Trop vieux pour plaire

Trop vieux pour plaire? Que se cache-t-il derrière la nouvelle rente transitoire en vigueur depuis le 1er juillet 2021 ?

En suisse, les personnes qui perdent leur travail quelques années avant d’arriver à l’âge de la retraite se retrouvent généralement rapidement dans une situation économique précarisée.

Les protections accordées contre de tels licenciements par la législation en vigueur sont inexistantes. La dernière jurisprudence fédérale ayant dû trancher d’un tel cas a d’ailleurs encore réduit la portée du caractère abusif d’une résiliation de contrat d’un travailleur en fin de carrière professionnelle (cf. Arrêt du Tribunal fédéral 4A_44/2021 du 2 juin 2021). Dans les faits, la pratique permettait jusqu’ici usuellement de faire encore valoir, pour ce type de licenciement, le paiement par l’employeur d’une indemnité se montant au maximum à six mois de salaire, pour ainsi dire un dédommagement moindre en contrepartie des multiples et néfastes conséquences auxquelles conduit de tel renvoi. A noter qu’une éventuelle réinsertion du travailleur dans l’entreprise n’est dans tous les cas pas prévue par notre législation.

La « rente-pont » a été présentée par nos autorités comme LA solution magique. Elle a été institutionnalisée avec la promesse de limiter les dommages collatéraux découlant du manque d’attractivité sur le marché de cette main-d’œuvre âgée, considérée comme fatiguée et obsolète par notre système économique libéral de rentabilisation et de production effrénées. Dans les faits, ne parvenant pas, dans la plupart des cas, à retrouver un emploi et arrivant en fin de droit dans l’assurance-chômage, les chômeurs âgés en Suisse puisent dans leur fortune personnelle, anticipent le versement de leur rente AVS, et souvent entament leurs avoirs de vieillesse du 2ème et du 3ème pilier, avant de recourir, en tout dernier lieu, à l’aide sociale. L’effectif des 60 à 64 ans à l’aide sociale est passé de 8065 personnes en 2011 à 11 832 en 2017 (+47 %)[i].

Dans ces situations, les prestations transitoires veulent garantir le versement mensuel d’une somme d’argent et le remboursement des frais de maladie et d’invalidité jusqu’à l’arrivée à l’âge officiel de la retraire.

Pour pouvoir bénéficier d’une rente-pont, les conditions cumulatives suivantes doivent être remplies :

    • arriver en fin de droit dans l’assurance-chômage au plus tôt pendant le mois au cours duquel le travailleur a atteint l’âge de 60 ans (1) ;
    • avoir été assuré à l’AVS en Suisse pendant au moins 20 ans, dont au moins cinq ans après l’âge de 50 ans, et avoir réalisé un revenu annuel provenant d’une activité lucrative d’un certain montant (2) ;
    • ne pas disposer d’une fortune supérieure à CHF 50’000.00 (personne seule) ou
      CHF 100’000.00 (pour un couple) – le bien immobilier servant d’habitation à son propriétaire n’est pas pris en compte à ce stade – le sera pour le calcul du montant de la prestation à verser (3),
    • présenter un excédent de dépenses, c’est-à-dire que les dépenses reconnues excèdent les revenus déterminants (condition économique) (4).

Le montant de ces prestations résulte d’un calcul savant de la différence entre des dépenses reconnues et un revenu déterminant (pour un exposé complet et détaillé des dépenses et revenus pris en considération dans le calcul, cf. 5.03, Prestations Transitoires, état au 1er juillet 2021 in http://www.ahv-iv.ch/p/5.03.f).

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D’un point de vue personnel, je ne peux que saluer cette nouvelle législation sociale, malgré, certaines incohérences constatées qui annihilent la portée du ballon de sauvetage social de ses dispositions.

