Les Verts ne se lanceront donc pas dans la course au Conseil fédéral cet hiver. Mission accomplie pour le parti qui a su occuper l’espace médiatique durant deux semaines. Mais gare à lui : à l’ère du numérique, les formules de communication tendent à rester…
Accordons-leur au moins cela : les « écologistes » ont rondement mené leur feuilleton d’octobre, parvenant à tirer vers eux une part importante de la couverture médiatique consacrée au remplacement du conseiller fédéral Ueli Maurer, allant jusqu’à faire venir les médias de tout le pays à Berne afin de mettre en scène leur renonciation.
Ils devraient toutefois se méfier : le jour où ils pourront réellement prétendre à un fauteuil, les affirmations électoralistes risquent de ne pas être oubliées. Car ce n’est pas la première fois qu’ils jouent cette partition : les Verts n’ont jamais accepté la « formule magique[1] » et n’ont jamais considéré que le Conseil fédéral devait être représentatif de la population.
Les dés sont-ils vraiment pipés ?
Dans un communiqué de presse d’une violence rare, le parti enchaîne les formules choc, prétendant que sa non-représentation est le résultat d’un jeu démocratique dont les « dés sont pipés ». Etant devenue la 4è force en 2019, la formation aurait dû entrer au Conseil fédéral, n’est-ce pas ?
Dans l’absolu, oui, probablement. Mais ce serait oublier que c’est précisément une alliance dont ont fait partie les Verts qui avait estimé, en 1999, que la formule magique ne devait pas être modifiée à la suite du résultat d’une seule élection. Cette décision a créé un précédent.
Pour rappel, l’UDC était devenue la première formation politique suisse à l’issue des élections d’octobre 1999 et aurait eu droit à deux sièges selon la formule consacrée. Pas de l’avis de la classe politique, qui a attendu une confirmation de ce résultat quatre ans plus tard pour adapter la représentation du gouvernement. C’est le même principe qui a été repris en 2019.
En 2023, les Verts devront cesser le double discours
En parlant de « cartel au pouvoir » – expression reprise par Lisa Mazzone – les Verts ne s’attaquent pas à une décision précise, mais au système électoral, qui ne correspondrait pas à l’urgence politique actuelle. Cette attaque vise nommément l’UDC. Si reconnaître le droit des électeurs du premier parti à être représentés par deux sièges est un comportement de cartel, alors c’est le principe même de la concordance qui est remis en cause.
Et ce n’est pas une surprise : les « écologistes » n’ont jamais admis le principe de la concordance pour l’élection du Conseil fédéral. Rappelons-nous :
- Elections fédérales de 1999. Alors que la formule magique stricto sensu attribuerait deux sièges à l’UDC, les Verts refusent de les accorder. En effet, le PDC a changé ses deux représentants quelques mois avant pour leur assurer une réélection en cas de défaite électorale (créant le précédent en matière de formule magique que l’on retrouve en 2019).
- Elections fédérales de 2003. Les Verts refusent de voter pour le deuxième siège de l’UDC, pourtant premier parti depuis 1999 et présentent leur présidente Ruth Genner face à Samuel Schmid, alors qu’ils ne pèsent que 7,4% des voix.
- Elections fédérales de 2007. Le parti « écologiste » soutient l’éviction de Blocher alors que l’UDC vient de réaliser un score historique avec 28,9% des voix. Dans un communiqué de presse d’avril 2008, les Verts « réfutent la théorie du complot » et revendiquent le droit de l’Assemblée fédérale d’élire qui elle veut : « une décision des plus démocratiques ». [Cocasse, lorsque l’on parle de cartel et de dés pipés…]
- Elections fédérales de 2011. Les Verts refusent l’application de la formule magique, considérant que les représentants sortants doivent être réélus, quand bien même ils ne représenteraient plus une base électorale suffisante au vu des élections d’octobre. Un an plus tôt, ils avaient déjà attaqué le siège PLR lors d’une élection extraordinaire, refusant à nouveau le principe de concordance.
- Elections fédérales de 2015. Malgré les 740’000 voix obtenues par l’UDC, les Verts refusent de voter pour ses candidats au Conseil fédéral. Il s’agit pourtant du plus haut score obtenu par un parti dans l’histoire des élections proportionnelles (rappelons que la « vague verte » de 2019 représente 319’000 voix, soit moins de la moitié).
- Elections fédérales de 2019. Les Verts, devenus la quatrième force politique, revendiquent le droit à un siège au Conseil fédéral. Pourtant, plutôt que d’attaquer le siège PDC (relégué au cinquième rang), ils visent un siège PLR, qui a mathématiquement droit à deux représentants, en réclamant une « nouvelle formule magique ».
Entre amnésie et conséquence
Comme je l’ai écrit plus haut, soyons honnêtes : reconnaissons que les Verts ont réussi leur coup médiatique d’octobre. Soyons à l’écoute de leurs arguments et prenons bonne note des revendications répétées par ce parti durant les deux dernières décennies.
Dans le cas où les Verts devraient retrouver le rang de quatrième force politique en 2023 (qu’ils ont perdu lors de la fusion du Centre), nous saurons nous rappeler ce qu’ils pensent de la représentativité au Conseil fédéral et du principe de concordance. A moins d’une crise d’amnésie aiguë, gageons que les journalistes nous rafraîchiront la mémoire.
Pendant ce temps, les sceptiques de la démocratie parlementaire doivent bien rigoler. On ne peut que leur donner raison.
[1] Principe établi depuis 1959 selon lequel les trois premiers partis du pays ont droit à deux sièges au Conseil fédéral et le quatrième à un siège. C’est sur elle que repose le système de concordance.