Cette nuit se jouera le 6e match de la finale NBA, opposant les surprenants Miami Heat aux favoris, les Lakers de Los Angeles emmenés par LeBron James. Ce dernier mène 3-2 et est à une victoire du sacre. Entre le 11 mars et les derniers matchs d’une finale NBA palpitante, la ligue a mis sur pieds une expérience épidémiologique unique et osée: la “bulle” d’Orlando, connue sous le doux nom de “the NBA bubble”.
UN GENTIL GÉANT
Rudy Gobert mesure 2m16. Le français, portant les couleurs du Utah Jazz, fait office d’empêcheur de de tirer en rond sous les paniers de la ligue professionnelle américaine de basketball, la NBA. En 2018 et 2019, il reçoit le convoité titre de meilleur défenseur de ligue la plus compétitive au monde.
Le 11 mars 2020, il n’aura pourtant pas réussi à contrer le coronavirus. Testé positif, il sera le “joueur zéro” de la NBA, et la ligue suspend tous les matchs dans les heures qui suivent. Lors de la conférence de presse, Gobert s’essaie au comique en posant ses mains volontairement sur toutes les surfaces et son microphone avant de quitter la salle. La ligue touche le fond.
Le monde du sport professionnel a été mis à terre par la pandémie. L’annulation de toutes les compétitions, puis l’interdiction de spectateurs a réduit drastiquement les revenus tandis que les charges restent. Sans parler des sponsors, eux aussi touchés par la crise. La nouvelle donne force les ligues professionnelles a trouver rapidement de nouvelles solutions, et aucune n’aura été plus innovante et adaptée que celle de la NBA.
UNE EXPÉRIENCE ÉPIDÉMIOLOGICO-SPORTIVE UNIQUE
La pratique du basket est impossible en appliquant la distanciation sociale, ce n’est pas le tennis, après tout. Comprenant bien la situation pandémique et ses exigences, la NBA a mis en place une task force extraordinaire, sous la direction du Dr Leroy Sims, avec qui j’ai partagé ma formation en médecine du sport à Stanford. Faisant appel aux meilleurs spécialistes en matière de contrôle d’épidémie, tout en intégrant une technologie de pointe (outils connectés et e-santé). Voici comment ils ont fait:
- Un site unique
C’est à Orlando (Floride) dans l’enceinte du ESPN Wide World of Sports (faisant partie du Walt Disney World Resort) que le NBA Restart a été organisé en juillet. Il s’agissait de créer une bulle quasiment hermétique, pour tenter de stopper la pénétration du coronavirus, alors que les chiffres d’infection flambaient en Floride. Sous le nom de code “A whole new game” (une toute nouvelle donne), 22 équipes sont arrivées dès le 7 juillet. Au préalable, les joueurs avaient repris des entraînements individuels dans leurs villes respectives, et avaient été testés négatifs. En arrivant à Orlando, un isolement strict a été appliqué jusqu’à l’obtention de 2 tests négatifs consécutifs, avant de permettre le début des entraînements en équipe. Les matchs ont repris le 30 juillet, puis le 17 août les play-offs avec 16 équipes ont débuté. - Un monitoring complet de la santé
A l’arrivée, chaque personne dans la bulle a reçu un thermomètre, un appareil de mesure de la saturation en oxygène, et une application récoltant les données d’un questionnaire de santé quotidiennement. Tous les jours, des frottis à la recherche de coronavirus sont effectués. - Des accès strictement organisés contrôlés
La circulation entre les hôtels et les terrains (entrainement ou match) est séparée des accès pour le personnel de nettoyage et de logistique. Les officiels ne devant pas être au bord du terrain n’ont accès qu’à l’étage supérieur des stades. Bref, tout est fait pour limiter les contacts évitables. - Le Magic Band de Disney comme sésame-santé
Chacun est équipé du Magic Band (habituellement utilisé pour les accès aux attractions) dont l’usage a été détourné: l’application “santé” agrège tous les résultats quotidiennement, et envoie une validation au Magic band. En cas de résultat douteux (un symptôme rapporté, une température trop élevée…), l’accès aux points d’entrée uniques est refusé et un la personne est contrôlée, puis isolée en cas de doute confirmé.
Un tel dispositif représente bien sûr une organisation colossale, tant en termes de planification que de d’implémentation, sans oublier bien évidemment les énormes coûts de fonctionnement (18 millions de $ investis). Mais il faut croire que les revenus de la NBA méritent ce genre d’investissement.
UN ENGAGEMENT POLITIQUE
Au-delà de la reprise sportive pure, les joueurs (dont près de 80% sont d’origine afro-américaine) ont souhaité assumer un rôle politique dans le contexte racial extrêmement tendu des Etats-Unis — meurtre de George Floyd par un policier blanc. Le résultat apparaît premièrement en grand sur le terrain, avec le slogan “Black Lives Matter” peint sur le parquet. Deuxièmement, les joueurs peuvent choisir un mot ou slogan en lien avec le message de justice sociale qu’il souhaitent porter sur leur maillot, à l’endroit habituellement réservé à leur nom.
Un engagement politique qui ne laissera pas Donald Trump indifférent, lui qui considère ce type de message comme un encouragement à la haine. Un engagement qui vient aussi troubler la fête sportive, lorsque, le 26 août, l’équipe des Milwaukee Bucks refuse de prendre part à un match de playoffs, en protestation à un nouvel épisode de violence policière dans leur état du Wisconsin (tirs à bout portant sur Jacob Blake). L’action des Bucks déclenche un effet boule de neige avec de nombreux athlètes prenant position eux aussi pour dénoncer l’injustice sociale. L’incertitude sera levée après 48 heures de pause, lorsque l’association des joueurs décide de reprendre le jeu et continuer à utiliser leur médiatisation pour encourager au changement, notamment par une campagne encourageant tout le monde à voter lors de présidentielles de novembre.
ET CETTE BULLE, ELLE MARCHE?
Depuis l’arrivée des équipes à Orlando il y a 4 mois, aucun joueur n’a été testé positif. Aucun match n’a été remis en question par la pandémie. Le spectacle sportif a été assuré au-delà des espérances. La ligue a créé même un système de public virtuel dans les salles: sur des écrans LED géants, sont projetés les spectateurs connectés depuis leur domicile. On a ainsi pu y voir de nombreuses célébrités, dont Barack Obama.
Dès le 31 août (8 équipes restantes), les familles et les proches des joueurs ont été admis dans la bulle (avec les mêmes protocoles de sécurité COVID-19). La longue durée de l’absence de liens sociaux/familiaux entraîne un risque pour la santé mentale des athlètes (voir la dépression de Paul George, une des stars des Los Angeles Clippers, éliminés prématurément), et cette ouverture a été salutaire probablement dans de nombreux cas.
Il reste 1 ou 2 matchs avant de couronner un champion NBA 2020. L’expérience de la NBA Bubble est un succès sans précédent. Elle fera probablement des petits, car il est certain que d’autres organisations sportives, dont le CIO et la ville de Tokyo, l’auront observée avec le plus grand intérêt. Elle est un exemple impressionnant d’analyse, de planification et de mise à disposition des moyens nécessaires pour aller vers ses objectifs. Certes, il s’agit du business du sport, et c’est la volonté de la préservation des revenus de personnes privilégiées qui est à la base des efforts réalisés. Cela ouvre d’autres questions, dont on ne devrait pas faire l’économie.
Pour ma part, ancien basketteur et fan de basket que je suis, je n’ai que deux mots en conclusion:
Merci Leroy 😉