Pour que deux et deux ne fassent jamais cinq

Lobbys à Berne : quand des médias mainstream désinforment

Lundi, les grands titres de presse reprenaient une information de la plateforme Lobbywatch selon laquelle un tiers des activités extraparlementaires de nos élus sont rémunérées. Certains journalistes ont profité des chiffres pour leur faire dire à peu près n’importe quoi.

Tout est parti d’un communiqué de Lobbywatch, la plateforme d’information sur les liens d’intérêts des élus fédéraux. Cette dernière expliquait que plus d’un tiers de toutes les relations d’intérêts déclarées par les élus sont rémunérées, avant de classer les partis suivant la proportion de leurs liens d’intérêts indemnisés.

La première question que l’on se pose, c’est la pertinence de l’indicateur choisi (pourcentage des mandats rémunérés). Veuillez excuser le calcul mental, mais prenons ensemble un exemple : le parti X déclare 5 liens d’intérêts avec les lobbys, dont 3 sont rémunérés. Le parti Y en déclare 50, dont 20 sont rémunérés. S’il est vrai que 60% des mandats du parti X sont payés contre 40% pour le parti Y, peut-on vraiment affirmer que le parti X est champion des mandats rémunérés ? Non, bien entendu, puisqu’il n’en compte que 3, contre 20 pour Y.

Un cas d’école de désinformation

Vous me direz que c’est un peu gros et que les médias n’auraient pas partagé une information aussi tronquée. Malheureusement, c’est exactement ce qui s’est passé. Prenons l’exemple de l’article paru sur le site lematin.ch (Tamédia).

Sous le titre « l’UDC champion [sic] de mandats rémunérés », le journaliste militant Eric Felley introduit ses chiffres en affirmant que « comme on pouvait s’en douter, les parlementaires bourgeois ont nettement plus de mandats de lobbying rémunérés que ceux de gauche. Les champions sont du côté de l’UDC avec 47% des mandats rémunérés ». Il liste ensuite les partis comme suit :

Ce que la publication du géant médiatique subventionné Tamédia « oublie » de préciser, c’est que certains partis ont beaucoup moins de relations avec les lobbys que d’autres. Pourtant, l’information était en libre accès, jointe au communiqué de presse de Lobbywatch.

On découvre que si un élu UDC est lié en moyenne à 6,4 groupes d’intérêts, un élu Vert en côtoie 7,6 et un socialiste 9,6. Voici la liste exhaustive :

Oui, vous avez bien lu : les élus de l’UDC sont les parlementaires ayant le moins de liens avec des groupes d’intérêts. Au contraire, le PS, le Centre et le PLR se retrouvent en tête du classement.

En ce qui concerne le nombre de liens d’intérêts rémunérés, un rapide calcul permet de déterminer qu’à l’exception du PLR et du Centre, dont les élus bénéficient en moyenne de 5 à 6 relations indemnisées, tous les partis se tiennent dans une fourchette de 1,8 à 3 mandats rémunérés par élu.

Un biais parmi d’autres

Si le choix de l’indicateur est clairement tendancieux et l’omission concernant le nombre total de liens d’intérêts frise la désinformation crasse, ce ne sont pas les seuls griefs que l’on peut avoir contre les comptes-rendus médiatiques de cette information.

Ainsi, le présupposé selon lequel il y a de bons lobbys (bénévoles) et de mauvais lobbys n’est pas satisfaisant. Ce serait passer outre le fait que, sans rémunérer les élus, les associations, syndicats ou ONG peuvent donner de nombreux avantages indirects à leurs représentants au parlement (tribunes dans les journaux internes, publication de classements ou d’instructions de vote à l’approche des élections, financement parfois massif des campagnes, mise en place de “baromètres électoraux” ciblés, …) alors que, à l’inverse, certains mandats rémunérés, notamment ceux qui existaient avant l’élection d’un parlementaire, n’influencent aucunement le comportement de vote de la personnes concernée.

Alors que les médias relèvent que le lobbyisme rémunéré touche particulièrement la thématique de l’énergie, on peut proposer le classement suivant, issu de données publies par Tamedia il y a quelques semaines. Au sein des commissions traitant de l’énergie, le nombre de liens d’intérêts dans le domaine énergétique par élu est le suivant :

Cette liste, étonnamment, n’a pas fait été publiée sous forme de classement des partis. Il s’agit certainement d’un oubli.

Le public attend des informations crédibles de la part des médias subventionnés

Lorsqu’il affirme que « l’UDC est champion de mandats rémunérés », le journaliste Eric Felley induit ses lecteurs en erreur, cette information étant factuellement fausse. Il s’agit à mon sens d’une violation de l’article 5 de la déclaration des devoirs et droits du journaliste. J’ose espérer que son journal publiera un rectificatif (au vu de la grande visibilité de son article, une simple correction discrète ne serait pas suffisante).

D’une manière plus générale, la couverture de cette information par les médias subventionnés, se basant uniquement sur des chiffres relatifs (pourcentage de liens payés par rapport au total), transmettent à mon sens une information, si ce n’est fausse, tout du moins orientée sur le sujet important de la transparence. C’est bien dommage, tant les questions liées aux groupes d’intérêts et à l’indépendance des représentants politiques intéressent la population.

 

 

 

 

 

 

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