L'Empire des signes

La Suisse comme illusion, la spiritualité, les comités éthiques: courte réponse à M. Neirynck

La Suisse n’existe pas

 

“Qu’est-ce qui peut lier les hommes entre eux?” nous demande M.Neirynck. Si la question se pose à l’échelle d’un pays (la Suisse) on entrevoit mal la réponse. Qu’est-ce qui unifie les Suisses? La démocratie? Le fédéralisme? Les institutions? Mais cette “unité” n’est que formelle et vide; elle considère l’individu comme une entité abstraite, une fiction. Quoi d’autre? Des Mythes? Personne n’y croit plus, personne ne les connait, ne les médite, en fait quoique ce soit (l’Histoire (réel et mythique) n’a de réalité qu’utilisée au présent, que “pratiquée”). La seule liaison crédible est avant tout économique, simplement produite par la prospérité; un mariage d’argent non d’amour. A l’instar des Belges, il suffit que la situation économique se corse pour que notre Suisse vole en (trois) éclats. Si la Suisse existe, elle existe très peu, à peu près comme une énorme illusion, “neutre” et sans saveur particulière. Elle marche, fonctionne; mais il ne faut pas chercher romantiquement “un lien national”. J’affirme cela sans colère ni passion; cette illusion est sans douleur, agréable comme une bonne digestion ou une journée aux bains de Saillon. Celui qui veut se faire croire qu’il y a bien “quelque chose” de vraiment unifiant, il lui incombe de le prouver (et qu’il ne dise pas “Federer” ou “la passion du travail” ou que sais-je encore).

 

Remarque sur l’idée d’une spiritualité laïque

 

Quant aux liens généraux des hommes entre eux, il est sans doute vrai que philosophies et religions, par leur transcendance, ont longtemps unifié nos sociétés. Le fait que la vérité soit hors-sol, établie de manière éternelle était une garantie hégémonique d’objectivité. Cependant, la possibilité d’une “spiritualité laïque” est problématique. Je sais que bien des philosophes contemporains (comme André Comte-Sponville) veulent aller dans ce sens: il suffirait selon eux de contempler un objet très grand (comme l’univers physique) pour développer des sentiments unifiants et spirituels. A mon avis, le “très grand” de l’athée n’est absolument pas satisfaisant (tout au plus, il sera la cause d’un certain sentiment cosmique, celui de voir les choses du point de vue de Sirius; mais son effet s’arrêtera là). La religion (dont le “très grand” est divin et humain) est quelque chose de magnifique et quelque chose qui a coup sûr reviendra sous une forme qu’il nous est difficile de prévoir. Aussi, je ne vois pas pourquoi cette spiritualité devrait être laïque (ce n’est pas parce que nous le sommes présentement que les choses resteront ainsi).

 

Concernant les conseils éthiques

 

Quant aux conseils éthiques, ils sont effectivement des coquilles vides comme le remarque avec courage M. Neirynck. Ils sont vides dans la mesure où ils sont l’agrégation de personne qui ne peuvent s’entendre que superficiellement (un thomiste et un scientiste, qu’on-t-il à dire de commun sur des cas concrets impliquant un témoin de Jehovah, un athée, un homosexuel, un arabe, un fou?). Ils donnent l’illusion d’une objectivité rassurante, autoritaire. Mais sur quoi fondent-ils, individuellement, leur expertise? Leur lecture (telle pile de livres qu’ils prisent particulièrement), leur expérience, leur “génétique”, leurs apriori, leurs lubies, leur préjugés (qui n’en a pas, et qui ne peut, dès lors, donner son avis sur n’importe quel cas et dès lors siéger dans tel ou tel comité?).

M. Neirynck ne peut aller jusqu’à parler de “farce” ou de “théâtre”, ces métaphores ont quelque chose d’un peu belliqueux, elles sont pourtant nécessaires car elles décrivent littéralement ce dont il s’agit. La multiplication des “laboratoires éthiques” ou des laconiques “Labs” (qui peuvent désigner aujourd’hui n’importe quoi autant un think tank qu’un restaurant asiatique Asian Lab) sont de la poudre aux yeux, sans doute nécessaire. Ils aimeraient se substituer à la parole divine, verticale, transcendante, par une multiplicité contingente, variable, sans fondement: on peut constituer une infinité de comités éthiques qui rendront une infinité de jugements différents (ils n’ont en commun que leur puissance rhétorique qui donne à leur parole des airs de nécessité). Tout ce que l’on veut au final c’est l’impression d’objectivité, rien de plus.

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