Du pain et des jeux

Djokovic – un homme libre

Park Hothell

Nous traversons décidément une époque singulière et le feuilleton Djokovic restera à jamais une parfaite illustration d’un système qui marche sur la tête.

Quelques instants avant son départ en Australie, Djokovic s’affichait fièrement sur instagram en expliquant au monde entier qu’il avait obtenu une exemption médicale lui permettant d’entrer en Australie dans l’espoir de décrocher un 21ème tournoi du Grand Chelem. Un joli pied de nez à ses détracteurs. Quelques heures plus tard, le voici détenu dans un hôtel minable après s’être vu révoquer son visa. No one is above the law.

Alors que l’espoir de voir le Djoker fouler les terrains semblait presque nul, voici qu’un juge annule la décision du Ministère de l’Immigration et ordonne sa libération immédiate. Mais le feuilleton n’est peut-être pas encore terminé car le représentant de l’Etat fédéral a clairement fait savoir au juge que si sa décision serait respectée, le ministre de l’immigration examinerait en revanche “l’opportunité d’exercer un pouvoir personnel d’annulation”. Un nouveau coup de théâtre est donc possible, ce qui ajouterait encore de la cacophonie à une situation d’ores et déjà grotesque.

L’ordre du juge de libérer Djokovic (à lire ici) est basé sur un motif purement formel: la décision des services de l’immigration révoquant le visa n’était pas valable car elle a été rendue avant la fin du délai imparti à Djokovic pour déposer ses observations. En effet, la décision avait été prise à 7h42 du matin alors que le joueur avait jusqu’à 8h30 pour faire valoir ses droits. Voici un bel exemple de la justice anglo-saxonne qui est beaucoup moins hésitante que notre justice continentale à annuler des décisions pour des questions de pure forme, alors que des intérêts prépondérants sont pourtant en jeu.

Le juge a donc botté en touche et trouvé un moyen de ne pas se prononcer sur le fond de l’affaire, ce qui est pour le moins frustrant. Comme le rappelait Djokovic dans sa déposition écrite (disponible ici), il avait obtenu des organisateurs de l’Australian Open une exemption médicale, validée par des experts médicaux de l’Etat de Victoria. L’attestation délivrée par le tournoi précisait aussi que l’exemption octroyée était en ligne avec les recommandations fédérales. Difficile donc de jeter la pierre au joueur et de l’accuser d’avoir fait preuve de légèreté au moment d’embarquer pour l’Australie.

Sur le fond, l’argument des services de l’immigration pour révoquer le visa était simple: Djokovic n’est pas vacciné. Un point c’est tout. Et le fait d’avoir contracté le virus récemment n’est pas un motif suffisant pour échapper au vaccin. Les autorités fédérales australiennes plaident que les personnes non-vaccinées présentent un risque accru de contracter le COVID et de le propager. Elles soutiennent aussi que toute personne guérie est éligible au vaccin. Ainsi, peu importe que Djokovic ait présenté un test PCR positif en date du 16 décembre 2021. Sachant qu’il était guéri à partir du 22 décembre 2021, date d’un test PCR négatif, il aurait très bien pu se faire vacciner dès cette date. Mais si c’était si simple, pourquoi diable l’avoir invité à participer au tournoi?

Il est quand même curieux que les recommandations australiennes ne fassent pas une distinction entre les personnes non-vaccinées, selon qu’elles soient guéries ou non. A en croire notre task-force nationale, “les personnes guéries du COVID-19 ou vaccinées ont bien moins de risque d’être infectées par le SARS-Cov-2 et de le transmettre”. Ayant attrapé le COVID il y a moins d’un mois, Djokovic a aussi peu de chance de tomber malade et de transmettre le virus qu’une personne vaccinée. Exiger dans de telles circonstances un vaccin ne fait aucun sens.

Au delà de toute argutie juridique, il semble aller de soi qu’un vaccin sert à éviter une maladie et qu’il ne doit donc pas être administré à la sortie d’une guérison.

ll apparaît donc que l’exemption octroyée par l’Etat de Victoria était justifiée, à tout le moins sous l’angle médical, et que cette navrante histoire aurait dû être évitée en refusant d’appliquer à la lettre des recommandations mal-ficelées obligeant en fait une personne fraîchement guérie à se faire vacciner alors qu’aucune raison ne le commande.

En définitive, placer une personne en détention en vue d’une expulsion alors qu’elle ne présente pas plus de risque qu’une personne vaccinée d’attraper le virus et de le propager dénote à mon sens un manque total de discernement. On traite un individu comme s’il était susceptible de causer un problème de santé publique alors que tel n’est manifestement pas le cas. Ceci est d’autant plus vrai que Djokovic est soumis au protocole sanitaire strict réservé aux participants à l’Australian Open et qu’il peut donc difficilement être à l’origine d’un foyer de contagion incontrôlable. Franchement, cette période de crise nous fait vivre des situations que l’on aurait jamais pensé connaître; il faudrait quand même réfléchir à deux fois avant de priver quelqu’un de sa liberté.

Vu le climat ambiant, je précise que cette tribune ne vise qu’à apporter un éclairage très subjectif sur un imbroglio juridique défrayant à juste titre la chronique. Je ne suis fan ni des Djokovic, ni des anti-vaccins, ni des complotistes en tout genre. Par contre, du fait de ma profession, je suis sensible aux dérapages que produisent parfois des textes législatifs ou des décisions juridiques manquant de cohérence.

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