, des vertus, de la grâce ; la Société a pour eux un anathème spécial, et accuse en eux les infirmités que sa persécution leur a données. – Que ne fit pas Hoffmann pour désarmer la destinée, et que n’entreprit pas Balzac pour conjurer la fortune ? – Existe-t-il donc une Providence diabolique qui prépare le malheur dès le berceau, – qui jette avec préméditation des natures spirituelles et angéliques dans des milieux hostiles, comme des martyrs dans les cirques ? Y a-t-il donc des âmes sacrées, vouées à l’autel, condamnées à marcher à la mort et à la gloire à travers leurs propres ruines ? Le cauchemar des Ténèbres assiègera-t-il éternellement ces âmes de choix ? Vainement elles se débattent, vainement elles se ferment au monde, à ses prévoyances, à ses ruses ; elles perfectionneront la prudence, boucheront toutes les issues, matelasseront les fenêtres contre les projectiles du hasard ; mais le Diable entrera par la serrure ; une perfection sera le défaut de leur cuirasse, et une qualité superlative le germe de leur damnation. »

 

Edgar Allan Poe : poursuivi par La Camarde

Edgar Allan Poe était hanté par la mort. Depuis son enfance, les cadavres s’accumulent autour de lui. Alors qu’il a deux ans et demi ou trois ans, le décès de sa mère tuberculeuse le marque pour toujours. Par la suite, la tuberculose ou l’alcoolisme emportera tout ceux qu’il aime.

 

Edgar Allan Poe : une enfance et une jeunesse déchirées

Sa mère, Elizabeth Arnold, née en Angleterre d’une dynastie d’acteurs, arrive vers l’âge de 9 ans aux États-Unis. Excellente danseuse, chanteuse, comédienne, elle a un superbe répertoire. Elle sait jouer tous les rôles. Très vite, elle devient la mascotte de l’Amérique. A 11 ans, elle perd sa mère. A 15 ans, elle se marie. A 18 ans, elle devient veuve. Eliza rencontre ensuite le père d’Edgar, David Poe, que les critiques, qui le détestent, appellent « face de muffin » car il n’a, semble-t-il, aucun talent. Ce jeune fils de famille a fui les siens et abandonné les études de droit. Il monte sur les planches pour plaire à Elizabeth, mais donne la réplique sans nulle inspiration. De plus, comme de nos jours, la vie de comédien est difficile. Eliza et David manquent continuellement de moyens financiers. A l’âge de 24 ans, totalement alcoolique, David part sur les routes chercher de l’argent et s’évapore dans la nature. A ce moment-là, Edgar a deux ans et demi, un grand frère, William Henry Léonard, appelé Henry. Rosalie, la petite sœur, voit le jour quelques mois après le départ de leur père.

Né dans un théâtre de Boston le 19 janvier 1809, Edgar fera un mythe de sa mère comédienne. Sa mort prématurée, et son regard immense et dévorant, le poursuivront son existence durant. La tuberculose est une maladie spectaculaire. Les gens deviennent émaciés, avec des joues très rouges et de grands yeux brillants. L’image du regard, des yeux, traversera toute son œuvre. Dans ses récits, les personnages féminins sont à la fois éthérés et macabres.

A partir du décès de sa mère, en 1811, Edgar ne connaît que des abandons. A la mort de celle-ci, on sépare la fratrie. John Allan, un commerçant de denrées coloniales, recueille le garçonnet, mais le traite comme un chien qu’il aurait offert à sa femme pour la consoler de ne pas avoir d’enfant. Elle est probablement stérile puisque John a des descendants illégitimes. Les relations entre Edgar et John Allan sont difficiles. Très vite, Edgar, qui a besoin d’un regard constant sur lui, décide que le monde sera sa scène et devient un mystificateur, ce qui détériore ses relations avec son beau-père.

