Ces dernières semaines, j’ai lu Thérapie existentielle d’Irvin Yalom [1] et j’ai trouvé ce livre d’une grande richesse. Yalom postule qu’il existe quatre « enjeux ultimes » de l’existence pour chaque être humain : la mort, la liberté, l’isolement fondamental et l’absence de sens. Il est surprenant de constater que cet ouvrage, publié en 1980, résonne avec tant de force dans le contexte actuel de crise sanitaire et de semi-confinement que nous vivons. J’avais envie de partager avec vous différents liens que l’on peut faire entre ces enjeux existentiels et notre quotidien actuel.
Le COVID-19 nous confronte de façon plus ou moins directe à notre mortalité. Outre la peur d’être contaminé par le virus et celle d’en mourir, certains d’entre nous expérimentent « ce que Heidegger qualifiait « d’étrangeté », cette expérience de ne « pas être chez soi dans le monde » ». En effet, nous avons tous été contraints à changer drastiquement de mode de vie. Les rues se sont vidées, les contacts sociaux se sont faits de plus en plus rares, la rencontre avec les autres s’est teintée de méfiance et a perdu de sa spontanéité. Dans ce contexte, on peut ne plus reconnaître le monde tel qu’on le connaissait la veille. Ce que l’on considérait comme étant permanent ne l’est soudain plus, et cela vaut aussi pour notre propre existence : si tout a changé soudainement, si tout peut s’arrêter, pourquoi pas aussi ma propre existence ? Ce saut dans l’inconnu donne le vertige.
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« Nous sommes des êtres finis ; le monde continuera sans nous ; nous ne sommes qu’un parmi d’autres, ni plus ni moins »
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Comme l’écrit Irvin Yalom, « à un niveau profond, chacun est persuadé de sa propre invulnérabilité et de son impérissabilité ». Pourquoi ? Pour différentes raisons qu’il serait trop long d’expliquer ici, mais retenons que le fait de se confronter à l’idée de sa propre mort implique d’autres prises de conscience tout aussi pénibles à affronter (« nous sommes des êtres finis ; le monde continuera sans nous ; nous ne sommes qu’un parmi d’autres, ni plus ni moins ; l’univers ne nous reconnaît pas de particularité ; certaines dimensions immuables de l’existence sont au-delà de notre influence »). Face à ces cruelles vérités, le déni est souvent un ami secourable… qui est ébranlé en temps de crise.
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« La liberté peut être vertigineuse et, pour certains, le semi-confinement et la restriction des libertés personnelles a pu être vécu comme un soulagement »
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Dans le même ordre d’idée, la liberté peut faire peur car elle implique une responsabilité personnelle : « S’il n’existe pas de règles, pas de grands desseins, rien que nous devions faire, nous sommes alors libres de nos choix ». En ce sens, la liberté peut être vertigineuse et, pour certains, le semi-confinement et la restriction des libertés personnelles a pu être vécu comme un soulagement : on prend les décisions à ma place, on me délivre de toute responsabilité de choix et d’action. Cette restriction de ma liberté me rappelle aussi que je ne suis pas seul : des individus, un État veillent sur moi.
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Car la solitude est parfois pesante. L’isolement que certains vivent actuellement, contraints de rester chez eux (parfois seuls) et de ne fréquenter personne, réveille parfois l’angoisse d’un isolement plus fondamental : l’être humain vient au monde seul et le quitte en étant tout aussi seul. Heidegger qualifie d’ailleurs la naissance « ‘d’être-jeté’ dans le monde ». Le constat, cruel, est que pour pouvoir bénéficier de la liberté, nous devons nous séparer, nous individuer et donc, in fine, nous confronter à l’isolement fondamental. Pas de liberté sans responsabilité, pas de liberté sans individuation. Mais l’individuation renvoie à la solitude et à l’isolement et, comme l’écrit Yalom, « il n’existe aucune solution à l’isolement : [c’est] une composante de l’existence humaine ; nous devons nous y confronter et trouver un moyen de l’assumer ». C’est, semble-t-il, l’unique façon d’être en lien avec l’autre de manière authentique.
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« « L’ennemi » n’est pas seulement invisible : il n’est pas doté d’intentions. Il s’agit donc d’un « être » auquel on ne peut rien reprocher et que l’on ne peut pas non plus raisonner ! »
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Enfin, dans la crise sanitaire que nous traversons, « l’ennemi » n’est pas seulement invisible : il n’est pas doté d’intentions. Il s’agit donc d’un « être » auquel on ne peut rien reprocher et que l’on ne peut pas non plus raisonner ! C’est très frustrant et cela peut accentuer un vécu d’impuissance. Dans les événements causés par des êtres humains (guerres, attentats, conflits,…), il existe un sens à ce qui se passe, du moins peut-on en trouver un, qu’il s’avère exact ou non. Face au virus, rien de tel : on ne sera pas épargné parce qu’on est riche/célèbre/jeune/chef d’état/… l’émergence d’un tel fléau est souvent aléatoire, digne du hasard ou de la malchance. Cela peut nous renvoyer à la question plus fondamentale du sens de notre existence. Camus parlait de « tension entre l’aspiration humaine et l’indifférence du monde, [qui] définit ce [qu’il] dénommait ‘l’absurde’ de la condition humain ». Il n’y a pas de sens donné à l’existence : je me dois d’en trouver un, à défaut de quoi je risque de sombrer dans le désespoir et/ou la folie.
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Considérant ces différents enjeux, il n’est pas difficile d’imaginer que la crise du coronavirus peut potentiellement affecter grandement la santé mentale de la population mondiale.
Et vous, comment gérez-vous ces enjeux de l’existence ? Comment donnez-vous sens à votre vie ?
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[1] Yalom, I. (2017). Thérapie existentielle (traduit par L. Richard). Le livre de Poche.