Brèves de psys

La psychothérapie est-elle réservée aux riches ?

La psychothérapie est-elle réservée aux riches?

A la fin de l’heure la psychiatre m’informe qu’elle facture une demi-heure de plus la première séance pour « l’établissement du dossier ». Bigre, je venais de payer mon heure de psychothérapie l’équivalent de deux jours de salaire de ma femme de ménage. Même si je connaissais cette pratique car un de mes premiers collègues psychiatre m’avait encouragé à l’adopter, j’étais secoué.

 

Pauvre mais riche

Il y a aussi d’autres pratiques : un de mes formateurs adaptait ses honoraires au salaire de ses clients. Ça m’avait touché. Quelques années plus tard je mettais en place le don solidaire, un système qui permet à des clients de contribuer à un fond. Je double leur contribution et en gratifie ponctuellement des clients qui j’estime s’engagent dans la thérapie avec des moyens financiers très limités à condition qu’ils me remettent un mot de gratitude pour chaque personne donatrice.

Mais le don du cœur n’a pas besoin d’un cadre. Lorsque j’annonçais à Paul ma démission du cabinet de psychiatrie, il m’a répondu vouloir me suivre en cabinet privé et ne pas en avoir les moyens.

Moi :

Combien vous coûte une séance, actuellement ?[1]

Paul :

14CHF l’heure

Moi :

Alors je vous propose de me régler 14CHF l’heure

Il n’a pas accepté et a mis plusieurs semaines à trouver un compromis qui lui était satisfaisant. Il m’a suivi encore quelques années à 50CHF la séance, et nous étions tous les deux remplis de gratitude.

 

Pauvre riche

Il y a quelques années une des automobiles les plus prestigieuses au monde se gare devant le cabinet. Un homme en sort en deuxième, pas du côté du conducteur. Après avoir été escorté puis annoncé au secrétariat je l’accueille dans mon bureau.

Moi :

Qu’est-ce qui vous amène ici ?

L’homme :

Je ne sais pas, ma femme m’a dit que ce serait bien que je vienne

Au bout de vingt minutes :

L’homme :

Vous me posez de bonnes questions, il faut que j’y réfléchisse. Ma secrétaire va vous recontacter

Il se lève, me remercie et part. Je ne l’ai plus jamais revu. Quelques minutes plus tard le psychiatre rentre dans mon bureau et s’assied, suivi de quelques collègues qui étaient libres, intéressés de savoir ce qu’il s’était passé durant cette rencontre hors du commun. (Maintenant que je vous l’ai dit, gardez-le pour vous svp.)

 

Et les psys…

La société dans laquelle je vis a établi qu’il faut de l’argent pour suivre une psychothérapie. Une partie de moi le comprend et le soutient car les études sont longues et chères (j’ai fait le choix de m’endetter pour suivre ces études mais j’aurais aussi pu m’acheter cette fameuse voiture[2]) ; une autre partie de moi trouve éthiquement violent et incohérent de considérer l’argent comme une condition à la prise en charge de l’humain.

Ces parties-là, probablement que la personne en face de moi les sent exister. Et je crois profondément que mon attitude a une grande influence sur la thérapie. La sensation que je suis davantage intéressé par l’argent que par elle nuira à la relation thérapeutique. La sensation que mon engagement à l’accompagner est authentique la renforcera.

Allez je file, j’ai rdv chez ma psy et je dois passer à la banque avant.

 

 

 

[1] En Suisse en 2019, le montant des honoraires versés à un médecin ou à un psychologue travaillant en psychothérapie déléguée est fonction de la franchise qu’a l’assuré·e, le reste étant à charge de l’assurance

[2] …et payer le chauffeur avec l’argent de la formation continue !

 

Crédit photos : Titre : Song Nhi / Le Chat : Philippe Gelück

 

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