La Ligne Claire

La tête de l’emploi?

Dans le civil, La Ligne Claire exerce des emplois temporaires, si bien qu’elle est régulièrement à l’écoute du marché du travail. Dernièrement elle a postulé en ligne auprès d’une entreprise d’outre-mer qui, d’entrée de jeu affiche sa politique en matière de diversité et d’inclusion.

Loin de s’en tenir à cette déclaration de principe, cette entreprise demande à ses candidats de compléter le questionnaire suivant, certes de manière volontaire mais néanmoins recommandée, en vue de fournir l’employeur en données touchant à la diversité.

Driving Miss Daisy

Commençons par la civilité, où le candidat se voit offrir les choix suivants : Mr, Ms, Mrs, Miss, Mx et I choose not to self identify gender. La Ligne Claire est ravie d’y voir figurer Miss, une salutation que d’aucuns tiennent pour surannée et réservée à Florence Nightingale, ou Mary Poppins. Aux lecteurs peu coutumiers des mœurs anglaises, rappelons que Ms est désormais utilisé pour une femme, sans référence à son statut de jeune fille (Miss) ou de femme mariée (Mrs) ; ainsi The Economist parlera de Ms Merkel, bien qu’elle soit mariée tandis que ces jours-ci la Cour d’Angleterre fait part du mariage du prince Henry avec Ms Meghan Markle. Quant à la civilité Mx, dont La Ligne Claire découvre tardivement l’existence, elle se veut neutre quant au genre ; enfin, ceux qui ne se souhaitent pas faire connaître leur genre pourront faire recours à la vilaine phrase I choose not to self identify.

Quel genre ?

On passe ensuite à la seconde question, à nouveau traitant du genre (masculin ou féminin) et qui sur la carte d’identité de La Ligne Claire apparaît sous la rubrique sexe, une donnée biologique.

Parcours d’orientation

Vient ensuite l’orientation sexuelle où quatre choix sont proposés dans l’ordre alphabétique en anglais : bisexuel, homosexuel masculin, hétérosexuel et lesbienne. Remarquons que rien n’empêche le candidat de panacher les réponses quant à la civilité, le sexe et l’orientation sexuelle, aucune cohérence n’étant exigée.

Reddite Caesari

En quatrième lieu vient le choix de la religion, dont la Ligne Claire peine à voir la pertinence dans le cadre d’un formulaire d’embauche ; si les noms nous sont familiers, à nouveau par ordre alphabétique : bouddhiste, chrétienne, hindoue, juive et musulmane, on peut s’interroger quant aux absents, confucéens ou shintoistes par exemple, qui devront trouver refuge dans la catégorie autres.

Le genre humain

Suivent les questions touchant l’appartenance ethnique : blanc, asiatique ou asiatique britannique, chinois ou chinois anglais, africain ou africain anglais, etc. Certes il s’agit d’une déclaration volontaire dans le chef du candidat, qui l’oblige néanmoins de s’insérer au sein d’une catégorie pré-définie. La Ligne Claire est d’avis que le genre humain (au sens où le chante l’Internationale) est un, non susceptible d’être divisé en sous-catégories, nécessairement arbitraires. A cet égard rappelons que lors de la promulgation des lois raciales de Nuremberg et de leurs décrets d’application en 1935, les Nazis s’étaient heurté à cette difficulté ; la classification entre Juifs et Aryens s’était avérée plus complexe qu’anticipée et avait dû faire recours à une catégorie intermédiaire, les métissés (Mischlingen), eux-mêmes divisés en un premier et un second degré. Dans tous les cas, face à l’impossibilité de départager la population sur base de critères biologiques objectifs, le législateur nazi dut s’appuyer sur l’appartenance religieuse pour déterminer qui était juif et qui ne l‘était pas. (Quelques années plus tôt, Karl Lueger, maire de Vienne de 1897 à 1910, connu pour son antisémitisme, avait tranché la question en déclarant « C’est moi qui décide qui est juif »).

Tempus fugit

Revenons au questionnaire de cette entreprise, qui demande en dernier lieu au candidat de s’insérer dans une classe d’âge, par tranche de cinq ans. Si cette dernière information a le mérite de présenter un caractère objectif, il en est une autre qui frappe La Ligne Claire par son absence, à savoir l’état civil. L’état civil, tenus de nos jours par l’autorité publique, regroupe les éléments objectifs qui permettent l’identification d’une personne ; en sont exclus ceux qui s’appuient sur des sentiments (je me sens français alors que je suis belge) ou de type déclaratif (je déclare être le fils de B, alors que mon père est A).

Alors, que retenir de cette candidature en ligne ?

En premier lieu, la confusion autour du mot genre. Autrefois réservé aux grammairiens (en français, le moineau appartient au genre masculin et la mésange au féminin, quel que soit le sexe de l’oiseau), dans ce questionnaire, ce terme apparaît à trois reprises sous les rubriques civilité, genre (au sens de sexe biologique) et d’identité sexuelle (la signification moderne du mot genre), où se mélangent donc les conventions sociales, la réalité biologique et des choix qui relèvent de la vie privée.

En deuxième lieu, ce questionnaire se veut déclaratif et s’appuie sur des éléments susceptibles d’évoluer, comme l’appartenance religieuse ou les préférences sexuelles, dont La Ligne Claire estime qu’ils n’ont pas leur place dans le cadre d’une évaluation d’embauche.

Dura lex

Enfin, renseignement pris, en Suisse, de telles questions sont très clairement contraires à la loi.

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