Exit, sortir de la souffrance

Ce sujet pourrait paraître d’emblée peu en adéquation avec l’ambiance festive de cette période de fin d’année, et pourtant. Une année se termine, c’est la fin d’une chose et le commencement d’une autre. Comme la mort, peut-être.

Une amie chère à ma mère a fait le choix de mourir un mardi après-midi à 14h, il y a moins de deux semaines. Avec l’aide d’Exit et ses proches à ses côtés. Pour se libérer de la souffrance du cancer, pour ne pas subir la déchéance qui l’attendait, inévitablement, cruellement.

Je pense à sa douleur et à celle de ceux qui restent. Est-ce plus difficile de faire le deuil d’une mort qui était planifiée ? Comment peut-on être prêt à faire soi-même le geste qui entraînera notre propre mort ? Être prêt à quitter le monde alors que le mal n’est pas encore à son apogée ?

Exit, c’est aussi choisir, reprendre le contrôle d’un corps et d’une destinée qui désormais nous échappent.

Mais Exit, c’est aussi choisir, reprendre le contrôle d’un corps et d’une destinée qui désormais nous échappent. C’est pouvoir prendre une décision dans le chaos, s’accrocher à une branche pour éviter d’être emporté par la tornade.

Personne ne choisit la maladie, la souffrance, la perte d’autonomie. Ça vous tombe dessus et ça balaie vos projets d’avenir. La maladie emporte toute perspective, tout repos, toute tranquillité. Vos proches sont condamnés avec vous, d’une certaine manière. Impuissants, peut-être en colère contre l’injustice de ce drame qui frappe au hasard.

Alors oui, Exit, c’est choisir de mourir dans la dignité à défaut d’avoir pu continuer à vivre.

 

 

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La mort, cet obscur objet d’effroi

J’ai eu de la peine à trouver de l’inspiration pour ce nouvel article, c’est vrai. Différents événements récents m’ont fait penser à la mort plus que de coutume et c’est pour cette raison que j’ai eu envie d’y dédier un article.

La mort est omniprésente et pourtant invisible. Nous y avons tous et toutes été confronté-e-s de façon indirecte un jour ou l’autre, et pourtant, elle reste un objet majeur de mystère et de conjectures en tous genres. L’être humain a, de tout temps, inventé des stratagèmes lui permettant de se rassurer face à la mort, d’y trouver du sens, d’accepter des souffrances terribles. La religion et l’Eglise avec la promesse du paradis notamment, mais aussi, et de façon peut-être moins avouable, la recherche de célébrité et de gloire qui permettraient de se démarquer, de laisser une trace de soi loin de l’anonymat du commun des mortels. De façon plus sobre, laisser une partie de soi à travers l’art produit de son vivant.

Les expériences de mort imminente, très nombreuses et dont les témoignages foisonnent, permettent aussi de se rassurer en partie sur le fait que la mort soit n’existerait pas, soit serait source d’un sentiment de bonheur et de paix infini.

Nous ne sommes pas tous et toutes effrayé-e-s par la mort, et ceux et celles qui le sont ne le sont pas tous et toutes pour les mêmes raisons: peur d’être immobilisé, enterré, incinéré, peur de disparaître physiquement, peur de ne plus pouvoir penser, peur de ne plus être conscient, peur d’être séparé de ses proches, peur de souffrir,… la mort a de quoi terrifier. Et la société occidentale a tendance à la garder à distance, tant au plan physique/matériel (les cimetières sont souvent en lisière des villages/villes) qu’au plan abstrait/symbolique (ne pas y penser, tenter d’allonger encore et encore l’espérance de vie, investir dans des technologies médicales capables de repousser l’arrivée de la mort, etc.).

Les troubles psychiques pourraient être l’exacerbation de cette tentative de faire face à la mort

Après réflexion, il m’est venu à l’esprit que l’être humain a différentes façons de faire face à cet effroi et que les troubles psychiques (avec toutes les limites que cette définition comprend), pourraient être l’exacerbation de cette tentative d’y faire face. Il s’agit bien sûr d’une théorie qui a ses limites et qui ne prend pas en compte les aspects neurobiologiques de la psychopathologie.

