Dans l’actualité, entre la réforme des retraites en France et la guerre en Ukraine, on entend parler du congé menstruel, et cela a de quoi nous réjouir !
un concept séduisant et compréhensible à première vue car être une femme, oui, c’est subir des menstruations, qui sont pour certaines très douloureuses et qui restreignent le quotidien.
Le congé menstruel est déjà en place en Espagne, qui fait office de précurseur en Europe. En effet, c’est en décembre dernier que des députés ont accepté un projet de loi comportant les premières dispositions européennes en la matière. Dans le monde, on constate que la mise en place d’un tel congé n’est pas récente, notamment dans les pays asiatiques comme la Corée du Sud, Taiwan ou encore au Japon. Ce dernier est applicable depuis 1947, bien que très peu utilisé par les femmes en pratique (moins d’1% des femmes en font usage). En Corée du Sud, les employées sont autorisées à prendre un jour de congé menstruel par mois, mais ces jours ne sont pas payés. À Taïwan, on reconnaît également le droit au congé menstruel pour les employées dans la limite d’un jour par mois, et d’un total de trois jours par an. Autre exemple outre occidental, plus récent en Afrique australe, la Zambie a depuis 2015 également une loi accordant aux femmes le droit à un congé menstruel représentant un jour de congé supplémentaire par mois en cas de règles douloureuses, sans que celui-ci ne doive faire l’objet d’un préavis ou certificat médical.
En Suisse, c’est le canton de Zurich qui ouvre le bal avec la mise en place d’un projet pilote sous l’impulsion des deux élues vertes, Sélina Walgis et Anna-Béatrice Schmaltz, qui souhaitent soutenir les personnes concernées en leur offrant la possibilité d’en parler ouvertement. Le projet étant encore en cours d’élaboration, c’est une affaire à suivre notamment dans sa mise en place et les conditions d’accès retenues.
Si cette démarche cantonale séduit, on espère voir naître un postulat ou une motion à l’Assemblé fédérale qui permettrait d’avoir un réel débat commun sur cette notion et l’adoption potentielle de dispositions uniformes dans notre législation du droit du travail fédérale allant dans ce sens. Dans cette même impulsion, on constate d’ailleurs que toute une série de congés spéciaux est entrée en vigueur récemment dans la législation fédérale visant à promouvoir une conciliation entre la vie familiale et professionnelle : congé pour enfants gravement malades, congé paternité, congé pour proches aidants, etc.
Le droit suisse connaît plusieurs congés. Les vacances sont un type de congé payé prévu spécialement par l’art. 329 CO. C’est un laps de temps durant lequel le travailleur a droit de se reposer tout en étant payé. Il y a également les congés maladie inscrits à l’art. 324a CO (incapacité du travailleur non-fautif) et une référence très abstraite à diverses formes de congés dits usuels, qui prennent en compte des congés à octroyer à tout employé pour des causes d’enterrement, d’adoption, de mariage ou encore de déménagement. Le législateur suisse n’a pas expressément prévu de rémunération pour ces congés, laissant libre place à diverses interprétations à la doctrine, qui reconnait toutefois majoritairement une rémunération pour les contrats de durée indéterminée.
Cela dit, le congé menstruel, comme il est actuellement pensé, se placerait en nouveau congé spécial pour cause d’absence en lien avec une incapacité non fautive de travail d’une employée. En ce sens, il représenterait un prolongement de l’art. 324a CO qui est actuellement la base légale permettant à des femmes d’être absentes en cas de menstruations douloureuses.
La question demeure de savoir s’il est nécessaire et indispensable de passer par une adoption d’une disposition légale particulière alors que la législation légale actuelle contient déjà des dispositions relatives à des absences pour cause de maladie. Dans quelle mesure cette première alternative pourrait péjorer les discriminations indirectes opérées par les employeurs à l’embauche sur les femmes ou l’égalité de genre dans les fonctions, voire multiplier les licenciements représailles ?
Les défenseurs du projet sont conscients du risque, mais espèrent que cela permettra aux femmes de parler de leurs douleurs menstruelles et de recevoir le soutien adéquat pour continuer à travailler de manière efficace durant l’ensemble de leur cycle. D’autre part, les critiques émises à l’encontre de ce projet relèvent d’une crainte selon laquelle ce type de dispositions spéciales serait susceptible de stigmatiser les femmes ou de les fragiliser dans le monde du travail.
Tout débat à ce sujet ne saurait se tenir qu’à la lumière de différents éléments : de combien de jours de congé parle t’on ? Quelles seraient les conditions d’accès ? Est-ce que ce type de congé serait rémunéré ? Dans l’affirmative selon quel mode de prise en charge ?
Premièrement, quant au nombre de jours, on imagine qu’il soit limité, par une norme relative mensuelle et une limitation du nombre de jours absolu annualisé.
Quant aux conditions, il y a lieu de questionner la nécessité pour une femme de produire à son employeur un certificat maladie et, dans l’affirmative, sa nature. Il faut tenir compte du fait qu’un certificat médical rendu obligatoire pour chaque absence, soit pour chaque mois au maximum, suppose des frais médicaux conséquents et réguliers à la charge de l’employée. Est-ce qu’une attestation gynécologique unique à renouveler suffirait ? Certains courants plaident d’ailleurs pour un congé menstruel réservé aux femmes souffrant de pathologies gynécologiques recensées et reconnues par le corps médical, comme l’endométriose. D’autres sont d’avis que la question de la qualification subjective de la douleur ressentie doit être laissée à la libre appréciation des praticiens du domaine médical en charge des patientes. Toutes ces possibilités démontrent bien le pluralisme de la conception du congé menstruel et des conséquences sur l’égalité de traitement de son accès.
