Du pain et des jeux

JO de Tokyo – nouvelle alerte

A l’approche des Jeux Olympiques qui débuteront dans très exactement 50 jours à Tokyo, le Comité International Olympique doit faire face à une nouvelle polémique. Après avoir dû repenser toute l’organisation et subir des mesures sanitaires inconciliables avec la grande célébration du sport que les Olympiades sont censées être, tout en devant faire face à l’hostilité du peuple hôte – 80 % des japonais sont contre les jeux, voici que le CIO s’attire désormais les foudres des athlètes. Sauf que cette fois, le CIO a tendu lui-même le bâton pour se faire battre.

En cause: le formulaire de participation; tout athlète qualifié pour les Jeux olympiques doit obligatoirement signer ce document en vue de se soumettre à diverses règles, en matière disciplinaire et antidopage notamment, et consentir à ce que tout litige soit tranché par le Tribunal arbitral du sport.

Une fois n’est pas coutume, le CIO entend profiter de ce formulaire pour obtenir des athlètes une décharge en cas de problème de santé. La clause que les athlètes doivent accepter est la suivante:

“I agree that I participate in the Games at my own risk and own responsibility, including any impact on my participation to and/or performance in the Games, serious bodily injury or even death raised by the potential exposure to health hazards such the transmission of COVID-19 and other infectious disease or extreme heat conditions while attending the Games.”

L’organisateur entend donc s’affranchir de toute responsabilité en cas de mort d’homme ou de préjudice corporel grave. Prenons le cas des marathoniens qui pourraient avoir à affronter des conditions atmosphériques extrêmes avec de grosses chaleurs couplées à une humidité folle: en cas de défaillance entraînant des complications, l’organisateur voudrait s’en sortir indemne alors qu’il a pourtant décidé – en parfaite connaissance de cause – de lancer la course au détriment de la santé des coureurs.

Etant mal pris, le CIO tente de s’expliquer en prétendant qu’une telle exclusion de responsabilité serait monnaie courante pour ce genre d’événement ou qu’il s’agirait d’obtenir un “consentement éclairé” des athlètes; mais la vérité est que son service juridique cherche avant tout à protéger l’organisateur de toute forme de procès. C’est non seulement d’une très grande maladresse, mais il est à peu près sûr que la clause d’exonération ne tiendrait de toute façon pas la route en cas de litige.

Bref, un coup dans l’eau dont le seul effet est d’éclabousser un peu plus l’image du CIO.

A mon sens, le “waiver” que souhaite imposer l’organisateur ne tient pas. D’abord, l’athlète n’est pas libre de consentir: soit il signe le document, soit il ne participe pas aux Jeux. On peut donc douter qu’il puisse renoncer valablement à faire valoir ses droits en cas d’atteinte à sa santé, qui est le bien le plus important. Ensuite, l’organisateur endosse quand même une responsabilité fondamentale: celle de ne pas mettre les athlètes en danger. Cela semble tellement naturel qu’on s’interroge sur le but que le CIO cherche véritablement à atteindre. Quelles que soient les arguties juridiques de quelques éminences grises, le CIO doit offrir des conditions de course sûres. Le CIO ne peut pas prétendre que l’Olympisme se veut créateur d’un style de vie fondé sur la joie dans l’effort, la valeur éducative du bon exemple, la responsabilité sociale et le respect des principes éthiques fondamentaux universels” et en même temps mettre potentiellement la santé des athlètes en péril.

Il va aussi de soi que chaque sport comporte sa part de risque: un boxeur qui prend des coups ne pourra pas se retourner contre celui qui lui a littéralement cassé la figure. Le CIO n’a pas besoin d’obtenir une renonciation des sportifs pour parer à ce genre de risque; la clause litigieuse ne vise évidemment pas un tel cas de figure.

Quant à la possibilité que le CIO (ou plutôt l’organisateur de Jeux) soit attaqué en justice par un sportif ayant contracté le COVID, elle est tellement improbable, pour ne pas dire surréaliste, qu’il est vain de prétendre vouloir l’écarter en imposant une clause juridique douteuse.

Au final, la clause d’exclusion de responsabilité ne sert à rien. Soit les Jeux sont organisés de telle façon que la santé des athlètes n’est pas mise en danger, ce qui est la moindre des choses, et il n’y a pas à chercher à s’exonérer de toute responsabilité; soit certaines épreuves font courir des risques sur lesquels le CIO entend fermer les yeux et la clause litigieuse se révèlera inefficace. Les juristes ayant œuvré à la rédaction du formulaire de participation auraient dû garder à l’esprit qu’à force de vouloir faire la lumière sur tout, on ne distingue plus rien, comme le disait si bien Raymond Devos.

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