Ses études sont difficiles. Il peine à s’intégrer aux autres. La période de l’université s’avère un calvaire. Fréquentée par des jeunes hommes aristocratiques, riches, despotiques et turbulents, Edgar, pauvre et rêveur, n’y trouve pas sa place. D’autant, que les étudiants habitués au pouvoir, se permettent tout et n’importe quoi. Poe est terrifié par une scène où, lors d’une bagarre, l’un des étudiants arrache, à un homme, un morceau de chair gros comme la main. Ses études se passent mal.

A la mort de son épouse, John Allan, son beau-père, se remarie et ne veut plus rien savoir d’Edgar.

 

Edgar Allan Poe: une vie tumultueuse et sulfureuse

Sa tante Maria Clemm, le reçoit en 1829, à Baltimore, après sa dispute avec John Allan. Maria Clemm est la plus jeune sœur de son père. Bien que cette mère de huit enfants ait une vie malheureuse, elle l’accueille avec joie, ce qui permet à Edgar de retrouver son grand frère Henry. Quand Maria Clemm ouvre ses portes à l’écrivain, il ne lui reste que Virginia la petite dernière de 9 ans. Pour la première fois, le poète goûte à la vie de famille. Pour remercier sa tante, il devient le précepteur de Virginia. Mais, en retrouvant son frère, qui est complétement alcoolique, il rencontre l’éthylisme. Auparavant, il n’avait pas eu l’occasion de boire. Mais ce frère qui a une vie très mondaine et qui l’introduit dans tous les salons, l’entraîne dans la boisson. Edgar admire Henry, un talentueux conteur qui mène une existence fantastique et fait des choses extraordinaires. Dans cette fraternité retrouvée, Edgar se reconstruit. Cette vie est merveilleuse pour lui. Son frère l’amuse, Maria Clemm s’occupe de l’intendance et, lui transmet son savoir à Virginia. Par la suite, sa relation avec la fillette deviendra une clé importante de son écriture.

A Baltimore, Poe entre dans le journalisme en tant que critique et correcteur. Excellent journaliste, il donne à connaître la littérature européenne aux États-Unis. Malgré ses périodes d’alcoolisme, on l’engage dans les journaux car, en avance sur son temps, il a  compris l’importance du marketing. Sa plume tranchante scalpe ses victimes. Acharné, il ne s’arrête que lorsque le sang coule. On dit que ses critiques sont écrites «au tomahawk» ce qui lui vaut le surnom de L’Indien. Ses « assassinats » journalistiques augmentent tellement les tirages, que lorsque Poe estime que la polémique tarde, il intervient sous divers pseudonymes, n’hésitant pas à se contredire lui-même pour mettre de l’huile sur le feu.

Poe et son frère écrivent des contes ensemble. Ils se sont fabriqués un avatar de leurs deux noms cryptés : Edgar Léonard. Quand son frère meurt en 1831, Poe est bouleversé. C’est alors qu’il écrit son premier conte. Sa production devient alors très riche et diverse. Il produira notamment un essai, Eurêka, qui préfigure le Big Bang qui ne sera découvert qu’un siècle plus tard.

Edgar se marie avec Virginia alors qu’elle n’a que 13 ans. Les biographes prétendent que ce mariage n’a jamais été consommé. Il aurait épousé sa cousine, en falsifiant des papiers officiels, pour qu’elle échappe à un autre cousin à qui elle aurait dû être confiée pour parfaire son éducation. De Virginia, il a surtout besoin de l’admiration et du regard – encore et toujours les yeux qui le poursuivent. De plus, il adore jouer à Pygmalion. Toutefois, le poète plait beaucoup aux femmes et, pour son bonheur – ou son malheur -, compte énormément d’aventures en dehors de son mariage. Virginia meurt de la tuberculose à 24 ans, l’âge auxquels meurent ses proches en général. Ce décès l’accable.

Poe est un cérébral avec une lucidité implacable que l’on ne retrouve qu’à travers la littérature. Sa réalité est le lieu de ses désastres. Le lieu où il perd la face, où il est abandonné. Mais il se répare à travers l’écriture.

