Naufrage

La mort, cet obscur objet d’effroi

J’ai eu de la peine à trouver de l’inspiration pour ce nouvel article, c’est vrai. Différents événements récents m’ont fait penser à la mort plus que de coutume et c’est pour cette raison que j’ai eu envie d’y dédier un article.

La mort est omniprésente et pourtant invisible. Nous y avons tous et toutes été confronté-e-s de façon indirecte un jour ou l’autre, et pourtant, elle reste un objet majeur de mystère et de conjectures en tous genres. L’être humain a, de tout temps, inventé des stratagèmes lui permettant de se rassurer face à la mort, d’y trouver du sens, d’accepter des souffrances terribles. La religion et l’Eglise avec la promesse du paradis notamment, mais aussi, et de façon peut-être moins avouable, la recherche de célébrité et de gloire qui permettraient de se démarquer, de laisser une trace de soi loin de l’anonymat du commun des mortels. De façon plus sobre, laisser une partie de soi à travers l’art produit de son vivant.

Les expériences de mort imminente, très nombreuses et dont les témoignages foisonnent, permettent aussi de se rassurer en partie sur le fait que la mort soit n’existerait pas, soit serait source d’un sentiment de bonheur et de paix infini.

Nous ne sommes pas tous et toutes effrayé-e-s par la mort, et ceux et celles qui le sont ne le sont pas tous et toutes pour les mêmes raisons: peur d’être immobilisé, enterré, incinéré, peur de disparaître physiquement, peur de ne plus pouvoir penser, peur de ne plus être conscient, peur d’être séparé de ses proches, peur de souffrir,… la mort a de quoi terrifier. Et la société occidentale a tendance à la garder à distance, tant au plan physique/matériel (les cimetières sont souvent en lisière des villages/villes) qu’au plan abstrait/symbolique (ne pas y penser, tenter d’allonger encore et encore l’espérance de vie, investir dans des technologies médicales capables de repousser l’arrivée de la mort, etc.).

Les troubles psychiques pourraient être l’exacerbation de cette tentative de faire face à la mort

Après réflexion, il m’est venu à l’esprit que l’être humain a différentes façons de faire face à cet effroi et que les troubles psychiques (avec toutes les limites que cette définition comprend), pourraient être l’exacerbation de cette tentative d’y faire face. Il s’agit bien sûr d’une théorie qui a ses limites et qui ne prend pas en compte les aspects neurobiologiques de la psychopathologie.

Prenons par exemple les états dépressifs. Une personne souffrant de dépression semble s’être résignée face à la vie. Son élan vital s’est amoindri, voire a disparu. Les pulsions de vie, auparavant nommées pulsions d’autoconservation (sexualité, appétit) diminuent voire disparaissent elles aussi. Tout ce qui semble maintenir le sujet en vie est, dans les cas sévères, mis à mal. On pourrait postuler qu’il s’agit d’une façon “contrôlée” – inconsciemment évidemment – d’appréhender ou d’approcher la mort. Ce postulat vaudrait aussi pour l’anorexie mentale et, dans une certaine mesure, pour les tentatives de suicide. En d’autres termes: “”décider”” de s’administrer la mort ou de s’en approcher plutôt que de la subir sans le moindre contrôle. Dans le cas de la psychose, de nombreux patients présentent des délires psychotiques dans lesquels ils disent être immortels ou vivre depuis plusieurs siècles. Certains se disent déjà morts. Dans les états maniaques, ce serait là aussi un déni de la mortalité qui serait à l’œuvre à travers la conviction d’être capable de tout faire, sans limites (croire qu’on peut voler par exemple ou qu’on est assuré de gagner des millions en jouant une seule fois au Loto, etc.).

La finitude se loge en toute chose

Mais la figure de la mort apparaît aussi dans les diverses finitudes qui jalonnent notre existence: la fin des différentes périodes de vie (enfance, adolescence, vie active), la fin d’un projet, le fait de quitter un poste de travail, la fin d’une relation. C’est accepter le fait qu’on ne revivra plus jamais ce qui a été vécu. Chaque seconde passée depuis le début de la rédaction ou de la lecture de cet article est une seconde qu’on ne revivra pas. Accepter la mort, c’est faire le deuil d’un éternel et d’un réversible. De ce constat peuvent émerger deux positions aux antipodes l’une de l’autre : accorder une haute importance à absolument tout (attitude obsessionnelle, perfectionnisme, procrastination), ou relativiser absolument tout (se suffire du minimum, ne pas se projeter dans l’avenir, vivre au jour le jour). La plupart des gens se situent entre ces deux extrêmes.

Peut-être oserais-je donc dire que la perspective d’une fin nous guide dès les prémices ?

Et pour vous ? En quoi la conscience de notre finitude influence-t-elle notre mode de vie voire nos pathologies ?

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