Sans conteste, l’incohérence la plus problématique qui doit être rapidement ajustée par nos autorités législatives est aujourd’hui le refus d’octroi d’une telle prestation à un chômeur âgé dont le conjoint est déjà à la retraite ou bénéficiaire d’une rente invalidité. Cette condition inique à la vocation première de la loi conduit indubitablement à un renvoi en fin de course de ces chômeurs âgés à la case aide sociale.

En outre, le calcul savant à opérer afin d’établir l’excédent de dépenses requises comme condition, exclut et décourage bon nombre de chômeurs âgés. Candidats ou non à recevoir de telles prestations ? Je ne peux que les encourager à entreprendre les démarches en remplissant préalablement le formulaire suivant, au plus tôt quatre mois avant la fin de leur droit à des indemnités-chômage : Prestations transitoires | Formulaires | Mémentos & Formulaires | Centre d’information AVS/AI (ahv-iv.ch). C’est par la suite l’autorité cantonale compétente qui doit procéder à l’analyse des conditions et la procédure est gratuite. Ils n’ont donc rien à perdre si ce n’est un peu de temps.

Dans tous les cas, il reste utopique de considérer que l’octroi de telles prestations solutionnera complètement la précarisation croissante de cette tranche de la population qui souffre du démantèlement opéré par nos autorités de l’état social. Espérons alors qu’un jour, nos autorités législatives fédérales auront vocation à s’engager pour l’adoption d’une protection légale efficiente contre les licenciements de personnes âgées, afin de garantir à tout citoyen la possibilité d’arriver en Suisse dans des conditions dignes à l’âge de la retraite.

 

*Illustration réalisée par TTT

[i] Bénéficiaires de l’aide sociale | Office fédéral de la statistique (admin.ch), in https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/securite-sociale/aide-sociale/beneficiaires-aide-sociale.html

 

Virginie Ribaux

Passionnée par toutes formes d’art et de luttes sociales, Virginie Ribaux nous amène par des contributions éclectiques jouant parfois avec la transgression à percevoir la vie à travers les questionnements d’une juriste trentenaire tentant de garder les pieds sur terre.

7 réponses à “Trop vieux pour plaire

  1. Merci pour cet article qui apporte quelques explications sur cette nouvelle prestation, hélas pas très généreuse.
    Il me semble que vous omettez une condition qui limite aussi l’accès à cette rente transitoire. Selon ma lecture des textes légaux, une rente transitoire ne peut être obtenue si vous avez des avoirs de prévoyance (2ème et 3ème piliers réunis ) inférieurs à 500’000 fr.
    Enfin, a titre personnel, je suis choqué par la qualification de “fortune” pour des économies proches de 50’000 fr. C’est un seuil qui figure aussi dans les directives pour les prestations complémentaires et dans les déductions fiscales pour la fortune. Ce montant n’a pas été revu depuis plus de trente ans et j’ai la naïveté de penser qu’on pourrait le porter à 100’000 fr. pour tenir compte de l’augmentation du coût de la vie depuis ces trente dernières années sans que cela ne mette en péril notre économie.

    1. Bonjour François,

      Merci pour votre retour qui me réjouit. Je vais essayer de détailler au mieux possible et de la manière la plus compréhensible la question de la prise en compte des avoirs professionnels dans le calcul de la fortune nette.

      L’art. 4 de l’Ordonnance sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (OPtra) du 11 juin 2021 clarifie la prise en compte des avoirs de la prévoyance professionnelle dans le calcul de la fortune nette [en lien avec l’art. 5. al. 2. let. c de Loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (LPtra) du 19 juin 2020 auquel vous faites référence pour cette condition dans votre remarque qui précède].

      Selon ses termes les avoirs de la prévoyance professionnelle (2ème et 3ème pillier) sont pris en compte lors du calcul de la fortune nette déterminante pour le seuil d’entrée liée à la fortune pour la part qui excède 26 fois le montant destiné à la couverture des besoins vitaux (art. 9 al. 1 let. a ch. 1, LPtra).