Prenons par exemple les états dépressifs. Une personne souffrant de dépression semble s’être résignée face à la vie. Son élan vital s’est amoindri, voire a disparu. Les pulsions de vie, auparavant nommées pulsions d’autoconservation (sexualité, appétit) diminuent voire disparaissent elles aussi. Tout ce qui semble maintenir le sujet en vie est, dans les cas sévères, mis à mal. On pourrait postuler qu’il s’agit d’une façon “contrôlée” – inconsciemment évidemment – d’appréhender ou d’approcher la mort. Ce postulat vaudrait aussi pour l’anorexie mentale et, dans une certaine mesure, pour les tentatives de suicide. En d’autres termes: “”décider”” de s’administrer la mort ou de s’en approcher plutôt que de la subir sans le moindre contrôle. Dans le cas de la psychose, de nombreux patients présentent des délires psychotiques dans lesquels ils disent être immortels ou vivre depuis plusieurs siècles. Certains se disent déjà morts. Dans les états maniaques, ce serait là aussi un déni de la mortalité qui serait à l’œuvre à travers la conviction d’être capable de tout faire, sans limites (croire qu’on peut voler par exemple ou qu’on est assuré de gagner des millions en jouant une seule fois au Loto, etc.).

La finitude se loge en toute chose

Mais la figure de la mort apparaît aussi dans les diverses finitudes qui jalonnent notre existence: la fin des différentes périodes de vie (enfance, adolescence, vie active), la fin d’un projet, le fait de quitter un poste de travail, la fin d’une relation. C’est accepter le fait qu’on ne revivra plus jamais ce qui a été vécu. Chaque seconde passée depuis le début de la rédaction ou de la lecture de cet article est une seconde qu’on ne revivra pas. Accepter la mort, c’est faire le deuil d’un éternel et d’un réversible. De ce constat peuvent émerger deux positions aux antipodes l’une de l’autre : accorder une haute importance à absolument tout (attitude obsessionnelle, perfectionnisme, procrastination), ou relativiser absolument tout (se suffire du minimum, ne pas se projeter dans l’avenir, vivre au jour le jour). La plupart des gens se situent entre ces deux extrêmes.

Peut-être oserais-je donc dire que la perspective d’une fin nous guide dès les prémices ?

Et pour vous ? En quoi la conscience de notre finitude influence-t-elle notre mode de vie voire nos pathologies ?

La liberté: à quel prix ?

Ces dernières semaines, j’ai lu Thérapie existentielle d’Irvin Yalom [1] et j’ai trouvé ce livre d’une grande richesse. Yalom postule qu’il existe quatre « enjeux ultimes » de l’existence pour chaque être humain : la mort, la liberté, l’isolement fondamental et l’absence de sens. Il est surprenant de constater que cet ouvrage, publié en 1980, résonne avec tant de force dans le contexte actuel de crise sanitaire et de semi-confinement que nous vivons. J’avais envie de partager avec vous différents liens que l’on peut faire entre ces enjeux existentiels et notre quotidien actuel. 

Le COVID-19 nous confronte de façon plus ou moins directe à notre mortalité. Outre la peur d’être contaminé par le virus et celle d’en mourir, certains d’entre nous expérimentent « ce que Heidegger qualifiait « d’étrangeté », cette expérience de ne « pas être chez soi dans le monde » ». En effet, nous avons tous été contraints à changer drastiquement de mode de vie. Les rues se sont vidées, les contacts sociaux se sont faits de plus en plus rares, la rencontre avec les autres s’est teintée de méfiance et a perdu de sa spontanéité. Dans ce contexte, on peut ne plus reconnaître le monde tel qu’on le connaissait la veille. Ce que l’on considérait comme étant permanent ne l’est soudain plus, et cela vaut aussi pour notre propre existence : si tout a changé soudainement, si tout peut s’arrêter, pourquoi pas aussi ma propre existence ? Ce saut dans l’inconnu donne le vertige.

