Qu’est-ce que le droit international?

Le 25 novembre, le peuple et les cantons se prononceront sur l’initiative dite «Pour l’autodétermination». Celle-ci soulève une multitude de questions d’ordre «technique» (elle contient certaines imprécisions, ambiguïtés et incohérences) et «philosophique» (elle est en porte-à-faux avec certains principes de l’Etat de droit et de la séparation des pouvoirs). Au-delà de ces questions et quelle que soit la position que l’on défend, elle invite aussi à s’interroger sur ce qu’est le droit international et quelle est son importance pour un Etat comme la Suisse.

De nos jours, le droit international se compose essentiellement de traités entre Etats. Un traité international ne peut être conclu que lorsque toutes les parties se sont mises d’accord sur son texte. En ce sens, il n’est pas surprenant que le droit international présente quelques similitudes avec le droit des contrats en droit privé national. Ainsi, à l’instar du droit privé, les parties à un traité international doivent respecter leurs engagements (pacta sunt servanda). Elles ne peuvent en principe pas le modifier de manière unilatérale. Toutefois, elles ont généralement la possibilité de le dénoncer (du moins sous certaines conditions) en respectant les règles de procédure y relatives.

Du point de vue du droit national, les constitutions nationales prévoient en règle générale des procédures à suivre avant la conclusion d’un traité international. Ainsi, la Constitution fédérale soumet en principe la ratification d’un traité international à l’approbation du Parlement. Pour certains traités, un référendum facultatif ou obligatoire est exigé. Ces droits populaires en amont de la conclusion de traités internationaux ont par ailleurs été étendus de manière notable ces dernières années pour être comparables aujourd’hui aux droits populaires prévus pour le droit national.

Les traités internationaux couvrent des domaines très variés et revêtent une importance variable. L’écrasante majorité des accords règle la coopération des organisations internationales et/ou des Etats entre eux (p.ex. en ce qui concerne le commerce inter-national, les relations diplomatiques, la lutte contre la criminalité ou encore l’entraide pénale et civile). Certains traités majeurs, tels que la Convention européenne des droits de l’homme ou encore les traités de libre-échange, confèrent des droits à des particuliers et/ou protègent des minorités.

Ainsi, le droit international permet aux Etats de développer un régime juridique qui assure une coopération efficace, le respect de certains principes et la protection de certains droits individuels. Dans ce sens, il revêt une très grande importance, et le fait d’insinuer ne pas vouloir, le cas échéant, respecter unilatéralement ses obligations impliquerait une perte de crédibilité notable et, partant, des difficultés à plusieurs niveaux. Ce constat est d’autant plus vrai pour un petit pays comme la Suisse, traditionnellement très intégrée au niveau international et liée par une multitude d’accords internationaux avec d’autres Etats qu’elle a librement conclus et qui assurent sa prospérité et son intégration au niveau international, une intégration qui est aussi d’une grande importance pour les universités (p.ex. en assurant la participation aux pro-grammes européens de recherche).

L’accord institutionnel Suisse – Union européenne et les Universités

Depuis plusieurs années, la question de la conclusion d’un accord-cadre (ou accord institutionnel) entre l’Union européenne (UE) et la Suisse est d’actualité. En effet, depuis 2008 déjà, l’Union européenne insiste sur la nécessité d’un tel accord qui de-vrait s’appliquer aux accords permettant l’accès au marché intérieur et concerne, avant tout, quatre aspects: l’adaptation des accords bilatéraux aux développements législatifs au sein de l’UE, leur interprétation, la surveillance de leur application, ainsi que le règlement des différends. L’UE considère un accord à ce sujet comme une condition pour la conclusion d’autres accords bilatéraux visant la participation de la Suisse au marché intérieur (comme, par exemple, l’accord sur l’électricité).

En l’état, il semble certes que les deux parties s’entendent sur la plupart des ques-tions, en partie épineuses, que soulève un tel accord-cadre, et le nouveau Ministre des affaires extérieures, mais aussi le Conseil fédéral dans son ensemble, affichent la vo-lonté de conclure un tel accord dans les meilleurs délais. Les négociations avec l’Union sont intenses, et le Président de la Commission européenne s’est aussi per-sonnellement engagé dans ce dossier.