      Cet article précise ainsi le montant en dessous duquel l’avoir de la prévoyance professionnelle n’est pas pris en compte pour déterminer le droit aux prestations transitoires. Le montant est calculé de la manière suivante. Les personnes qui ont droit à des prestations transitoires jusqu’à 65 ans devraient selon le législateur pouvoir disposer d’un avoir de prévoyance d’un montant correspondant à 26 fois le montant destiné à la couverture des besoins vitaux, ce qui équivaut environ à 500 000 francs, lorsqu’elles atteignent l’âge ordinaire de la retraite. Toujours selon la logique du législateur pour une personne seule ce capital serait suffisant pour consommer une somme de 24 000 francs chaque année pendant plus de 20 ans, ce qui correspond à l’espérance de vie d’un homme à l’âge de 65 ans. Avec la rente de vieillesse AVS de 22 200 francs (Rente AVS moyenne des hommes en 2019, statistique OFS 2020), une personne atteint un revenu annuel de 47 000 francs, ce qui est légèrement supérieur aux dépenses couvertes par les prestations transitoires, respectivement les prestations complémentaires.

      Concernant votre deuxième remarque, je ne peux que l’approuver. C’est une question qui s’est effectivement posée dans la procédure de consultation législative du texte. Il n’est toutefois pas exclu qu’une modification législative ultérieure de ces montants interviennent et si notre naïveté à tout deux peut contribuer à ce changement elle n’est que de bon augure.

      Cordialement,
      Virginie Ribaux

      Source : Ordonnance sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (OPtra) Dispositions d’exécution de la loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés Commentaire, in : Informations de base & législation (admin.ch)

    2. Comment justifiez-vous la subsidiarité de la solidarité nationale, avec une fortune de 100’000.-?

      Vous connaissez beaucoup de monde qui ont 2 ans de salaire sur leur compte en banque? et vous voudriez que les impôts des petits revenus augmentent pour permettre aux rares qui ont une fortune de 100’000 fr de ne pas la toucher en cas de pépin social ?? puis s’acheter une belle voiture/bateau qui fait vroom ? ou de belles vacances au soleil ?

      Autour de moi, les gens se saignent pour payer le minimum des cotisations AVS et n’ont pas assez de revenus pour payer des impôts ou prendre des vacances. J’aimerais vivre dans votre monde où les gens peuvent économiser l’équivalent de deux ans de salaire ou plus comme fortune… 🙁

  2. Merci pour cet article.
    Ce qui est dit est important et peut concerner tout le monde.

  3. C’est une bonne chose si on sort les pré-retraités de l’AI (seule alternative au néant) et qu’on leur offre de la dignité.

    Mais gardons les pieds sur terre.
    Une rente-pont n’est pas une préretraite; elle ne doit donc pas être un poids excessif pour les actifs les plus jeunes entrant sur le marché du travail. Il faut donc former et encourager le travail de tous et toutes, jusqu’au dernier jour avant la retraite, sauf raisons de santé.

  4. Bonjour et merci pour votre éclairage.
    En complément, je vous suggère d’aller regarder l’Art. 47a LPP (loi sur la prévoyance professionnelle) en vigueur depuis le 1er janvier 2021, c’est une réponse partielle au problème évoqué qui, sans tout solutionner, permet d’avoir une protection de la rente de retraite des travailleurs âgés.

  5. Cette loi contient une particularité et une première qui n’a pas semblable dans l’histoire suisse et européenne. En effet, le contribuable suisse va aider des personnes, qui vont s’ils le veulent, habiter dans un Etat tiers (UE) et payer des impôts dans leurs pays de résidence de la poche du contribuable suisse, sans parler des frontaliers qui verseront tous leurs impôts à leurs pays de résidence. Dans quelques années quand les honnêtes gens, ceux de la chanson de Brassens, auront le temps de se préparer comme il se doit pour bénéficier de cette loi, le budget de cette aide se chiffrera en plusieurs milliards par an.

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