Des scies et des clous, 700 ans d’histoire

Sept cents ans d’histoire, une durée remarquable ! Rares sont les institutions, les familles, voire les pays qui peuvent se vanter de la même longévité. C’est pourtant dans le cours de sept siècles que la corporation des gens du bois de Genève, menuisiers et charpentiers, s’inscrit. La confrérie de « Sainct Blays et saincte Anne », puisque c’est son nom d’origine, apparaît dans les listes de 1487 et de 1529, vingt-neuvième dans l’ordre de la procession du Corps de Dieu qui dénombre quelques soixante confréries, militaires pour les unes, professionnelles pour les autres, toutes baignées par la religion.

1315, année de la bataille de Morgarten, un an après le bûcher à Paris de Jacques de Molay, dernier commandeur des Templiers, 177 ans avant Christophe Colomb, les charpentiers de Genève se querellent et finissent devant la cour de justice du Vidomne, l’officier du comte de Savoie qui n’était alors pas encore duc. Le dignitaire ordonnera de conserver perpétuellement à l’avenir lesdites bonnes coutumes sans aucune fraude. Nous dirions aujourd’hui les « best practice ». Et encore, si la première trace écrite de l’existence d’une « guilde » professionnelle des charpentiers apparaît en mai 1315, il est évident que celle-ci existe préalablement. C’est que le bois est l’un des matériaux utilisés par l’homme depuis des âges.

Cette histoire permet aujourd’hui de mesurer la récurrence des préoccupations d’un corps de métier, qui se répètent encore et toujours. Concurrence, qualité du travail accompli, litige, provenance des matériaux, les mêmes soucis qui apparaissent de nos jours dans la plupart des règlements professionnels seront listés dans l’ordonnance du 13 mai 1635.

Cette corporation, à l’instar de ses sœurs, occupait une place considérable dans la cité de Genève, formant une arborescence appartenant au noyau dur de la société civile, endossant selon les époques et en marge de l’église un rôle social et moral, attentif aux équilibres et garantissant par là-même une forme de paix sociale.

Voilà en quelques lignes les débuts d’une histoire qui se prolonge jusqu’à nos jours, celle de gens de métier qui ont traversé le temps, entre prospérité et crises, et qui ont su transmettre et augmenter l’héritage d’une connaissance pluriséculaire. Une histoire que mon dernier ouvrage tente de retracer.

Bonne lecture pour les amateurs ! 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.