Toutefois, en l’état, les difficultés politiques internes en Suisse laissent craindre que la conclusion d’un accord-cadre dans un avenir plus ou moins proche pourrait être com-promise, nonobstant du fait que les deux parties ont un très grand intérêt à ce qu’un accord soit trouvé.
Par ailleurs et contrairement à ce que l’intérêt exprimé par l’UE puisse à première vue inciter à penser, l’intérêt de la Suisse est aussi considérable : ainsi, l’accord règlerait de manière plus contraignante et prévisible les aspects mentionnés et augmenterait donc considérablement la sécurité juridique pour la Suisse. L’adaptation de nouvelles normes techniques au niveau de l’UE devrait, par exemple, y être reprise « automati-quement ». Ainsi, l’UE ne pourrait plus refuser unilatéralement l’adaptation de l’accord sur les obstacles techniques, au détriment des entreprises suisses, tout en respectant ses obligations internationales. De même, les questions d’interprétation et le règlement des différends passeraient, en grande partie, du niveau politique à un niveau juridique. Face à une partie contractante beaucoup plus grande que lui, un pe-tit Etat comme la Suisse a tout à gagner à renforcer ce volet juridique et procédural afin de laisser moins de place au libre jeu politique.

Et les Universités? Après l’acceptation de l’initiative dite «Contre l’immigration de masse» (art. 121a Cst.), la participation de la Suisse à différents programmes euro-péens (prévue dans le cadre des accords bilatéraux) n’a pas été renouvelée. Il s’agit entre autres des programmes Erasmus (mobilité des étudiantes et étudiants) et des programmes de recherches (Horizon 2020). Certes, la participation de la Suisse au programme Horizon 2020 a pu être assurée entretemps (suite à la mise en œuvre de l’art. 121a Cst., une mise en œuvre en principe compatible avec l’accord sur la libre circulation des personnes). Les échanges d’étudiantes et étudiants par contre sont toujours assurés par un programme « autonome » (Swiss European Mobility) ce qui présente – par rapport à une participation à part entière à Erasmus – certes différents désavantages, mais les échanges restent possibles, et les Universités suisses sont tou-jours très actives dans ce domaine.
Le défi pour la Suisse pour la prochaine période du programme européen de re-cherche (Horizon Europe) consiste à y être associée de nouveau pleinement et d’être considérée dès lors pratiquement comme un Etat membre de l’Union. Cette participa-tion revêt une très grande importance pour les Hautes Ecoles Universitaires: en effet, il ne s’agit pas seulement des fonds qu’attirent les chercheurs mais de pouvoir partici-per au très grand réseau de recherches que représente ce programme et de pouvoir participer au «concours européen de recherche». Dès lors, des financements « auto-nomes » ne peuvent pas remplacer cette participation.
Toutefois, l’échec ou un trop grand retardement de la conclusion d’un accord institu-tionnel mettrait justement un péril cette participation : les expériences faites par le passé illustrent parfaitement que l’Union européenne n’accordera très probablement plus le statut favorable d’Etat associé à ce programme à la Suisse si les grandes lignes et les principes régissant les relations Suisse – Union européenne ne peuvent pas être définis dans un accord institutionnel. Pour la place des Hautes Ecoles Universitaires suisses dans le concert des Universités au niveau international mais aussi pour l’innovation dans notre pays, ce serait un très mauvais signe, et les conséquences se-raient probablement assez tangibles : nos universités vont perdre en attractivité pour les meilleurs chercheurs et étudiants avec toute une série d’implications pour la socié-té et l’économie dans son ensemble. Aussi de ce point de vue, la Suisse a dès lors un très grand intérêt à la conclusion d’un accord institutionnel qui permettrait justement de « garantir » une participation aussi aux programmes de recherche subséquents et de ne pas dépendre lors de chaque renouvellement d’un programme (en principe tous les sept ans) d’une décision politique.

Le rôle de l’autonomie des universités

L’autonomie des Hautes Ecoles Universitaires a été successivement renforcée ces dernières années, tant au niveau des législations cantonales qu’au niveau de la législation fédérale. Rappelons aussi que cette maxime figure aussi dans la Constitution fédérale et n’est dès lors pas à disposition du législateur (bien que celui-ci bénéficie, bien entendu, d’une large marge de manœuvre quant à son articulation concrète).

Mais pourquoi convient-il d’opter pour un tel principe d’autonomie?

