La procession quotidienne des Romands

L’une des premières routes dont on conserve la trace, fut bâtie en 312 avant notre ère par Appius Claudius Caecus, entre Rome et Capoue, la célèbre via Appia le long de laquelle 241 ans plus tard 6’000 rebelles de Spartacus devaient être crucifiés. À la fin de la République romaine, l’ensemble de l’Italie était parcouru de grands axes permettant aux légions, aux marchands et aux voyageurs de se déplacer plus vite.

Un effort considérable de construire une route, en hommes, en matériel, en temps et en moyens financiers ! Un effort toutefois jugé nécessaire puisque permettant d’assurer le déplacement des gens et des marchandises, voire des informations, une activité inhérente à toute société humaine.

Le réseau routier, s’il ne fut de loin pas la priorité durant les siècles qui succédèrent à l’Empire romain, allait se développer à nouveau dès le XVIIe siècle, prenant un essor considérable au XIXe siècle. Avec les progrès technologiques, un nouveau mode de transport allait s’adjoindre à la capillarité des routes empruntées par les diligences et les fiacres.., le train !

L’Orient-Express devait ainsi voir le jour, reliant Paris, Vienne, Venise et Istanbul, alors que le Transsibérien allait relier Moscou à Vladivostok sur quelques 9'288 kilomètres à la fin du siècle, faisant disparaître au passage – mais de cela l’histoire n’en n’a retenu que de très faibles échos – des communautés humaines restées à un âge très archaïque ! Une aventure ressemblant à celle de l’Union Pacific mais dont les proportions ne sont guère comparables puisque le réseau ferré reliant la Nouvelle Angleterre à la côte Pacifique ne représente que le tiers du chemin de fer des Tsars.

À l'impossible nul n'est tenu. C’est du moins ce qu’il faut retenir pour notre petit coin de Suisse !

Le 12 octobre 1874, le Grand Conseil genevois allait demander au Conseil d’État de mener une étude portant sur la création d’un chemin de fer reliant Cornavin, Carouge, les Eaux-Vives, Chêne et Annemasse.

141 ans plus tard, le projet est en cours ! Car nous voilà, en 2015, avec des villes, Lausanne, Zurich ou Genève, puisque c’est d’elle dont il est question, de plus en plus souvent bloquées par de petits grains de sable paralysant des kilomètres de tronçons. Le cortège peu solennel et pourtant ataraxique entre nos cités qui, tous les matins ou à l’heure du Titien, rituel laïc de notre société ubiquitaire vouée aux caprices des principes de l’offre et de la demande, devient peu à peu une procession égyptienne figée attendant que les eaux de la Mer rouge s’écartent.

Peut-être pourrons-nous un jour à nouveau adhérer au principe originel de la raison d’être des voies de communication.., communiquer  ? 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.