Du pain et des jeux

Jakobsen à l’hôpital et Groenewegen en prison?

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Il n’y a pas que les fans de cyclisme qui auront eu des sueurs froides en visionnant les images terrifiantes du sprint à l’arrivée de l’étape d’hier du Tour de Pologne. Alors qu’il était littéralement au coude à coude pour la gagne avec Dylan Groenewegen, Fabio Jakobsen s’est fait proprement balancer dans les barrières de sécurité. A plus de 80 km/h, le choc a été absolument terrible. Alors que sa vie était en danger à la suite de graves blessures à la tête, les dernières nouvelles sont plutôt rassurantes dans la mesure où le système nerveux ne semble pas être touché. Puisse-t-il s’en sortir sans trop de mal.

Groenewegen a été immédiatement privé de sa victoire et l’UCI a ouvert une enquête disciplinaire qui promet d’aboutir à une sanction lourde. Dans un tweet rageur, Patrick Lefevere, directeur de l’équipe de la victime, a déclaré:

“J’irai au tribunal, ce genre de comportement doit être banni du cyclisme. C’est un acte criminel Monsieur Groenewegen”

Le débat est lancé: Jakobsen doit-il saisir les tribunaux? Le choix lui revient, mais les circonstances de l’accident laissent peu de doute: tous les éléments sont réunis pour réclamer des dommages-intérêts, voire obtenir une condamnation pénale.

En effet, ce n’est pas parce-que des lésions corporelles surviennent lors d’une compétition sportive que la victime serait privée de ses droits. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, “tout ce qui se passe sur le terrain, ne reste pas sur le terrain”.

Certes, un sportif qui est blessé par un autre ne peut pas systématiquement agir en justice, même si les lésions sont graves, car on présume qu’il consent aux risques associés au sport pratiqué. Or, le consentement de la victime fait barrage à des poursuites judiciaires. Comme le dit très bien le Tribunal fédéral, “Les règles du jeu servent notamment à empêcher les accidents et à protéger les joueurs. Lorsqu’une règle visant à protéger les joueurs est volontairement ou grossièrement violée, on ne peut admettre l’existence d’un consentement tacite concernant le risque de lésion corporelle inhérent à l’activité sportive”. Ainsi, lorsqu’un sportif viole les règles de jeu et qu’il blesse un concurrent, il s’expose à des poursuites, tant sur le plan pénal que sur le plan civil.

Un arrêt rendu en 2019 avait fait grand bruit lorsqu’un joueur de football fribourgeois avait été condamné pénalement pour lésions corporelles par négligence à la suite d’un tacle dangereux, alors même qu’il n’avait reçu qu’un simple carton jaune. Beaucoup avaient alors dénoncé une ingérence injustifiée de la justice dans le sport, comme si tout comportement devait être toléré à partir du moment où il se déroule sur un terrain de foot.

A vrai dire, cet arrêt de 2019 n’avait rien de révolutionnaire et confirmait de nombreux précédents. En 1985 déjà, Gabet Chapuisat avait été condamné après avoir commis un tacle assassin sur Lucien Favre. Le principe est donc clair: en cas de violation grave des règles du jeu, il n’y a plus de consentement qui vaille et il n’y a plus de risque inhérent qui tienne. Toute agression est susceptible d’être sanctionnée, que celle-ci intervienne dans un contexte sportif ou non.

Pour revenir au cas d’espèce, le règlement UCI du sport cycliste sanctionne le fait de course suivant: “Déviation du couloir choisi en gênant ou en mettant en danger un autre coureur et sprint irrégulier (notamment tirer le maillot ou la selle d’un autre coureur, intimidation ou menace, coup de tête, de genoux, de coude, d’épaule ou de la main, etc.).”

Pour avoir voulu la victoire à tout prix, Groenewegen risque donc bien de payer son geste au prix fort. Si le droit pénal polonais est similaire au droit suisse, un procureur devrait s’intéresser au l’affaire. Quant au volet civil, il n’y aurait rien de plus normal que le coupable soit appelé à réparer financièrement le préjudice commis; ce préjudice pourrait être important si Jakobsen devait conserver des séquelles permanentes ou à long terme de son terrible accident.

Qu’en pensez-vous? Judiciarisation du sport ou justice pour la victime?

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