Brèves de psys

Extrait de séance – arrêter l’antidépresseur pour aller mieux

Extrait de séance

Johann prenait des antidépresseurs depuis l’apparition de ses premières idées suicidaires, un traitement ordonné par un psychiatre des années plus tôt. Quand je l’ai vu la première fois, il avait comme une attitude d’équanimité artificielle. On parle parfois des antidépresseurs comme de stabilisateurs d’humeur, en d’autres termes des médicaments qui font qu’on ressent moins nos émotions. Toutes les émotions : celles que l’on ne souhaite pas ressentir (l’effet médicamenteux désiré) et aussi celles que l’on souhaite ressentir (l’effet secondaire du médicament[1]). Bref, il était d’humeur égale.

Après quelques années, alors qu’il montre des signes stables et durables de motivation, de curiosité et d’entrain, il y a un tournant dans le suivi :

 

Johann :

J’ai envie d’arrêter mon antidépresseur, qu’en pensez-vous ?

 

Question très délicate.

L’homme a envie de lui répondre qu’il est heureux pour lui et que c’est un bon investissement pour un épanouissement futur. Qu’il n’est pas à l’aise avec la généralisation du concept de maladie mentale et que l’utilisation des médicaments devrait se limiter aux maladies ; qu’il n’est pas certain que la dépression est une maladie et donc qu’il croit que l’antidépresseur n’est pas forcément une solution à la dépression mais plutôt une béquille pour déstygmatiser, prendre du recul et à l’aide d’un travail conséquent s’en sortir en mobilisant ses ressources personnelles. Cette partie de moi ressent de la joie et de l’enthousiasme.

Le psy a une autre réponse. Il a conscience de l’ampleur de l’enjeu et de sa responsabilité, et certainement qu’il a un peu peur puisqu’il sent une certaine intensité et une haute vigilance dans le moment. Johann attend l’avis du psy, il lui donne beaucoup d’importance. Après lui avoir renvoyé sa question, je lui dis :

 

Moi :

Mon impression, c’est que vous allez mieux de manière stable depuis quelques mois, c’est donc peut-être un bon moment pour considérer la question. En avez-vous parlé à votre médecin ?

 

Quelques mois après un arrêt très progressif, Johann est surpris de ressentir à nouveau des émotions intenses. Il pleure, il a de la joie, il ressent aussi du stress et des tensions. Ce dernier point réveille des craintes, car il sait que dans son histoire le stress et le surmenage ont été déclencheurs de dépressions et d’idées suicidaires.

 

Moi :

Est-ce que c’est le stress qui est nouveau, ou le fait de le ressentir ?

 

Le fait d’être réceptif à ses sensations corporelles était anxiogène car Johann avait l’impression que ce stress, menaçant, était nouveau. En réalité le stress était non pas créé mais bien révélé par l’arrêt de l’antidépresseur. Cette nouvelle expérience de ressentir son stress lui permettait aussi de poser des limites et respecter ses besoins physiques, donc éviter un état de surmenage et par ricochet aussi prévenir ses états dépressifs et suicidaires.

 

Moi :

Donc si je comprends bien, l’arrêt de l’antidépresseur amène un mieux-être

Johann :

Oui c’est vrai, je me sens plus vivant

 

Voici un extrait d’un mail que Johann m’a envoyé peu après cette séance :

Je me sens beaucoup plus proche de mon corps et de mes émotions depuis quelques semaines, pas toujours pour le plus agréable mais je préfère ça. Ces deux dernières années – je n’en étais pas vraiment conscient même si je sentais comme un corps étranger à l’intérieur – c’est comme s’il y avait un obstacle entre mon corps et mon ressenti, mes émotions, je dirais même plus qu’un obstacle, un mur. Même sur le plan physique je ne me sentais jamais vraiment mal mais jamais vraiment bien non plus.

 

Je vous ai partagé une histoire qui se termine bien, mais je vous prie de ne pas en faire un cas d’école. D’après mon expérience, même s’il n’est ni une panacée ni même la plupart du temps une bonne solution quand il est pris sans s’intéresser aux causes de la souffrance ni surtout aux moyens de les dépasser, l’antidépresseur est un médicament qui permet parfois d’éviter le pire. Il peut sauver des vies. Comme tout médicament psychiatrique il altère le comportement (c’est ça qu’on recherche) et donc crée un déséquilibre de l’humeur. Ce déséquilibre annule celui déjà existant de l’humeur dépressive en faisant illusion d’un nouvel équilibre (vous vous souvenez peut-être de vos cours de maths : – x – = +). S’il est encore là l’arrêt de l’antidépresseur révèle le déséquilibre de l’humeur originel, qui doit alors être rééquilibré. Plus le médicament est pris sur la durée, plus ce déséquilibre s’impose comme une nouvelle normalité et plus le retour au naturel peut être surprenant et difficile.

 

 

 

[1] L’effet secondaire est un effet, au même titre que l’effet pour lequel on prend le médicament. On pourrait imaginer un scénario où un·e médecin dirait à l’anorexique : « Je vous prescris un antidépresseur, vous allez voir vous allez prendre du poids. Par contre attention aux effets secondaires, vous risquez de moins ressentir vos émotions ».

 

 

 

Extrait de séance est une série d’articles qui propose un aperçu de ce que peut être la réalité de notre travail de psy, en mettant en lumière des instants particuliers. NB : Pour respecter le secret médical certaines informations sont modifiées.

 

Credit photo: Madison Mc
(Elle a fait ce montage suite à une proposition que lui a fait son thérapeute d’illustrer son expérience des séances).

 

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