Très populaire, il fait beaucoup parler de lui. Les journaux sont toujours pleins de ses hauts-faits et scandales. Cependant, en 1845, la publication du Corbeau, son écrit le plus connu, lui apporte enfin une vraie gloire. En apparaissant partout, le corbeau est sujet à une sorte de marchandising. Actuellement, on en aurait fait des t-shirts et des figurines. D’ailleurs, de nos jours, l’on trouve des t-shirt imprimés qui rappellent ce poème. Mais déjà, à l’époque, à New-York, tout est corvusé. Même la silhouette de l’auteur se voit transformée en corbeau, ce qui en rajoute à sa sulfureuse réputation.

Certes, la vie de Poe a été marquée par l’alcoolisme, mais beaucoup moins que le mythe ne le prétend. Cette réputation d’ivrogne invétéré lui aurait été faite par ses détracteurs. L’on sait à présent, de source sûre, qu’il avait de longues périodes d’abstinence. L’étude de la calligraphie de ses manuscrits, prouve qu’il écrivait en étant sobre. En revanche, il souffrait probablement de maladies nerveuses et cérébrales induites par les traumas subis durant son enfance et au long de sa vie. Ce que l’on appellerait, aujourd’hui, des troubles de la personnalité. En effet, Poe a traversé des périodes de deuils effroyables et d’épuisants moments de pauvreté. A tel point qu’il se déplaçait couramment à pied, sur de longues distances, par exemple de Richmond à Washington -200 km- pour livrer ses textes. Souvent, sa tante Maria Clemm mendiait, entre autres, chez les éditeurs et directeurs de journaux pour que sa fille et son gendre puissent survivre.

Sa mort est entourée de mystère. A la fin de sa vie, il n’a que quarante ans. Ayant tout perdu, sans ressources, il descend de New-York vers le sud. Il s’arrête à Philadelphie. La ville est complètement ravagée par le choléra. Ce séjour s’avérera affreux pour lui. Finalement, le 27 septembre 1849, il prend le vapeur. On le retrouve le 3 octobre, à Baltimore, complètement hagard et dépenaillé. On l’interne dans le service des alcooliques de l’hôpital. Après avoir déliré durant plusieurs jours, il meurt le 7 octobre 1849.

La théorie la plus largement admise est qu’il aurait été victime de la corruption et de la violence qui sévissaient lors des élections. La ville était alors en pleine campagne électorale. Des agents des deux camps parcouraient les rues, d’un bureau de vote à l’autre, faisant boire aux naïfs un mélange d’alcool et de narcotiques afin de les traîner, abrutis par le détonant cocktail, au bureau de vote. Pour parfaire le stratagème, on changeait la tenue de la victime, qui pouvait également être battue. Edgar Poe, qui souffrait d’une maladie de cœur, n’aurait pas résisté à un tel traitement.

 

Sources :

– France Culture : La compagnie des oeuvres, avec Isabelle Viéville Degeorges et Marie Bonaparte.

– Nouvelles Histoires Extraordinaires, Edgar Allan Poe, préface de Tzevtan Todorv, notes de Charles Baudelaire, Éditions Folio Gallimard.

– Edgar Allan Poe, Isabelle Viéville Degeorges, Editions Léo Scheer.

– Wikipédia.

 

 

A lire ou à relire : « Le Démon » de l’écrivain Hubert Selby Jr.

Le Démon de Hubert Selby Jr : quand la réussite sociale ne suffit plus

L’auteur Hubert Selby Jr. sur la couverture du Démon.

A l’heure où, de plus en plus d’Américains, achètent des armes pour protéger leur famille des éventuels pillards mus par le Covid-19, j’ai ressorti une métaphore de la déliquescence des États-Unis. En ces moments d’incertitude, certaines personnes éprouvent le besoin de se plonger dans de douces littératures. D’autres, en revanche, en appellent à un violent exorcisme pour passer le cap. Dans ce cas, je ne peux que conseiller la lecture du Démon de Hubert Selby Jr. Si vous avez aimé American Psycho, écrit quinze ans plus tard par Breat Easton Ellis, et dont on dit qu’il s’est inspiré du Démon pour imaginer son roman, vous apprécierez la descente aux enfers de Harry White, jeune cadre new-yorkais à qui tout réussit. Le parfait symbole du rêve américain. Mais son démon intérieur le mènera à une autodestruction inéluctable.

