Les pieds sur Terre

Retours gratuits, c’est fini! quelques réflexions…

Cardboard boxes on conveyor belt in warehouse

Récemment Zara, du groupe Inditex, puis H&M, deux  poids lourds de la fast fashion* ont annoncé que les retours gratuits (hors retours au magasin) étaient terminés. D’autres vont suivre. J’ai pensé: enfin! Depuis que cette offre, purement dictée par le marketing pour concurrencer les autres sites marchands, avait été lancée, les consommateurs en ont usé puis carrément abusé: certains, par exemple, ont commandé, sans plus réfléchir ni prendre leurs mesures, le même article en 3 tailles. D’autres ont avoué se sentir valorisés par cette espèce de pouvoir d’achat illimité qui n’engageait à rien.

L’effet Covid

Sans surprise, la fermeture des magasins les confinements et le télétravail ont prodigieusement accéléré l’e-commerce de la mode, sorte de compensation aux frustrations diverses. Je me souviens avoir vu une jeune femme expliquer à la journaliste qui l’interrogeait qu’elle adorait recevoir ses colis tous les jours, comme une sorte de calendrier de l’Avent permanent. Elle commandait plusieurs objets et vêtements par jour pour « avoir la surprise » en ouvrant ses cartons.

L’effet selfies sur les réseaux sociaux

Cela lui permettait de se prendre ensuite en photo et de partager ses tenues en abondance de selfies sur les réseaux. Selon les réactions (et ses finances ou ses placards) elle sélectionnait parfois un article pour le garder mais les renvoyait presque tous ensuite.

L’effet d’aubaine

Je constate que cela n’a pas échappé aux grands producteurs de la fast fashion qui en ont tiré deux conséquences: s’ils se dotaient d’influenceurs pour faire leur pub sur lesdits réseaux et augmentaient la cadence des collections, tout en annonçant qu’il s’agissait de collections capsules (comprenez: limitées en stock et en durée de mise en vente), ils mettaient en place deux arguments de vente très efficaces: la rareté et l’urgence.

« Vite! Profitez, maintenant ! demain ce sera trop tard ! Plus que 2 jours pour commander! etc. » autant d’injonctions incitatives destinées à créer le désir d’achats compulsifs. On a assisté à une accélération parallèle des ventes privées, pré-soldes, soldes, liquidation de stock, et autres Black Fridays.

Le public ciblé étant les très jeunes gens, plus « malléables », vifs, très réactifs voire impulsifs, et pour lesquels le paraître est un puissant adjuvant dans leur quête d’identité et d’appartenance.

De la fast fashion à l’ultra fast fashion

Conscientes de la limite financière de leur public cible, certaines enseignes ont développé alors des sous-marques hyper bon marché et ultra rapides (ex. Pretty Little Things, Boohoo), passant à une cadence effrayante de 12 jours maximum de fabrication entre 2 collections, aux prix cassés (une moyenne de 15 frs/euros pour un vêtement), de très piètre qualité. Produites au mépris des droits de celles et ceux qui les fabriquent à la chaîne, dans des ateliers clandestins et gérés par de puissantes organisations dans des zones de non-droits, jusqu’au cœur de l’Europe, en Grande-Bretagne notamment. On assiste à un désastre: la mode jetable …. qu’on ne peut même pas vendre en seconde main.

Les retours… du boomerang

Certes les commandes ont explosé mais les enseignes ont été littéralement submergées par l’ampleur des retours, qu’elles ne pouvaient plus vérifier: plus le temps, pas assez d’employés, pas assez de place, que faire des stocks ainsi accumulés ?

Cette politique du retour gratuit est très vite devenue incontrôlable, y compris pour les plus grands acteurs comme Amazon, qui a décidé alors de bannir de son site –sans les en avertir préalablement- certains clients aux renvois trop fréquents.

On a découvert ensuite que nombreux étaient les sites marchands qui détruisaient purement et simplement les cartons renvoyés avec leurs contenus, suite hélas logique de cette frénésie délirante: plus rapide et moins cher. Effrayantes dérives.

Inutile de dire que cela constitue dans tous les cas un gouffre financier pour les marques et les acteurs de l’e-commerce.

Pourtant aucune considération environnementale ni sociale !

Lorsqu’on sait que l’industrie textile est la seconde industrie la plus polluante au monde,qu’elle constitue une filière qui cumule les mauvaises pratiques (exploitations des gens et des ressources, espionnage des créateurs, contrefaçons industrielles, pollutions irréversibles, dumping salarial, etc.) partout où elle sacrifie la qualité sur l’autel du profit massif et immédiat, on comprend bien que le virage pris récemment pour revenir aux retours payants (d’ailleurs encore bien trop bon marché pour être réellement dissuasifs pour les boulimiques de e-achats) n’est qu’un sursaut du porte-monnaie des acteurs producteurs. Ce n’est en aucun cas une prise de conscience globale du problème…dont ils se moquent comme de leurs premières chaussettes.

Energie grise et empreinte carbone

Si l’on calculait l’énergie grise** dépensée et l’empreinte carbone d’un colis et de son contenu, on serait consternés à juste titre. Le trafic postal volumineux a explosé, ce qui a multiplié les transports notamment, le carton est surconsommé et gaspillé, le plastique est partout puisqu’il emballe chaque article envoyé, la consommation électrique tant des serveurs que des machines de fabrication est considérable, et je ne parle pas de l’utilisation des ressources en eau … Le bilan est catastrophique.

Expliquer, encore et toujours…

Bref, il serait grand temps d’expliquer dans le détail aux consommateurs ce que déclenche un petit clic si facile depuis leur ordinateur… !

Et en particulier aux jeunes générations, victimes à plusieurs titres de ce système aberrant. S’ils ne savent pas à quoi ils participent, on ne peut décemment le leur reprocher.

Ils piétinent la planète qu’ils voudraient sauver. Il faut donc leur enseigner urgemment la notion de responsabilité positive en leur montrant clairement les étapes cachées de ces filières, sous la plupart de leurs aspects. Pour qu’ils puissent exercer vraiment leur libre-arbitre en gardant Les Pieds sur Terre.

 

* Mode produite sous forme de collections se succédant à un rythme de plus en plus rapide (fast fashion et ultra fast fashion)

** Energie totale consommée durant le cycle de vie d’un produit, allant de l’extraction et de la production des matériaux qui le constituent, en passant par toutes les étapes successives: transformation, fabrication, transport, stockage, diffusion, récupération, recyclage, destruction. Cette donnée est le plus souvent ignorée des consommateurs, qui considèrent principalement l’énergie dite d’utilisation. Or elle est nettement plus importante que cette dernière, mais très peu visible pour le public.

***Cf. le documentaire de Gillles Bovon et Edouard Perrin:

Fast fashion, les dessous de la mode à bas prix. Coproduction Premières lignes / Arte.

https://www.youtube.com/watch?v=IDAaqZ0Fl88

 

 

 

 

 

 

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