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« Nous sommes des êtres finis ; le monde continuera sans nous ; nous ne sommes qu’un parmi d’autres, ni plus ni moins »

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Comme l’écrit Irvin Yalom, « à un niveau profond, chacun est persuadé de sa propre invulnérabilité et de son impérissabilité ». Pourquoi ? Pour différentes raisons qu’il serait trop long d’expliquer ici, mais retenons que le fait de se confronter à l’idée de sa propre mort implique d’autres prises de conscience tout aussi pénibles à affronter (« nous sommes des êtres finis ; le monde continuera sans nous ; nous ne sommes qu’un parmi d’autres, ni plus ni moins ; l’univers ne nous reconnaît pas de particularité ; certaines dimensions immuables de l’existence sont au-delà de notre influence »). Face à ces cruelles vérités, le déni est souvent un ami secourable… qui est ébranlé en temps de crise.

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« La liberté peut être vertigineuse et, pour certains, le semi-confinement et la restriction des libertés personnelles a pu être vécu comme un soulagement »

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Dans le même ordre d’idée, la liberté peut faire peur car elle implique une responsabilité personnelle : « S’il n’existe pas de règles, pas de grands desseins, rien que nous devions faire, nous sommes alors libres de nos choix ». En ce sens, la liberté peut être vertigineuse et, pour certains, le semi-confinement et la restriction des libertés personnelles a pu être vécu comme un soulagement : on prend les décisions à ma place, on me délivre de toute responsabilité de choix et d’action. Cette restriction de ma liberté me rappelle aussi que je ne suis pas seul : des individus, un État veillent sur moi.

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Car la solitude est parfois pesante. L’isolement que certains vivent actuellement, contraints de rester chez eux (parfois seuls) et de ne fréquenter personne, réveille parfois l’angoisse d’un isolement plus fondamental : l’être humain vient au monde seul et le quitte en étant tout aussi seul. Heidegger qualifie d’ailleurs la naissance « ‘d’être-jeté’ dans le monde ». Le constat, cruel, est que pour pouvoir bénéficier de la liberté, nous devons nous séparer, nous individuer et donc, in fine, nous confronter à l’isolement fondamental. Pas de liberté sans responsabilité, pas de liberté sans individuation. Mais l’individuation renvoie à la solitude et à l’isolement et, comme l’écrit Yalom, « il n’existe aucune solution à l’isolement : [c’est] une composante de l’existence humaine ; nous devons nous y confronter et trouver un moyen de l’assumer ». C’est, semble-t-il, l’unique façon d’être en lien avec l’autre de manière authentique.

« « L’ennemi » n’est pas seulement invisible : il n’est pas doté d’intentions. Il s’agit donc d’un « être » auquel on ne peut rien reprocher et que l’on ne peut pas non plus raisonner ! »

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Enfin, dans la crise sanitaire que nous traversons, « l’ennemi » n’est pas seulement invisible : il n’est pas doté d’intentions. Il s’agit donc d’un « être » auquel on ne peut rien reprocher et que l’on ne peut pas non plus raisonner ! C’est très frustrant et cela peut accentuer un vécu d’impuissance. Dans les événements causés par des êtres humains (guerres, attentats, conflits,…), il existe un sens à ce qui se passe, du moins peut-on en trouver un, qu’il s’avère exact ou non. Face au virus, rien de tel : on ne sera pas épargné parce qu’on est riche/célèbre/jeune/chef d’état/… l’émergence d’un tel fléau est souvent aléatoire, digne du hasard ou de la malchance. Cela peut nous renvoyer à la question plus fondamentale du sens de notre existence. Camus parlait de « tension entre l’aspiration humaine et l’indifférence du monde, [qui] définit ce [qu’il] dénommait ‘l’absurde’ de la condition humain ». Il n’y a pas de sens donné à l’existence : je me dois d’en trouver un, à défaut de quoi je risque de sombrer dans le désespoir et/ou la folie.

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Considérant ces différents enjeux, il n’est pas difficile d’imaginer que la crise du coronavirus peut potentiellement affecter grandement la santé mentale de la population mondiale.

Et vous, comment gérez-vous ces enjeux de l’existence ? Comment donnez-vous sens à votre vie ?


[1] Yalom, I. (2017). Thérapie existentielle (traduit par L. Richard). Le livre de Poche.