Dans un troisième temps, se pose encore la question d’une rémunération de ces congés et, cas échéant, de leur prise en charge. Là encore, les possibilités sont multiples car il est possible de prévoir une prise en charge par l’assurance publique allocation pour perte de gain (ci-après : APG) ou par l’employeur, via l’application de l’art. 324a CO et, par conséquent, son assurance indemnité collective perte de gain, s’il en a souscrit une. La prise en charge de ces congés par l’APG justifierait le fait qu’une femme donne les raisons de son absence, contrairement au cas maladie pris en charge par l’employeur. En effet, les types d’absence pris en charge par l’APG, tels que le service militaire, le congé maternité ou encore le service civil, donnent lieu à une transparence quant aux raisons de l’absence de l’ayant-droit. Il est plus choquant que les raisons de l’incapacité doivent être données et connues par l’employeur dans le cas d’une prise en charge par ses soins car à l’heure actuelle, sous certificat médical, une employée n’est pas contrainte de donner les raisons de son incapacité.
Adopter des dispositions spécifiques pour un congé menstruel donnerait lieu à un congé pour « règles » qui, dans la pratique, contribuerait, selon moi, à discriminer la place des femmes dans le monde professionnel. ,Cela pourrait également conduire à des dérives au détriment de la sphère privée d’une collaboratrice, telle que: « Elle ne prend plus ses congés, elle est enceinte ?! ou ménopausée ? » ; « Je crois qu’elle a mis un stérilet ! » ; « Elle était de mauvaise à cause de ses règles la semaine dernière ». Cela dit, le débat permet de mettre en lumière ce thème, d’en parler et de le rendre plus palpable et explicable pour des hommes qui trop souvent encore ne comprennent pas très bien ces cycles avec lesquels une femme est tenue de dealer une bonne partie de sa vie.
A mon sens, le droit suisse actuel serait donc suffisant et des congés pris par des employées souffrant de menstruations douloureuses devraient être considérés comme des congés maladie standards (art. 324a CO). Il s’agira toutefois d’œuvrer pour une amélioration du processus d’accès, aujourd’hui insuffisant, qui représente le chemin le plus judicieux à prendre. Il contribuerait effectivement, d’une part, à améliorer l’accès à un tel congé et, d’autre part, à éviter des mesures discriminatoires postérieures qui pourraient être prises par l’employeur.
Dans cette idée, je pense qu’une liste tenue par le médecin cantonal permettrait aux gynécologues traitants d’envoyer une attestation à son Service en cas de traitement de patientes démontrant des symptômes de menstruations douloureuses. Par la suite, le médecin cantonal pourrait, par le biais de la demande des employées répertoriées, fournir des certificats maladie mensuels. Cela permettrait de ne pas faire supporter à ces femmes le poids économique d’une consultation mensuelle tout en assurant une centralisation des informations qui garantirait la non-divulgation à l’employeur des raisons de l’absence.
Par la suite, cette centralisation permettrait également et utilement, en cas de licenciement de l’employée postérieurement à l’usage de tels congés – ou d’autres mesures qui s’ensuivent de nature discriminatoire – de prévoir un renversement complet du fardeau de la preuve. Ce procédé demanderait à l’employeur de prouver que la mesure discriminatoire opérée sur l’employée ou que son licenciement est effectué pour d’autres motifs que les congés menstruels pris par l’employée.
Ce répertoire permettrait en effet de satisfaire à l’art. 6 Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (ci-après : LEg) qui prévoit que la partie qui fait valoir une discrimination fondée sur le sexe supporte le fardeau de la preuve. Une femme répertoriée auprès du médecin cantonal apporterait les indices suffisants permettant de rendre la discrimination « vraisemblable ». La discrimination serait ainsi « présumée » et le fardeau de la preuve renversé. Il incomberait alors à l’employeur d’établir que la différence de traitement est justifiée par des motifs objectifs.
Il demeure possible de formuler une critique face à cette proposition. Il reste une inégalité claire entre les employées qui sont au bénéfice d’un contrat ou d’une CCT qui prévoit un régime d’assurance maladie collective de l’employeur obligatoire et celles qui devront se contenter de l’échelle bernoise. En réalité, le droit à une rémunération durant la période d’incapacité n’est pas du tout le même puisque l’échelle bernoise ne prévoit que 3 semaines durant la première année de service, contrairement aux assurances APG qui prennent en charge le salaire dans la plupart des cas à hauteur de 80% du salaire dès le 3ème jour.
A noter encore que le régime de prise en charge par les assurances perte de gain collectives privées n’est à l’heure actuelle pas totalement satisfaisant puisque beaucoup d’assurances prévoient une prise en charge des jours de maladie uniquement dès le 3ème jour d’absence, ce qui, pour des absences dues à des menstruations douloureuses, représentent souvent des périodes d’absences courtes.
En conclusion, il est certain qu’il y a encore matière à réfléchir dans l’élaboration d’une proposition afin de satisfaire au mieux au but premier de ces réflexions, soit l’égalité des sexes dans la vie professionnelle.
*Illustration réalisée par “W”, à Neuchâtel