Le Démon de Hubert Selby Jr. : résumé

Harry White est un homme qui a devant lui une brillante carrière de cadre. Il vit avec ses parents, travaille dans le centre de New-York et couche à tout va avec des femmes mariées. Il aime les séduire, les manipuler et s’en éloigner. Jusque là, rien d’extraordinaire. Il n’est ni le premier, ni le dernier, à se conduire en Don Juan. Mais dans sa tête quelque chose disjoncte. Une anxiété croissante, un désir de dépassement, une insatiabilité qui le dévore de l’intérieur. De plus, son supérieur lui intime quasiment l’ordre de se marier afin qu’il puisse avoir de l’avancement. Jouer le jeu de la « normalité » – femme, famille, jolie maison en banlieue – est une condition sine qua non pour monter dans l’échelle sociale. Il épouse donc la douce Linda avec laquelle il a deux beaux enfants et achète une jolie maison. Tout est apparemment idyllique mais, au plus profond de lui, Harry éprouve une angoissante insatisfaction. Pire, les états décrits par l’auteur, ressemblent davantage à ce que ressent un toxicomane en manque de drogue, plus qu’à une simple frustration. Tremblements, anxiété, sueurs, incapacité à travailler correctement. Son démon demande à être nourri. Il lui donne à manger, mais son Mal en redemande encore, et de plus en plus hard. Coucher avec des femmes, même avec des clochardes, ne suffira plus à Harry. Il lui faut commettre des vols mais, bientôt, sa dose d’adrénaline ne sera plus assez forte. Plusieurs fois, tel un alcoolique, il tentera l’abstinence. Mais, à chaque rechute, la sale bête qui le ronge exigera plus de soumission. Le démon qui lui bouffe la raison et l’énergie, finira par le conduire au meurtre.

Extraits d’après la traduction de Marc Gibot

Dès la première page, dès la première ligne, l’auteur nous inflige une claque :

« Ses amis l’appelaient Harry. Mais Harry n’encu.ait pas n’importe qui. Uniquement des femmes… des femmes mariées.

Avec elles, on avait moins d’emmerdements. Quand elles étaient avec Harry, elles savaient à quoi s’en tenir. Pas question d’aller dîner ou de prendre un verre. Pas question de baratin. Si c’est ce qu’elles attendaient elles se foutaient dedans ; et si elles commençaient à lui poser des questions sur sa vie, ou à faire des allusions à une liaison possible, il se barrait vite fait. Harry refusait toute attache, toute entrave, tout embêtement. Ce qu’il voulait, c’était bais.r quand il avait envie de bais.r, et se tirer ensuite, avec un sourire et un geste d’adieu.

Il trouvait que coucher avec une femme mariée était beaucoup plus jouissif. Pas parce qu’il bais..t les femmes d’un autre, ça Harry s’en foutait, mais parce qu’il devait prendre certaines précautions pour ne pas être découvert. Il ignorait toujours ce qui pouvait se produire, et son appréhension augmentait son excitation ».

Plus loin, au chapitre 4 :

« Ouais, il règne à New-York, l’été, une atmosphère de fête. Les salauds… Parlons-en de leur fête… avec le temps qu’il fait en ce moment. Ah, il est chouette le temps ! Si foutrement chaud et humide qu’on se croirait sous la douche, tellement on transpire. Et tous ces connards qui puent encore plus que des bêtes. Z’ont jamais entendu parler de savon, d’eau et de dentifrice. Bon Dieu, quelle puanteur ! Putains de vieux dégueulasses. On jurerait qu’ils se frottent les aisselles avec de l’ail et des oignons… et qu’ils mâchonnent des sous-vêtements douteux. »

Très mal reçu par la critique littéraire étasunienne lors de sa parution, Le Démon est l’œuvre de Hubert Selby Jr. que les francophones préfèrent.

