La santé en question

Lausanne sur Méditerranée

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Organisé par la municipalité de Lausanne, le Festival Lausanne-Méditerranée vient de s’achever. Une semaine consacrée à la Grèce durant laquelle le pays aux mille et une tares a montré qu’il n’est pas que le parent pauvre ou le mauvais élève de l’Europe. Il est également un foyer de création dont le Théâtre de Vidy a offert un échantillon entre danse – non folklorique – et théâtre contemporain. Les salles étaient combles, souvent conquises.

Mis en scène par Prodromos Tsinikoris et Anestis Azas, Clean city a suscité un engouement unanime jeudi et vendredi soir. Cinq femmes de ménage de la Fondation Onassis pour l’art contemporain se retrouvent sur scène. Elles racontent leur parcours migratoire, leur intégration compliquée, jamais acquise. Les contrastes de la société grecque apparaissent au fil de leur récit : la xénophobie ambiante, le racisme revendiqué de l’extrême droite, mais aussi les solidarités informelles entre patronne et employée. Le dispositif narratif est habile : les cinq femmes – Mabel Matchidiso Mosana, Rositsa Pandalieva, Fredalyn Resurreccion, Drita Shehi, Valentina Ursache – abordent d’entrée de jeu les critères qui ont guidé leur recrutement dans ce projet artistique. Elles désamorcent ainsi l’accusation de démagogie, et rappellent les limites ou les besoins du cadre dramaturgique, celui-ci n’est pas neutre. Puis, très simplement, à leur écoute, on rit, on pleure, on s’émeut. Quand tout se termine en chant et en danse, on ne sait pas si les larmes qui nous saisissent sont de joie ou de peine. On tape alors des mains bien fort pour que le moment passé en leur compagnie ne se termine pas.

© Yannis Papadaniel

Un même genre de flou a régné dans une relecture d’Antigone (de Sophocle) proposée ce vendredi par la metteuse en scène Lena Kitsopoulou. Les spectateurs sont mis à rude épreuve. Ils rient d’abord de ce parallèle inattendu que Kitsopoulou propose entre la figure du skieur et les personnages de la pièce de Sophocle. Lorsqu’elle arrive sur scène, et qu’elle s’exprime avec colère, on pense que le propos est teinté d’une douce ironie. Mais l’ironie n’adoucira rien. Les spectateurs sont entraînés dans une fureur toujours plus inconfortable. On aimerait que ça s’arrête, puis on comprend.

Dans les nombreux festivals de théâtre antique en Grèce, du moins ceux que j’ai eu l’occasion de fréquenter plus jeune, la reprise des tragédies classiques tire en longueur, la déchéance des personnages n’en finit pas d’être déclamée. On se surprend à regarder sa montre, à oublier le cadre souvent idyllique – le théâtre d’Epidaure, ou celui moins connu de Philippe dans le Nord de la Grèce – et à prier Zeus d’achever les personnages et, pourquoi pas, le metteur en scène. C’est un peu long à voir. Chez Kitsopoulou, la radicalité de sa mise en scène éclate à la gueule des acteurs et des spectateurs dans un bain de sang, qui rappelle précisément qu’une tragédie, c’est pas beau à voir…

Le doux-amer de Clean city, et cet Antigone sanguin renvoient à deux lectures possibles de la situation grecque, celle d’un espoir réaliste ou celle d’une oppression érigée en système. La première est trop flatteuse, mais elle rappelle que la Grèce ne se résume pas qu’à des indicateurs socio-économiques en berne : il peut y faire bon vivre. La deuxième noie cette douceur dans le sang, nous rappelle que les temps sont durs et met à mal les velléités patriotiques de celles et ceux qui pensaient venir célébrer platement l’esprit universel grec.

Du sang ou du sirop. Partie de la scène après Antigone mis en scène par L. Kitsopoulou, Lausanne, Théâtre de Vidy

Dans un cas comme dans l’autre, on doit – notamment – à la Fondation Onassis d’avoir produit ces spectacles, seul organisme, ou presque, capable d’en assurer le financement en Grèce. A la manière dont la Fondation Niarchos porte à bout de bras le système de santé grec (mais aussi la bibliothèque nationale, et le second opéra d’Athènes), ces organismes privés, opaques, alimentés par les bénéfices des armateurs grecs, redistribuent une partie de leur fortune non-soumise à l’impôt public. L’activité théâtrale a un coût, l’organisation de tournées, de festivals et de débats aussi. La froide réalité n’est jamais loin, tout est lié. Après s’être nettoyée du sang – du sirop – dont elle s’était arrosée, vendredi soir, Leni Kitsopoulou était dans le foyer du théâtre à chanter en compagnie de musiciens des classiques de la musique rébétique devant un public garni, rieur, et éméché. Puisse l’histoire, la vraie, se terminer de la même façon.

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