L’accord institutionnel Suisse – Union européenne et les Universités

Depuis plusieurs années, la question de la conclusion d’un accord-cadre (ou accord institutionnel) entre l’Union européenne (UE) et la Suisse est d’actualité. En effet, depuis 2008 déjà, l’Union européenne insiste sur la nécessité d’un tel accord qui de-vrait s’appliquer aux accords permettant l’accès au marché intérieur et concerne, avant tout, quatre aspects: l’adaptation des accords bilatéraux aux développements législatifs au sein de l’UE, leur interprétation, la surveillance de leur application, ainsi que le règlement des différends. L’UE considère un accord à ce sujet comme une condition pour la conclusion d’autres accords bilatéraux visant la participation de la Suisse au marché intérieur (comme, par exemple, l’accord sur l’électricité).

En l’état, il semble certes que les deux parties s’entendent sur la plupart des ques-tions, en partie épineuses, que soulève un tel accord-cadre, et le nouveau Ministre des affaires extérieures, mais aussi le Conseil fédéral dans son ensemble, affichent la vo-lonté de conclure un tel accord dans les meilleurs délais. Les négociations avec l’Union sont intenses, et le Président de la Commission européenne s’est aussi per-sonnellement engagé dans ce dossier.

Toutefois, en l’état, les difficultés politiques internes en Suisse laissent craindre que la conclusion d’un accord-cadre dans un avenir plus ou moins proche pourrait être com-promise, nonobstant du fait que les deux parties ont un très grand intérêt à ce qu’un accord soit trouvé.
Par ailleurs et contrairement à ce que l’intérêt exprimé par l’UE puisse à première vue inciter à penser, l’intérêt de la Suisse est aussi considérable : ainsi, l’accord règlerait de manière plus contraignante et prévisible les aspects mentionnés et augmenterait donc considérablement la sécurité juridique pour la Suisse. L’adaptation de nouvelles normes techniques au niveau de l’UE devrait, par exemple, y être reprise « automati-quement ». Ainsi, l’UE ne pourrait plus refuser unilatéralement l’adaptation de l’accord sur les obstacles techniques, au détriment des entreprises suisses, tout en respectant ses obligations internationales. De même, les questions d’interprétation et le règlement des différends passeraient, en grande partie, du niveau politique à un niveau juridique. Face à une partie contractante beaucoup plus grande que lui, un pe-tit Etat comme la Suisse a tout à gagner à renforcer ce volet juridique et procédural afin de laisser moins de place au libre jeu politique.

Et les Universités? Après l’acceptation de l’initiative dite «Contre l’immigration de masse» (art. 121a Cst.), la participation de la Suisse à différents programmes euro-péens (prévue dans le cadre des accords bilatéraux) n’a pas été renouvelée. Il s’agit entre autres des programmes Erasmus (mobilité des étudiantes et étudiants) et des programmes de recherches (Horizon 2020). Certes, la participation de la Suisse au programme Horizon 2020 a pu être assurée entretemps (suite à la mise en œuvre de l’art. 121a Cst., une mise en œuvre en principe compatible avec l’accord sur la libre circulation des personnes). Les échanges d’étudiantes et étudiants par contre sont toujours assurés par un programme « autonome » (Swiss European Mobility) ce qui présente – par rapport à une participation à part entière à Erasmus – certes différents désavantages, mais les échanges restent possibles, et les Universités suisses sont tou-jours très actives dans ce domaine.
Le défi pour la Suisse pour la prochaine période du programme européen de re-cherche (Horizon Europe) consiste à y être associée de nouveau pleinement et d’être considérée dès lors pratiquement comme un Etat membre de l’Union. Cette participa-tion revêt une très grande importance pour les Hautes Ecoles Universitaires: en effet, il ne s’agit pas seulement des fonds qu’attirent les chercheurs mais de pouvoir partici-per au très grand réseau de recherches que représente ce programme et de pouvoir participer au «concours européen de recherche». Dès lors, des financements « auto-nomes » ne peuvent pas remplacer cette participation.
Toutefois, l’échec ou un trop grand retardement de la conclusion d’un accord institu-tionnel mettrait justement un péril cette participation : les expériences faites par le passé illustrent parfaitement que l’Union européenne n’accordera très probablement plus le statut favorable d’Etat associé à ce programme à la Suisse si les grandes lignes et les principes régissant les relations Suisse – Union européenne ne peuvent pas être définis dans un accord institutionnel. Pour la place des Hautes Ecoles Universitaires suisses dans le concert des Universités au niveau international mais aussi pour l’innovation dans notre pays, ce serait un très mauvais signe, et les conséquences se-raient probablement assez tangibles : nos universités vont perdre en attractivité pour les meilleurs chercheurs et étudiants avec toute une série d’implications pour la socié-té et l’économie dans son ensemble. Aussi de ce point de vue, la Suisse a dès lors un très grand intérêt à la conclusion d’un accord institutionnel qui permettrait justement de « garantir » une participation aussi aux programmes de recherche subséquents et de ne pas dépendre lors de chaque renouvellement d’un programme (en principe tous les sept ans) d’une décision politique.

Astrid Epiney

Astrid Epiney, rectrice de l'Université de Fribourg depuis 2015, est professeure de droit européen et de droit international. Ses domaines de prédilection sont le droit européen et les relations Suisse - Europe. Elle est lauréate du Prix Latsis et a occupée plusieurs postes de responsabilité au sein de la communauté scientifique.