Kharkov, ville martyre

Signature du Pacte germano-soviétique, Staline serrant la main de Joachim von Ribbentrop le 23 août 1939  [Bundesarchiv_Bild_183-H27337,_Moskau,_Stalin_und_Ribbentrop_im_Kreml]

 

Etrange comme l’histoire se répète de manière si précise.

Il y a 80 ans, au printemps 1942 plus exactement, les forces de l’Armée rouge sous le commandement du maréchal Selion Timochenko lançaient une offensive à Kharkov contre la 6e armée allemande, laquelle devait remporter la victoire avant d’être laminée à Stalingrad.

Une année plus tard, Kharkov était à nouveau le théâtre d’affrontements avec la contre-attaque allemande impliquant la première division SS Leibstandarte, conduite par l’Obersturmbannführer Fritz Witt, ainsi que la seconde division SS Das Reich, commandée alors par l’Oberführer SS Herbert-Ernst Vahl, et tristement célèbre pour le massacre d’Oradour-sur-Glane commis le 10 juin 1944. Kharkov devait ainsi changer de mains à quatre reprises au cours de la Seconde guerre mondiale jusqu’au 23 août 1943, lorsque les Allemands et les forces SS quittèrent définitivement la région après y avoir commis de nombreux crimes de guerre contre des civils considérés comme partisans, des militaires blessés et la communauté juive qui vit 15’000 de ses membres assassinés. Une ville martyre qui avait été fondée en 1654 et qui dans les années trente avait déjà vu des horreurs en grand nombre.

Panzer de la Division « Das Reich » dans Kharkov, mars 1943 [Archives fédérales allemandes, Bild 101 III-Zschaeckel-189-13]

Entre 1931 et 1933, la collectivisation des terres agricoles décrétée par Staline en 1929 et l’établissement de kolkhozes conçus pour augmenter l’augmentation de la production avait entraîné l’expropriation des paysans dont les réfractaires – notamment dans le Kouban et l’Ukraine, grenier à blé de l’Europe – avaient été arrêtés et déportés. Démultiplié par une série de récoltes médiocres et une violente répression ponctuée par un véritable blocus alimentaire de l’Ukraine suivi d’une épidémie de typhus, le nombre de victimes enregistrées au cours de ces années se monta à près de 5 millions de morts.

 

Soldats bolchéviques confisquant du grain à Novo Krasne, Ukraine, 1932 [Photo: history.org.ua]

Les historiens allaient appeler cet événement l’Holodomor, un véritable génocide réfuté par certains et dissimulé pendant des décennies, jusqu’à l’ouverture des archives soviétiques. Son souvenir hantait pourtant la mémoire collective ukrainienne. En 1973, Alexandre Soljenitsyne l’avait décrite, dans son livre L’Archipel du Goulag. 1918-1956, dans lequel il allait rappeler les cas de cannibalisme et toute la cruauté de ces années.

Et huit ans après ces morts par million, l’Ukraine était envahie par les troupes de l’Axe le 25 octobre 1941 dans le cadre de l’opération Barbarossa ! On ne peut qu’imaginer la cristallisation de tensions et de ressentiments issus de ces atrocités successives qui allaient bouillonner durant des années dans ce chaudron du diable.

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.