Ci-dessous, découvrez Le Démon avec une création radiophonique de France Culture à écouter:

Biographie de Hubert Selby Jr.

Hubert Selby Jr. est né à Brooklyn, en 1928, dans une famille défavorisée. Peu scolarisé, à seize ans, il s’engage dans la marine marchande. Atteint de tuberculose, il démissionne pour être hospitalisé durant quatre ans, de 1946 à 1950. Durant son hospitalisation, il commence à lire compulsivement tout ce qui lui tombe entre les mains: les modes d’emploi des médicaments, des romans classiques ou contemporains, de la philosophie. L’idée qu’il pourrait lui aussi écrire commence peu à peu à germer en lui. La maladie, l’alcool, la drogue, les hôpitaux psychiatriques et même la prison font partie de sa vie jusqu’au jour où il achète une machine à écrire. En 1964, Last to Brooklyn paraît aux États-Unis et rencontre immédiatement du succès. Il publie ensuite d’autres romans – Retour à Brooklyn, La Geôle, Le Démon -, toujours salués par la critique. Après un silence de près de trente ans, il publie Le Saule  en 1999, et Waiting Period.

Hubert Selby Jr. est mort à Los Angeles le 26 avril 2004 à l’âge de 75 ans.

Vous pouvez aussi découvrir plus amplement sa vie, dans cette émission diffusée sur France Culture le 5 juin 2011.

Acheter des livres durant le confinement

Si vous souhaitez lire pendant votre confinement, renseignez-vous. Beaucoup de librairies, y compris des librairies indépendantes, livrent exceptionnellement à domicile, mais vous pouvez aussi commander chez les éditeurs et chez les auteurs parfois. Du moins chez les auteurs suisses.

Source

  • Le Démon, Hubert Selby Jr., Éditions 10-18

 

Patti Smith: amoureuse des poètes français du XIXe siècle

Passionnée par les Arts

Alliant poésie Beat et garage rock des années 1960 et 1970, l’on considère Patti Smith comme la « marraine » du mouvement punk. Toutefois, depuis son enfance, ses passions sont le dessin et la littérature, en particulier la poésie. Le poème qui suit est extrait du recueil Présages d’innocence.

 

Traduction de Jacques Darras.

 

Issue d’un quartier très pauvre du New-Jersey, rien ne destinait Patti Smith à devenir l’auteure-compositrice, interprète, poétesse, écrivaine, guitariste, chanteuse, humaniste… que l’on connaît, même si dès l’enfance elle sut qu’elle voulait faire de l’art.

Fille d’une serveuse et d’un ouvrier, Patti Smith – Patricia Lee Smith -, est née à Chicago en 1946, dans une famille extrêmement religieuse. A 18 ans, elle tombe enceinte : on la radie de l’Ecole Normale. Son projet de devenir institutrice prend fin. En 1967, elle part à New-York où elle rencontre le photographe Robert Mapplethorpe. Pendant la première partie des années 1970, Patti Smith se livre intensivement à la peinture et à l’écriture, se produit en tant qu’actrice au sein d’un groupe poétique.

Au cours des années suivantes, elle s’adonne à la musique, en conjuguant rock et performances poétiques. Les paroles de ses chansons font découvrir la poésie française du XIX siècle aux jeunes Américains. Conjointement, elle devient une icône de la scène underground new-yorkaise.

Durant les années 1980-90, parallèlement à ses créations musicales, elle poursuit son travail artistique, mêlant dessin, photographie et écriture.

En 2007, les éditions Christian Bourgeois publient, en bilingue, son premier recueil de poésie : Présages d’innocence.

La Fondation Cartier pour l’art contemporain accueille, en 2008, à Paris, une grande exposition de ses œuvres, intitulée “Land 250”, comprenant des pièces réalisées entre 1967 et 2007.

En 2010, elle publie Just Kids, qui relate son amitié avec Robert Mapplethorpe, qui recevra le National Book Award.

Version originale.

 

Sources:

Éditions Christian Bourgeois

Just Kids, Patti Smith, éditions Denoël

-Wikipédia