Tout d’abord, l’autonomie permet aux universités de se développer dans un environnement dynamique, afin de pouvoir se profiler aux niveaux national et international et ainsi participer et contribuer à la recherche et à l’enseignement scientifique de haut niveau. Dans ce sens, l’autonomie contribue aussi à ce que les universités puissent développer un enseignement de qualité et une recherche originale. En effet, l’expérience montre que des « orientations politiques » ne sont pas propices à atteindre cet objectif.
Ensuite et en étroit lien avec ce qui précède, c’est précisément l’autonomie qui permet aux universités de jouer leur rôle en tant qu’institutions dans lesquelles l’enseignement et la recherche ne suivent pas un intérêt particulier, mais se destinent à favoriser le développement d’une pensée autonome et critique, l’étude approfondie de questions scientifiques et le renouvellement de connaissances originales. Ainsi, les universités et leurs chercheurs doivent aussi être à l’origine d’idées novatrices, identifier des défis scientifiques et sociétaux et contribuer à les relever. C’est par ailleurs en particulier cet aspect qui justifie le financement public d’une institution dont le travail profite à la société dans son ensemble.

Dans ce sens, l’autonomie des universités joue un rôle central pour la liberté de la science : sans une certaine autonomie, cette liberté ne saurait être garantie, alors qu’elle constitue la raison d’être de l’Université. Ainsi, l’autonomie de l’Université et la liberté de la science sont deux faces de la même médaille.
A l’intérieur des universités, il convient dès lors de mettre en œuvre l’autonomie de façon à ce que les conditions-cadre pour les activités scientifiques soient garanties et que l’Université puisse remplir sa mission spécifique, tout en garantissant la marge de manœuvre et la gouvernance de l’institution nécessaires à son profilage et à son positionnement.
Vers l’extérieur, il s’agit de garantir que les influences politiques sur les activités d’enseignement et de recherche respectent scrupuleusement le cadre législatif qui doit lui-même tenir compte de la liberté de la science.
Le défi consiste alors précisément à trouver un équilibre à ces différents niveaux – qui peut, bien entendu, s’articuler de différentes manières, mais pour lequel tous les acteurs impliqués portent une responsabilité – tout en sachant qu’un tel équilibre représente le cadre indispensable pour que l’Université puisse, aussi à l’avenir, jouer son rôle spécifique si nécessaire à la société.

Le rôle de l’Université dans la société

 

Les universités en Suisse sont financées essentiellement par des fonds publics (les fonds de recherches publics inclus). Les coûts sont importants. D’où la question de savoir si ces dépenses « valent la peine » et pourquoi il y a un très large consensus que ces dépenses sont « utiles ». Cette question peut paraître d’autant plus importante que les domaines d’activité couvertes par une « Université complète » sont multiples et couvrent l’ensemble des disciplines scientifiques.

Bien sûr, nous pouvons avancer le fait que la Suisse n’a pratiquement pas de matières premières et que la formation joue un rôle central pour le développement économique du pays. S’y ajoutent les retombées économiques, politiques et culturelles d’une université pour « son » canton et « sa » ville. Et ce constat est sans doute fondé.

Mais, il y a un autre aspect que nous oublions parfois: la liberté de la science (par ailleurs une garantie constitutionnelle) joue un rôle primordial pour les universités en Suisse (et dans d’autres pays démocratiques). Ainsi, l’Université remplit un rôle spécifique dans la société comme une institution indépendante dans laquelle un enseignement et une recherche sans contraintes « utilitaires » sont menés. Elle contribue à l’autoréflexion de la société, permet une confrontation d’idées et joue un rôle culturel. Sans institutions universitaires, beaucoup de recherches ne seraient pas menées parce qu’elles n’ont pas d’utilité visible et immédiate tout en étant importantes et porteurs, et souvent « l’utilité » se révèle bien des années après. Et la formation des étudiants aussi dans les branches dites « inutiles » permet une grande diversité des voies et points de vue ; de plus et contrairement à ce qui est prétendu parfois, les diplômés dans ces branches ont globalement les mêmes chances sur le marché d’emploi que les autres.

La vraie question est alors celle de savoir qui définit si tel ou tel enseignement ou telle ou telle recherche « vaut la peine ». Et l’idée même de l’Université vient de la conviction que la liberté académique doit jouer un rôle déterminant dans ce contexte, une liberté qui est aussi bénéfique pour la société dans son ensemble. Toute tentative de planifier les activités universitaires a connu un échec, et il n’est pas surprenant que les sociétés qui connaissent une grande liberté académique se distinguent aussi par un potentiel d’innovations important. Par ailleurs, une des premières mesures de régimes (nouvellement) autocratiques est en général le « contrôle » des universités.

Dans ce sens, l’Université remplit pleinement une mission de la société et est aussi au service d’une société qui se définit comme démocratique et respectueux des principes de l’Etat de droit ; elle en est même un élément essentiel et nécessaire.